3. M. Jean-Claude Mallet, secrétaire général de la défense nationale (S.G.D.N.) (le 16 juin 1999).

Mesdames, Messieurs, je vous remercie de m'avoir convié à m'exprimer sur l'état de nos travaux, tant sur l'Europe de la défense que sur la lecture que l'on peut faire de la question de la défense européenne à travers le dossier du Kosovo. Je le fais librement, mais en ayant le souci de rappeler que beaucoup d'études sont encore en cours et inachevées. Le ministre de la défense doit vous en entretenir prochainement.

Je suis très heureux de pouvoir m'exprimer pour la première fois devant vous en tant que secrétaire général de la défense nationale et serai très attentif à vos questions.

Il est important pour nous de connaître les réactions de la représentation nationale aux développements politiques que l'on a connus depuis six à huit mois concernant l'Europe de la défense, et la lecture qui en est faite, à la suite de la première phase du conflit du Kosovo.

Je ferai le point sur les développements intervenus depuis le mois d'août dernier dans le dossier de la défense européenne, avant de donner un éclairage sur le Kosovo et je dirai un mot de la problématique générale...

Un bref rappel chronologique tout d'abord : les principales inflexions que l'on retrouve dans la déclaration de Cologne et le rapport annexé à cette déclaration sur la défense européenne ont été annoncés dans un discours du Président de la République aux ambassadeurs, fin août dernier, puis dans le discours du Premier ministre à l'IHEDN, en septembre.

A l'époque, les deux plus hautes autorités de l'exécutif français avaient annoncé qu'elles souhaitaient que, dans les mois suivants, se développe une dynamique en matière de défense européenne, avec à l'esprit que la ratification du traité d'Amsterdam, l'arrivée en Allemagne d'une nouvelle équipe, peut-être une nouvelle dynamique dans la relation franco-allemande, et la préparation du sommet de Cologne pour le mois de juin 1999, créeraient une configuration dans laquelle le thème de la défense européenne pourrait se développer.

On a parlé à l'époque, par exemple, de l' " initiative française " destinée à mettre en place une réunion régulière des ministres de la défense de l'Union européenne pour traiter de ces questions. C'est le point qui avait été le plus relevé dans la presse...

Puis, nous avons eu parallèlement, en septembre-octobre, un développement important de la crise du Kosovo, et une initiative de M. Blair, qui avait annoncé une inflexion de la position de la diplomatie britannique en matière d'Europe de la défense, désormais favorable à l'intégration de l'Union de l'Europe occidentale dans l'Union européenne.

Ceci avait été considéré comme un signe de plus grande proximité des positions de Londres avec celles de Bonn et de Paris dans ce domaine.

Une étape majeure du mouvement qui a conduit aux décisions de Cologne a été, le 4 décembre, à l'occasion du sommet franco-britannique, l'adoption de la déclaration de Saint-Malo, qui avait pour caractéristique de concrétiser un rapprochement des thèses françaises et britanniques en matière de mise en oeuvre d'une véritable capacité autonome des Européens dans le domaine de la politique de défense commune, appuyée sur des forces militaires crédibles, avec les moyens de les utiliser dans le cadre de l'Union européenne.

Ceci a ensuite été décrit avec plus de détails dans des discussions franco-britanniques, puis dans des discussions franco-allemandes et frano-germano-britanniques, pour aboutir essentiellement aux conclusions de Cologne, avec un passage par le sommet franco-allemand de Toulouse le 29 mai, au cours duquel une déclaration a confirmé notre intention de faire du sommet de Cologne une étape importante dans la construction de l'Europe de la défense.

Par ailleurs, Français et Allemands ont également annoncé que l'un de leurs objectifs en termes de capacité européenne concrète était la transformation du corps européen en un corps européen de réaction rapide.

Après Toulouse, le Conseil européen de Cologne a été l'occasion d'adopter une déclaration solennelle des chefs d'Etat et de Gouvernement, ainsi qu'un rapport, approuvé par les chefs d'Etat et de Gouvernement européens, préparé par la présidence allemande et largement inspiré par les idées françaises, britanniques et allemandes, sur la base des principes arrêtés à Saint-Malo.

On retrouve dans le rapport de la présidence allemande, qui a été approuvé, les mêmes termes que dans la déclaration de Cologne, presque mot pour mot, sur les objectifs généraux et politiques que se fixent les Européens et les capacités européennes en la matière.

Quelles sont donc les orientations à mettre en oeuvre ?

Tout d'abord, il s'agit d'inscrire les efforts consentis en matière de défense européenne dans le cadre général de la politique étrangère et de sécurité commune, telle qu'elle est définie dans le traité d'Amsterdam.

