EXAMEN EN COMMISSION
Au cours
d'une séance tenue le mardi 8 juin 1999, sous la présidence de
M. Alain Lambert, président, la commission a procédé
à l'audition de M. Jean-Luc Tavernier, sous-directeur de la
prévision, sur l'étude remise par le ministère de
l'économie et des finances, relative à l'évolution de la
dette publique en France.
M. Alain Lambert, président, a rappelé, à titre liminaire,
l'intérêt porté, depuis plusieurs années, par la
commission des finances, à la dette publique, à ses
différentes composantes et à son évolution. Puis, il a
évoqué la demande adressée par la commission des finances
à la direction de la prévision, consistant à analyser
rétrospectivement l'évolution de l'endettement public entre 1980
et 1997. Il s'est félicité que la commission des finances puisse
ainsi accéder à une partie, même minime, des moyens dont le
Parlement dote chaque année l'exécutif.
M. Jean-Luc Tavernier s'est à son tour réjoui, au travers de la
présentation de cette étude commandée à la
direction de la prévision de pouvoir renouer avec une longue tradition
de relations suivies avec la commission des finances du Sénat, qui
s'était révélée tout à fait utile. Puis il a
présenté l'analyse descriptive de la dette réalisée
sur une période de vingt ans et indiqué que celle-ci, compte tenu
de son intérêt, serait par ailleurs publiée dans le rapport
annuel de l'INSEE sur les comptes économiques de la Nation.
Il a tout d'abord évoqué la forte croissance, entre 1980 et 1997,
du ratio dette publique rapportée au PIB, qui avait presque
triplé, passant de 21 points à 58,1 points, soit un chiffre
proche du plafond fixé en ce domaine par le Traité de Maastricht.
Il a néanmoins relevé que la situation française restait
proche de celle de la plupart des autres pays européens, puisque le
ratio était en moyenne de 69,5 % au sein de l'Union européenne.
Aussi en a-t-il tiré deux conclusions importantes. Il a d'une part
souligné que l'accroissement du poids de la dette s'expliquait à
la fois par l'accumulation de déficits publics excessifs, et par le
niveau des taux d'intérêt réels qui avaient
été supérieurs au taux de croissance. Il a relevé,
d'autre part, que la progression de la dette brute ne s'étant pas
accompagnée d'une accumulation d'actifs, le patrimoine net des
administrations publiques avait donc diminué durant cette même
période.
Il a alors souligné l'intérêt de bien distinguer,
s'agissant de l'évolution des déficits publics, les
modalités de leur constitution, en isolant l'impact de l'endettement
public susceptible de provoquer "l'effet boule de neige",
générateur de plus de déficit. Puis, évoquant le
critère de Maastricht relatif au poids de la dette publique par rapport
au PIB, il a précisé qu'il s'agissait non pas d'éviter les
déficits publics en tant que tels, mais de lutter contre les
déficits excessifs et de les apprécier au regard du principe de "
soutenabilité budgétaire ". Il a ensuite précisé
que la responsabilité des déficits publics dans
l'évolution du ratio avait été atténuée par
l'effet de la croissance du PIB. Puis il a tenu à souligner que les taux
d'intérêt réels, dont le niveau était
répercuté avec quelque retard cependant sur le coût moyen
de la dette, avaient été, depuis 1980, supérieurs au taux
de croissance. Aussi, après avoir relevé qu'il existait en 1993
un décalage de 8 points entre le coût réel apparent de la
dette et le taux de croissance, il a souligné que si le coût
moyen de la dette avait été égal sur la période
1980-1997 au taux de croissance nominal, le ratio d'endettement public n'aurait
pas dépassé 40 points de PIB en 1997 contre 58,5 actuellement. Il
en a conclu que la très forte augmentation de ce ratio pendant cette
période pouvait être expliquée par deux
phénomènes de même ampleur et de même effet : la
hausse des déficits publics et l'existence de taux
d'intérêts réels élevés.
