AUDITION DE M. MICHEL DESCHAMPS, SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DE LA FSU
(FÉDÉRATION SYNDICALE UNITAIRE DE L'ENSEIGNEMENT),
MME MONIQUE VUAILLAT, SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DU SNES
(SYNDICAT NATIONAL DES ENSEIGNANTS DU SECOND DEGRÉ),
M. BERNARD PABOT, SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DU SNETAA
(SYNDICAT NATIONAL DE L'ENSEIGNEMENT TECHNIQUE APPRENTISSAGE AUTONOME),
M. DANIEL LE BRET, SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DU SNUIPP
(SYNDICAT NATIONAL UNITAIRE DES INSTITUTEURS PROFESSEURS D'ÉCOLE ET PEGC)

(13 JANVIER 1999)

Présidence de M. Adrien GOUTEYRON, Président

Le président lit la note sur le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à M. Michel Deschamps.

M. le Président - De tradition, nous donnons la parole aux personnes que nous entendons avant de donner le temps au rapporteur et aux collègues de vous interroger. Nous disposons d'une heure et demi pour cette audition, compte tenu de la qualité, de la diversité, de la richesse de la palette des personnes qui sont ici présentes.

Vous avez la parole.

M. Michel Deschamps - Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, nous répondons avec d'autant plus d'intérêt à votre sollicitation que nous sommes convaincus que les services publics -tous les services publics mais peut-être plus encore le service public d'éducation - devraient être absolument transparents sous le regard des citoyens, qu'ils devraient pouvoir rendre compte de l'ensemble de leur fonctionnement.

Nous sommes convaincus que l'opacité, si opacité il y a, ne peut que susciter des suspicions, et donc rendre plus difficile la mobilisation collective qu'implique actuellement l'état de notre système éducatif.

Nous savons aussi par expérience syndicale que les personnels, en dernier ressort, font toujours les frais du manque de transparence qui engendre de l'arbitraire et des inégalités.

Dit autrement et très directement, les personnels que nous représentons n'ont rien à cacher et rien à craindre de la lumière faite.

En même temps, permettez-moi d'ajouter tout aussi directement que nous ne sommes pas des naïfs. Nous avons lu les comptes-rendus des auditions antérieures publiées sur votre site Internet avec beaucoup d'attention. Nous avons médité aussi certaines interventions et certains questionnements.

Nous craignons que d'aucuns attendent de vos travaux la confirmation de leurs a priori sur le caractère pléthorique des effectifs de l'éducation nationale. A priori qui les conduit peut-être à espérer que la révélation d'insuffisances de gestion -il y en a toujours- permettrait de ne pas faire face aux besoins de développement de notre système éducatif.

Comme je crois que cette question pèse au moins implicitement sur le débat, j'ai considéré que nous avions intérêt à la traiter nettement. Autant vous dire d'emblée que nous considérons, à la FSU, que les transformations qualitatives indispensables de notre système éducatif ont un coût, et nous sommes convaincus qu'elles ne pourront pas se faire à moyens constants et moins encore, avec des moyens en régression.

Je voudrais consacrer la première partie de mon intervention à cette question : comment apprécier l'effort consenti par la Nation à son école ? C'est évidemment difficile. Les partisans de la réduction de l'effort, ou du moins de la pause ,font valoir les progressions du budget annuel du ministère de l'éducation nationale, progressions d'autant plus spectaculaires qu'elles sont toujours présentées en francs courants.

Nous ne sommes pas moins légitimés à faire remarquer que la dépense intérieure d'éducation est restée très longtemps stagnante, alors même que notre pays connaissait un développement spontané et considérable de la scolarisation volontaire.

En tout état de cause, le gain d'augmentation du pourcentage de la DIE est, depuis 20 ans, inférieur à un point de PIB.

On a dit beaucoup de choses sur le rythme de progression des emplois de l'éducation nationale : en réalité -ce sont les chiffres publiés par la fonction publique- sur les dix dernières années, de 1987 à 1997, la progression est inférieure à 5 %. Si l'on prend en référence les années 1985 à 1995, on trouve un pourcentage de progression de 10 %, mais qu'il faut comparer à cette scolarisation spontanée, bien au-delà des limites de la scolarité obligatoire.

Dans le même temps, le niveau de pré-scolarisation a considérablement augmenté dans notre pays ; la part d'une génération accédant au niveau IV a plus que doublé au cours de ces 20 dernières années, et plus de la moitié des sortants 1996 ont poursuivi des études supérieures.

Ces données ne permettent pas de parler d'une simple massification de notre système éducatif. En même temps, il faut constater que la démocratisation, le recul des pesanteurs liées aux appartenances sociales, connaissent aujourd'hui des piétinements, des fléchissements. Nous considérons à la FSU que ces piétinements et ces fléchissements appelleraient un saut à la fois qualitatif et quantitatif du système éducatif. Je crois qu'il est erroné de prendre en considération l'un ou l'autre facteur. Il est encore plus erroné bien évidemment d'opposer les transformations qualitatives et le coût au moins immédiat qu'elles entraînent pour l'argent public.

Permettez-moi d'ajouter que les comparaisons internationales ne démontrent pas une tendance de notre service public d'éducation à se comporter en budgétivore. Nous ne sommes pas du tout le pays qui consacre la part la plus grande de ses richesses à la formation des jeunes, alors même que nous offrons pourtant une espérance de scolarisation qui est parmi les plus élevées des pays comparables, et même dans l'absolu, de l'ensemble des pays qui ont un système éducatif développé.

Quant à la comparaison internationale des performances, aucune des données actuellement connues ne permettent de parler de "rendements médiocres" du système éducatif français, comme l'un de vos invités a cru pouvoir le faire : aucune des données actuellement connues !

En réalité, notre système est considéré par les observateurs nationaux et internationaux extérieurs au syndicalisme comme plutôt économe et performant.

Et c'est justement parce que notre système a ce socle, et de compétence et de résultats, que nous pensons qu'il peut et qu'il doit aller plus loin.

Il ne pourra le faire sans mettre en oeuvre une vraie politique de l'emploi public. C'est le deuxième point que je voudrais aborder devant vous.

C'est une autre façon d'aborder les insuffisances des dotations budgétaires actuelles que de constater les expédients auxquels le système doit recourir. Le volume des heures supplémentaires dans le second degré, des heures complémentaires dans l'enseignement supérieur -même si cela ne relève pas de votre mission d'enquête, les deux phénomènes sont très comparables- témoigne aussi de cet écart entre l'évolution des emplois et celle des besoins du système éducatif.

Il est, de ce point de vue, totalement incompréhensible que notre revendication syndicale de transformation des heures supplémentaires en emplois se heurte à un refus quasi total. Il est tout aussi incompréhensible -voire trop compréhensible- à nos yeux, qu'alors que des mesures dissuasives sont imposées aux entreprises privées par la majoration du taux des heures supplémentaires, que le ministre de l'éducation nationale, premier employeur de France, ait décidé de baisser la rémunération des heures supplémentaires, se donnant ainsi la facilité d'en augmenter le nombre global, au détriment notamment du recrutement des jeunes diplômés.

Mais au-delà des heures supplémentaires, il existe d'autres expédients pour essayer de répondre à cette insuffisance des dotations : la chasse à l'emploi statutaire a ainsi conduit à multiplier les personnels non-titulaires, globalement payés sur des supports de crédits dans des conditions difficilement contrôlables par la représentation nationale. Je pense aux maîtres-auxiliaires, mais aussi aux 60 000 emplois contrats solidarité qui occupent dans nos établissements des emplois permanents, comme le relevait la Cour des comptes en 1997.

La pression constante des besoins réels fait que les emplois créés au titre des mesures jeunes -principalement les aides éducateurs- risquent de suivre de plus en plus une logique de substitution à l'emploi public plutôt qu'une logique d'émergence de nouveaux métiers à laquelle nous avons cru en accueillant la mesure et qui devrait traverser et enrichir la fonction publique.

Le maintien des classes surchargées dans tous les niveaux de l'enseignement scolaire, les difficultés à obtenir les moyens d'un travail en petits groupes, le refus de rompre avec le modèle daté et dépassé de l'instituteur seul dans sa classe, la détérioration constante du rapport nombre d'ATOS - nombre d'élèves sont autant de facteurs qui pénalisent lourdement notre système éducatif.

A ces insuffisances qui sont bien connues, mais que je me permets de rappeler, j'ajoute l'incapacité ou plus sûrement l'absence de volonté à mettre en oeuvre une gestion moderne des effectifs. Je ne suis pas sûr que la formule bien connue utilisée par l'une des personnalités que vous avez auditées : "L'éducation nationale est la seule entreprise française qui ne connaisse pas précisément ses effectifs de personnels" soit totalement objective. Ce qui est certain, c'est qu'il ne doit pas y avoir beaucoup de grandes entreprises dans notre pays à refuser, comme l'éducation nationale, la mise en place d'une gestion prévisionnelle de ses effectifs et la programmation de ses embauches.