Il est dit de façon très explicite, à la fois dans les textes de Saint-Malo et de Cologne, que l'un des objectifs majeurs de la diplomatie française que constitue la mise en place progressive d'une politique de défense commune depuis un grand nombre d'années -et notamment depuis le traité de Maastricht- devra se développer dans le cadre institutionnel de la PESC.

Cela signifie en particulier, pour les Français, les Britanniques et les Allemands, que les règles de fonctionnement de cette défense commune devront obéir au cadre intergouvernemental. Ceci est clairement affiché dans les déclarations de Saint-Malo et on trouve une référence, plus discrète, à ce cadre intergouvernemental dans les textes de Cologne.

Le troisième élément porte sur la responsabilité clairement affirmée du Conseil européen, constitué des chefs d'Etat et de Gouvernement qui, dans tous nos pays, sont aussi chefs des armées et qui ont la responsabilité éminente en matière de défense et d'engagement des forces armées. Il est naturel que nous ayons défendu les prérogatives du Conseil européen en matière de directives et de direction générale de la future politique de défense commune. Ceci se traduit d'ailleurs dans le traité d'Amsterdam par l'article J.3, réaffirmé avec beaucoup de force et de détails dans les textes de Cologne.

Enfin, le quatrième élément de ce cadre général est la reconnaissance du fait -et c'est important par rapport à l'OTAN- que le cadre de l'Union européenne devrait permettre aux Européens de gérer ensemble, à l'occasion d'une crise par exemple, les aspects non seulement politiques et militaires, mais aussi économiques et humanitaires.

La personnalité juridique et politique de l'Union européenne en tant que telle lui permet de traiter l'ensemble des volets d'une crise. On sait aujourd'hui que les crises auxquelles on a à faire face depuis la chute du mur de Berlin ont cette dimension multiforme.

Par rapport à l'OTAN, organisation militaire, cette diversité des dimensions, cette pluralité des facettes de l'action de l'Union européenne est un atout que nous devons utiliser pleinement, notamment au niveau des chefs d'Etat et de Gouvernement.

Les textes de Cologne fixent par ailleurs des objectifs, que je rappelle rapidement : la mise en place d'une capacité autonome d'action des Européens -ces mots ont tout leur poids- appuyée sur des forces militaires crédibles et le renforcement de la base industrielle et technologique de défense, appuyée notamment sur les restructurations industrielles. C'est un volet qu'il ne faut pas négliger dans la politique de défense commune future.

L'action opérationnelle des forces armées représente la colonne vertébrale des décisions qui ont été prises, mais toute une série d'autres volets intéresse également la politique de défense commune, qu'il s'agisse du volet industriel ou du volet militaire, avec la question de l'harmonisation des besoins, des calendriers et des équipements futurs des pays de l'Union européenne. Ceci n'a pas été omis, bien au contraire, dans la déclaration de Cologne du 3 juin dernier.

Quels sont les moyens évoqués dans ces textes ?

La déclaration, tout autant que le rapport annexé de la présidence allemande, décrivent un certain nombre de ces moyens : processus de décision, capacités militaires, effort de défense.

Le processus de décision, d'après le rapport annexé, qui n'est pour l'instant qu'une première orientation, mais qui a été approuvée, doit comprendre au moins un Conseil des ministres des affaires étrangères et, le cas échéant, des ministres des affaires étrangères et de la défense, un comité de politique et de sécurité, qui sera un organe nouveau, créé à Bruxelles pour gérer ces questions de politique extérieure et de sécurité commune ou de politique de défense commune, un comité militaire de l'Union européenne et un état-major de l'Union européenne.

Je ne reviens pas sur les autres éléments.

Il s'agit donc d'un processus de décision aussi clair que possible appuyé sur la chaîne que constituent le conseil, le comité politique et de sécurité, le comité militaire et l'état-major européen.

Les moyens de l'Union européenne doivent également comprendre des capacités en matière de renseignement, de commandement, de projection et d'analyse de situation.

Ce sont des capacités qui relèvent du niveau de la planification stratégique, du commandement stratégique. A Toulouse, puis en marge même de Cologne, le jour où se réunissait le Conseil européen, une réunion des cinq pays du corps européen a approuvé un objectif et un calendrier pour une transformation du corps européen, unité qui regroupe les moyens des divisions de quatre pays -Allemagne, France, Espagne et Belgique, le Luxembourg n'étant pas contributeur à hauteur d'une division- en corps de réaction rapide.

Enfin, le dernier volet est constitué par un appel assez net, au paragraphe 2 de la déclaration de Cologne, en direction des Etats afin qu'ils poursuivent et renforcent leur effort de défense, de façon à ce que les objectifs de capacités qui figurent dans le rapport et dans les déclarations puissent être effectivement atteints. Ce n'est pas un hasard si cette introduction de la référence à un effort de défense soutenue des pays de l'Union européenne a été réalisée dans le texte de Cologne.