Il a ensuite présenté la notion de " solde stabilisant " qui
correspond au besoin de financement des administrations publiques qui
permettrait de stabiliser d'une année sur l'autre le poids de la dette
au sein du PIB. Ainsi, en 1998, alors que les déficits publics
s'étaient élevés à 2,9 points de PIB, le solde
stabilisant avait été estimé à 2,3 points de PIB,
soit un écart de 0,6 point. Il a par ailleurs indiqué que
pour 1999, le solde des comptes publics était estimé à 2,3
points, soit un niveau identique à celui du solde permettant de
stabiliser le poids de la dette dans le PIB.
Il a en effet rappelé que le " solde primaire stabilisant "
c'est-à-dire le solde calculé hors charges
d'intérêts, inéluctables, devait être d'autant plus
élevé que la dette publique était importante et que
l'écart entre le coût apparent de celle-ci et le taux de
croissance du PIB était important. Il a ainsi précisé
qu'en 1998 le solde primaire permettant de stabiliser la dette était,
compte tenu des dépenses liées aux intérêts, de 1,2
point de PIB, et qu'il supposait donc que les administrations publiques
dégagent une capacité nette de financement. A contrario, ce solde
stabilisant était négatif à hauteur de 1,1 point en
1980, la différence avec la situation observée actuellement
provenant de l'évolution des charges d'intérêt
résultant des taux d'intérêt réels et du niveau de
la dette qui avaient fortement accru les contraintes de gestion des finances
publiques.
Il a ensuite évoqué l'évolution de la dette nette qui
avait crû depuis 1980 dans les mêmes proportions que la dette
brute, ce qui permettait d'en déduire que l'acquisition d'actifs
financiers n'était pas à l'origine de l'accroissement de la dette
brute. Il a également relevé que, par voie de conséquence,
le patrimoine net des administrations publiques avait fortement diminué
depuis 1980, passant de 53,3 points du PIB à 7,6 points du PIB en 1998
mais qu'il restait en tout état de cause positif.
Il en a conclu que la diminution graduelle du déficit public permettrait
de réduire le ratio d'endettement au sens du Traité de Maastricht
et rappelé que celui-ci devrait diminuer de 0,5 à 1,5 point de
PIB entre 1999 et 2002. Cette baisse serait portée entre 1 et 3 points
de PIB si le fonds de réserve pour les retraites était
constitué exclusivement d'obligations d'Etat.
M. Alain Lambert, président, l'a remercié pour cette
présentation et souligné l'intérêt de cette
étude qui, à sa manière, tentait de s'affranchir des
contraintes de l'annualité budgétaire.
M. Philippe Marini, rapporteur général, après avoir
dressé un parallèle entre la façon dont la dette et ses
intérêts était comptabilisés au sein du budget de
l'Etat et au sein des budgets des collectivités locales, a tenu à
relever que la progression de la dette publique avait servi à financer
des dépenses courantes de fonctionnement. Il a par ailleurs
souhaité obtenir des précisions quant aux éléments
présentés en matière d'analyse patrimoniale dans la mesure
où l'on notait, au même moment, un accroissement de l'endettement
public, ainsi qu'une diminution de la valeur des actifs financiers
détenus par l'Etat. Après avoir noté que le rendement de
ces actifs était très sensiblement inférieur au coût
moyen de la dette, il a douté de l'efficacité de la gestion par
l'Etat de son patrimoine financier.
Il s'est enfin interrogé sur les modalités de calcul de la
valorisation des participations de l'Etat et sur la manière dont
étaient appréciées, dans ce cadre, les subventions
versées par l'Etat. Il a enfin souhaité obtenir des
précisions sur la prise en compte des éléments figurant au
"hors-bilan" de l'Etat et du secteur public, et évoqué à
ce titre les incertitudes pesant sur les modalités futures de
financement des retraites ou sur le coût des garanties accordées
aux structures de défaisance.
M. Jean-Luc Tavernier a rejoint le constat fait par M. Philippe Marini,
consistant à noter que l'accroissement de la dette publique avait servi
à financer des dépenses courantes, et non à
accroître les actifs détenus par l'Etat. Il a par ailleurs
estimé difficile de porter un jugement impartial sur les
modalités et l'efficacité de la gestion par l'Etat de ses actifs
financiers, en rappelant qu'il était malaisé en ce domaine de
définir un indicateur qui soit totalement pertinent et
véritablement opérationnel. Il a relevé que la
rentabilité réelle des actifs de l'Etat avait été
inférieure de 4 points au coût moyen de la dette.