Il est tout à fait significatif que la loi de 1989 qui prévoyait, enfin, une programmation pluriannuelle des recrutements d'enseignants n'est toujours pas suivie d'effets dix ans après son adoption.

Ce n'est évidemment pas le résultat d'une quelconque incapacité administrative, mais beaucoup plus sûrement le résultat d'un véritable positionnement malthusien qui fait espérer, toujours, que la demande sociale de formation va se ralentir, se freiner, peut-être s'inverser.

De ce point de vue, je me souviens des prévisions de notre administration de tutelle de la fin des années 1970 qui tablaient sur une diminution de la scolarisation dans le second degré. Cela a conduit à une réduction considérable des recrutements, à la situation des pré-recrutements. Le résultat, en liaison avec la dévalorisation sociale du métier, en a été une crise de recrutements qui pendant plus de dix ans a pesé sur l'ensemble du second degré.

Pour conclure sur cette deuxième partie, il me semble qu'il n'est plus possible d'accepter une situation qui, faute de gestion prévisionnelle des effectifs et des recrutements, conduit à piloter à vue et à courir sans cesse -ce qui est le cas de l'éducation nationale me semble-t-il- après la demande sociale de formation.

Je voudrais conclure sur une dernière question, à mes yeux peut-être la plus fondamentale : peut-on obtenir une plus grande efficacité du système et de ses acteurs, une meilleure rentabilité des moyens existants ? Dit crûment : existe-t-il des gains de productivité possibles ?

La question est provocatrice, alors même que nos collègues ressentent l'évolution de leur métier comme de plus en plus difficile, comme de plus en plus prégnante, à la limite parfois de la rupture. Mais c'est peut-être une raison supplémentaire d'interroger, d'interpeller l'aide réelle que l'institution apporte à nos collègues dans l'exercice de leur mission.

Ainsi, le ministère de l'éducation nationale est quasiment le seul -j'en suis convaincu- à n'avoir pas appliqué l'accord triennal fonction publique sur la formation continue de ses salariés 1996-1997-1998 qui vient de se terminer ; le seul ministère à n'avoir engagé aucune négociation véritable sur ces questions -en tout cas à ne pas l'avoir conduite à terme- contrairement à la loi et contrairement à l'accord contractuel passé au niveau de l'ensemble de la fonction publique et contrairement aux engagements qui nous avaient été donnés en interne du ministère de l'éducation nationale.

Le pourcentage de la masse salariale que le ministère de l'éducation nationale consacre à la formation continue de ses agents ferait rire n'importe quel dirigeant de nos grandes entreprises privées et publiques. Nous sommes actuellement au sens strict de la formation continue, c'est-à-dire hors les congés spécifiques, à moins de 5 % de la masse salariale.

Si on veut bien prendre en considération que nous parlons de personnel de catégorie A, ayant des responsabilités qui les assimilent à des personnels d'encadrement, comment comparer avec les grandes entreprises que nous connaissons tous et pour lesquelles, pour des personnels de ce type, le pourcentage de la masse salariale consacré à la formation continue dépasse couramment les 10 %.

La recherche, qu'elle soit pédagogique ou élargie de type administratif, d'améliorations de fonctionnement du système mobilise également des sommes totalement dérisoires, sans communes mesures avec les besoins.

La reconnaissance des qualifications se heurte aussi à des obstacles continuels, bloquant les niveaux théoriques de recrutement et donc les grilles de rémunération correspondantes, alors même que les qualifications réelles des personnels qui se présentent au concours de recrutement sont constamment en augmentation, refusant les re-pyramidages des emplois et gelant, par exemple, les proportions des personnels de catégorie A et B chez les ATOS, a contrario de l'élévation de leurs qualifications et des besoins d'une administration moderne.

Misère de la formation continue, absence de recherche, blocage des carrières.. ; voilà bien des archaïsmes qui devraient être au coeur de toute réflexion sur la situation et la gestion des personnels des premier et second degrés, surtout si on ajoute à cela la pauvreté des relations sociales globales au ministère de l'éducation nationale : fonctionnement des instances de concertation, refus de reconnaître totalement le rôle des acteurs et des organisations syndicales représentatives des personnels.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les Sénateurs, les personnels seront très attentifs aux conclusions de votre commission d'enquête. Ils y chercheront -mais n'est-ce-pas légitime ?- le regard que la représentation nationale porte sur leur métier et plus encore sur les difficultés croissantes qu'ils connaissent dans l'exercice de ce métier. Ils y chercheront aussi le niveau d'ambition auquel notre pays place son investissement éducatif.

L'école est confrontée aujourd'hui à des évolutions de société extrêmement lourdes ; elle "s'attaque" à des noyaux durs d'échec scolaire ; elle prend en compte des inégalités sociales qu'elle écartait hier de la scolarisation ; elle s'attaque à de véritables risques de rupture dont la violence n'est que l'un des signe les plus spectaculaires.

L'ensemble de ces éléments devrait, pour tous ceux qui se sentent concernés et qui s'intéressent aux problèmes d'éducation, écarter toute tentation d'en rabattre sur le niveau d'ambition et d'investissement éducatif dans notre pays.

M. le Président - Les propos que vous avez tenus concernent l'ensemble des syndicats ici représentés. Je propose donc que nous en venions très rapidement aux questions, et je vais donner la parole à nos rapporteurs et aux autres collègues.

Je veux vous assurer que nous abordons ces travaux -car nous n'avons pas commencé depuis très longtemps- avec beaucoup de sérieux, chacun porteur de ses engagements, mais sans idée préconçue. Si nous en avons, nous abordons ces travaux avec l'idée de passer nos idées au crible de l'examen à l'aide des auditions auxquelles nous procédons. En tout cas, nous ne préjugeons pas les conclusions qui seront les nôtres. Vous pouvez en être assuré.

Nous ne sous-estimons pas non plus la difficulté de notre tâche. Le sujet est complexe, vaste, et nous avons beaucoup à faire en quelques mois. C'est pourquoi il est utile d'entendre les uns et les autres.

La parole est au rapporteur.

M. Francis Grignon, rapporteur - Moi aussi, je voudrais faire une déclaration liminaire. C'est vrai, monsieur le secrétaire général, vous nous avez indiqué que certains pensaient que cette commission était faite pour réduire les moyens de l'éducation nationale. Je voudrais dire que pour ma part, -je tiens à le dire fortement- je cherche d'abord à comprendre, à savoir comment sont organisées les choses, à voir s'il y a une bonne adéquation entre besoins et moyens, et éventuellement, apporter des idées pour améliorer le fonctionnement.

Dans cette optique, je voudrais savoir quel est le rôle de votre organisation et de vos organisations syndicales dans l'organisation de ces moyens en fonction des besoins avant et après réforme de la déconcentration du mouvement. Cette réforme étant celle qui se met en route actuellement.

Quel est le nombre de permanents à temps plein ou non, provenant de l'éducation nationale, enseignants ou pas, dans vos organisations ? Question annexe : j'aimerais savoir s'il est impératif d'y avoir des enseignants ? N'est-il pas dommage d'avoir formé des gens pour être enseignants et de les voir dans des organisations qui les éloignent de leur vocation initiale.

J'aimerais un avis qualitatif, plus que quantitatif, pour savoir s'il est nécessaire que des gens dans des organisations qui ne sont pas directement sur le terrain soient des enseignants.

Ensuite, y a-t-il dans vos organisations des responsables syndicaux avec des activités d'enseignement à temps partiel ? Est-ce compatible ? Est-ce souhaitable ?

Vous avez parlé de pilotage à vue. Nous savons qu'il y aura des départs massifs à la retraite. Cela est-il de nature à mieux réorganiser l'adéquation entre les moyens et les besoins ? Pensez-vous que c'est le moment d'en profiter pour avoir une vue d'ensemble à plus long terme que d'habitude dans cet objectif ? Vous avez parlé aussi des emplois-jeunes. Comment pensez-vous que nous allons sortir de ce dispositif dans 5 ans ?

Concernant l'adéquation moyens-besoins, vaut-il mieux continuer à recruter des maîtres auxiliaires, à jouer sur les heures supplémentaires ? On nous a indiqué que cela correspondait à environ 40 000 enseignants. Quand on dit dans le secteur privé qu'il faut établir les 35 heures pour créer des emplois, on aurait alors 40 000 équivalents temps pleins traités à travers les heures supplémentaires dans l'éducation nationale.

Toujours dans cette optique d'adéquation des besoins aux moyens, pensez-vous qu'il soit plus judicieux de simplifier les programmes ou de réorganiser le système ?

M. Michel Deschamps - La plupart des questions portent sur le second degré. Je propose que Mme Vuaillat réponde, d'autant plus qu'elle est un bon exemple de responsable syndicale qui continue à avoir des activités d'enseignement. Cela constituera une réponse à une partie de votre question.

Mme Monique Vuaillat - Avant de répondre directement aux questions, permettez-moi d'approfondir la situation dans le second degré.