Un certain nombre de questions sont laissées ouvertes par ces textes, comme celle des membres associés : au-delà des Quinze, quel est le périmètre et comment gérer cette pluralité d'Etats associés à l'Union européenne, très souvent présents autour de la table de l'UEO ? Comment faire en sorte que ces pays soient associés, notamment dans des opérations de gestion de crise ou de maintien de la paix, sans que cela affaiblisse la vitalité et l'efficacité du processus de décision à Quinze ?

Second type de question : comment éviter que les efforts européens ne soient perçus par beaucoup de nos partenaires, notamment dans le domaine de la planification, des états-majors et du commandement, comme des "duplications" -terme traditionnel dans le débat entre l'Union européenne et l'OTAN- des moyens de l'Organisation atlantique ?

Je mentionne un autre élément qu'il faut prendre en compte : le devenir de l'article V du traité de l'Union occidentale, relatif à l'engagement de sécurité collective, souscrit par tous les membres adhérents au traité de l'UEO. Il est clair que ces engagements devront être maintenus. Une orientation est déjà donnée en ce sens dans le rapport de la présidence allemande.

Le conflit du Kosovo se déroule au moment où s'élaborent ces textes, qui donnent l'impression d'être un peu théoriques, mais qui constituent une véritable avancée diplomatique par rapport à la situation antérieure. Ces textes, qu'on va devoir mettre en oeuvre dans les mois à venir, vont en quelque sorte subir un passage au crible de la pratique. Naturellement, je ne pourrai aller très loin aujourd'hui dans ce domaine, mais je puis néanmoins rappeler quelques éléments.

Comment l'Union européenne peut-elle être vue à travers la crise du Kosovo ? Je rappelle d'abord que la dynamique de Saint-Malo et de Cologne est en partie née de la situation au Kosovo. Les Britanniques n'ont jamais caché que la crise des mois de septembre et octobre, qui avait conduit à un premier accord avec le président Milosevic, conclu sous l'égide américaine par M. Holbrooke, avait été pour eux l'occasion d'une très forte frustration.

D'une certaine façon, cette dynamique est issue du constat que les Européens ne pouvaient rester inactifs et impuissants face à une telle crise sur leur continent.

En second lieu, l'Europe s'est fortement manifestée dans le processus qui a conduit à la co-présidence franco-britannique des négociations de Rambouillet. Ces négociations ont échoué, mais il s'agissait en quelque sorte d'une tentative de la dernière chance pour éviter d'avoir à recourir à la force, comme nous avons dû finalement le décider le 23 mars dernier

Dans la conduite de ce processus diplomatique, dans la définition du cadre qui reste le cadre de référence du règlement politique de la crise du Kosovo, les Européens ont fait preuve d'unité et même d'un certain sens du leadership dans la négociation, même si celle-ci n'a pu être totalement concrétisée, dans les conditions dramatiques que vous connaissez.

Sur le plan de la gestion militaire, on parvient à un bilan contrasté. Il est clair que la gestion militaire des opérations aériennes a largement reposé sur les capacités militaires et sur les capacités de commandement et de renseignements américaines, mais il est également clair que la contribution européenne n'a pas été nulle, notamment pas celle de la France, puisque nous avons, pour notre part, fourni en permanence entre 12 et 13 % de l'ensemble des moyens.

Je crois qu'il ne faut pas non plus trop caricaturer les chiffres dont je dispose sur les proportions, même s'il est vrai qu'ils sont en faveur des Américains. En moyenne, les Américains ont fourni les deux-tiers des moyens aériens. Dans le soutien, ravitaillement, soutien logistique des appareils et environnement des opérations aériennes, cette proportion s'élève à 75 %.

Par contre, quand on regarde les moyens d'attaque au sol, la proportion des moyens européens est plus importante.

Dans la mise en oeuvre du plan de paix dans les opérations terrestres, les rapports sont inversés.

Dans la force qui se déploie aujourd'hui au Kosovo, et qui va comprendre environ 50.000 hommes, il y a 7.000 Américains et quelques centaines de Canadiens. 42.000 hommes au moins sont Européens, et le commandement de l'opération a été confié au général britannique Jackson, appuyé par des adjoints français et allemands.

Ce sont bien les Européens qui vont fournir l'essentiel de l'opération militaire de maintien de la paix sur place, y compris dans le commandement.

Je ne parlerai pas ici du volet civil, qui est sûrement un élément très important de la contribution européenne.

Voici donc un tableau contrasté de la crise du Kosovo. Les différents instruments que j'ai évoqués, dont la mise en place a été décidée à Cologne, ne sont pas encore établis, mais l'on peut considérer, si l'on se réfère aux accords de Dayton, que les Européens ont pesé d'un poids nettement plus important dans la gestion politique du dénouement, dans la dimension diplomatique et dans la gestion militaire de la crise que lors des événements de Bosnie en 1995.

