V - DISCUSSION



M. Joël BOURDIN, Président.- Avant de lancer la discussion sur les sujets évoqués, je vais donner la parole à M. Philippe MOUTOT, directeur général adjoint du Service Economie de la Banque Centrale Européenne afin qu'il nous fasse part de ses commentaires et réactions aux propos tenus cet après-midi.

Je vous remercie Monsieur MOUTOT d'avoir accepté de participer à ce colloque, ce qui témoigne d'une véritable volonté de communication de votre grande institution. Mais vous vous exprimez ici à titre personnel, comme économiste, et non comme représentant de la Banque Centrale Européenne. Je vous laisse la parole.

M. Philippe MOUTOT, Directeur Général adjoint du Service Economie de la Banque Centrale Européenne.-

Messieurs les Sénateurs, Mesdames et Messieurs, Vous savez que l'euro est lancé depuis environ 165 jours. Son introduction sur le plan technique a sûrement été un succès et il a pris une place éminente au niveau mondial. Mais il est encore plus intéressant de remarquer qu'il a définitivement pris une place centrale dans le débat économique et politique et qu'il amène à situer de plus en plus les débats nationaux dans un contexte européen.

Le sujet de ce colloque est à mon avis tout à fait pertinent et la Banque Centrale Européenne, par mon intermédiaire, est heureuse de pouvoir s'y associer.

L'analyse des perspectives économiques, qui est un peu notre travail de tous les jours, est absolument essentielle pour conduire la politique monétaire. Je vais donc m'efforcer de commenter les très nombreux sujets traités, en tant que banquier central, en passant en revue les différents aspects de notre travail.

Je commencerai par ce que j'appelle la stratégie de politique monétaire, déjà largement débattue. J'essayerai de continuer en donnant des exemples concrets d'application dans la vie réelle - pourquoi ne pas prendre les décisions les plus récentes ? - et je finirai sur les questions de taux de change et de coordination des politiques économiques.

Concernant la stratégie de politique monétaire de la Banque Centrale Européenne, l'objectif de la stabilité des prix a été clairement affirmé par le traité de Maastricht mais sa mise en oeuvre n'a pas été décrite dans le traité. Celle-ci impose la transparence, nécessaire à toute institution indépendante dans un contexte démocratique, et une certaine efficacité pour laquelle il est essentiel de définir une stratégie qui ne figure pas dans le traité.

Cette définition de la stratégie doit être effectuée par la Banque Centrale Européenne, ce qu'elle a entrepris de faire dès sa création, en se disant qu'il fallait élaborer une procédure claire et connue de prise de décision et une procédure de communication avec le public.

Le premier élément est la définition de notre objectif ; la clarté commence là. La clarté, pour nous, consiste à définir la stabilité des prix comme une croissance de l'indice des prix à la consommation, harmonisé au niveau européen, entre 0 et 2 %. C'est dire que la stabilité des prix doit être maintenue à moyen terme.

Pourquoi ces éléments ? Tout d'abord, le taux de O à 2 % tient compte d'un certain biais statistique existant toujours dans le calcul de l'indice des prix. Nous ne pouvions pas être extrêmement précis étant donné que ce biais statistique est difficile à estimer en Europe, particulièrement en ce moment, mais nous espérons avoir une idée plus précise dans le futur.

Ce choix reflète l'idée simple selon laquelle l'inflation est à moyen et long terme nocive à la croissance. C'est clairement le cas lorsque l'inflation est importante mais, à notre avis, ça l'est également lorsque l'inflation est limitée. Nous y voyons pour preuve les démonstrations faites par FELDSTEIN, évoquées dans l'étude présentée par le COE, et montrant qu'au plan micro-économique, l'inflation crée des distorsions importantes.

Nous pouvons quelquefois dire qu'elle facilite la négociation des salaires. En revanche, elle ne facilite pas la négociation des investissements et les rend beaucoup plus incertains. Tant et si bien que lorsque nous regardons, dans la pratique, par exemple les dernières études faites aux Etats-Unis, pour essayer de mesurer cette inflation optimale, nous nous apercevons qu'elle est entre O et 2 %.

