III. SERVICE DE SANTÉ DES ARMÉES ET SYSTÈME DE SANTÉ PUBLIQUE : UNE LARGE OUVERTURE DES HÔPITAUX DES ARMÉES AU SERVICE PUBLIC
Voué prioritairement au soutien médical des
forces,
particulièrement des forces en opération, le service de
santé des armées, au travers de ses hôpitaux, s'est
très largement ouvert aux activités non militaires en accueillant
sans restriction une clientèle civile dont la proportion s'est accrue au
cours des dernières années.
Cette évolution résulte de l'
excellent niveau des prestations
délivrées par les hôpitaux militaires, reconnu dans le
milieu civil, mais aussi d'un choix délibéré du service de
santé, désireux d'assurer à ses hôpitaux un volume
d'activité suffisant pour rentabiliser les équipements et surtout
entretenir la pratique des équipes chirurgicales.
Cette activité " extérieure " apporte désormais
au service de santé la majorité de ses ressources
financières.
A. L'OUVERTURE DES HOPITAUX MILITAIRES AU SERVICE PUBLIC : UNE ORIENTATION NÉCESSAIRE QUI DEVRA ÊTRE CONCILIÉE AVEC LA SPÉCIFICITÉ DES MISSIONS MILITAIRES PRIORITAIRES
L'ouverture des hôpitaux des armées au service
public
se constate tant au niveau de la clientèle accueillie, de plus en plus
composée de civils, que des liens de plus en plus étroits
entretenus entre ces hôpitaux et le système hospitalier civil.
Cette orientation est ressentie par le service de santé comme une
nécessité qui appelle toutefois la définition d'un point
d'équilibre afin de préserver les missions militaires
prioritaires .
1. Une large ouverture à l'activité " civile "
Contrairement à une idée fréquemment
répandue, le service de santé n'oppose
aucune restriction
à l'accès aux hôpitaux des armées
, ceux-ci
étant ouverts aux patients dans les mêmes conditions que les
établissements civils.
Certes, les hôpitaux des armées se doivent d'accueillir
en
priorité
leur clientèle " obligée ",
c'est-à-dire les appelés du contingent d'une part et les
personnels de la Défense ayant contracté une blessure ou une
maladie à l'occasion du service. Ils ont également en charge la
vérification de l'aptitude d'un certain nombre de personnels et des
tâches d'expertises au profit des armées.
Hormis ces priorités, pour lesquelles les consultations ou les soins
sont à la charge du budget du service, les hôpitaux des
armées se situent sur un même plan que les établissements
civils.
Les personnels de la Défense ou leurs ayants-droits ne sont pas tenus de
s'adresser à un hôpital militaire, sauf si l'accident ou la
maladie est imputable au service, et ils peuvent donc être
hospitalisés dans un établissement de leur choix. Inversement,
les assurés sociaux du régime général ou des autres
régimes civils ont également le libre choix et peuvent être
hospitalisés dans les hôpitaux militaires.
La réduction progressive du nombre d'appelés du contingent et des
effectifs militaires en général et, d'autre part, le souhait
croissant de ressortissants civils d'être soignés dans les
hôpitaux militaires tendent en quelque sorte à
" banaliser " l'activité de ces derniers. Le
nombre de
journées d'hospitalisation à charge du service de
santé
, qui représente l'activité spécifiquement
militaire des hôpitaux des armées,
ne cesse de se
réduire
alors que l'activité " remboursable ",
c'est-à-dire au profit des assurés sociaux dans les conditions de
droit commun, augmente.
La part des activités à charge du service de santé dans
l'ensemble des journées d'hospitalisation qui était encore
voisine de 25 % en 1998 devrait s'établir à 16 % en 1999 selon
les prévisions du service. La
part de l'activité
remboursable
, qui concerne des personnels de la Défense mais
également de plus en plus une clientèle " civile "
extérieure, devient donc très fortement
prépondérante.
Cette évolution répond, pour le service de santé, à
une
impérieuse nécessité.
En effet, la diminution de la clientèle " obligée " du
fait de la disparition du contingent et de la réduction des effectifs
des armées conduirait, si elle n'était pas compensée par
un apport de clientèle extérieure, à une
sous-activité des équipes chirurgicales, préjudiciable au
maintien de leur capacité opérationnelle. C'est d'ailleurs pour
une raison identique qu'ont été décidées la
fermeture, entre 1997 et 2002, des 9 centres hospitaliers des armées et
la réduction de 5.600 à 3.200 du nombre de lits des
hôpitaux des armées, qui était encore supérieur
à 10.000 au début de la décennie.
Seule une
ouverture à la clientèle civile
, qui
représente aujourd'hui plus de la moitié de l'activité des
9 hôpitaux d'instruction des armées, permet de garantir la
diversité des pathologies traitées et de maintenir au plus haut
niveau de technicité les spécialistes hospitaliers.
2. Les modalités et les implications d'une participation accrue au service public hospitalier
La
participation au service public hospitalier se traduit tout d'abord, comme il
vient d'être dit, par
l'accueil sans restriction de tous les
assurés sociaux dans les hôpitaux des armées
.