Quelques éléments de problématique pour conclure...

Quel est l'enjeu de la décision de Cologne pour l'Union européenne et pour les Etats européens ? Il s'agit bel et bien de mettre en place un processus de décisions et des capacités crédibles, compatibles avec l'Organisation atlantique.

Nous ne parviendrons pas à créer un système de décisions et de capacités crédible si nous n'avons pas un système clair et simple de décision au sein de l'Union européenne.

L'une des forces de l'Organisation atlantique réside dans le fait qu'elle repose sur un Conseil, avec des ambassadeurs plénipotentiaires qui, dans le domaine de compétences qui est celui de l'Organisation atlantique, qui fait souvent l'objet de débats, sont appelés à prendre des décisions.

Il y a un Conseil atlantique, un Comité militaire et une chaîne militaire.

Nous devons créer, au sein de l'Union européenne, un système qui ait le même type de rapidité, de crédibilité et d'efficacité dans la prise de décision et dans la mise en oeuvre.

C'est la responsabilité des puissances militaires principales de faire en sorte que ce processus soit clair et crédible. Cela signifie aussi des moyens et des capacités crédibles. Dans le domaine du commandement, de la planification stratégique et de l'éclairage nécessaire aux décisions qui seront prises sur le plan politique par le Conseil des ministres de l'Union européenne, les ministres doivent également pouvoir disposer d'instruments crédibles en termes de capacités.

Cela veut dire aussi que les capacités des forces -forces européennes, forces multinationales, forces nationales -évoquées dans les déclarations-, existent. D'où l'insistance que Français et Allemands ont mis à propos de la transformation du corps européen...

En second lieu, nous devons gérer en permanence la position française vis-à-vis de nos principaux partenaires européens, y compris nos partenaires non-membres de l'Alliance atlantique, comme la Suède.

Il faut aussi convaincre nos alliés -et je crois que nous avons fait des progrès dans ce domaine, sans quoi la déclaration de Cologne n'aurait pas eu lieu- qu'une capacité autonome est nécessaire, tout comme est nécessaire une capacité à utiliser les moyens de l'Organisation atlantique.

Ce n'est pas un secret de dire que les Américains ont pu être surpris par la démarche britannique, par la déclaration de Saint-Malo et par la démarche qui a abouti à Cologne. Mais ils l'ont acceptée, en tout cas au niveau le plus élevé de l'administration américaine, car il est difficile de plaider pour un meilleur partage du fardeau et de refuser que les Européens s'organisent dans le cadre de l'Union européenne.

Cette contradiction permanente, qui est au coeur même de la position américaine vis-à-vis de la défense européenne ou de l'Europe de la défense, on la retrouve ici mais, chaque fois que l'on remonte au niveau du président, les réactions, par rapport à ces projets, ne me paraissent pas négatives.

Enfin, indépendamment des constructions institutionnelles ou politiques, il faut prendre garde au concret. Ce qui est concret, c'est l'état-major européen. Une des clefs de la réussite de notre système est de savoir si les Européens s'entendront pour que le Conseil des ministres et le comité militaire puissent s'appuyer sur un état-major européen avec des attributions, des compétences et des moyens suffisants.

L'autre clef, ce sont les forces, d'où l'enjeu du corps européen, mais aussi d'autres capacités européennes en matière de renseignement, de capacités de projection ou de logistique.

Ce sont aussi les équipements : les programmes en coopération aboutissent à ce que les équipements de la défense sont de moins en moins réalisés au plan national, et de plus en plus par des firmes européennes, dans le cadre de programmes de coopération européens.

Ces éléments doivent être renforcés. Il ne faut pas non plus oublier le volet qui concerne l'armement dans la définition de la politique de défense commune. Il est géré à plusieurs niveaux, dans le cadre des Quinze, mais aussi dans le cadre des forces spécifiques des pays industriels les plus puissants, soit à six -les six pays les plus engagés dans le domaine de l'aéronautique, des missiles et de l'espace- soit à quatre ou cinq, dans le cadre de l'organisation commune de la coopération en matière d'armement (OCCAR) creuset de la programmation européenne.

Je vous remercie de votre attention.

M. le président - Merci, La parole est aux commissaires...

M. Michel Caldaguès - Monsieur le Secrétaire général, vous avez fait un exposé très intéressant sur l'architecture institutionnelle existante ou à créer en matière de politique européenne de défense et de sécurité commune.

Je relève cependant le goût pour les architectures internationales, qui conduit quelquefois à ne rien mettre dedans, tant on se préoccupe du contenant au détriment du contenu !