Nous sommes donc assez opposés à un seuil minimum d'inflation plus élevé parce que nous ne pensons pas qu'il y a d'étude vraiment convaincante pour la défendre. A notre avis, la mesure des ratios de sacrifice est certainement contestable, car cela repose sur l'idée que l'on pourrait très facilement calculer la production potentielle. Nous étudions cette question et nous avons suivi un peu tous les indices statistiques produits par de nombreux instituts ou organismes internationaux. Malheureusement leurs résultats ne sont pas tous concordants, loin s'en faut, de sorte qu'il demeure une énorme incertitude à cet égard.

Nous avons aussi une autre crainte : en donnant un taux d'inflation minimum trop important, on peut finalement obscurcir le débat. En " mettant de l'huile " dans l'économie, nous avons l'impression que l'on cache ou repousse le débat sur les structures économiques, leur flexibilité, leur efficacité, leur adéquation. Il est important, quand l'inflation est basse, d'être très clair sur ces éléments structurels.

Nous avons l'impression qu'il faut clairement poser les problèmes et ne pas faire supporter à la politique monétaire plus de responsabilité qu'elle ne le doit. Finalement, nous pensons que la désinflation dans certains cas peut être très positive. Regardez par exemple ce qui s'est passé ces dernières années en Espagne ou au Portugal : une désinflation assez rapide, malgré une croissance soutenue.

Il faut donc prendre un point de vue extrêmement général, sans ignorer un élément important : il faut un minimum nous garantissant contre un vrai risque, celui de la déflation. C'est pour cela que nous avons fait apparaître que notre définition de la stabilité des prix se situait entre 0 et 2 %. Nous avons bien l'intention d'éviter cette déflation à tout prix.

Au-delà de la définition, il faut expliquer comment les décisions sont prises. Nous avons proposé deux piliers : l'un monétaire et le second appelé évaluation des perspectives d'évolution des prix.

Le pilier monétaire, vous le connaissez, c'est une valeur de référence pour la croissance de l'agrégat monétaire M3. Pourquoi l'avons-nous choisi ? Nous pensons qu'à moyen terme, l'inflation est un phénomène monétaire et nous savons, d'après les études que nous possédons - et que nous allons bientôt publier - que pour l'instant, la demande de monnaie est relativement stable dans l'Europe considérée globalement. Et ce, à l'inverse de ce qui a pu être observé au niveau des différents pays.

Bien sûr, son évolution de court terme ne fournit qu'une référence, pas plus, et dans ce sens, nous ne voulons pas suivre mécaniquement un agrégat monétaire. Ceci est parfaitement reconnu et justifie que nous ayons un second pilier, celui correspondant à l'évaluation des perspectives d'évolution des prix.

Pour ce faire, nous avons recours à un ensemble d'indicateurs : indicateurs de l'économie réelle, indicateurs financiers, projections économiques. Nous procédons à un investissement important grâce à un système de projection économique permettant de voir l'évolution de la zone euro en elle-même comme celle de chacun de ses pays.

Nous ne nions pas la méthode de projection économique et nous espérons nous en servir. Cela dit, nous pensons que dans un monde où les modèles économiques ne traduisent qu'imparfaitement la réalité, nous ne devons pas faire confiance à une seule méthode. Nous devons utiliser de multiples approches, regarder ce que donnent les projections d'inflation et de croissance, mais ne pas rester complètement prisonniers de ces concepts et faire également appel à d'autres analyses.

Nous ne sommes pas en faveur de règles systématiques. Il faut que la Banque Centrale Européenne garde une certaine discrétion dans son approche pour pouvoir prendre en compte les nouvelles informations ne figurant pas dans les modèles.

La difficulté pour la Banque Centrale Européenne est de garder cette flexibilité, cette discrétion dans son appréciation, tout en étant transparente. C'est pour cela que le troisième élément de notre stratégie est une communication effective. Nous avons donc décidé de présenter de manière immédiate et détaillée l'ensemble de nos décisions à la presse quelques minutes après qu'elles ont été prises.