Elle se manifeste également par la création, au sein des
hôpitaux d'instruction des armées, de
services d'accueil des
urgences
, intégrés dans l'organisation de l'urgence
médicale et recueillant des patients pris en charge par les SAMU ou les
SMUR, les pompiers ou la protection civile. De tels services fonctionnent dans
les hôpitaux d'instruction des armées de Toulon, Marseille et
Metz, ainsi qu'à l'HIA Percy à Clamart et à l'HIA
Bégin à Saint-Mandé.
Ces
services d'urgence
qui travaillent en étroite collaboration
avec les services de secours fournissent une part importante des
hospitalisations et constituent surtout une
nécessité pour la
formation et le maintien du potentiel opérationnel des équipes
hospitalières
, les préparant aux missions qu'elles retrouvent
lors des opérations extérieures.
Autre exemple de rapprochement avec le service public hospitalier, les
hôpitaux des armées s'orientent vers la participation aux
réseaux d'établissements avec les établissements civils,
afin de développer la complémentarité de leurs
activités.
Le souci des hôpitaux des armées de s'adapter en permanence aux
exigences d'une médecine de haute technicité, illustré par
la modernisation de leurs plateaux techniques, les a également conduit
à s'engager dans une démarche d'amélioration et
d'évaluation de la qualité de leurs prestations. Outre la
création, en 1998, d'une cellule d'audit interne, cette orientation se
concrétise par la participation du service de santé au
mécanisme d'évaluation externe des établissements de
santé instauré, sous l'appellation d'accréditation, par
l'ordonnance sur l'hospitalisation publique en 1996. Cette procédure
d'accréditation, mise en oeuvre par l'Agence nationale
d'accréditation et d'évaluation en Santé (ANAES) a
été engagée à l'HIA Desgenettes de Lyon.
Enfin, autre exemple d'atténuation de la frontière entre
hôpitaux militaires et civils, le service de santé des
armées voit ses capacités et ses équipements pris en
compte dans la
planification sanitaire
.
3. La nécessité du maintien d'une spécificité militaire
La
participation de plus en plus affirmée des hôpitaux des
armées au service public hospitalier conduit à poser la question
de l'application à ces hôpitaux d'une certain nombre
d'orientations de la politique hospitalière nationale. Cette question
concerne moins l'application de normes de sécurité ou de
qualité - le service de santé étant à cet
égard au moins aussi exigeant que le ministère de la Santé
- que l'
encadrement de l'équipement et de l'activité des
hôpitaux
.
Ici apparaissent les limites à une intégration trop
poussée des hôpitaux militaires dans l'organisation de la
santé publique.
S'il est par exemple légitime, dans le cadre de la planification
sanitaire, de tenir compte des moyens dont disposent les hôpitaux
militaires, il est en revanche exclu de soumettre ces derniers aux
procédures et aux critères qui s'imposent aux hôpitaux
civils.
Ainsi, les plateaux techniques des hôpitaux d'instruction des
armées sont-ils dimensionnés pour faire face à un afflux
massif de blessés en cas de conflit, et non pour répondre aux
besoins courants de la population. On ne saurait donc imposer aux
hôpitaux des armées les critères qui prévalent, dans
le cadre de la planification sanitaire, pour autoriser les hôpitaux
civils à se doter d'un équipement lourd.
Un
équilibre doit donc être trouvé
entre une
participation au service public hospitalier
qui rationalise l'utilisation
des capacités militaires tout en permettant aux hôpitaux des
armées de maintenir le volume et surtout le haut niveau technique de
leurs activités
et la priorité qui doit demeurer aux missions
fondamentales, et par définition militaires,
du service de
santé des armées.
Une
disposition législative
a été envisagée
en ce sens, afin de définir les modalités de prise en compte des
capacités et des équipements des hôpitaux militaires dans
l'élaboration des schémas régionaux de l'organisation
sanitaire, de manière, notamment, à éviter un
suréquipement des hôpitaux civils. Ce texte doit par ailleurs
clairement rappeler l'autonomie du secteur hospitalier militaire, placé
sous l'unique responsabilité du ministre de la Défense.
Bien qu'établi en accord entre les ministères de la
Défense et de la Santé de longue date, ce projet de modification
législative destiné à définir juridiquement la
place des hôpitaux militaires dans l'organisation de la santé
publique n'a pas encore pu trouver place dans un projet de loi soumis au
Parlement. Il importe qu'il puisse rapidement être adopté.
Au-delà de cette nécessaire clarification juridique, il est clair
que la participation au service public hospitalier a pour vocation de permettre
aux hôpitaux des armées de maintenir, à un haut niveau,
leur capacité d'engagement aux côtés des forces en
opération et qu'elle ne saurait donc s'effectuer au détriment de
cette dernière.
B. UNE DEPENDANCE FINANCIÈRE ACCRUE A L'ÉGARD DE L'ACTIVITÉ NON MILITAIRE
L'évolution de l'activité des hôpitaux des armées induit un profond changement de financement de ce dernier, désormais majoritairement assuré par les recettes d'hospitalisation.