Prenons le cas du Corps européen : j'ai en mémoire des déclarations qui attestaient que le corps européen serait opérationnel en octobre 1994. Il est opérationnel depuis 1994, et l'on se préoccupe aujourd'hui de l'activer !

Vous avez parlé d'un état-major européen : je ne comprends plus ! Il y a l'Eurofor ! Je croyais que cet état-major devait intervenir un jour ; il est question de se doter d'un état-major européen !

C'est un peu comme dans les théâtres des villes reculées, où ce sont les mêmes qui repassent, une fois sous l'uniforme des archers, une autre fois sous la robe des moines, etc. ! On ne comprend pas très bien...

Je voudrais également évoquer ce que vous dites à propos du processus de décision. Vous avez évoqué la nécessité d'une capacité autonome d'action des Européens en disant qu'il fallait que celle-ci corresponde à une autonomie de décision. Ne croyez-vous pas que le mot "processus de décision", en matière militaire, comporte une contradiction dans les termes ?

En effet, est-il possible d'avoir un processus de décision suffisamment efficace dans un cadre collégial et multinational qui est source de lenteur, alors que l'action militaire nécessite justement une capacité d'action et de réaction rapide ? N'est-ce pas un vrai problème ?

Par ailleurs, j'évoque le problème politique d'une capacité de décision autonome au plan européen

Vous l'avez dit, l'installation militaire au Kosovo est à prédominance européenne. Or, qui négocie l'implantation de cette force militaire sur le terrain ? Le secrétaire d'Etat adjoint américain, en direct avec Moscou ! Aucun représentant de l'OTAN -et encore moins de l'Union européenne- n'est présent !.

M. Aymeri de Montesquiou - Je reprendrai sous une autre forme les propos de notre collègue Caldaguès.

Il me semble, Monsieur le Secrétaire général, que vous avez une vision très favorable de la situation ! Vous nous parlez de Saint-Malo comme d'une étape importante, avec un revirement anglais, mais ceci ne semble pas confirmé par les faits puisque le Royaume-Uni s'est dissocié du programme "Horizon".

Vous avez parlé de l'uniformisation des matériels de défense : on ne voit pas bien quel est le calendrier d'unification des satellites, des frégates et des hélicoptères. Chaque pays défendant son propre modèle, quand pourra-t-on avoir un modèle commun ? Quand peut-on passer à un calendrier d'unification ?

A votre avis, quelle sera la décision du Royaume-Uni s'il doit choisir entre une position pro-européenne et pro-américaine ? Pour ma part, je crains que M. Blair ne choisisse pas dans "l'esprit de Saint-Malo".

On est intervenu au Kosovo pour des problèmes humanitaires et de droits de l'homme, et non pour le pétrole ; au Kurdistan, le problème est identique. Imaginez-vous que les Européens puissent intervenir indépendamment des Etats-Unis ? Il ne me semble pas !

Il y a là un déséquilibre extraordinaire : l'Union européenne représente 375 millions d'habitants pour 10 millions de Serbes. Nous avons un niveau de vie trois fois supérieur. C'est le meilleur démenti à l'optimisme de vos propos. S'il y avait vraiment une PESC dans l'esprit des membres de l'Union européenne, on aurait été à même de résoudre nous-mêmes ce problème.

M. Paul Masson - Monsieur le Secrétaire général, j'observe toutefois qu'il est désagréable de constater que la négociation se fait directement entre les Américains et les Russes, alors que le partage sur le terrain s'opérera manifestement au dépend des secteurs déjà prédéterminés par un accord entre les différents partenaires. Sans doute les Français abandonneront-ils une partie de leur zone au profit des Russes. Tout ceci illustre bien l'incapacité où sont les Européens de pouvoir, dans l'état actuel, assumer leur rôle.

Ceci étant, mes questions sont complémentaires et peut-être plus terre-à-terre...

Une approche financière de ces problèmes de défense européenne commune a-t-elle déjà été effectuée ? Je suis à peu près convaincu que l'exigence de défense va très vite se télescoper avec les impératifs budgétaires, et que les différents ministres des finances vont commencer à trouver que tout ceci coûte bien cher. En définitive, après les grandes déclarations et la création de quelques comités, il se pourrait qu'on n'aille guère plus loin, au nom de l'obligation de l'équilibre financier global ; on va le voir rapidement en France, lorsque les coûts de l'affaire du Kosovo seront connus.

En second lieu, je souhaiterais savoir s'il a été question, à un moment ou à un autre, de l'arme nucléaire. La France conserve-t-elle ou entend-elle conserver la plénitude du contrôle de celle-ci, ou a-t-elle toujours envisagé de chercher une autre voie avec les Britanniques et les Allemands ? Je crois connaître la réponse, mais j'aimerais avoir quelques développements sur ce point.

