3. Le second porte-avions : une problématique relancée

Au travers des appareils embarqués sur le porte-avions Foch, l'aéronautique navale a pris une part significative dans l'activité aérienne des forces françaises, tant dans les missions offensives que dans le domaine de la reconnaissance.

Cet apport de l'aviation embarquée au potentiel de frappes aériennes réalisé pose une nouvelle fois la question de la permanence du groupe aéronaval et de la commande d'un second porte-avions.

a) Le bilan de l'emploi du groupe aéronaval

Arrivé en Adriatique dès le 29 janvier 1999 avec son groupe aérien, pleinement opérationnel, le porte-avions Foch a pris la tête de la Task Force 470 composée de la frégate antiaérienne Cassard, d'une frégate britannique (le Somerset puis le Grafton), du sous-marin nucléaire d'attaque Améthyste (puis Emeraude), du pétrolier-ravitailleur Meuse et d'un bâtiment atelier polyvalent (le Jules Verne).

Outre la surveillance aérienne et maritime en Adriatique, le rôle du groupe aéronaval était triple :

-
participation aux missions offensives des 16 Super Etendard armés de bombe à guidage laser et de missiles guidés laser AS30L,

- participation aux missions de reconnaissance des 4 Etendard IVP ,

- mise à disposition de 2 Super Frelon pour des missions CSAR (Combat Search and Rescue), c'est-à-dire de récupération de pilotes éjectés en territoire ennemi.

Au total, l'aviation embarquée a -rappelons-le- effectué 878 missions opérationnelles dont plus de 400 missions offensives et autant de missions de protection et de soutien.

L'opération " Force alliée " a ainsi illustré la souplesse d'emploi de l'aviation embarquée, grâce à la mobilité et à l'autonomie du porte-avions qui lui a permis de répondre rapidement aux demandes urgentes (appui rapproché et CSAR notamment) en se plaçant au plus près des objectifs ou en zone météorologiquement plus favorable, les appareils n'étant pas en outre dépendant de moyens extérieurs de ravitaillement en vol.

Cet emploi du porte-avions lors de la crise du Kosovo appelle deux types de réflexions.

- D'une part, doit-on considérer que les avantages procurés par le groupe aéronaval par rapport au dispositif aérien basé à terre sont suffisamment substantiels au regard de l'importance des moyens mis en oeuvre et des personnels engagés ? S'il peut être utile d'opérer un bilan coût/avantages des deux dispositifs, on ne pourrait sans doute pas en tirer de conclusions définitives compte tenu des caractéristiques du conflit, à savoir la relative proximité des objectifs par rapport au dispositif aérien basé à terre, lui-même très proche de la France. Il est clair que pour des théâtres plus éloignés, le porte-avions offre de grandes capacités de projection aérienne et que l'utilisation des eaux internationales lui permet de s'affranchir de toute contrainte diplomatique, alors que le stationnement au sol exige l'accord de l'Etat concerné et la disponibilité de plate-formes.

On peut rappeler à cet égard qu'au début de la guerre en Bosnie, le gouvernement italien n'avait pas autorisé le stationnement d'avions armés sur son territoire, ce qui rendait l'emploi opérationnel d'appareils français impossible depuis leur base en territoire national. Dans le même ordre d'idées, le refus de la Turquie et de l'Arabie saoudite de permettre l'usage de leurs bases avait contraint les Américains à envoyer le porte-avions USS Enterprise dans le golfe arabo-persique pour l'opération Desert Strike II, en septembre 1996.

Ces différents exemples illustrent la complémentarité entre moyens aériens basés à terre et moyens aériens embarqués , qui ne répondent pas exactement aux mêmes situations d'emploi.

- Une deuxième question a trait à la capacité du porte-avions d'accomplir des missions opérationnelles de longue durée. Entre son appareillage et son retour à Toulon, le 3 juin, et hormis une brève escale à Trieste du 22 au 26 avril, le Foch est resté à la mer plus de 4 mois, mais, indépendamment de l'évolution de la crise, son retour à Toulon était prévu au début du mois de juin pour une période de huit semaines nécessaire à la réparation et à l'entretien de ses installations, et notamment des catapultes à vapeur permettant le décollage des appareils. En effet, celles-ci disposent d'un potentiel d'utilisation déterminé qui, compte tenu du rythme des activités aériennes (soit au total 2 200 catapultages), arrivait à épuisement et nécessitait une remise à niveau. Cette indisponibilité aurait conduit à interrompre les missions assurées par le porte-avions et, le cas échéant, à renforcer les moyens aériens d'un dispositif basé à terre déjà saturé.

