B. AU PLAN ÉCONOMIQUE : DES MOUVEMENTS INÉLUCTABLES

1. L'envolée de la messagerie et de la logistique

a) Une expansion alimentée par les tendances dominantes de l'économie mondiale

L'acheminement rapide et fiabilisé tout autour de la planète de biens physiques ne pouvant, par nature, emprunter les réseaux électroniques est un marché promis à une expansion considérable. Votre rapporteur en est convaincu et nombre d'analystes économiques également.

Cette conviction est fondée sur le fait que plusieurs facteurs se combinent pour pousser le développement de la demande de prestations en ce domaine tandis qu'en regard une offre de plus en plus attractive tend à accroître sans cesse cette demande, créant en quelque sorte un cercle vertueux d'expansion.

Les facteurs poussant cette demande à la hausse sont au nombre de quatre. Il s'agit de :

l'internationalisation généralisée des entreprises, des marchés et des clientèles, phénomène caractéristique de notre époque que l'on désigne habituellement sous le nom de « mondialisation » car il tend à fondre les différents marchés territoriaux en un gigantesque marché mondial ;

Aujourd'hui, en Europe, 23 % des colis (hors messagerie traditionnelle) sont expédiés à l`international. Cette proportion devrait atteindre 30 % en 2003, dans 4 ans.

la propension accrue des entreprises à gérer leur production à flux tendus -c'est à dire avec pas ou très peu de stocks pour réduire les frais importants que ceux-ci génèrent-, ce qui suscite une multiplication des commandes ;

Ainsi, le patron d'Extand -filiale colis du groupe Geodis- fait remarquer qu' « un magasin de confection qui était livré, par le passé, deux ou trois fois par an avec deux ou trois réassortiments reçoit aujourd'hui de 40 à 50 colis tout au long de l'année ».

le développement de la vente à distance (vente par correspondance, téléachat, commerce électronique,...) avec ses conséquences : le client emporte de moins en moins souvent son achat, l'entreprise le lui porte de plus en plus fréquemment.

une focalisation de la concurrence commerciale autant sur la qualité du service global assuré au client que sur les prix.

En regard, l'offre de prestation dans ce domaine s'étoffe et s'affine sous l'effet :

de l'explosion des nouvelles technologies qui permettent de proposer à des coûts abordables des prestations haut de gamme encore inenvisageables il y a peu (système de « tracing » 28 ( * ) en continu, signature électronique,...) ;

Extand, par exemple, consacre annuellement de l'ordre de 5  % de son chiffre d'affaires à ses seuls investissements technologiques.

d'une baisse des prix résultant des économies d'échelle liées à l'extension du marché et au jeu de la concurrence.

En France, dans le monocolis, les prix ont chuté de près de moitié en cinq ans : un colis de 7 à 8 kilos qui coûtait, il y a 4-5 ans, 105 F en messagerie et 200 F en express est transporté aujourd'hui pour 40 F en monocolis.

d'une diversification et d'un enrichissement de la gamme des prestations.

Le concept de monocolis a été lancé il y a moins de huit ans par Exapacq pour désigner des colis unitaires de 0 à 30 kilos transportés par la route. Depuis, le produit a connu un succès foudroyant.

b) Un marché fragmenté où une offre globale devient un atout décisif

Pour mieux évaluer la puissance de ce marché en essor, votre rapporteur a interrogé le Secrétariat d'Etat à l'Industrie pour savoir ce qu'il représentait en termes de chiffres d'affaires dans le monde, en Europe et en France et quels étaient ses taux de croissance ces dernières années.

En l'absence regrettable de réponse permettant de disposer de ces éléments, quelques chiffres permettent de saisir l'ampleur prometteuse de ce secteur d'activité. Ainsi, en 1998, la valeur du marché français de la messagerie se trouve estimée à 55 milliards de francs 29 ( * ) , soit à peu de choses près l'équivalent du chiffre d'affaires du courrier de La Poste hors colis.

Au plan mondial, les quatre grands messagers (Federal Express, UPS, DHL , TNT) ont transporté 8 % du fret aérien international en 1997. De 1993 à 1996, UPS a enregistré une hausse de 25 % de son chiffre d'affaires consolidé, Federal Express 30 % et TNT 55 %. Le moins que l'on puisse en déduire, c'est que le marché qu'ils exploitent est bien orienté !