Le Président de la Banque Centrale Européenne fait une conférence de presse et répond à toutes les questions posées. Nous publions également un bulletin mensuel dans lequel nous donnons tous les raisonnements économiques détaillés pouvant justifier nos décisions, et organisons un certain nombre d'apparitions annuelles du Président de la Banque Centrale Européenne au Parlement.

Je vous invite, concernant ces apparitions, à consulter le compte-rendu des débats sur notre site Internet. Vous verrez que ceux-ci sont assez détaillés et j'espère qu'ils le deviendront de plus en plus.

Voilà pour la stratégie suivie.

Quelques mots sur l'application des décisions monétaires récentes, afin de donner un exemple : pourquoi avons-nous baissé les taux d'intérêt de nos opérations principales de refinancement en avril ? Pas parce que nous avions l'impression qu'il y avait une information extrêmement nette en provenance des agrégats monétaires ou des agrégats de crédit mais parce que nous pensions que des risques non négligeables apparaissaient.

Une potentialité de retournement de la croissance se manifestait, car un choc extérieur commençait à se produire directement en Europe avec une possibilité de chute des investissements et des stocks, et donc de diminution de la confiance des agents économiques.

Notre décision n'était pas basée sur le fait que nous avions l'impression que ceci se produirait nécessairement, mais sur l'idée qu'il y avait un risque que nous devions prendre en compte.

Depuis, nous n'avons pas modifié les taux d'intérêt et nous avons l'impression d'observer un rééquilibrage des risques en Europe. Certes, la remontée des prix du pétrole a tendance à faire remonter l'indice des prix à la consommation, tout en le maintenant sous la barre des 2 %, mais nous avons aussi l'impression que la confiance revient chez les industriels, comme un certain nombre d'indices le fait apparaître. Finalement, le premier trimestre 1999 a été plus favorable que prévu. Je peux vous assurer que nous prenons en compte l'ensemble des éléments économiques dans notre réflexion. Je fais part toutefois d'un certain scepticisme sur l'impact des modifications de taux d'intérêt tel qu'il est parfois retracé dans les modèles. Nous avons l'impression, en effet, que les taux d'intérêt peuvent avoir un impact à court terme, mais que celui-ci disparaît assez vite à moyen terme. Nous ne sommes donc pas persuadés que les projections présentées faisant apparaître un impact important sur le moyen long-terme sont vraiment crédibles.

Un certain nombre de questions ont été posées, telle l'évolution des salaires. Pour l'instant, nous n'avons pas trop d'inquiétude à ce sujet, mais c'est à surveiller car cette évolution est essentielle au maintien d'une stratégie d'emploi.

Nous avons aussi quelques incertitudes sur la productivité future. Nous aimerions être sûrs que nous passons dans une nouvelle économie, que le nouveau paradigme américain s'applique à l'Europe. C'est une chose que nous n'excluons pas. Mais avant de l'envisager sérieusement, il faut avoir des données le faisant apparaître et, pour le moment, nous restons encore sceptiques sur ce point.

J'en viens au problème du taux de change. Nous avons affirmé clairement que nous n'avions pas de cible de taux de change, car c'est incompatible avec une politique monétaire recherchant la stabilité des prix. Cela ne signifie pas que nous ignorons ceux-ci. Nous considérons qu'ils sont un indicateur très important, que nous prenons en compte dans notre analyse économique, mais ce n'est qu'un indicateur parmi d'autres.

Ceci nous amène à insister sur le fait que de toute manière, et en accord avec le traité de Maastricht, la politique de change doit toujours être compatible avec la stabilité des prix. La conséquence institutionnelle de cet élément est que le Conseil ECOFIN peut donner des orientations générales, qui ne peuvent prendre effet que dans des circonstances exceptionnelles.

Nous n'envisageons pas d'accords de zone cible, pensant qu'ils sont contre-productifs. Les déterminants des taux de change sont in fine les différentes politiques monétaires, budgétaires, structurelles. Parfois, la spéculation amplifie ces déterminants ; il faut en tenir compte.