Cette situation dans le second degré présente les caractéristiques générales qu'a énoncées M. Deschamps, mais je voudrais aborder plus précisément ce point sous plusieurs autres angles.

Concernant le rapport entre besoins et moyens créés par les budgets, contrairement à ce qui se dit, nous ne sommes pas dans une phase de diminution des effectifs à scolariser dans le second degré. Il y aura sans doute un effet de tassement démographique dans les prochaines années, mais il sera largement compensé si cette politique est conduite, par une progression de la scolarisation. Nous ne sommes pas en situation où l'on est à saturation des besoins, où l'on a pourvu tous les besoins en recrutements d'enseignants.

Nous sommes sortis de la crise aiguë de recrutement d'enseignants de second degré des années 70, mais nous avons encore des pénuries très importantes dans certaines disciplines. En particulier, -je réponds en cela à l'une de vos questions - c'est sans doute l'un des secteurs dans lequel sont le plus mal couverts les besoins de remplacements. Nous estimons à 2 % le volume d'enseignants titulaires qui assurent des remplacements. Nous apprécions les besoins en remplacement à un niveau qui devrait être porté au double au moins, c'est-à-dire 5 à 6 % de titulaires remplaçants.

Les conséquences sont très concrètes. Le ministre a beaucoup insisté -celui-ci en tout cas- sur " pas de classe sans professeur ". Il faut que vous sachiez qu'en moyenne, les enseignants de second degré ne sont pas remplacés à moins de 3 ou 4 semaines de congé par défaut de titulaires remplaçants.

Deuxièmement, une grande partie des besoins d'enseignement sont couverts par les heures supplémentaires qui, contrairement à ce qui a été dit dans l'opinion publique, sont des heures faites en présence d'élèves pour la très grande majorité d'entre elles. Le volume est de 718 000 dont la décomposition se fait de façon précise : 532.000 heures supplémentaires, 113.000 heures de suppléance, 36.000 heures d'interrogation, 9.370 heures ATOS spécifiques, 18.000 heures de cours conférences et vacations. Cela donne un total de 718 000 heures. Cela pose des problèmes dans la gestion des personnels. Je reviendrai sur cet aspect.

En matière de recrutement, nous ne sommes pas sortis de la crise de recrutement sur des disciplines très précises. On ne recrute pas assez pour les sciences de la vie et de la terre, les sciences physiques ; on recrute alors des maîtres auxiliaires.

La pénurie d'enseignants titulaires alimente à nouveau le recrutement d'auxiliaires. Nous ne sommes pas d'accord, pour répondre très précisément à votre question, sur l'idée qu'il faudrait garder un volant d'auxiliaires. La plupart des besoins sont connus, stables, programmables comme les départs à la retraite, les besoins liés à la nécessité d'assurer des heures d'enseignement, les besoins liés à la nécessité de remplacer des enseignants.

Statistiquement, on peut fort bien établir la programmation de ces recrutements. C'est par abus d'une politique que l'on continue à recruter des auxiliaires. Il faut intégrer dans les besoins de recrutement une réponse à ces trois grands besoins. Il faut aussi intégrer à ces recrutements la nécessité de transformer les heures supplémentaires en emplois.

En sciences de la vie et de la terre, on est en situation déficitaire. En sciences physiques, après avoir connu une abondance de professeurs de physique suite à la suppression de cette matière en 5ème dans les années 80, nous nous trouvons en situation de pénurie avec le rétablissement de la physique en 5ème.

En langues vivantes, nous sommes en situation de pénurie au point que cela freine le développement et l'amélioration des enseignements des langues vivantes aujourd'hui avec la réforme des lycées. C'est une insuffisance de recrutement qui touche toutes les langues, aussi bien l'anglais, l'espagnol, etc.

Il y a également pénurie dans l'enseignement technologique. Je passe sur l'énumération.

Concernant la situation des personnels, on nous a beaucoup dit -et vous avez peut-être été sensibles à cette argumentation- que tous les besoins étaient couverts et que la preuve en était qu'il y avait des enseignants titulaires sans postes. On a argumenté sur cette question pour expliquer qu'on avait trop recruté.

Il faut faire attention à bien analyser les causes de cette situation. Dans quelle situation sommes-nous ? Nous avons 41 000 titulaires académiques qui ne sont pas titulaires de postes, d'emplois budgétaires, et qui sont donc mobiles. Parmi eux, il y a 36 000 certifiés et agrégés. Quand on regarde comment ils sont employés, 76 % occupent des postes qui ont la caractéristique d'être des postes non définitifs.

Une pratique s'est développée dans la gestion des moyens, qui est anormale. Elle consiste à se donner de la souplesse dans le système et à déclarer que des postes sont provisoires, ce qui permet de les supprimer sans problème et sans avoir à respecter aucune garantie pour les personnels.

76 % des TA (titulaires académiques), sont en postes. 1500 certifiés, soit 4 %, sont sur des postes à l'année en lycée professionnel, ce qui indique un déficit de recrutement d'enseignants pour les lycées professionnels. C'est une situation anormale que nous dénonçons en commun avec le SNETAA. 20 % de ces titulaires académiques sont affectés à l'année sur zones de remplacements ou rattachés à des lycées et collèges dans l'attente d'un remplacement.

Il y a une situation complètement anormale, au moins pour les 76 % de ces titulaires académiques qui devraient être affectés sur postes, parce qu'ils répondent à des besoins.

Cela découle d'une difficulté de gestion qui n'avait pas été traitée correctement par l'administration centrale, en particulier la difficulté liée à la progression des enseignants à temps partiel qui laisse des quotités de temps partiel de côté, qui ne font pas cette partie du service. Elles sont regroupées sous la forme d'un regroupement de rompus de temps partiel. On affecte des gens qui ne peuvent être titulaires. Nous avons des solutions pour éviter ce problème que l'on pourra détailler si vous le souhaitez.

Deuxième aspect de la question : toute une partie de ces titulaires académiques devrait être titulaires d'un poste de remplacement et donc affectés sur zone, en situation de stabilité.

Peut-on dire qu'il y a un trop plein d'enseignants quand on constate qu'il y a des enseignants en réserves pour assurer des remplacements ? Notre réponse est non. Evidemment, il y a des périodes durant lesquelles ils ne sont pas en charge de cours et dans l'attente d'un remplacement, mais il est tout à fait normal qu'il y ait ces réserves. Si elles n'existent plus, par pénurie de titulaires remplaçants, on est obligé de faire appel par petites annonces -comme certains rectorats le font aujourd'hui- à des enseignants non titulaires pour assurer les remplacements.

Cette insuffisance de titulaires remplaçants explique que nous ayons encore 25000 maîtres auxiliaires dans le second degré et, alors que des directives ministérielles ont été données sous le précédent ministre pour qu'il n'y ait plus de recrutement d'auxiliaires, que nous recrutions encore 3.000 enseignants contractuels vacataires par an. Cela illustre aussi cette pénurie. Pas de trop-plein mais mauvaise gestion, et des emplois et des personnels.

Pour répondre à votre question, oui, nous voulons la disparition de l'auxiliariat. Et nous pouvons le faire, par des mesures de titularisation et par l'arrêt définitif de ces recrutements.

J'ajoute que sur l'aspect précarité aujourd'hui, les non-titulaires que nous recrutons, sont des non-titulaires encore plus précaires qu'antérieurement puisqu'on nous a inventé les contractuels 200 heures ou les vacataires. C'est-à-dire des contractuels qui ne font que 200 heures et que l'on remercie au bout des 200 heures, quitte à les reprendre 8 ou 15 jours après pour qu'ils entrent à nouveau dans un contrat de 200 heures. La spécificité de ces contrats est qu'ils ne donnent aucun droit.

Parfois, nous pouvons nous croire revenus au Moyen Age dans la fonction publique. Je l'ai constaté hier à Pau, dans un GRETA où nous trouvons des contrats de 200 heures sans droits au chômage, sans droits à la prise en compte de ces heures faites pour des processus de titularisation. Dans la formation continue, c'est encore pire : ce sont des contrats de droit public qui sont gérés comme dans la pire des entreprises privées et avec des baisses de quantité de travail à faire en fonction des fluctuations des ressources etc. Je ne détaille pas, mais il y a un gros problème. Environ 5 à 6000 contractuels dans la formation continue des adultes sont sans droits et sans perspectives. Et pourtant, il y a de la formation continue à faire.

A cet égard, nous pensons qu'il est anormal qu'on ne prenne pas en compte les besoins de formation des adultes dans le service public alors que c'est une de ses missions. Le budget ne prend pas en compte ces aspects. Il y a là une situation complètement anormale !

Je n'ai pas très bien compris le sens de la question sur la déconcentration du mouvement des personnels du second degré.

M. Francis Grignon, rapporteur - Je peux la préciser. Je voulais comprendre votre rôle dans la façon de gérer le mouvement avant, et maintenant, avec la déconcentration.

Mme Monique Vuaillat - Tout d'abord, je ferai un bref rappel des raisons pour lesquelles nous sommes en désaccord avec ce processus.