S'agissant des modalités de calcul de la valorisation des participations
de l'Etat, il a précisé que ce calcul se faisait soit par
référence à la valeur du marché, soit en fonction
des règles particulières propres à la comptabilité
nationale, qui s'appuyaient notamment sur la notion de " situation nette
annuelle ".
Il a enfin indiqué, à propos de la comptabilité
patrimoniale, qu'une réflexion était actuellement menée en
ce domaine, mais que celle-ci se révélait délicate
à poursuivre, car elle nécessitait au préalable une
harmonisation des définitions utilisées. Il a rappelé
l'effort de transparence conduit actuellement, s'agissant de la
détermination des principaux éléments du "hors bilan". Il
a ainsi estimé le coût des structures de défaisance
à environ 2 points de PIB, celui des garanties accordées en
matière de crédit ou de prêt au logement entre 2 et 4
points de PIB, et indiqué que le coût réel de la dette
implicite des régimes de retraite par répartition était
difficile à cerner précisément. Il a ainsi fait
référence à une étude menée par l'OCDE sur
la période 1974-2070 qui faisait état d'un besoin cumulé
de financement de plus de 100 points de PIB. De même, il a indiqué
qu'une étude menée par la direction de la prévision sur la
période 1998-2100 concluait, selon les hypothèses de
départ retenues en termes de taux d'actualisation ou de niveau du
chômage, à des besoins de financement variant de 50 à 300
points de PIB.
M. Jean-Philippe Lachenaud a tout d'abord rappelé les différences
existant entre le budget de l'Etat et celui des collectivités locales en
matière de prise en compte de la dette et souhaité que cette
étude puisse contribuer à convaincre l'opinion publique de
l'intérêt de réduire le poids et le montant de la dette
publique.
S'agissant du niveau des taux d'intérêt réels, il s'est
demandé si celui-ci n'était pas dû justement à
l'importance des déficits publics, et à l'effet d'éviction
que ceux-ci pouvaient entraîner. Il s'est enfin interrogé sur
l'opportunité d'affecter une partie des ressources issues des
privatisations au désendettement du secteur public.
M. Maurice Blin s'est demandé si, que ce soit en France ou dans les
autres pays européens, le niveau élevé des taux
d'intérêt réels n'était pas dû à la
faiblesse des capitaux disponibles. Il a par ailleurs souhaité savoir si
le niveau de ces taux n'était pas susceptible d'avoir des
conséquences excessives sur les choix d'investissements des entreprises
et, partant, de lourdes conséquences sociales.
M. Jean-Luc Tavernier a précisé à M. Jean-Philippe
Lachenaud que, au-delà du contenu même du pacte de
stabilité et des critères qu'il contenait, tous les pays
européens partageaient aujourd'hui la même volonté
d'adopter des politiques budgétaires plus rigoureuses et une politique
monétaire plus souple. Il a également estimé que les
politiques budgétaires menées, notamment en France, avaient eu un
effet sur le coût moyen de la dette en accroissant fortement les besoins
de financement des administrations publiques.
En réponse à M. Maurice Blin, il a estimé que le niveau
des taux d'intérêt réels était actuellement revenu
à une situation plus normale, ceux-ci n'étant que
légèrement supérieurs au taux de croissance réel,
et qu'il convenait d'éviter, à ce titre, le retour à des
situations extrêmes telles que la France avait pu les connaître,
dans des sens opposés cependant, au cours des années 1970 et des
années 1980.
M. Alain Lambert, président, a indiqué que la présente
étude serait publiée sous la forme d'un rapport d'information de
la commission des finances et préconisé que des études
similaires soient réalisées à l'avenir dans les
mêmes conditions. Il a souhaité qu'elles puissent notamment porter
sur l'évolution comparée des dépenses de fonctionnement et
d'investissement de l'Etat.