Les déterminants fondamentaux sont les politiques économiques. Celles-ci doivent être orientées vers la stabilité. Il faut donc prêter une large attention aux politiques fiscales et structurelles ; c'est à notre avis la meilleure manière de stabiliser les marchés financiers.

Nous ne sommes pas inquiets quant à l'évolution de l'euro. Nous ne souhaitons pas le voir se déprécier au-delà de ce qui a été observé, mais nous reconnaissons que c'est partiellement dû à un décalage conjoncturel avec les Etats-Unis et une idée qui s'est répandue sur une différence de productivité et de croissance à long terme, qui va probablement se corriger à partir du moment où l'on verra repartir l'économie européenne. Sur le moyen terme, nous sommes certainement optimistes quant à l'euro.

Je voudrais conclure sur la relation entre la politique monétaire et les autres politiques économiques. A notre avis, il est très important que la répartition des responsabilités issues du traité de Maastricht soit respectée. Cela pose la question de l'interprétation du mandat ou des statuts de la Banque Centrale Européenne.

Cette dernière, comme l'ensemble des autres institutions européennes, soutient certainement l'ensemble des politiques économiques de l'Union, incluant la stabilité des prix mais également la croissance, le développement de l'emploi. Ce qui doit rester clair toutefois, c'est que l'euro système en tant que tel, comme institution, a une responsabilité primordiale qui lui est clairement affectée : celle de la stabilité des prix.

La meilleure contribution qu'un banquier central puisse faire à la croissance sur le moyen long terme, c'est certainement la stabilité des prix, absolument essentielle à cette croissance.

Je suis donc assez peu favorable à une idée qui voudrait que nous redessinions, reconstruisions sans arrêt le tissu institutionnel européen. Certes, il faut évoluer de temps en temps mais la crédibilité est indissolublement liée à la stabilité. Lorsque l'on a fait un choix, il faut savoir s'y tenir, aussi longtemps qu'il n'apparaît pas déraisonnable de le faire. Il est très important d'avoir cette stabilité, cette crédibilité, cet ancrage présents à l'esprit.

Cela m'amène à dire que le Pacte de croissance et de stabilité doit être respecté à la fois dans son esprit et dans sa lettre. Ce n'est pas un carcan, car des déficits budgétaires proches de l'équilibre permettent, avec une limite à 3 %, de retrouver des marges de manoeuvre significatives en cas de choc. Ce sont des marges de manoeuvre tout à fait suffisantes.

Il apparaît important à l'heure actuelle de créer ces marges de manoeuvre et non pas de se plaindre d'un éventuel système qui limiterait la liberté d'action des Gouvernements. Dans la situation actuelle, s'il y avait un problème majeur, un certain nombre d'éléments de flexibilité dans ce Pacte permettraient des accommodements. Mais l'important est surtout de créer la marge de manoeuvre qui, à terme, permet de répondre à ces chocs.

Il ne faut donc pas rater les occasions et prendre conscience d'un fait : nous sommes tous en Europe. Nous avons besoin de contraintes uniformes, compréhensibles et acceptables par chacun. Dans ce cadre, il est très difficile d'imaginer des contraintes différentes pour les uns et les autres, renégociées sans arrêt, discutées et qui, finalement, perdent leur légitimité.

Si nous voulons être ensemble, il faut accepter qu'un certain nombre d'institutions existent, de manière durable.

Cette répartition des responsabilités est à mon avis compatible avec une très large coopération, existant déjà dans le cadre du Conseil ECOFIN, du Comité économique et financier et de l'euro 11. Elle est renforcée par le Pacte pour l'emploi qui, comme cela a été expliqué, instaure un dialogue.

Il faut bien avoir à l'esprit qu'il faut différencier coopération et coordination. Une coopération permet d'échanger des idées, d'atteindre le meilleur résultat. Sur un plan théorique, une coordination ex ante peut, si elle est décidée par une entité supérieure, donner de bons résultats. Mais en pratique, une coordination se faisant entre onze Gouvernements plus une Banque Centrale ne peut arriver, si elle est basée sur des règles, qu'à un résultat sous-optimal.