Nous sommes dans le second degré. Nous avons à recruter des enseignants et à gérer un personnel spécialiste de discipline. Nous constatons qu'il y a encore une très grande inégalité entre les régions pour disposer des viviers suffisants pour alimenter les besoins en professeurs de chacune des académies dans toutes les disciplines.

En sciences de la vie et de la terre, 16 % des admis proviennent de l'académie de Lyon tandis qu'Amiens n'en fournit presque pas. Il faut répartir encore de façon nationale les personnels recrutés, sauf à dire que tous les enfants de toutes les régions n'auront pas les professeurs compétents pour enseigner toutes les disciplines.

La déconcentration du mouvement en apporte une preuve supplémentaire car, contrairement à ce qui a été déclaré, les jeunes enseignants sortants d'IUFM vont être contraints à un mouvement national. Ils ne resteront pas sur place pour l'essentiel d'entre eux. C'est en particulier le cas pour les jeunes issus des académies qui produisent beaucoup d'enseignants comme Rennes, Bordeaux, Toulouse, Montpellier ; ils seront obligés par un mouvement national d'aller enseigner à Créteil, Versailles, Amiens qui sont des académies déficitaires.

Il y a donc nécessité d'une répartition géographique. A partir de ce moment-là, nationalement, il faut permettre aux gens de revenir. Quant à la déconcentration du mouvement, nous disons -et toutes les informations que nous avons aujourd'hui le montrent- que cela va restreindre la mobilité géographique des enseignants et restreindre les mutations inter-académiques.

Deuxièmement, le gros problème de la gestion des personnels, ce sont ces 41 000 titulaires sans postes. Ce n'est pas parce qu'on déconcentre le mouvement que l'on va résoudre le problème. S'ils ne sont pas titulaires d'un poste, cela provient du décalage entre les personnes et les moyens budgétaires dégagés. Cela ne résout aucun des ces problèmes.

Quant à la question de savoir quel est le rôle des élus du personnel dans le cadre de la déconcentration des mouvements, je vais vous répondre tout à fait nettement, contrairement à ce qui s'est dit ici ou là, que les élus du personnel sont représentés dans des commissions paritaires nationales et académiques. A partir du moment où la déconcentration n'a pas pu se faire en faisant abstraction d'une consultation nécessaire des commissions paritaires académiques, il y aura contrôle par les élus.

Pour ce qui concerne le SNES, comme il est majoritaire, il jouera son rôle tant au plan de la commission paritaire nationale que de la commission paritaire académique.

Une petite remarque, vous qui êtes soucieux de la bonne utilisation des moyens dégagés par l'Etat, ce que nous faisions avec 100 personnes au plan national, nous allons le faire avec 25 fois 58 personnes. En matière de dégraissage du "mammouth", cela pose un petit problème.

M. le Président - C'est la première fois que l'on nous cite ces chiffres.

Mme Monique Vuaillat - Cela pose deux problèmes. Cela mobilisera une grande partie de l'administration rectorale pendant plusieurs semaines, mais aussi une plus grande partie des élus, tous enseignants, qui vont quitter leurs classes pour assumer leurs fonctions. Ils devront donc être remplacés.

Dernier point, sur les décharges, pour ce qui concerne le SNES, je peux vous dire qu'à trois exceptions près, il n'y a aucun déchargé complet parmi les militants du SNES, au niveau académique ou national. Tous les responsables du SNES, académiques et nationaux, sont des enseignants en exercice par choix et par principe.

Quand vous nous demandez si c'est une bonne chose ou une mauvaise, nous considérons que c'est l'un des éléments importants que de garder un pied dans les classes. Cela suppose que l'on organise le service pour être remplacés, ce qui est le cas généralement, à l'exception de plusieurs catégories qui sont mal remplacées, comme les documentalistes, les conseillers principaux d'éducation et les conseillers d'orientation psychologues. Ces gens font entre 30 et 39 heures et, souvent, ne sont pas remplacés. Cela pose problème. Quand on s'en va pour assumer des responsabilités syndicales et qu'on retrouve tout le travail à faire en rentrant dans l'établissement, ce n'est pas satisfaisant.

Les décharges sont attribuées sur des critères transparents pour ce qui concerne les organisations syndicales, régies par des textes, fonction de la représentativité des organisations syndicales. Je vous renvoie donc aux textes. Je vous remettrai un document pour dire combien il y a de déchargés pour ce qui concerne mon organisation. Cela se fait dans une transparence totale. On ne peut pas dire que ce soit très important.

Il est possible qu'il y ait dans le second degré des enseignants qui bénéficient d'autres types de décharges pour faire fonctionner l'institution : décharges pour assumer des responsabilités dans les MAFPEN, organismes rectoraux qui gèrent la formation continue. Il y en a aussi pour des gens qui, par exemple, mettent en place les réseaux informatiques. Ils ont donc des activités professionnelles, utiles et indispensables au bon fonctionnement de l'institution, qu'ils combinent avec leur activité dans la classe. Je ne crois pas que l'on puisse rechercher là des dérives en matière d'utilisation du potentiel de moyens.

Il y a à la fois insuffisance de moyens et mauvaise gestion. Nous avons, pour notre part, avancé des propositions qui n'ont jamais été prises en compte.

M. Francis Grignon, rapporteur - Il y avait une question sur les départs massifs à la retraite.

Mme Monique Vuaillat - Nous aimerions qu'il y ait une plus grande transparence et des chiffres fiables pour mesurer ces départs. C'est un sujet qui ne devrait pas connaître d'aléas. Tout le monde connaît les dates de naissance, l'histoire des carrières ; l'administration centrale et les rectorat peuvent le dire. Aussi est-il curieux de voir des chiffres qui peuvent varier du simple au double quand on nous donne le nombre prévisible des départs à la retraite.

Quelques aléas se produisent actuellement qui ont comme conséquence pour certains collègues de retarder leur départ à la retraite. C'est en particulier l'attente de promotion qui nécessite un temps d'exercice. Cela peut s'expliquer par des causes sociologiques, avec le coût que représente maintenant les enfants qui vont à l'université pour certaine familles qui amène certains de nos collègues à prolonger leur carrière. Cela fait varier un peu les départs à la retraite, mais c'est un chiffre qui devrait être connu et transparent et qui ne l'est pas complètement. Cela aiderait à la programmation des recrutements.

Il faut voir la répartition géographique du corps enseignant. Il y a des différences de moyenne d'âge entre académies, académies du sud et académies dites déficitaires.

Il y a un nombre important de personnels du second degré qui partiront en retraite dans toutes les académies du sud dans les 4 à 5 années prochaines. C'est à la fois bien, car cela va permettre un mouvement plus ample. Cela facilitera la mobilité inter-académique qui risque d'être freinée par la déconcentration du mouvement. Cela nécessite aussi que l'on sache anticiper les recrutements par rapport à ces futurs départs à la retraite.

Je rappelle qu'un enseignant du second degré se forme en cinq ans ; il faut donc prévoir. Nous ne comprenons pas pourquoi on gère les recrutements de façon annuelle. Il faut absolument qu'il y ait une anticipation des besoins de recrutement liés aux départs à la retraite au moins à échéance des 5 ou 10 prochaines années. Cela permettrait de ne pas avoir de surprise et de ne pas voir de coup d'accordéon et de ne pas se trouver dans une situation de pénurie importante d'enseignants au cours de cette période qui va connaître un important renouvellement du corps professoral.

On nous l'avait promis dans la loi de 1989 et cela n'a jamais été fait. C'est anormal.

Présidence de M. Jacques LEGENDRE, vice-président

M. Bernard Pabot - J'ajouterai quelques données spécifiques à l'enseignement professionnel par rapport à un bilan général du second degré qui ne pose pas d'état d'âme particulier à mon organisation.

Il me faut souligner d'abord une première dimension : manifestement, l'éducation nationale, en matière de formation professionnelle, n'assume pas la totalité des objectifs fixés par la loi de 1989. Cette loi, à ma connaissance, a été largement votée par toutes les composantes de la Nation à la fois en expression politique et culturelle. Elle a assigné d'une part un objectif de 80 % sur lequel on fait beaucoup de bruit, et un objectif plus sérieux qui nous semblait être celui de 100 % d'élèves à un niveau 5 de qualification.

A l'heure où s'approche un projet de loi sur la formation professionnelle qui met en relief de l'autre côté de la barrière, du côté des adultes, une situation de 40 % du monde du travail qui n'a pas un minimum de qualification de niveau 5, à une époque où tout le monde place les enjeux technologiques et professionnels sur le devant de la scène, il faut se poser des questions sur l'enjeu national de la formation professionnelle initiale. Il ne peut pas se résoudre par des combats idéologiques qui par ailleurs laissent sur le carreau 60.000 élèves parmi les situations les plus dures de conflit, 150.000 au total si on compte ceux qui sortent du système éducatif sans avoir une certification reconnue.

Cette question est posée, notamment par la relance européenne des écoles dites de seconde chance. Je crois qu'il y a des questions de fond sur "l'investissement" éducatif en matière de formation professionnelle. Je mets le terme investissement entre guillemets.