Le marché intérieur européen de l'express ne l'est pas moins. Il représente 148 milliards de francs. Il vient de dépasser celui des Etats-Unis et croît de 10 % an an 30 ( * ) .

LES CARACTÉRISTIQUES DU MARCHÉ

Indéniablement porteur, le marché de la messagerie est aussi très segmenté. Cette segmentation s'établit autour de six critères :

- la clientèle : particuliers, entreprises (industrielles ou tertiaires) ou professionnels ;

- le destinataire : particuliers, entreprises ou professionnels ;

- la couverture géographique : domestique, intra-européenne ou intercontinentale ;

- le produit et le poids (document, colis de 0 à 30 kg, palette de 25 kg à 1 tonne, etc.) ;

- le délai (J, J+1, J+2, J+2/4, J+4/5) ;

- les services proposés (ex : suivi du colis, enlèvement tardif, livraison le samedi, preuve de livraison, etc).

Ainsi, les prestations relevant du domaine de l'express englobent la livraison à J + 1 avant 12 heures de documents (0 à 3kg) ou de colis (0 à 30kg). Elles connaissent des croissances élevées pour le colis dans le secteur des hautes technologies, de l'industrie médicale, de l'optique et de la vente par correspondance.

Le monocolis englobe les livraisons de J + 1 à J + 5 de paquets de 0 à 30 kilos. C'est une branche qui affiche, elle aussi, des taux de croissance élevés. Les consommables informatiques, les pièces détachées, l'électronique, l'outillage de précision sont souvent expédiés par monocolis.

En revanche, le fret express (livraisons à J + 1 avant 12 heures de colis de 0 à 150 kilos) connaît une croissance moyenne. Ce type de prestation concerne les équipements industriels, les pièces détachées mécaniques.

Dans l'express, l'acheminement est réalisé par avion et par route, dans le monocolis seulement par route.

Les activités dites de logistique englobent les prestations d'acheminement que désignent le terme de messagerie mais intègrent également des services « amont » (stockage, emballage, préparation de commande,...) et aval (installation en rayon, ...).

Dans un tel contexte, une offre globale est une garantie de séduire les grandes entreprises, celles qui ont des demandes complexes et diversifiées. La stratégie de la poste allemande n'a pas d'autres fondement. Son président le déclarait d'ailleurs explicitement : « Un nombre important de nos gros clients ont depuis quelque temps des implantations non seulement en Allemagne, mais aussi par exemple en France ou en Italie. Si alors nous ne sommes pas capables d'offrir nous-mêmes la totalité des prestations d'acheminement, d'expédition et de logistique, les clients vont rapidement nous quitter. La solution idéale, c'est que le client nous confie la totalité de la chaîne de la valeur ajoutée» 31 ( * ) .

Au-delà de cet accompagnement commercial, c'est la captation du marché des services logistiques des grandes entreprises multinationales qui est visée. Face à une offre externe de qualité, personnalisée et moins coûteuse que la réalisation en interne, la sous-traitance des activités logistiques devient une solution très attrayante pour ces entreprises. Elles peuvent par ce moyen se recentrer à moindre frais, sur leur coeur de métier.

Les groupes internationaux de grande taille pratiquent déjà aujourd'hui « l'externalisation »pour la gestion de leurs télécommunications. Ils le font de plus en plus dans le domaine de la messagerie. Comme ces transferts contrôlés sont gage de compétitivité, ils ne peuvent que s'accentuer là où la concurrence s'intensifie.

Demain les fortes valeurs ajoutées des opérateurs postaux ne se situeront donc pas dans la délivrance -avec le sourire-de la lettre de Mme de Sévigné à sa fille. Elles résulteront plus vraisemblablement de la gestion infaillible de l'acheminement des pièces détachées du réseau de concessionnaires ou des commandes des clients d'un grand groupe industriel.

Le secteur postal sous le choc de cette transformation est entré dans l'ère de la mondialisation, avec ses exigences de taille critique, de réseau planétaire et de forte capacité capitalistique pour ceux qui veulent y compter. Il suit là une voie qu'ont déjà empruntée les télécommunications, le transport aérien, l'aéronautique, l'automobile et bien d'autres avant lui.

