4. La gestion de l'après-conflit : une priorité confirmée

La signature des accords de Kumanovo, en permettant l'entrée des forces terrestres au Kosovo dans un contexte semi-permissif, a changé la nature des opérations militaires. Malgré les risques importants et les incertitudes qui pèsent sur la suite de l'opération Trident, il faut donc évoquer d'ores et déjà l'après-conflit. La résolution 1244 du Conseil de sécurité définit d'ailleurs le cadre de la présence civile au Kosovo. Deux grands domaines, à cet égard, méritent l'attention : les affaires civilo-militaires et le maintien de la loi et de l'ordre civil.

a) Les affaires civilo-militaires : la nécessité d'une participation française active

. L'aide humanitaire

Les armées n'ont pas vocation à mener des actions de longue durée dans le domaine humanitaire. Toutefois, leur organisation, leurs capacités logistiques importantes les destinent à jouer un rôle important pour faire face à une situation de crise . A titre d'exemple, le camp de Stenkovac en Macédoine -qu'une délégation de votre commission a visité le 14 mai dernier- a été monté dans l'urgence et soutenu initialement par des unités de la FFB (French framework brigade) qui ont ensuite passé le relais à un détachement de la Sécurité civile puis à une ONG. L'ampleur de la catastrophe humanitaire au Kosovo conduit à penser qu'une participation des forces armées est indispensable pour relancer une vie normale.

Leur action peut être orientée vers la réparation provisoire des infrastructures afin de permettre le déploiement de l'aide aux populations et les flux logistiques nécessaires. Il s'agit de dégager les axes routiers encombrés par des destructions, de les rétablir sommairement, voire de construire des ponts provisoires. Il paraît, en effet, important de ne pas laisser certaines zones isolées du reste du territoire. Des moyens analogues à ceux mis en oeuvre pour la construction et le soutien des camps de réfugiés pourraient par ailleurs être engagés afin de permettre à la population de se réinstaller dans ses foyers. Enfin, les capacités de transport militaires seront sans doute nécessaires avant que les autorités chargées de coordonner l'aide humanitaire par la résolution 1244 soient en mesure d'assumer leur mission. Il faudra aussi veiller à la distribution de cette aide car l'expérience a montré qu'une part non négligeable de celle-ci était détournée par des organisations mafieuses ou distribuée dans des conditions contestables.

Mais, parallèlement à cette action humanitaire, il nous faut impérativement être présents dans les organismes qui vont préparer la reconstruction , non seulement du Kosovo, mais aussi des pays voisins, à commencer par la Macédoine et l'Albanie.

. La reconstruction

Le " soutien de la reconstruction des infrastructures clés et d'autres pans de l'économie " est confié à la Mission des Nations unies pour le Kosovo par la résolution 1244. L'expérience bosniaque a montré l'importance des actions civilo-militaires dans ce domaine. En effet, la reconstruction proprement dite sera, d'une façon générale, précédée par une remise en état sommaire par les militaires . Ces derniers paraissent en conséquence bien placés pour informer nos entreprises des marchés ouverts par le chantier de la reconstruction. La reconstruction du Kosovo ne doit pas faire oublier l'importance des besoins en Albanie, en particulier dans les domaines de la santé, de l'éducation et de l'aménagement des réseaux en eau. Le commandant de la Task Force South est -votre commission l'a constaté- d'ailleurs très sollicité par les autorité locales sur ce point. Ses moyens sont limités et sa mission est autre. Aussi est-il urgent que des entreprises prennent le relais en s'appuyant sur les bonnes relations qui ont été établies entre les autorités locales et le contingent français avant que celui-ci ne soit relevé .

Il est donc souhaitable, et même nécessaire, qu'un contact puisse s'établir entre les armées et les sociétés françaises intéressées .

Il serait en effet regrettable que notre présence économique dans le cadre de la reconstruction, ne soit pas à la mesure de la contribution militaire française au retour à la paix dans cette région. Nos partenaires se montrent très actifs dans ce domaine. Certes le MEDEF international a mis en place une cellule consacrée à la reconstruction du Kosovo afin de faire descendre l'information vers les entreprises. Par ailleurs, des réservistes présents au sein du Commandement des opérations spéciales (COS), jouent un rôle précieux d'intermédiaire -dans le droit fil, du reste, des orientations du projet de loi portant organisation de la réserve militaire adopté par le Sénat en mai dernier.

Il est toutefois indispensable que soit créée une structure légère dotée d'une logistique propre et chargée de coordonner les initiatives ou de donner les impulsions nécessaires quand la situation le requiert. La désignation d'un " Monsieur Reconstruction " placé à la tête de cette structure doit assurer la visibilité tant vis-à-vis de nos entreprises que des autorités civiles du Kosovo, du rôle de la France dans l'effort de reconstruction. Il faut aujourd'hui agir vite afin que ne soit pas répété le relatif effacement de la France dans les actions civilo-militaires conduites en Bosnie .

Le dernier volet de la reconstruction passe par la mise en place d'une administration civile . L'expertise française est vaste en la matière et l'expérience de la coopération conduite depuis dix ans avec les pays nouvellement indépendants devrait être mise à profit, mais il ne fait aucun doute que le France entrera ici aussi en concurrence avec les pays anglo-saxons qui cherchent à promouvoir leur système juridique.