Nous préférons continuer dans la voie d'une solution nous amenant à une clarté et à une transparence maximale dans le dialogue. C'est la meilleure réponse au problème du poker à onze évoqué par M. BARRELL. Si vous voulez avoir un poker à onze, c'est possible mais c'est sous-optimal et cela suppose bien sûr que vous cachiez vos cartes. Puisqu'il faut les montrer dans un souci de transparence, il ne faut pas de poker à onze, ni une coordination automatique se substituant au dialogue.

Il faut en tout cas faire face aux véritables décisions structurelles en matière de dépenses publiques, de retraite - et là je suis totalement d'accord avec ce qui a été indiqué par M. ONIFRI - et rechercher, par des politiques structurelles, l'émergence d'une forte productivité.

Là aussi, attention aux mythes. La productivité se crée au sein des différents acteurs économiques. L'Etat peut encadrer - c'est sûrement dans le domaine de l'éducation qu'il peut apporter sa meilleure contribution - mais j'ai du mal à imaginer qu'il puisse lui-même, dans le détail, trouver les manières d'augmenter très fortement et très rapidement cette productivité.

La Banque Centrale Européenne entend assumer toutes ses responsabilités tout comme elle souhaite que les Gouvernements assument les leurs entièrement.

M. Joël BOURDIN, Président.- Merci pour ces quelques commentaires. Je pense que vous allez encore être à contribution, Monsieur MOUTOT, comme l'ensemble des intervenants car le temps est venu des questions et commentaires.

Je demande à ceux voulant poser des questions ou avoir des informations complémentaires de se manifester.



Discussion
M. Serge LEPELTIER, Sénateur.- Ce qui vient d'être dit suscite, pour moi, de nombreuses interrogations, mais cela relancerait le débat de multiples façons. Je me contenterai donc de deux questions et d'une remarque.

L'une à M. de BOISSIEU qui disait tout à l'heure que parmi les marges de manoeuvre étudiées dans son étude, il y avait notamment la baisse des charges sociales patronales mise en oeuvre conjointement par plusieurs pays européens.

Je suis assez surpris de voir que l'on parle toujours de la baisse des charges patronales et jamais d'une baisse des charges salariales. Au cours des années 90, une baisse très importante des charges patronales a eu lieu notamment sur les bas salaires. Or, je suis toujours assez étonné de voir des chefs d'entreprise, artisans ou commerçants de PME, ne pas très bien savoir faire la différence entre charges salariales et patronales. L'idée étant que chaque trimestre, ils ont tout cela à payer.

Au niveau psychologique, il y a peu de différence mais, en termes économiques, il y en a beaucoup. Je me suis toujours demandé s'il n'aurait pas mieux valu faire porter la baisse et sur la part patronale et sur la part salariale. Cela aurait relancé la consommation et n'aurait pas eu de répercussion sur les recettes de l'Etat.

J'aimerais savoir si cette question a été étudiée par les modélisateurs.

Deuxième question concernant l'ensemble des économistes représentant les instituts d'analyse économique des pays étrangers. En France, un problème se pose en matière sociale : la quasi non-différence de revenus disponibles, y compris aides et prestations sociales, entre ceux qui travaillent et ceux ne travaillant pas. Je parle des personnes au niveau du SMIC. Entre un RMIste et un salarié payé au SMIC, la différence est de 200 à 300 F par mois à peine.

A votre avis, dans nos divers pays, la volonté de reprise de travail est-elle suffisamment importante ou une telle politique sociale aboutit-elle à une démotivation ?

Une dernière remarque : je suis assez surpris de ce que nous a dit M. MOUTOT sur les taux d'intérêt. J'ignore ce que l'on appelle le court, moyen et long terme mais en termes de consommation, quand on achète une voiture en payant des taux d'intérêt à 15 % ou à 5 %, même si, bien sûr, l'inflation peut compenser la différence mais cela n'a pas du tout la même connotation en termes de choix personnel.