Il ne s'agit pas, comme on a trop souvent tendance à le faire en France, de débattre à l'infini pour savoir s'il convient de s'en féliciter ou de s'en lamenter. Il s'agit de prendre conscience que cette transformation est un fait irrésistible et quelle annonce la réalité de demain, afin de définir la politique nous permettant dans un tel contexte de créer des opportunités favorables à l'emploi et de consolider nos valeurs de service public.

De ce point de vue, les postes historiques sont à la croisée des chemins. Celles qui choisissent de relever les défis qui parsèment la route de ce « nouveau monde postal » et de la suivre jusqu'au bout peuvent espérer devenir des « Microsoft » du secteur, tout en faisant que leur pays bénéficie d'un haut niveau de service universel. Celles qui, par peur ou par aveuglement, se cantonneront sur leurs métiers d'hier sont condamnées à devenir les sous-traitances régionales des premières et à fragiliser, de ce fait, les ambitions du service universel national.

2. La certitude du décollage du commerce électronique

De passage à Paris, le 1 er juin 1999, le vice-président du marketing interactif d'AOL (America on Line, l'un des plus grands « portails » Internet aux Etats-Unis) déclarait que le « réseau des réseaux » n'était plus seulement l'affaire des fans de technologie mais était en passe de « devenir l'un des plus puissants marchés de masse du monde » 32 ( * ) .

Les statistiques disponibles semblent lui donner raison. Aux Etats-Unis, les transactions commerciales en ligne représentaient 50 milliards de francs en 1998 et elles devraient atteindre plus de 110 milliards en 1999.

Après avoir essentiellement concerné des niches de vente (livres, disques, logiciels informatiques,...) le commerce électronique est en train de se banaliser. Il répond désormais aux demandes les plus variées des consommateurs. La liste des produits que l'on peut se procurer via Internet n'est plus limitée. C'est l'ensemble des produits du commerce qui y est offert. Même ceux qui ne sont pas disponibles dans la zone de chalandise du client, lui deviennent accessibles. Le consommateur n'a plus à aller au produit, c'est le produit qui vient à lui. Il y a là une chance à saisir pour les terroirs !

Les fournisseurs de services d'accès au Net prévoient, quant à eux, qu'il y aura, fin 1999, 8 millions d'Internautes en France, 60 millions en Europe. Dans le monde, on les estime à 300 millions et ils devraient être un milliard d'ici quelques années.

Les postes qui ont vocation à amener à domicile les produits achetés à distance peuvent-elles rester indifférentes à la construction d'un immense supermarché mondial qui pourrait compter jusqu'à un milliard de clients et où les échanges interentreprises joueront longtemps un rôle majeur 33 ( * ) ?

A l'évidence, non ! UPS, la poste britannique en sont d'accord. Ils développent déjà des offres spécifiques en ce domaine.

La poste allemande en est persuadée. Depuis la mi-mai 1999, un de ses nouveaux services -Evita- propose aux entreprises qui vendent des produits par Internet de prendre en charge le stockage, l'envoi et le paiement des articles. Le commerçant n'a plus qu'à s'occuper d'attirer les clients.

Notre poste n'en est pas là : elle propose ses services traditionnels (Chronopost, Coli Poste) à ses clients tenant boutique sur la « toile » (Leroy-Merlin, Galeries Lafayette, Trois Suisses, FNAC Direct...).

* 28 C'est-à-dire du suivi en temps réel des différentes étapes de l'acheminement.

* 29 Source : La Poste.

* 30 Source : L'Usine nouvelle, n° 2669, 7 janvier 1999, article de Sophie Peters Van Deinse.

* 31 Voir interview de M. Klaus Summwinkel, Président de DPAG, dans Die Welt du 16 mars1999.

* 32 Source : Le Monde, 8 juin 1999.

* 33 80% de la valeur totale en l'an 2000 même si la croissance rapide des ventes au détail tendra, à moyen terme, à minorer cette proportion d'après le rapport « Lorentez » sur le commerce électronique (avril 1998).

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