On relèvera toutefois que les catapultes du porte-avions nucléaire Charles de Gaulle disposeront d'un potentiel supérieur à celles du Foch, ce qui devrait permettre d'assurer un plus grand nombre de missions sans immobilisation du bâtiment.

b) La nécessité d'un second bâtiment pour assurer la disponibilité permanente du groupe aéronaval

Le recours à des moyens aériens embarqués lors de la crise du Kosovo redonne, si besoin était, son actualité à la question de la permanence du groupe aéronaval et de la commande d'un second porte-avions.

La décision, prise en 1998, de retirer définitivement le porte-avions Foch du service actif dans quelques mois a consacré l' abandon du concept dit de " quasi-permanence " du groupe aéronaval , qui reposait sur la " mise en sommeil " du Foch et sa réactivation lors de la première période d'indisponibilité majeure du porte-avions Charles de Gaulle en 2004-2005.

Ainsi la Marine ne disposera-t-elle, pour une période relativement longue de douze ans au minimum , que d'un seul porte-avions. Compte tenu des périodes d'entretien, et des remises en condition du groupe aérien, on peut considérer qu'en moyenne cet unique exemplaire ne sera disponible qu'aux deux tiers du temps.

Le porte-avions Charles de Gaulle devrait connaître une première immobilisation de six mois dès la fin 2001 puis une indisponibilité d'environ quinze mois en 2004-2005 pour changement du coeur nucléaire, cette opération revenant avec une périodicité de sept à huit ans.

Il reste à déterminer si cette situation, qui affecte fortement la capacité opérationnelle de la Marine, peut perdurer ou s'il est indispensable, par la commande d'un second porte-avions dans le cadre de la prochaine loi de programmation militaire, de rétablir une permanence aérienne à la mer assurée durant près de 35 ans par le Clemenceau et le Foch.

On sait que la construction d'un second porte-avions nucléaire représenterait un coût sensiblement inférieur d'au moins 25 % à celui du premier exemplaire. Elle pourrait même s'inscrire, moyennant le redimensionnement de certaines capacités, dans une enveloppe inférieure à 12 milliards de francs.

Evoquant devant votre commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées, les contraintes financières qui pèseront sur la prochaine loi de programmation militaire, M. Alain Richard, ministre de la défense, a constaté " qu'un seul porte-avions permettait déjà de réaliser d'importantes missions" et il a émis l'hypothèse qu'un choix pourrait être opéré entre ce second bâtiment et un nombre accru de frégates ou de transports de chalands de débarquement (TCD).

Même s'il convient de garder à l'esprit les nécessités imposées par le renouvellement de la flotte, et notamment des frégates anti-aériennes, il faut bien constater que la non-réalisation d'un second porte-avions conduirait à s'interroger sur la cohérence des décisions publiques , les efforts entrepris dans le cadre du programme du porte-avions nucléaire ne prenant tout leur sens que si le groupe aéronaval comporte deux bâtiments assurant la permanence aérienne à la mer.

C'est sans doute la cohérence même du modèle de Marine qui serait affectée si, durant plusieurs décennies, le groupe aéronaval comportait un seul porte-avions indisponible au tiers du temps.

Par ailleurs, en conclusion de leur Strategic Defense Review, les Britanniques paraissent désormais convaincus du rôle irremplaçable des porte-avions pour la gestion des crises et la projection de puissance. Leur intérêt se porte sur un type de bâtiment proche du notre par son tonnage (40.000 tonnes) et surtout sa capacité à emporter des avions à long rayon d'action, grâce aux moyens de catapultage et aux brins d'arrêt, et non plus des avions à décollage vertical dont le rayon d'action est beaucoup plus limité.

La similitude des concepts d'emploi français et britannique ainsi qu'une certaine coïncidence calendaire, puisque les échéances pour la commande (2002) et la livraison (2012) sont les mêmes dans les deux pays, ouvrent des perspectives de coopération technique favorables. Encore faudrait-il être assuré de l'intérêt véritable des Britanniques pour une telle coopération.

A l'heure où dans le prolongement de la déclaration de Saint-Malo, le Royaume-Uni semble vouloir s'impliquer dans la construction d'une Europe de la défense, le choix qui sera opéré par les Britanniques non seulement sur l'installation de catapultes mais également sur le type d'avions embarqués -JSF en coopération avec les Américains ou Rafale marine- sera déterminant pour confirmer ces perspectives de coopération technique avec la France.

Si l'hypothèse de l'abandon du second porte-avions devait finalement se confirmer , elle impliquerait de renoncer en grande partie à la notion de souveraineté qui s'attache à son emploi. Il s'agirait alors de faire le pari politique d'un possible partage capacitaire dans un cadre européen et de trouver avec nos alliés, en particulier britanniques, un moyen de garantir au mieux une permanence européenne des capacités de projection aérienne à la mer , prémices d'une politique européenne de défense en devenir.

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