La deuxième réalité que je voudrais évoquer est celle des enseignants : vous avez parlé des personnels sans poste. Il y a une réalité particulière : nous sommes de ceux qui connaissent une forte " flexibilisation " des formations. L'enseignement professionnel n'aurait pas de sens s'il avait des éléments de rigidification permanents, à savoir s'il n'était pas capable d'évoluer en fonction des techniques et des emplois. Dans ce schéma, les régions élaborent des schémas directeurs. L'enseignement professionnel ouvre et ferme des sections, mais on a une carrière pour 40 ans. De ce point de vue, la dimension formation des enseignants est essentielle si l'on veut pouvoir faciliter leurs adaptations futures, voire leur changement de spécialités.

La question de la formation professionnelle des enseignants du professionnel est essentielle. Il y a quelques années, nous disposions de formations lourdes. Il était possible pour un enseignant de demander plusieurs mois, voire un an, dans une entreprise dans un contexte de formation donné pour améliorer sa qualification, pour la redéployer.

Ces questions ont été largement abandonnées et nous souhaitons que l'on puisse y revenir. C'est-à-dire que l'on aura un enseignement technologique performant -je devrais dire un enseignement professionnel performant- quand on sera sûr que dans tous les cas, on aura fait l'investissement pour les personnels de qualité.

En même temps que les personnels de qualité, il faut aussi relancer le retour d'un certain nombre de personnel d'entreprise sur l'éducation. Les concours le permettent. Il y a deux voies d'entrée : la voie universitaire des formations technologiques et des rares licences qui existent en matière professionnelle, et une voie qui est celle de la prise en compte de position de cadre, disposant d'une expérience qui souhaite s'investir dans l'éducation. Nous souhaitons pouvoir relancer cet aspect et rééquilibrer les recrutements.

C'est en ce sens que nous avions souhaité relancer les titularisations dans des secteurs de métiers dans lesquels il n'y avait pas de titulaires. C'est une affaire réglée après des années de débat. On a ouvert des concours dans une cinquantaine de métiers qui sont, au sens propre des métiers, et non pas seulement des formations larges de branche. Aujourd'hui, on est en passe d'améliorer la pertinence de la réponse du système éducatif sur certaines questions. Cet effort avait été engagé sous le gouvernement précédent et s'est poursuivi. C'est un bon point.

Je voudrais rappeler la troisième question. Nous sommes attachés à l'intégration au système éducatif de l'enseignement professionnel, mais en même temps, nous sommes attachés à ce qu'il ne perde pas sa dimension d'ouverture sur l'extérieur, d'adaptation aux réalités et aux évolutions. De ce point de vue, il y a des spécificités, des originalités. C'est en ce sens que nous nous battons pour que l'on ait une réponse dans l'éducation et une réponse qui soit négociée, discutée, ouverte.

Le débat qui s'enclenche sur la question de la prise en compte des compétences, telle qu'elle est demandée par l'UNEF, mérite d'avoir lieu. Le débat est d'ailleurs largement lancé. Je crois qu'il y a un enjeu national pour la formation professionnelle initiale.

Je terminerai par deux ou trois indications. Vous évoquiez l'auxiliariat. Nous avons 62.000 enseignants titulaires. D'après la dernière statistique déclarative des enseignants, il y aurait 6.000 enseignants non titulaires dans les disciplines professionnelles, 2.500 dans les disciplines générales plus l'apport et le renfort de personnels certifiés ; je serais tenté de dire nommés en dehors de leur contexte comme l'a souligné Monique Vuaillat. Cela fait de l'ordre de 17 ou 18 % de la situation des personnels qui ne correspondent pas à des personnels formés et qualifiés stricto sensu, quelles que soient les compétences ou les expériences industrielles qu'ils mettent individuellement en oeuvre dans leur emploi.

Il n'est pas question de critiquer leur travail, mais de se dire qu'en même temps, il faut qu'il y ait un encadrement de ces personnels, une première formation. Le fait que l'on n'enseigne pas quand on enseigne la formation professionnelle ne dispense pas de jeter un regard particulier sur la pédagogie que l'on applique. Dieu sait que les élèves de l'enseignement professionnel ont une pédagogie particulière, difficile à gérer.

De ce point de vue, le dispositif actuel des IUFM ne donne pas complètement satisfaction ; il a largement pris de la distance en négatif par rapport au précédent dispositif de formation des écoles normales d'apprentissage. Je crois qu'il y a là des choses à revoir.

Par rapport aux décharges syndicales, nous sommes 6 permanents au sens permanent du terme -dont moi-même, qui ai exercé 11 ans à mi-temps entre un poste de conseiller en formation continue et un poste de responsabilité nationale syndicale. Je n'ai abandonné mon poste que quand je suis devenu secrétaire général. 210 personnes relèvent de décharges syndicales diverses et variées, que cela soit pour apporter des collaborations nationales ou des collaborations en responsabilités ou en aides à l'échelon académique.

M. André Vallet, rapporteur adjoint - Monsieur le président, je voudrais rappeler, au nom des rapporteurs, que notre commission -M. Grignon l'a dit tout à l'heure-, contrairement à ce que j'ai cru comprendre monsieur Deschamps de votre propos, n'a pas pour objet de souligner les carences ou les insuffisances de l'éducation nationale, mais de mieux assurer la gestion du personnel. C'est donc une aide que nous voulons vous apporter et non pas un élément critique à l'encontre du personnel de l'éducation nationale que nous voulons complètement rassurer quant aux objectifs que s'est fixés cette commission d'enquête.

Il y a un point qui m'a étonné et que je me permets de relever. Vous avez dit dans votre propos liminaire que nous ne sommes pas le pays qui consacre le plus pour l'éducation nationale, et que bien d'autres font un effort supplémentaires. C'est une petite contradiction que je me permets de relever : d'autres personnes, hauts fonctionnaires du ministère entendus précédemment, nous ont indiqué que votre propos était valable pour l'enseignement supérieur, mais certainement pas pour l'enseignement primaire et l'enseignement secondaire.

C'est un débat que je ne veux pas ouvrir, mais qu'il serait intéressant d'avoir. Il faudrait peut-être que notre commission puisse mesurer -encore que cela soit très difficile- l'effort de notre pays pour l'éducation nationale comparativement notamment aux autres pays européens.

Vous avez à plusieurs reprises indiqué, et nous sommes nombreux à partager ce point de vue, que ce système des maîtres auxiliaires n'est certainement pas la meilleure réponse que l'on puisse donner au problème de remplacement. Nous avons constaté qu'il y avait une rigidité considérable dans le fonctionnement de l'éducation nationale.

J'aimerais que vous nous indiquiez vos contre-propositions, puisque vous ne voulez pas des maîtres auxiliaires et qu'il faut éviter cette rigidité et assurer les remplacements. Que faut-il faire ? Avez-vous des propositions en ce domaine ?

Autre point précédemment évoqué sur lequel j'aimerais avoir votre point de vue : les classes de niveau. On nous dit qu'elles n'existent pas par les textes, mais que peu à peu, dans de nombreux établissements scolaires, de façon quasi clandestine, elles se reforment. On met d'un côté les meilleurs élèves et de l'autre les plus faibles. Qu'y a-t-il de vrai et quel est votre point de vue ?

Par ailleurs, ne pensez-vous pas que la formation des enseignants devrait être revue et adaptée afin que cela puisse répondre aux différents besoins des élèves, acquisition des savoirs, mais aussi apprentissage des règles élémentaires de la vie en société ? Vous paraît-il envisageable, pour les formations professionnelles ou technologiques les plus pointues, de faire appel à des professionnels qui ne soient pas issus de l'éducation nationale, mais qui ont cette formation très pointue que l'on ne trouve peut-être pas parmi les enseignant ? Je parle d'un pourcentage très faible et de formations très particulières.

Vous avez indiqué qu'au niveau des décharges syndicales, vous vous conformiez aux textes. Je pense que oui. Y a-t-il, de votre point de vue, des particularités des textes de l'éducation nationale par rapport aux autres administrations du pays ? L'éducation nationale est-elle favorisée ou défavorisée ? Y a-t-il une particularité du système de décharge syndicale pour l'éducation nationale ?

Y a-t-il, de votre point de vue, d'autres permanents dans d'autres organisations de l'éducation nationale péri ou post-scolaires, associations, mutuelles, divers services qui concourent à l'éducation ?

Enfin, vous n'avez, ni les uns ni les autres, répondu à une question qui nous interpelle fortement. C'est le devenir des emplois-jeunes d'ici cinq ans. Comment le voyez-vous ?

Je terminerai par un constat qui ne se veut pas laudateur : l'enseignement privé et l'enseignement agricole semblent moins touchés par les dysfonctionnements que ne l'est l'éducation nationale lors de chaque rentrée scolaire. C'est surtout dans l'enseignement public que nous constatons, les uns et les autres, quelques problèmes.