Je ne parle pas du bâtiment. En termes d'habitat, je suis très étonné en France, aujourd'hui, de voir combien la relance du bâtiment est forte sur des ménages assez jeunes qui n'envisageaient absolument pas de construire il y a quatre ou cinq ans. Je ne pense pas qu'ils tiennent le raisonnement selon lequel " l'inflation peut nous faire rattraper nos taux d'intérêt ". Ils raisonnent aujourd'hui par rapport à leurs salaires en termes de remboursements mensuels. Le taux d'intérêt est inclus, pour eux, dans le coût. On raisonne en valeur absolue et pas toujours en valeur relative quand on consomme. Et là, je ne sais pas si ce n'est que sur le court terme.

C'est une remarque et non pas une question. J'imagine que les uns et les autres ont des avis tout à fait différents d'après ce que j'ai entendu cet après-midi.

M. Joël BOURDIN, Président.- M. de BOISSIEU souhaite répondre.

M. Christian de BOISSIEU, Directeur scientifique du Centre d'Observation Economique (COE) de la Chambre de Commerce et d'Industrie de Paris.- En ce qui concerne les charges sociales, dans les modèles, nous avons étudié les deux aspects, c'est-à-dire le côté salarié et le côté employeur.

Comme vous l'avez dit vous-même, il y a des phénomènes de vase communiquant dans la politique salariale. Dans la politique de négociation entre les entreprises et les salariés, il est clair qu'il n'est pas toujours évident de faire une distinction totale.

Même si ces phénomènes existent, la différenciation existe également. Au départ, l'analyse des économistes consiste à dire que dans un cas, la baisse des charges sociales du côté salarié, on s'intéresse à l'effet sur le niveau des salaires et sur la consommation. Dans l'autre, ce qui nous intéresse et c'est pour cela que nous avions privilégié ce travail, c'est l'effet sur le coût du travail et les problèmes d'élasticité, de sensibilité de la demande de travail des entreprises en fonction de la partie indirecte du coût du travail.

Cet après-midi, un aspect de cette question, concernant la sensibilité différentielle de la demande de travail des entreprises en fonction du niveau de rémunération, n'a pas été évoqué. Il est clair qu'il faut faire la distinction entre travail qualifié et non qualifié, même si les spécialistes du marché du travail nous disent que certains travaux qualifiés peuvent être moyennement rémunérés. Le clivage entre haute et basse rémunération ne recouvre pas à 100 % le clivage entre travail qualifié et non qualifié.

Par ailleurs, comme vous, j'ai été intéressé et en même temps étonné de ce qu'a dit Philippe MOUTOT à propos de l'impact limité des taux d'intérêt sur l'activité.

Dans la variante politique monétaire, nous testons les conséquences d'une baisse du taux d'intérêt. Il est clair que celles-ci ne sont pas les mêmes quand on passe de 10 à 9 % ou de 5 à 4 %. C'est un peu cela le problème. La Banque Centrale a baissé son taux directeur de 50 points de base le 8 avril, à partir d'un niveau déjà considéré comme relativement bas.

Je n'irais pas pour ma part, indépendamment des modèles, jusqu'à défendre la thèse que cela n'a aucune incidence. Ce n'est pas ce qu'a dit Philippe MOUTOT mais, en France, c'est quelque chose que l'on a entendu. Je le dis parce que parfois les mêmes, qui réclament depuis dix ans une baisse des taux, ont soutenu tout à coup la thèse que celle-ci n'avait aucune importance ni influence, ce qui est surprenant.

Nous ne sommes pas en situation de " trappe à liquidités " à la japonaise où la baisse des taux n'aurait aucune incidence sur l'économie réelle. En baissant le taux d'intérêt de 50 points de base, à partir d'un niveau déjà bas, il n'y a pas de miracle à attendre : nous sommes d'accord, mais nous le sommes aussi sur le fait que l'effet d'annonce peut être positif.

J'insiste sur ce point car nous avons entendu en France un certain nombre d'économistes dire que la Banque Centrale Européenne avait eu tort car cela ne servait à rien. Je ne participe pas du tout à ce courant ; je m'oppose à la thèse de l'indifférence ou même du côté pervers de la baisse des taux du 8 avril, considérant qu'il fallait utiliser toutes les marges possibles.