M. Christian de La Malène - Monsieur le Secrétaire général, la défense commune, la défense européenne, sont à la mode. Pourquoi ?

Les Européens -et d'autres- ne sont pas satisfaits de ce qui s'est passé au Kosovo, ni de la stratégie suivie par l'OTAN. On est intervenu, suivant en cela une stratégie de l'OTAN à zéro mort, parce que le malheur des Kosovars était insupportable. Si cette stratégie n'avait pu être suivie, s'il avait fallu que l'on déplore une dizaine de morts, alors les Kosovars n'auraient plus intéressé personne : cela serait devenu supportable !

Cela pose donc la question du sens et de la justification de la stratégie de l'OTAN et cela pousse naturellement vers la défense commune.

La seconde raison tient à ce fameux partage du fardeau. Naturellement, les Américains sont toujours prêts à parler de partage du fardeau. Maintenant que l'affaire, sur le plan militaire, est provisoirement terminée, ils sont prêts à passer le fardeau que représente 50.000 hommes. Ceci va coûter très cher pendant très longtemps, et les Américains ne tiennent pas tellement à payer. C'est pourquoi ils ne sont que 7.000 ! Pour tout le monde, la guerre était une guerre américaine, mais maintenant les affaires ont pris leur pente, et on peut payer !

C'est un partage du fardeau qui pousse à la défense européenne, et j'en arrive aux questions relatives à celle-ci. La défense européenne, c'est beaucoup d'argent. Elle impose des duplications et, pour nos partenaires, c'est une affirmation du déséquilibre des forces en Europe. C'est l'affirmation qu'il existe de grands pays et de petits pays, et jamais les petits pays n'accepteront. C'est pour cela qu'ils trouvent que l'Amérique est préférable à la France, à la Grande-Bretagne ou à l'Allemagne !

Ces problèmes ne sont pas réglés : ils le sont sur le papier, comme l'a dit M. Caldaguès, mais pas pour le reste.

Je ne partage donc pas votre optimisme. La défense est à la mode mais -et je le regrette- la défense ne fera pas beaucoup de progrès, pour les raisons que j'ai dites : le coût, la duplication et l'équilibre des forces en Europe.

M. Hubert Durand-Chastel - Monsieur le Secrétaire général, comme vous l'avez signalé, on a relevé la faiblesse des moyens européens dans les frappes aériennes.

Il semble toutefois qu'on ait pris conscience du fait qu'il est fondamental d'avoir les moyens de notre politique.

La situation actuelle, telle qu'elle est, a été obtenue en particulier grâce à l'influence des Russes. Or, on a l'impression qu'on remet en cause leur position dans les forces d'occupation, auxquelles ils tiennent beaucoup : on vient de voir ce qui s'est passé à l'aéroport de Pristina.

Or, on ne fera rien dans les Balkans, dans le futur, ni dans l'Est européen, sans les Russes. On en aura besoin de plus en plus dans cette région, surtout maintenant que les guerres ont un aspect plus humanitaire et moins politique qu'autrefois.

Je me demande si ce n'est pas le moment pour les Européens de faire une bonne manière aux Russes, à un moment où leur situation intérieure est particulièrement préoccupante et paralyse leur pays.

M. le président - Monsieur le Secrétaire général, je terminerai par trois questions.

La première portera sur le partage des rôles entre les Américains et les alliés. Les Européens auraient-ils pu mener une opération comme celle du Kosovo avec leurs seules forces militaires ? Le partage des rôles a-t-il été raisonnable ou non ?

En second lieu, quels ont été, selon-vous, les moyens qui nous ont manqués, à nous, Français ? Il est vrai que la France s'est militairement bien comportée et que l'on peut rendre hommage à nos pilotes -ce que nous avons fait- mais certains moyens techniques ne nous ont-ils pas fait défaut ?

La troisième question rejoint votre exposé : on commence à parler de critères de convergence dans le domaine militaire, comme nous en avons eu dans le domaine monétaire. Cette expression vous paraît-elle sérieuse ? Peut-on bâtir ces critères comme on peut mesurer l'inflation dans le domaine économique ?

M. Jean-Claude Mallet - Merci. Certaines questions appellent des éclairages de ma part.

Un point général tout d'abord. On m'a demandé de vous présenter l'état des travaux sur la défense européenne, et si je vous ai fait cette présentation qui a pu vous paraître excessivement institutionnelle, la démarche française, elle, n'est pas institutionnelle.

On a abouti à un échafaudage qui vous paraît peut-être abstrait, mais si l'on ne prévoit pas la façon dont les décisions seront prises en matière de défense ou de gestion des crises, il ne se passera rien et l'Union européenne ou le Conseil européen seront mis à l'écart, comme ce fut le cas en Bosnie.