Dernier point, nous avons été étonné de constater que dans un même établissement scolaire, selon la formation initiale que l'on a eue, le nombre d'heures de présence devant les élèves n'est pas le même. Y a-t-il une justification à cette situation ?

M. le Président - J'attire votre attention que cette audition doit se terminer à 16 heures 30. La dernière commence à 18 heures 30. J'ai encore deux demandes de parole de M. Carle et de Mme Luc. Il conviendrait donc de concentrer les questions pour que nous puissions avoir des réponses dans les délais.

M. Jean-Claude Carle, rapporteur adjoint - Madame Vuaillat, vous nous avez dit qu'il y avait pénurie de personnels dans certaines disciplines. Il y a sûrement surabondance dans d'autres disciplines. Pensez-vous que, non pas la polyvalence, mais au moins la bivalence de certains personnels pourrait permettre de réduire cette inadéquation ? Quel est votre sentiment sur ce point ?

Mme Hélène Luc - Tout à l'heure, mon collègue a fait remarquer que notre commission d'enquête porte sur la situation et la gestion des personnels. Nous nous occupons forcément du nombre d'enseignants nécessaires au bon fonctionnement du système éducatif. Je l'ai dit au ministre de l'éducation nationale, donc je veux le dire devant les enseignants : l'évolution des effectifs enseignants est sans rapport avec l'évolution des besoins. Les enseignants ont donc une lourde charge avec le doublement de l'accès d'une classe d'âge au baccalauréat, l'évolution des savoirs, les nouveaux besoins de l'école générés par la crise et l'exclusion, le développement des ZEP ; autant de facteurs qui nécessitent l'augmentation du nombre d'enseignants.

Si je dis cela, c'est pour la suite. Le problème du gel de l'emploi public me préoccupe énormément, et je sens qu'en Seine-Saint-Denis, et dans les DOM, il y a une préoccupation très forte quant aux engagements qui ont été pris et qui ne sont pas encore réalisés. Cela pose problème. Peut-être que les syndicats pourront dire ce qu'ils en pensent.

Tout tourne en fait, pour moi, autour du taux d'encadrement des élèves, c'est-à-dire du nombre d'enseignants et de leur formation, donc de leurs conditions de travail. Je pense en effet que des élèves que l'on conduit à la réussite scolaire ont beaucoup plus de chances de s'intégrer dans la société.

Je connais pas mal d'exemples d'enfants pour lesquels il aurait été opportun de travailler en petits groupes. Comme disait le ministre : "abandonner la calculette et les faire travailler en groupe", y compris avec des classes de 18. Je pense à l'enseignement primaire où il y a encore des classes de 30 élèves. Tels que sont les enfants aujourd'hui, surtout dans certaines communes, je ne crois pas que l'on puisse mener ces enfants à la réussite.

Ce qui me préoccupe, c'est de savoir comment on va résorber complètement l'emploi précaire. Je viens de lire le document qui nous a été remis. Il y a des pourcentages, des chiffres. Mais pour moi, c'est l'un des problèmes les plus importants.

Il en va de même avec l'ouverture du nombre de places aux concours, car si l'on veut résorber l'auxiliariat, il faut augmenter ce nombre.

A-t-on une idée précise de l'étendue de l'emploi précaire et quelles mesures seraient envisageables dans le cadre de cette résorption ?

Sur la formation continue, celle-ci appelle un accroissement du nombre des postes pour être menée à bien sans désertion dans les classes. Est-on capable d'évaluer les besoins en postes à ce titre ?

Depuis que le ministre a prononcé les paroles qui se sont retournées contre les enseignants -ce qui n'était pas une bonne chose- il y a une psychose incroyable dans les écoles. On m'a cité hier l'exemple d'une enseignante qui n'a pas assisté aux obsèques d'un enfant en raison du refus de son principal d'être absente de sa classe. Une élève a demandé à la professeur pourquoi elle n'était pas à l'enterrement. Les élèves ont été choqués que le professeur ne soit pas à l'enterrement de cet élève. Cela fait aussi partie de l'éducation civique.

J'aimerais que vous disiez ce que vous pensez de la formation des personnels de l'enseignement technique dans les IUFM. Pensez-vous que cela soit adapté ? Quelles sont les incidences des heures supplémentaires sur la gestion du personnel enseignant ?

Sur l'enseignement professionnel, en tant que rapporteur, j'ai souligné que le ministre avait pris des grandes options, qu'il avait dit qu'il en ferait la priorité des priorités. Je sais qu'un document vous sera remis pour être discuté par tous les syndicats. Avez-vous des choses particulières à nous dire à ce sujet ?

D'autre part, avez-vous un avis sur ce qui est en discussion à propos de la sécurité, sur les élèves qu'il faudrait couper de leur milieu ? Que pensez-vous de ce que M. Chevènement a dit dimanche ? Je réfléchis, je demande un avis. Je n'ai pas de réponse toute faite. Je comprends que certains élèves sont des meneurs de bandes ; comment faire ? J'aurais encore beaucoup de questions, mais nous n'avons pas le temps. Je vais donc à l'essentiel.

M. le Président - M. Pabot a rappelé la possibilité pour certains professionnels qualifiés d'intégrer les services de l'éducation nationale. Quelle est la position de votre organisation dans le cadre de la formation permanente de ces enseignants quant à la possibilité -cela a été fait à l'époque de M. Beullac- pour les enseignants du technique de retourner en stage pour retrouver une expérience de l'entreprise ?

M. Daniel Le Bret - Je voudrais juste répondre à des questions qui n'ont pas été posées s'agissant du premier degré. Je ne sais pas si c'est parce qu'il y a transparence totale que vous ne posez aucune question sur le premier degré. Même si l'on ne me demande rien, j'en profiterai pour dire un mot.

J'ai lu les comptes rendus de la commission. Par rapport aux chiffres qui ne seraient pas transparents, il faudrait être sérieux. Chaque inspecteur d'académie pour le premier degré est capable de donner à l'unité près, la répartition des postes et des emplois de chaque instituteur payé par l'éducation nationale ! Des postes qui seraient secrets et qui ne seraient pas comptabilisés par les inspecteurs d'académie, cela n'existe pas. Vous avez, au niveau national, avant à la direction des écoles, aujourd'hui à la DESCO, le décompte total des enseignants. Qu'ils soient détachés ou pas, ce chiffre existe. Evidemment, je suis étonné de voir que dans plusieurs interventions, on se pose la question.

La structure du corps a changé par rapport à il y a 20 ans. La majorité des instituteurs étaient dans leur classe. On a inventé aujourd'hui l'enseignement spécialisé qui n'existait pas il y a 30 ans. Aujourd'hui, ce sont des maîtres qui apportent une aide à des enfants en grande difficulté et qui ne sont pas devant une classe.

On a aussi inventé les conseils pédagogiques pour accueillir les jeunes qui sortent de l'IUFM et pour leur donner un coup de main dans leur premier poste. Ce sont des postes qui ne sont pas directement devant une classe. Notre enseignement s'est donc diversifié. On a inventé les ZEP en 82 et il y a des postes de soutien en ZEP qui n'existaient pas auparavant.

Evidemment, il y a aujourd'hui plus d'enseignants qui font un travail hors la classe, car des besoins nouveaux ont été reconnus.

En termes de gestion, si cette commission peut aider à quelque chose, c'est de dire que c'est une gestion "d'épicier". Il n'y a pas une approche prospective. La carte scolaire et les recrutements sont faits chaque année, année après année. Il ne peut pas y avoir de climat de confiance. Je prends l'exemple de la carte scolaire qui voit chaque mois de janvier, les élus que vous êtes, et d'autres, défiler avec les manifestants pour empêcher les fermetures des classes. Ce n'est même pas pensé sur une durée à 5 ans. Chaque année, on réorganise l'ensemble du système avec des ouvertures et des fermetures.

C'est la même chose pour la programmation des recrutements. Nous pensons qu'il y a beaucoup à faire en termes de prospective transparente pour les personnels. On ne demande pas des cabinets d'experts pour gérer la carte scolaire. Il pourrait y avoir une déclaration sur l'évolution du système dans les années à venir, qui intégrerait la baisse démographique, et expliquerait comment les postes récupérés par la baisse démographique peuvent être utilisés pour l'amélioration du système. C'est ce débat qu'il faut avoir aujourd'hui.

On gère l'éducation nationale comme il ne serait pas pensable de gérer une entreprise. Il faut un débat de prospective. Il n'est pas transparent, et d'année en année, y compris avec les changements de gouvernements et les changements de politique, il y a des modifications importantes.

Dans les dernières années, les postes que nous avions obtenus, autorisaient des congés formation : un instituteur ou un professeur des écoles avait la possibilité durant un an d'avoir une mobilité dans une entreprise pour revenir ensuite dans son métier et le faire ainsi évoluer. Ces congés mobilité pour aller en entreprise, et les congés formation permettent d'accéder à des formations en université ont été quasiment supprimés.

C'était évidemment consommateur de postes. On a récupéré ces postes. On a eu une approche de comptable et le métier d'instituteur et de professeur des écoles souffre de son manque d'ouverture.