Je suis d'accord avec tout ce qu'a dit Philippe MOUTOT, bien que n'étant pas banquier central, sauf sur un point, sur lequel j'aimerais qu'il revienne, quand il nous dit que la Banque Centrale a symétrisé son objectif d'inflation : dans la pratique, oui. Pour l'instant, officiellement, l'objectif d'inflation de la Banque centrale est inférieur à 2 %.

La politique du 8 avril a bien montré que la Banque Centrale Européenne était préoccupée par le risque de ralentissement, voire de pression déflationniste. Mais comme je l'ai déjà dit devant Philippe MOUTOT à une autre occasion, je souhaite que la Banque Centrale soit transparente, et qu'elle clarifie sa politique. Et donc que pour l'an 2000 et après, celle-ci ait un objectif d'inflation officiellement symétrique. Qu'elle dise par exemple pour l'année 2000, pour la zone euro : « Le taux d'inflation devra être compris entre 0 et 2 %. » Qu'elle le dise, que ce ne soit pas a posteriori que l'on redécouvre cette symétrie dans le comportement de la Banque Centrale.

M. Philippe SIGOGNE, Directeur du Département d'Analyse et de Prévision de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE).-

J'ai bien écouté ce qui a été dit. Je souscris à la nécessité de la transparence qui était bien présentée. J'avais l'impression que le 0 - 2 % était déjà clairement explicité par certains messages de la Banque et même 0 plus quelque chose et 2 % à cause du biais statistique que l'on ne connaît pas exactement. Cela étant, indépendamment du débat sur les taux, de leur influence ou pas, deux choses me surprennent.

D'une part, même si dans le contexte actuel, les taux n'ont pas nécessairement une énorme influence, ils en ont habituellement au moment des retournements conjoncturels, mais pas nécessairement dans l'ensemble du cycle. Il y a donc peut-être 80 % du cycle où cela n'a pas d'influence et 20 % où cela peut en avoir une forte.

L'un des aspects actuels qui peut jouer un rôle, c'est la détermination du prix des actifs en résultant. Car il est certain que les décisions de la Banque Centrale ont une influence sur les taux à long terme à un moment donné et donc sur les actifs. Ce point n'a pas été abordé tout à l'heure dans les différents indicateurs que la Banque Centrale peut prendre en compte.

Deuxième question : j'ai été à la fois intéressé et inquiété par la remarque suivante : on a cru un moment à la Banque Centrale qu'il y avait un risque de chute des investissements et des stocks. C'est pour cette raison essentiellement, et pas pour d'autres liées aux agrégats monétaires, que l'on a baissé les taux d'intérêt.

Or aujourd'hui, vous nous dites que cette inquiétude a disparu. Dois-je en déduire que la semaine prochaine ou dans un mois, nous remettrons les taux d'intérêt au niveau qui était le leur avant cette baisse ?

M. Philippe MOUTOT.- Concernant l'impact des taux, je n'ai peut-être pas bien transmis mon message. Je n'ai certainement pas voulu dire que les taux n'avaient aucun effet. J'ai voulu dire que les taux avaient un effet à court terme mais que si l'on essayait de faire passer l'idée qu'un mouvement de taux avait un effet quatre, cinq ou six ans après, j'avais des doutes. Surtout si l'on me dit qu'il est très significatif à ce moment-là.

Je crois que ce n'est pas vrai, tout simplement parce qu'à un moment ou à un autre, les prix réagissent et l'impact de la baisse des taux d'intérêt va être compensé. Mon propos est de souligner qu'une mesure de taux d'intérêt a un impact de court terme, qui disparaît après un certain temps. Elle risque, si elle est maintenue, d'en avoir un très net sur l'inflation !

Si l'on enchaîne effectivement les baisses de court terme continûment, on aura peut-être pendant quelque temps un impact sur la production mais, très vite, on aura un envol de l'inflation et certainement une chute de la production. Pour nous, c'est une sorte de sagesse bien reconnue, sur laquelle nous n'avons pas vraiment de doute.