La démarche française, depuis l'été dernier, est très pragmatique et met l'accent, dans les discussions avec nos partenaires britanniques, sur les éléments liés aux capacités de commandement, à l'analyse des situations, au renseignement, à la planification stratégique ou opérationnelle.

Nos partenaires allemands ont souhaité -et je crois qu'ils ont eu raison- bénéficier de la dynamique lancée à la fin de l'année dernière en matière de gestion de crise.

C'est pourquoi je vous ai fait cette description.

Pour ma part, mon optimisme quant à la position de fond des Britanniques n'est pas excessif. Cela fait plusieurs années que je traite de ces questions, et je ne suis pas convaincu que nos partenaires britanniques soient lancés à fond dans une construction européenne qui réponde pleinement à nos conceptions. Néanmoins, il y a un mouvement, peut-être imperceptible, pour certains, mais dont on aurait tort de ne pas essayer de tirer parti.

Cela ne veut pas dire que nous sommes dupes de ce que peut être un jeu britannique à plusieurs dimensions, à la fois vis-à-vis des Américains et des Allemands. Mais je pense que nous n'avons pas de raisons de rester à l'écart ou de bouder un début de rapprochement, qui peut permettre un plus grand effet de levier dans le dialogue au sein de l'Union européenne.

En second lieu, je ne suis pas optimiste quant à la rapidité de la concrétisation de ces décisions. Dans ce domaine de la défense, pour des raisons multiples, notamment historiques, les évolutions risquent d'être lentes. On sait combien de temps il a fallu pour construire une monnaie commune. Si l'on veut construire une défense commune, avec des critères de convergence notamment, cela nécessitera également un certain temps. De ce point de vue, je pense que nous avons intérêt à conserver une politique nationale de défense très forte.

Les avancées diplomatiques à Cologne sont cependant incontestables ; elles devront se traduire dans les faits. Cela dépendra de la volonté politique exprimée au plus haut niveau. Je pense que cela prendra du temps ; en tout état de cause, cela peut prendre, pourquoi pas, jusqu'à dix ans.

L'approche française a été très prudente. A Saint-Malo, nous avons accompagné la dynamique nouvelle souhaitée par les Britanniques qui avaient pris les devants. A Cologne, ce sont les Allemands. Personne n'aurait compris, alors que des avancées se présentaient sur le plan politique, que nous ne les nourrissions pas, dès lors, de nos propres idées dans le domaine de la défense européenne.

Je voudrais maintenant apporter quelques éléments de réponse sur les mécanismes évoqués par M. Caldaguès... Le corps européen est déjà opérationnel. Il est parfaitement possible de le déployer sur un théâtre d'opération. On compte 50.000 hommes et quatre ou cinq divisions ou éléments organiques de divisions. C'est un des plus gros instruments militaires disponibles sur le plan opérationnel en Europe.

Il a été décidé qu'on allait le transformer en une capacité de réaction rapide. Une bonne partie des éléments du corps d'armée, notamment allemands, sont dotés de matériels destinés au combat lourd en centre-Europe, avec un taux de conscrits très important. L'idée est de faire évoluer l'état-major du corps européen et sa capacité à répondre sur le modèle de l'état-major de l'ARCC, qui a déjà été utilisé en Bosnie et au Kosovo. C'est donc l'évolution de cette capacité qui est programmée.

L'Eurofor, qui a été cité, est un état-major de quelques dizaines d'officiers. Il peut être augmenté et permettrait de commander une division ou une division et demie sur un théâtre d'opération. L'état-major de l'Union européenne, dont j'ai parlé, est un état-major de planification stratégique, à l'image de celui qui existe dans le cadre de l'OTAN, avec un nombre d'officiers qui reste à déterminer, mais qui ne sera pas inférieur à 150, afin d'être en mesure de préparer des plans d'opérations et, en premier lieu, l'analyse stratégico-opérationnelle, au bénéfice du comité militaire et des responsables politiques de l'Union européenne.

On trouve, aujourd'hui, un embryon de cet état-major de planification stratégique à l'UEO. Il reste donc à le constituer à partir de l'expérience déjà accumulée dans la cellule de planification de l'UEO et des objectifs qui figurent dans les textes de l'Union européenne, afin de pouvoir disposer d'une capacité de planification et de commandement en termes de commandement stratégique ou de niveau équivalent.

S'agissant du rôle de l'Union européenne, celle-ci n'a pas été absente de la conclusion du conflit. On était bien dans un dialogue à trois ! On a cité les Russes et les Américains, mais c'est le président finlandais, qui va assurer la présidence de l'Union européenne à compter du 1er juillet, qui est allé porter le plan de paix à M. Milosevic, et qui est revenu au sommet de Cologne avec l'accord de celui-ci. L'Union européenne était donc très présente et à sa place dans ces discussions !