En matière de prospective, les enfants qui sont dans nos classes aujourd'hui seront dans la vie active en 2025. Cette commission doit prendre conscience que les experts sont incapables de dire quelles seront les structures des métiers en 2025. La seule chose qui est sûre est qu'il y aura besoin d'un haut niveau d'intelligence et de capacité d'adaptation en 2025. On a des choix à faire qui ne dépendent pas du budget actuel, et qui n'ont pas à être raisonnés sur un an ou deux, mais des choix d'investissements lourds sur le long terme pour le premier degré.

Sur la question posée concernant les autres pays, MM. Clinton et Blair viennent de décider de multiplier l'investissement dans l'éducation dans leurs pays. Des chiffres très précis issus de source OCDE montrent que nous sommes pour le premier degré, derrière les Etats-Unis et à un certain nombre d'autres pays. On a bien dans ce pays un problème de développement et les élus de la nation, pas seulement de cette commission, doivent proposer des solutions pour que l'école puisse remplir sa fonction.

Pour conclure, la nation demande à l'école primaire d'assurer l'apprentissage d'une langue vivante dès le plus jeune âge et que les enfants soient formés aux nouvelles technologies. Nous savons bien que ces deux paris ont déjà été tentés. Jean-Pierre Chevènement l'avait tenté et la cour des comptes a montré que l'année suivante, un appareil sur deux était en panne dans les écoles. Aujourd'hui, on ne peut pas rater ce rendez-vous, et pour ce rendez-vous, vous avez besoin de matériel, mais aussi d'enseignants formés qui soient capables de maîtriser les nouvelles technologies et d'enseigner les langues vivantes.

Aujourd'hui, comme le soulignait Michel Deschamps tout à l'heure, la première observation que devrait faire cette commission serait de mesurer le poids de la formation continue par rapport aux autres administrations. C'est la plus grosse erreur de ce système de ne pas mesurer comment la formation continue pourrait modifier le système. Ce n'est un problème de gestion, c'est un problème de conception de l'évolution de ce système. Il y a un système qui n'évolue pas. Il y a des instituteurs qui, pendant 27 ans ou 37,5 annuités, ne sont pas obligés d'aller en formation continue. Cela correspond à l'école de Jules Ferry et certainement pas à l'école du XXIe siècle !

M. le Président - Soyez assuré que votre prise de parole tardive ne traduit pas un manque d'intérêt de la commission pour les problèmes de l'enseignement primaire. Absolument pas.

M. Bernard  Pabot - Je vais repréciser ma réponse. L'un des problèmes de l'enseignement professionnel est d'abord la pédagogie que l'on y met en oeuvre. Ce n'est pas un enseignement qui se décline par discipline.

Vous invoquiez, monsieur Carle, l'interdisciplinarité pour les disciplines générales. Je vous rappelle que les professeurs d'enseignement général sont bivalents dans l'enseignement professionnel. Je ne me prononce pas sur le fait qu'ils le soient ou non dans des secteurs d'enseignement que je ne connais pas.

Non seulement nous pensons qu'ils doivent être bivalents, mais nous pensons que leur formation doit les mettre en contact avec l'enseignement professionnel, et qu'il y a un équilibre à trouver entre l'enseignement professionnel et l'enseignement général avec un centre interdisciplinaire autour de l'enseignement professionnel. C'est pour répondre à Mme Luc dont j'ai suivi avec intérêt les interventions et les rapports.

Ce que nous sentons autour des IUFM, c'est l'abandon de cet esprit. On est en train de décliner les enseignements dans l'enseignement professionnel comme s'ils étaient strictement disciplinaires. Cette conception strictement universitaire de l'enseignement professionnel nous paraît difficile à assumer et de plus en plus dangereuse.

L'idée d'une certaine spécificité de l'enseignement professionnel, notamment ce que nous avons appelé la pédagogie inductive, l'idée qu'il faut accéder au savoir à partir d'un support de l'objet technique, à partir de ses fonctions, à partir de la façon dont on les manipule et de décliner l'abstrait après avoir décliné le concret, c'est une question qui se perd aujourd'hui.

C'est l'une des critiques de fond que nous faisons aux IUFM, à savoir que pour des raisons de moyens, on forme un professeur de lettres anglais des disciplines professionnelles comme un professeur d'anglais des disciplines générales. Ce n'est pas du tout le même débat.

Il y a un débat sur la place des langues vivantes, dans les enseignements professionnels. On sait que l'on va avoir besoin des langues vivantes dans les disciplines d'enseignement professionnel et on mesure bien qu'on en a besoin, notamment pour la mobilité des qualifications en Europe. C'est une question importante, mais on ne peut pas former les professeurs de langues vivantes des lycées professionnels par la seule discipline.

Pour répondre à Mme Luc, nous avons de fortes interrogations sur la façon dont l'IUFM traite la formation des enseignants du professionnel, en étant, nous ne le cachons pas, quelque peu réservés, pour ne pas dire critiques.

Le deuxième aspect des choses, c'est la place des professionnels dans l'enseignement. Je rappelle que le corps des PLP est ouvert à des recrutements de gens venant des entreprises. Nous tenons à cette ouverture et à cette oxygénation.

Reste le problème de la participation des entreprises dans le système éducatif. Des collaborations ponctuelles ont lieu. Je crois savoir que des enseignants, que ce soit dans le technique ou dans le professionnel, invitent des représentants d'entreprises à faire des conférences sur telle ou telle question. Il y a des conférences sur des produits techniques, sur des machines etc.

J'insiste sur un autre aspect qui n'est pas souvent pris en compte. S'il est vrai que l'on peut difficilement faire intervenir un intervenant d'entreprise devant des élèves en grande situation de difficulté, car il y a un problème d'habillage de la présentation, il faut savoir que dans le baccalauréat professionnel, il y a une place réservée dans la diffusion des savoirs dans l'entreprise. Cela nécessite qu'il y ait des gens dans l'entreprise qui l'assument.

De ce point de vue, en entreprise, il y a des tuteurs qui jouent un rôle très particulier dans la formation des élèves, notamment en baccalauréat professionnel qui est le diplôme le plus élaboré en matière de coopération de savoirs entre l'entreprise et l'éducation.

Mme Monique Vuaillat - Sur la question des remplacements, vous demandez quelles sont nos propositions alternatives. Il y a plusieurs types de remplacements : les remplacements longs pour congé de maternité, pour longue maladie etc. et les remplacements de très courte durée liés à des absences qui ne nécessitent pas 8 jours de congé.

Pour les congés assez longs, la réponse est l'emploi de titulaires remplaçants. A moins de 8 jours, c'est compliqué. La ressource peut être le titulaire remplaçant si le maillage est suffisant sur la zone. On peut trouver d'autres palliatifs. La rentabilité d'un remplacement improvisé pour une 1 ou 2 heures par semaine n'est pas évidente au niveau de l'efficacité pédagogique.

Les palliatifs peuvent être, soit les échanges d'enseignants entre eux qui, par accord volontaire, se remplacent. Un professeur de mathématiques peut prendre les heures du professeur de français qui est absent un jour pour faire un complément en mathématiques, lequel lui sera rendu la semaine suivante. Cela se pratique déjà. Il y a le recours à l'activité en CDI quand 1 ou 2 heures manquent. Et parfois, on peut trouver aide auprès d'un étudiant surveillant qui peut amener un soutien à un moment donné.

La seconde question portait sur la formation continue des enseignants. En moyenne, dans le second degré, tous les enseignants n'ont pas droit à la formation continue sur le temps de travail. Il représente quatre jours et demi par an. Vous voyez donc le ridicule de la question.

Nous aussi, dans le second degré, nous avons perdu les 3.000 congés de mobilité acquis en 1989 et la formation professionnelle continue qui donne droit à un an de congé, mais avec perte de salaire pour l'enseignant. C'est une particularité de l'éducation nationale : on peut partir en congé de formation pendant un an, mais on n'est payé qu'à 85 % de son salaire. Cela se réduit comme une peau de chagrin d'année en année. Il n'y a pratiquement plus de possibilités de départ en formation continue. Il y a des interdits de départ en stage quand il n'y a pas de remplacement. Comme il n'y a pas de remplacement, il y a de fait suppression des stages. C'est une politique à courte vue.

Nous ne sommes pas satisfaits de ce système. Il faudrait accroître la formation continue et intégrer dans les besoins de remplacement le droit à la formation continue sur le temps de travail.

M. Daniel Le Bret - Sur les remplacements, je suis d'accord avec ce qui vient d'être dit par Monique Vuaillat. Il y a 5 à 10 instituteurs professeurs des écoles par département qui ne sont plus capables de faire classe pour des raisons historiques. A un moment donné, des instituteurs ont été en très longue maladie, et il n'y a pas de postes de reclassement prévus. Dans les indicateurs, ce sont des gens qui sont sur des postes de remplaçants, mais ils ne font pas de remplacements. En termes de gestion, d'année en année, tout le monde considère que c'est normal et rien n'est fait. Cela fait de 500 à 1000 postes au niveau national !