. Le déminage

Dernier aspect des affaires civilo-militaires, le déminage dont il est question ici est totalement différent de celui qui a été effectué lors de l'entrée des forces françaises au Kosovo. Il s'agissait alors de dégager un passage sûr pour les véhicules. Dorénavant, il convient de nettoyer tout le territoire des mines qui y ont été posées et des munitions tirées pendant le conflit mais qui n'ont pas explosé. Dans ce domaine aussi, l' expérience française est grande. Ses sapeurs ont mené de multiples opérations de ce genre au Koweït, au Cambodge, au Liban ou en Angola. Ces opérations très particulières requièrent une grande expérience que seules possèdent les armées, ou, dans une période récente, des sociétés employant d'anciens militaires. Il faut enfin rappeler qu'après la signature de la Convention d'Ottawa, la France a choisi d'apporter une aide au déminage humanitaire par la fourniture de banques de données et éventuellement par la formation du personnel militaire.

b) Les enjeux de la participation de la gendarmerie au maintien de la loi et de l'ordre civil.

La résolution 1244 du Conseil de sécurité prévoit dans son alinéa 11i que la présence civil, prévue à l'alinéa 5, a pour responsabilité de maintenir la loi et l'ordre civils, y compris par la mise en place de forces de police locales et, en attendant, par le déploiement de personnel de police international au Kosovo.

Pour leur part, les accords de Rambouillet, auxquels la résolution fait explicitement référence, détaillent les missions de police et de sécurité publique civile incombant à la " mission de mise en oeuvre " :

a) contrôler, observer et inspecter les personnels chargés de faire appliquer la loi, y compris ceux du service des douanes et de la police des frontières, leurs activités et leurs installations, ainsi que les organes, structures et procédures qui y sont associées ;

b) conseiller les personnels et les forces chargées de faire appliquer la loi, y compris ceux du service des douanes et des unités de la police des frontières et, si nécessaire, édicter des directives contraignantes en coordination avec la KFOR pour les amener à respecter le présent accord, et notamment ce chapitre ;

c) participer à la formation du personnel chargé de faire appliquer la loi et l'encadrer ;

d) évaluer, en coordination avec la KFOR, les menaces à l'ordre public ;

e) fournir conseils et orientations aux autorités gouvernementales sur la manière de faire face aux menaces pour l'ordre public et sur l'organisation de services civils efficaces de maintien de l'ordre ;

f) accompagner les personnels des parties chargés de faire appliquer la loi dans l'exercice de leurs fonctions, si la mission de mise en oeuvre le juge nécessaire ;

g) révoquer ou sanctionner les agents des forces de sécurité publique des parties
pour des motifs justifiés ;

h) demander à la communauté internationale un soutien approprié en matière de maintien de l'ordre afin de permettre à la mission de mise en oeuvre de s'acquitter des fonctions qui lui sont assignées dans le présent chapitre
.

La gendarmerie , qui a une bonne expérience de ce type de mission après ses engagements en Haïti, au Salvador, au Cambodge, en Bosnie et en Albanie, est parfaitement adaptée à cette mission . Son action présente un double caractère, civil et militaire. Dans le cadre du volet militaire , au sein de la SFOR, outre la prévôté, elle déploie deux pelotons de gendarmerie de surveillance et d'investigations (PGSI). Dans le cadre du volet civil , au sein du groupe international de police (International Police Task Force / IPTF), elle contrôle et conseille les forces de police locales. Les PGSI renseignent le commandement en assurant les relations entre les civils et les militaires. En outre, ils assurent une présence dissuasive, sans pour autant se substituer à la police locale ou à l'IPTF. Si les gendarmes agissant au sein du groupe international de police en Bosnie ne portent pas d'armes, il ne saurait en être de même au Kosovo et la résolution 1244 autorise d'ailleurs l'armement des forces de police civile.

Les besoins, dans ce domaine, apparaissent plus importants qu'au moment des accords de Rambouillet dans la mesure où toutes les forces de police et de sécurité yougoslaves ont quitté la province. Les missions d'ordre public et de surveillance des frontières devraient initialement incomber à des éléments de la police internationale. Lors des précédentes opérations, les gendarmes français n'ont pas assuré le maintien de l'ordre. Dans la même logique, la gendarmerie ne pourra donc pas participer à toutes les missions de la police internationale. Il n'en demeure pas moins que sa présence est indispensable. En effet, c'est au delà de la période transitoire que se situe la mission essentielle de la force de police internationale. Il s'agit pour elle de former une police locale qui agisse selon les normes des pays démocratiques.

Les gendarmes agiront d'abord au sein de la KFOR. Cela leur permettra de connaître le milieu environnant et de se faire connaître. Le détachement de gendarmerie sera ensuite redéployé dans le cadre de la présence civile, quand celle-ci sera opérationnelle.

Il reste à savoir si la gendarmerie a les moyens d'assurer les missions dans les opérations extérieures auxquelles sont affectés près de 400 hommes tout en assurant toutes ses missions, de plus en plus lourdes, sur le territoire national. Le choix d'un escadron de gendarmerie mobile pour former l'ossature du détachement permet au moins de limiter les perturbations dans les brigades.

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