En revanche, il est vrai que la discussion actuelle destinée à régler le problème du contingent russe se déroule, à la demande des Russes, d'abord entre Russes et Américains.

M. le président - Le fait que les Russes aient un secteur peut changer le problème ! Nous avons toujours été contre la partition du Kosovo -et le ministre l'a dit ici même. S'il existait une zone protégée serbe, l'avenir serait très différent de ce qui a été prévu !

M. Jean-Claude Mallet - Le Gouvernement et le Président partagent totalement ce point de vue. Il n'est pas question de prêter la main à un quelconque schéma qui, sur le plan territorial, aboutirait à un risque de partition. Cela fait partie de nos principes. Je pense que ces principes sont partagés par les Américains. Je suis assez optimiste quant aux solutions envisageables. Nous avons un certain nombre de principes que nous voulons faire respecter dans la mise en oeuvre du plan de paix, des structures de commandement et de l'organisation sur le terrain.

Je pense que les choses vont aller assez vite, car les Russes sont pressés par le sommet du G 8, qui a lieu la semaine prochaine, et sont donc amenés à accepter une discussion.

Je peux difficilement m'étendre plus sur les négociations en cours. Sachez toutefois que nous ne sommes pas inactifs et que nous ne serons certainement pas absents de leur solution.

Quant aux autres questions, en particulier sur l'unification de la position européenne, vous avez raison de souligner qu'il se produit souvent des décalages assez importants. Cependant, les Européens prennent des positions communes de façon croissante. Encore une fois, je pense que nous devrons traiter progressivement d'une harmonisation de la PESC, non seulement dans le domaine de la défense, mais également dans celui de la politique étrangère.

Je le vois dans le domaine des exportations d'armements. Vous savez que le SGDN a la lourde tâche de suivre et de contrôler les exportations d'armements, dans un cadre interministériel qu'il anime. En principe, ce type de décision relève traditionnellement de la souveraineté de chaque Etat. Mais, même dans ce domaine, on commence à connaître un début de rapprochement.

S'agissant des coûts et des problèmes de critères de convergence que vous avez évoqué, Monsieur le Président, on commence, notamment dans le cadre de l'UEO, à parler en effet de réflexions sur les critères de convergence.

Je ne puis encore vous dire où cette réflexion conduira, c'est encore trop tôt : j'ai toutefois déjà relevé comme un signal positif le fait que la déclaration de Cologne a permis, pour la première fois depuis longtemps, de reparler des problèmes posés par l'effort de défense à consentir par les pays de l'Union européenne, s'ils souhaitent mettre en commun une partie de leur politique de défense. Cette question n'est pas résolue et sera à l'ordre du jour des mois à venir, jusqu'à la présidence française.

Vous m'avez interrogé sur nos capacités durant le conflit du Kosovo, nos lacunes éventuelles. Un bilan est en cours d'établissement et sera présenté au Premier ministre et au Président de la République. Certains éléments ont pu manquer, comme les satellites tout temps ou les missiles de croisière. Le fait est que ceux qui ont été utilisés au Kosovo étaient exclusivement américains. Si cet atout nous a fait défaut, je rappelle que les missiles de croisière Scalp EG sont prévus dans notre programme militaire, à partir de 2002-2003.

Si l'on considère les différentes performances des moyens français et européens dans la campagne aérienne qui vient de s'achever, le bilan n'est pas si mauvais. Je rejette l'assertion selon laquelle il s'agissait d'une stratégie purement américaine. Je pense qu'il y a en fait eu une décision collective de basculement vers l'action aérienne dans des conditions tragiques, puisqu'on passait d'une situation de crise à une situation de guerre. Mais il y a bel et bien et bien eu, notamment dans le dialogue franco-américain, un partage des rôles et une vraie discussion dans la préparation et la conduite des opérations. C'est donc une stratégie que la France, le Président de la République, le Gouvernement ont assumée. Nous avons même fourni un deuxième contingent de moyens aériens.

En revanche, il est vrai, et nous n'en sommes qu'au début, et c'est pourquoi je ne souhaite pas m'étendre sur ce sujet, car je pense que le ministre de la défense désirera vous en faire part lui-même, quand les réflexions conduites au sein du ministère de la défense seront achevées- qu'en termes de stratégie militaire, de stratégie de moyens et de réflexions sur les grands équilibres géopolitiques, il y aura des conséquences à tirer de la crise du Kosovo.

Il faudra également revenir sur l'articulation entre les Nations-Unies, l'Union européenne, les Etats-Unis et la Russie. Il est trop tôt pour en parler -et ce n'était pas le sujet sur lequel vous m'avez invité à m'exprimer aujourd'hui, Monsieur le président- mais ces analyses sont en cours et devront être présentées à la représentation nationale.

M. le président - Merci.

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