Mme Monique Vuaillat - Nous n'avons pas le même système mais nous demandons, pour les enseignants fatigués, qui ont des problèmes pour enseigner, que l'on puisse créer des postes d'adaptation. Il y en a, certes, tout le monde le sait. Mais, plutôt que de laisser ces enseignants souffrir sur place, et les élèves aussi par voie de conséquence, il faudrait créer des postes de réadaptation en nombre suffisant, même s'il y en a.

Sur la précarité, la résorption, je ne veux pas m'y attarder longtemps. Il faut arrêter de recruter des précaires. Pour les résorber, on avance plusieurs pistes : les concours. Or, les postes aux concours diminuent et le rythme de titularisation actuel, pour ce qui concerne le CAPES surtout et l'agrégation est de 5.000 par an. Comme les postes aux concours réservés -on vient de nous supprimer un concours spécifique- diminuent, il y aura de moins en moins de titularisations. Il faut réouvrir ces postes aux concours et réouvrir les concours spécifiques.

Second volet, il y a un volant de 7.000 à 8.000 maîtres auxiliaires qui ont plus de 10 ans d'ancienneté. Pour ceux-là, nous demandons une équivalence de CAPES et un accès direct à l'IUFM.

Troisième question, est-il normal qu'il y ait des différences de service en fonction de la qualification ? Je pense que vous faites référence aux agrégés. Je répondrai par boutade : non, ce n'est pas normal. C'est pourquoi nous demandons que les certifiés qui font 18 heures soient alignés sur le service des agrégés. De ce point de vue, nous avons une réponse très simple.

Peut-on parler de pénurie dans certaines disciplines et de surabondance dans d'autres ? De pénurie, certainement. J'ai évoqué la question. De surabondance, cela dépend par rapport à quels types de besoins.

Est-il normal qu'aujourd'hui, il y ait en apparence un surplus de professeurs de philosophie quand nous avons des terminales à 38 et 40 élèves ? On pourrait considérer que ce surplus provisoire est une anticipation sur les recrutements à venir et qu'ils peuvent permettre d'améliorer les conditions d'enseignement.

Par exemple, il y a aussi un surplus en apparence en histoire-géographie. On peut y appliquer le même raisonnement. Peut-on résorber ces surplus qui nous semblent complètement conjoncturels par l'introduction d'une bivalence ? La réponse est non. Clairement non ! Nous pensons que nous abordons un nouveau siècle et qu'il faut quand même permettre aux enseignants d'être très qualifiés dans leur discipline. A vouloir leur en imposer deux ou trois pour cause de mauvaise gestion, c'est un mauvais calcul à terme. Notre argumentation étant assez connue, je n'y reviens pas.

Sur les heures supplémentaires, il y a un petit scandale qui consiste à ne pas créer les moyens en postes budgétaires, à imposer des heures supplémentaires aux enseignants, à baisser le taux de rémunération et à refuser comme c'est le cas la transformation en emplois. Il faut résorber rapidement ce volant d'heures supplémentaires. Evidemment, nous demandons le rétablissement du taux.

Il n'est pas banal qu'un gouvernement se permette de baisser la rémunération au nom d'une solidarité, non pas pour créer des emplois statutaires, mais pour créer des emplois précaires alors que des milliers d'étudiants attendent des possibilités d'entrer dans l'enseignement.

Sur les classes de niveau, ce n'est un secret pour personne qu'il y a de l'échec scolaire dans le système éducatif. Il existe dans le primaire et se fossilise au collège. Le scandale le plus important par rapport à l'avenir du système éducatif, c'est que rien n'est fait de sérieux pour empêcher ce type de situation.

Avant de traiter des questions de classes de niveau implicites, il y en a. Par exemple, la fonction des classes européennes en collège a été détournée de son objectif. Cela devient des sections pour regrouper les enfants de milieux favorisés. En même temps, cette question est très compliquée. Certains collèges de zones d'éducation prioritaire (ZEP) créent des classes européennes, car c'est le seul moyen de maintenir une mixité sociale dans le collège. C'est donc très complexe.

Le scandale, ce sont toutes les structures ghetto comme les troisièmes d'insertion sans perspectives ou les quatrièmes aménagées qui sont un moyen d'enfermer définitivement les jeunes dans des impasses. C'est cela le gros scandale. Vous trouverez toujours des quatrièmes constituées en fonction du fait que l'on a choisi telle ou telle langue vivante. Ce n'est pas un mystère, tout le monde le sait. Le phénomène le plus important est celui que je décris ; le reste est désagréable, négatif, mais reste marginal.

Dernier élément, oui au départ des enseignants sous forme de congé long, d'année sabbatique pour aller prendre l'air et voir d'autres choses. Cela suppose que l'on rétablisse les stages en entreprise d'un an que nous avions il y a 15 ans et que l'on a supprimé pour questions budgétaires. Ils étaient fortement demandés et appréciés par les collègues ; ils ont été regrettés. Mais que l'on nous donne des années sabbatiques ! Il est anormal que dans cette profession, on ne puisse pas bénéficier d'un temps long à disposition des enseignants. Au total, l'institution est gagnante ensuite. Même quand la formation qui est faite n'a rien à voir, c'est un enrichissement pour l'enseignement et son ouverture. Pour des raisons budgétaires, on a supprimé cette chose et c'est regrettable.

M. Michel Deschamps - A propos des décharges syndicales, le système est fait de telle façon que le ministère de l'éducation nationale a moins de décharges comparativement que les autres ministères. Le système est dégressif : plus il y a de personnels, plus les affectations son réduites. J'ai pu comparer, venant d'un autre ministère, cette situation plutôt défavorable du ministère de l'éducation nationale.

J'ajoute qu'au sujet des dispenses de services qui sont totalement transparentes, le ministère peut vous en communiquer les volumes ; ce sont des règles de fonction publique. La comparaison avec les entreprises privées montrent que nous sommes en deçà des délégations accordées aux syndicalistes du privé.

De plus, dans les entreprises privées, on ajoute aux heures diverses de délégation un subventionnement direct, soit de la puissance publique, soit du patronat via les comités d'entreprise que nous connaissons pas dans la fonction publique.

Sur les emplois-jeunes et sur la sortie du système, le ministère est toujours dans une logique de recrutement. Il est à peine dans une logique de formation et il n'est pas du tout dans une logique de préoccupation de la sortie du système.

Nous avons pesé beaucoup pour le que le ministère prenne en compte, y compris en adaptant les obligations de service des aides éducateurs, les questions de formation continue, mais nous n'avons pas réussi encore à avoir un vrai débat et à pouvoir faire entendre nos propositions pour gérer la sortie du système.

J'attire votre attention : nous avons raté cette question avec les contrats emploi solidarité. J'ai peur qu'au bout de 4 ou 5 ans, nous ne soyons très échaudés sur la gestion de sortie du système.

Sur le classement de la France, nous sommes au cinquième rang après les pays scandinaves et les Etats-Unis, mais nous offrons une espérance de scolarisation beaucoup plus importante -je ne parle pas des comparaisons de performances où nous sommes très supérieurs aux Etats-unis, mais c'est plutôt contre productif pour ma démonstration- que les pays qui nous précèdent.

Sur l'enseignement agricole qui a une gestion des personnels avec un mouvement national non déconcentré, relativisons car l'enseignement agricole représente à peine un rectorat du ministère de l'éducation nationale.

Cependant, même si comparaison n'est pas raison, nous avons avancé nos revendications d'abaissement des effectifs de classe et nous avons attiré l'attention de l'éducation nationale sur la corrélation entre la violence et la taille des établissements : j'ai participé à une table ronde présidée par Alain Juppé, Premier ministre, où Monique Vuaillat et moi, pour la FSU, avons beaucoup insisté sur la nécessité de faire la chasse aux gros établissements dans une optique de lutte contre la violence.

Voilà un type d'enseignement où ces deux facteurs, des établissements qui ne dépassent pas 500 élèves et des effectifs de classe en moyenne nettement inférieurs à l'éducation nationale, font la preuve que cela marche. Ce sont des solutions qui fonctionnent.

J'ajoute que la plupart des établissements agricoles sont en banlieue urbaine et non pas dans le rural profond et qu'ils ont un recrutement majoritairement ouvrier. Il n'y a pas de caractéristiques sociologiques qui expliqueraient cette différence de performance.

Mon dernier mot sera pour dire que je crains que le début de mon intervention ait entraîné une incompréhension. Je n'ai aucune défiance a priori envers votre commission. La façon directe dont nous avons répondu le montre. Nous avons dépouillé -comme c'était normal- avec beaucoup d'attention les comptes rendus des précédentes auditions dans lesquelles les sénateurs posent des questions, mais ne donnent pas leur avis. Par contre, parmi les personnalités auditées, plusieurs ont joué avec cette idée des effectifs pléthoriques. Voilà ce que j'ai voulu dire et pas plus.

M. le Président - Nous vous remercions.