1. Un mode de financement original
Le
financement du service de santé repose sur deux sources (cf. annexe
IV) : les crédits budgétaires votés dans le cadre de
la loi de finances et les produits d'un fonds de concours représentant
les prestations hospitalières délivrées dans le cadre de
l'activité remboursable.
Jusqu'en 1997, la répartition entre crédits budgétaires et
ressources externes provenant du fonds de concours était relativement
équilibrée. En 1988, les crédits budgétaires
représentaient plus de 58 % des ressources financières du service
de santé. Entre 1993 et 1997, ils en représentaient encore
environ 52 %.
Un net décrochage est intervenu en 1998
,
les
crédits budgétaires ayant été réduits
de
15 %, avant d'être à nouveau diminués de 7 % en 1999.
La
part des crédits budgétaires
est passée à
43,4 % en 1998 et à
41,1 % en 1999
.
Les
ressources externes
provenant de l'activité remboursable
représentent donc près des
trois cinquièmes du
financement du service
.
Le montant de ces ressources externes dépend de deux facteurs :
- le volume de l'activité
- et les tarifs pratiqués.
Les hôpitaux militaires fonctionnent selon un
principe de tarification
au prix de journée
, le prix de journée facturé ne
pouvant être supérieur à celui de l'hôpital de
référence le plus proche. On remarquera que globalement, ces prix
de journée sont inférieurs à ceux pratiqués dans le
secteur civil, même s'ils n'intègrent pas toujours l'ensemble des
coûts de la prestation.
A la différence des établissements hospitaliers civils soumis au
même principe de tarification, chaque hôpital des armées ne
reçoit pas directement des organismes de sécurité sociale
le remboursement de son activité. Les recettes, recueillies par le fonds
de concours puis reversées au ministère de la Défense,
sont globalisées dans le budget du service de santé qui les
répartit entre les différents établissements en fonction
des objectifs fixés. On pourrait donc dire que, si pour le budget de la
Défense les ressources tirées de l'activité des
hôpitaux des armées découle directement du volume des
journées d'hospitalisation, chaque hôpital des armées
fonctionne quant à lui sur le principe du budget global, une enveloppe
lui étant allouée par la direction centrale du service de
santé.
2. La prépondérance des ressources externes : un facteur d'incertitude pour le service de santé
Lors de
l'examen des deux précédents budgets de la Défense, votre
rapporteur s'était interrogé sur la pertinence du choix du
gouvernement de réduire assez fortement les crédits
budgétaires, augmentant mécaniquement la dépendance du
service de santé vis-à-vis des ressources tirées de
l'activité remboursable.
Il faut bien constater que les deux types de ressources n'ont pas la même
nature, au moins pour trois raisons.
Les ressources externes ont un caractère aléatoire
,
lié au niveau de l'activité qui peut baisser pour des motifs
divers : fermeture d'un établissement, travaux ou restructurations
diminuant temporairement le potentiel d'un établissement, ralentissement
de l'activité des services en cas d'opération extérieure.
Ces ressources n'alimentent pas directement le budget du Service mais
transitent par un
fonds de concours
. Leur mise à disposition
effective dépend des conditions du rattachement des produits du fonds de
concours, variable d'une année sur l'autre. A cet égard,
le
rattachement tardif des fonds de concours peut créer des
difficultés
en début d'année, tout en empêchant
la consommation intégrale des crédits avant la clôture de
l'exercice budgétaire.
Enfin, le service de santé n'est totalement pas maître des tarifs
qu'il oppose aux organismes de sécurité sociale et le volume du
produit de l'activité remboursable, bien que modeste au regard de
l'ensemble des dépenses de l'assurance maladie, pourrait à
l'avenir être contraint par la politique de
maîtrise des
dépenses de santé
. On observera que jusqu'à
présent, la tarification militaire hospitalière est
demeurée en deçà des tarifs civils et que le service de
santé s'est aligné, en terme d'évolution de ses recettes,
sur l'objectif national des dépenses d'assurance-maladie (ONDAM).
Certes, le rôle accru des recettes du fonds de concours peut renforcer la
motivation des équipes hospitalières, directement
intéressées à l'augmentation de l'activité, et a
grandement facilité la modernisation de l'équipement des
hôpitaux des armées.
A l'inverse, s'il prenait une part trop importante, il pourrait fragiliser le
service de santé en le rendant
trop dépendant de variations
conjoncturelles qui, s'agissant d'un parc hospitalier réduit
(9
hôpitaux et 3200 lits),
peuvent être d'autant plus fortes
.
Rappelons que le prélèvement d'équipes chirurgicales
appelées pour des opérations extérieures entraîne
immédiatement des ralentissements d'activité et donc de moindres
recettes. De même, s'il advenait qu'un soutien chirurgical lourd soit
nécessaire en cas d'engagement des forces donnant lieu à des
risques de pertes élevés, l'activité hospitalière
civile serait momentanément mise en sommeil, avec de lourdes
conséquences financières.
Les missions " régaliennes " que doit avant tout assurer le
service de santé ne sauraient être suspendues à de tels
aléas.
Aussi y aurait-il intérêt, après deux années de
forte réduction, à
stabiliser les crédits
budgétaires du service de santé
.