Cela dit, nous avons pris justement une décision le 8 avril parce que nous avions l'impression qu'il y avait certains risques.

Quelle est la situation actuelle ? Je ne dirai pas que ces risques ont disparu mais simplement qu'ils sont plus équilibrés. Je ne vous dirai pas quelle est la meilleure prévision de taux, sauf que le taux le plus récent est probablement le meilleur prédicateur, pour l'instant.

Je serais tout à fait d'accord pour considérer que le prix des actifs est quelque chose à retenir. C'est un élément que nous observons. Je crois ne trahir aucun secret en disant que dans les dossiers que nous donnons à notre conseil pour justifier ou argumenter ces décisions de politique monétaire, nous avons inclus l'analyse de tous les marchés boursiers européens.

Nous essayons de développer des indices synthétisés, ce qui n'est pas très facile, et de développer le suivi des marchés de l'immobilier, mais c'est encore très partiel. Cela pose des problèmes statistiques non négligeables. De toute façon, nous ne l'ignorons pas.

L'un des éléments nous amenant à regarder encore ce problème d'actifs plus précisément, c'est l'évolution du crédit que nous observons. Comme vous le savez, ce dernier progresse relativement rapidement et l'une des explications possibles - nous n'en sommes pas sûrs -, c'est effectivement le crédit à l'immobilier dans un certain nombre de pays.

Nous ne sommes pas pour le moment très inquiets. Nous savons qu'il y a de multiples facteurs, que ce crédit peut être adressé à l'étranger pour financer d'autres opérations sur d'autres places que les places européennes. Nous avons des doutes et ne savons pas encore comment l'interpréter. Mais nous regardons bien les prix d'actifs dans ce contexte.

M. Joël BOURDIN, Président.- Merci. Une question était adressée à nos autres intervenants.

M. Joachim VOLZ.- Concernant les incitations au travail, surtout pour les gens ayant de bas salaires : on peut baisser les prestations sociales et même les salaires minimum mais, à la fin, quand le cadre macro-économique reste toujours le même, cela signifie que la pression sur le marché du travail augmente et qu'il y a une pression sur le salaire. S'il y a une baisse de salaire avec une telle mesure, c'est aussi une baisse pour la consommation privée entraînant plusieurs conséquences. Certains disent que cela va augmenter notre compétitivité et même la productivité car s'il y a pression sur les chômeurs, chacun, individuellement, va essayer d'avoir une formation et d'être plus productif. Ce qui, en soi, ne crée pas plus d'emplois.

Mais cela doit s'accompagner d'un changement de la politique macroéconomique. Sinon on augmente, comme en Allemagne au milieu des années 95, la compétitivité vis-à-vis de l'étranger. On a plus d'exportations mais moins de consommation privée.

En Allemagne, en 1998 par exemple, la consommation privée commençait à augmenter un peu plus vite, mais durant les deux dernières années, la reprise allemande s'était basée surtout sur les exportations. L'Allemagne était ainsi plus touchée que la France par la crise asiatique parce que la consommation privée était encore plus faible. Il n'y avait pas de compensations. Cela explique un peu la différence du développement conjoncturel entre l'Allemagne et la France.

A un journaliste me demandant pourquoi les résultats des élections européennes étaient si différents, j'ai répondu qu'en France, la croissance était peut-être plus élevée grâce à la politique française. Cela signifie plus de créations d'emploi, même si le taux de chômage ne baisse pas tellement. Il y a toutefois beaucoup plus de créations d'emploi en France qu'en Italie, en Allemagne, etc. Cela peut être une explication.

Ce n'est pas si simple. On peut constater des abus au niveau des prestations sociales mais baisser celles-ci n'aide pas toujours à créer des emplois.

M. BOURDIN, Président.- D'autres observations ?

Je crois que le moment est venu de vous remercier de votre participation à ce colloque où se sont échangées bien des observations qui alimenteront notre réflexion pour les prochains mois.

Soyez certains que la Délégation pour la Planification et le Sénat tout entier s'enorgueillissent d'avoir pu organiser un débat de cette qualité.

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