B. LA CONCURRENCE FISCALE PEUT CONDUIRE À TERME À REMETTRE EN QUESTION LE PRINCIPE DE NON AFFECTATION DE L'IMPÔT
Nous
venons de montrer que la concurrence fiscale a pour effet de faire reposer la
charge fiscale sur les bases imposables les moins mobiles. Autrement dit, la
mobilité des bases imposables exclut a priori toute redistribution de
revenu entre facteurs mobiles et facteurs immobiles. Or la localisation des
investissements directs comme celle des individus dépend non seulement
de la pression fiscale mais aussi de la qualité des services publics
offerts par un pays. Dans ces conditions, la pression fiscale peut être
élevée à condition, cependant, que les recettes fiscales
soient utilisées pour financer des dépenses publiques qui
bénéficient aux facteurs mobiles.
Autrement dit, la concurrence fiscale obligerait les Etats à " caler "
progressivement leur politique budgétaire et fiscale sur le " principe
d'équivalence ", l'impôt s'apparentant alors un prix pour service
rendu. En effet, pour certains économistes, ce n'est pas tant la
concurrence fiscale qui est responsable de l'alignement des Etats sur le choix
du moins-disant fiscal que la structure des fiscalités nationales qui
consiste à faire financer par les entreprises des services collectifs
qui bénéficient en grande partie aux seuls ménages.
Pour démontrer ce résultat, on suppose que les pouvoirs publics,
dans chaque pays, offrent deux types de biens collectifs qu'il est possible
d'affecter aux agents économiques qui en bénéficient : le
premier est utilisé comme un facteur de production par les investisseurs
privés, le second est consommé par l'individu
représentatif des ménages qui habitent dans chaque pays. On
suppose pour simplifier que les gouvernements peuvent obtenir ces biens
collectifs sur un marché privé concurrentiel à un prix
unitaire constant. L'offre des deux biens collectifs est financée
grâce à un impôt forfaitaire (ou de capitation) et une taxe
unitaire sur le capital physique. Comme précédemment, les
gouvernements ont un comportement non coopératif dans le sens où
ils cherchent à déterminer le taux d'impôt sur le capital
physique et l'impôt forfaitaire qui maximise l'utilité d'un
individu représentatif sédentaire (compte tenu des contraintes de
budget publique et privée) en considérant comme donnée la
politique budgétaire des autres gouvernements.
On montre alors que chaque gouvernement produit le bien collectif
destiné aux ménages jusqu'au point où le taux marginal de
substitution entre le bien public et le bien privé est égal au
rapport des prix de ces deux biens, ce qui permet de s'assurer que le bien
collectif est produit en quantité optimale. En outre, chaque
gouvernement fournit le bien collectif destiné aux investisseurs
privés jusqu'au point où la productivité marginale de ce
facteur est égal à son prix, ce qui signifie que le bien
collectif est utilisé au maximum de son efficacité. Enfin, les
recettes fiscales qui proviennent de l'impôt sur le capital physique
permettent de financer le coût de production du bien public
utilisé par les entreprises et l'impôt forfaitaire sert à
financer le bien public destiné au ménages. Ainsi, à
chacun des biens collectifs, est associé un pseudo-prix fiscal qui
correspond à la valeur qui lui est attribuée par son
bénéficiaire, que ce soit les ménages ou les entreprises.
A long terme, la concurrence fiscale devrait rapprocher les impôts de "
redevances " pour services rendus. Ce qui pose deux types de difficultés
: tout d'abord, cela revient à nier la spécificité des
biens collectifs qui sont souvent indivisibles, ensuite le rôle
redistributif de l'impôt serait considérablement réduit,
enfin le principe du bénéfice est difficile à mettre en
oeuvre car si les agents économiques sont mobiles, ils peuvent trouver
le moyen d'échapper à l'impôt tout en
bénéficiant des dépenses publiques
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Dans ces conditions, il est très difficile pour un Etat de financer,
grâce à un impôt sur le capital industriel, des programmes
sociaux ou tout autre service bénéficiant exclusivement aux
ménages.