AUDITION DE M. MICHEL DESCHAMPS, SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DE LA
FSU
(FÉDÉRATION SYNDICALE UNITAIRE DE L'ENSEIGNEMENT),
MME
MONIQUE VUAILLAT, SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DU SNES
(SYNDICAT
NATIONAL DES ENSEIGNANTS DU SECOND DEGRÉ),
M. BERNARD PABOT,
SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DU SNETAA
(SYNDICAT NATIONAL DE
L'ENSEIGNEMENT TECHNIQUE APPRENTISSAGE AUTONOME),
M. DANIEL LE BRET,
SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DU SNUIPP
(SYNDICAT NATIONAL
UNITAIRE DES INSTITUTEURS PROFESSEURS D'ÉCOLE ET PEGC)
(13
JANVIER 1999)
Présidence de M. Adrien GOUTEYRON, Président
Le
président lit la note sur le protocole de publicité des travaux
de la commission d'enquête et fait prêter serment à M.
Michel Deschamps.
M. le Président -
De tradition, nous donnons la
parole aux personnes que nous entendons avant de donner le temps au rapporteur
et aux collègues de vous interroger. Nous disposons d'une heure et demi
pour cette audition, compte tenu de la qualité, de la diversité,
de la richesse de la palette des personnes qui sont ici présentes.
Vous avez la parole.
M. Michel Deschamps -
Monsieur le président,
mesdames, messieurs les sénateurs, nous répondons avec d'autant
plus d'intérêt à votre sollicitation que nous sommes
convaincus que les services publics -tous les services publics mais
peut-être plus encore le service public d'éducation -
devraient être absolument transparents sous le regard des citoyens,
qu'ils devraient pouvoir rendre compte de l'ensemble de leur fonctionnement.
Nous sommes convaincus que l'opacité, si opacité il y a, ne peut
que susciter des suspicions, et donc rendre plus difficile la mobilisation
collective qu'implique actuellement l'état de notre système
éducatif.
Nous savons aussi par expérience syndicale que les personnels, en
dernier ressort, font toujours les frais du manque de transparence qui engendre
de l'arbitraire et des inégalités.
Dit autrement et très directement, les personnels que nous
représentons n'ont rien à cacher et rien à craindre de la
lumière faite.
En même temps, permettez-moi d'ajouter tout aussi directement que nous ne
sommes pas des naïfs. Nous avons lu
les comptes-rendus des
auditions antérieures publiées sur votre site Internet avec
beaucoup d'attention. Nous avons médité aussi certaines
interventions et certains questionnements.
Nous craignons que d'aucuns attendent de vos travaux la confirmation de leurs a
priori sur le caractère pléthorique des effectifs de
l'éducation nationale. A priori qui les conduit peut-être à
espérer que la révélation d'insuffisances de gestion -il y
en a toujours- permettrait de ne pas faire face aux besoins de
développement de notre système éducatif.
Comme je crois que cette question pèse au moins implicitement sur le
débat, j'ai considéré que nous avions intérêt
à la traiter nettement. Autant vous dire d'emblée que nous
considérons, à la FSU, que les transformations qualitatives
indispensables de notre système éducatif ont un coût, et
nous sommes convaincus qu'elles ne pourront pas se faire à moyens
constants et moins encore, avec des moyens en régression.
Je voudrais consacrer la première partie de mon intervention à
cette question : comment apprécier l'effort consenti par la Nation
à son école ? C'est évidemment difficile. Les
partisans de la réduction de l'effort, ou du moins de la pause ,font
valoir les progressions du budget annuel du ministère de
l'éducation nationale, progressions d'autant plus spectaculaires
qu'elles sont toujours présentées en francs courants.
Nous ne sommes pas moins légitimés à faire remarquer que
la dépense intérieure d'éducation est restée
très longtemps stagnante, alors même que notre pays connaissait un
développement spontané et considérable de la scolarisation
volontaire.
En tout état de cause, le gain d'augmentation du pourcentage de la DIE
est, depuis 20 ans, inférieur à un point de PIB.
On a dit beaucoup de choses sur le rythme de progression des emplois de
l'éducation nationale : en réalité -ce sont les
chiffres publiés par la fonction publique- sur les dix dernières
années, de 1987 à 1997, la progression est inférieure
à 5 %. Si l'on prend en référence les années
1985 à 1995, on trouve un pourcentage de progression de 10 %, mais
qu'il faut comparer à cette scolarisation spontanée, bien
au-delà des limites de la scolarité obligatoire.
Dans le même temps, le niveau de pré-scolarisation a
considérablement augmenté dans notre pays ; la part d'une
génération accédant au niveau IV a plus que doublé
au cours de ces 20 dernières années, et plus de la
moitié des sortants 1996 ont poursuivi des études
supérieures.
Ces données ne permettent pas de parler d'une simple massification de
notre système éducatif. En même temps, il faut constater
que la démocratisation, le recul des pesanteurs liées aux
appartenances sociales, connaissent aujourd'hui des piétinements, des
fléchissements. Nous considérons à la FSU que ces
piétinements et ces fléchissements appelleraient un saut à
la fois qualitatif et quantitatif du système éducatif. Je crois
qu'il est erroné de prendre en considération l'un ou l'autre
facteur. Il est encore plus erroné bien évidemment d'opposer les
transformations qualitatives et le coût au moins immédiat qu'elles
entraînent pour l'argent public.
Permettez-moi d'ajouter que les comparaisons internationales ne
démontrent pas une tendance de notre service public d'éducation
à se comporter en budgétivore. Nous ne sommes pas du tout le pays
qui consacre la part la plus grande de ses richesses à la formation des
jeunes, alors même que nous offrons pourtant une espérance de
scolarisation qui est parmi les plus élevées des pays
comparables, et même dans l'absolu, de l'ensemble des pays qui ont un
système éducatif développé.
Quant à la comparaison internationale des performances, aucune des
données actuellement connues ne permettent de parler de "rendements
médiocres" du système éducatif français, comme l'un
de vos invités a cru pouvoir le faire : aucune des données
actuellement connues !
En réalité, notre système est considéré par
les observateurs nationaux et internationaux extérieurs au syndicalisme
comme plutôt économe et performant.
Et c'est justement parce que notre système a ce socle, et de
compétence et de résultats, que nous pensons qu'il peut et qu'il
doit aller plus loin.
Il ne pourra le faire sans mettre en oeuvre une vraie politique de l'emploi
public. C'est le deuxième point que je voudrais aborder devant vous.
C'est une autre façon d'aborder les insuffisances des dotations
budgétaires actuelles que de constater les expédients auxquels le
système doit recourir. Le volume des heures supplémentaires dans
le second degré, des heures complémentaires dans l'enseignement
supérieur -même si cela ne relève pas de votre mission
d'enquête, les deux phénomènes sont très
comparables- témoigne aussi de cet écart entre l'évolution
des emplois et celle des besoins du système éducatif.
Il est, de ce point de vue, totalement incompréhensible que notre
revendication syndicale de transformation des heures supplémentaires en
emplois se heurte à un refus quasi total. Il est tout aussi
incompréhensible -voire trop compréhensible- à nos yeux,
qu'alors que des mesures dissuasives sont imposées aux entreprises
privées par la majoration du taux des heures supplémentaires, que
le ministre de l'éducation nationale, premier employeur de France, ait
décidé de baisser la rémunération des heures
supplémentaires, se donnant ainsi la facilité d'en augmenter le
nombre global, au détriment notamment du recrutement des jeunes
diplômés.
Mais au-delà des heures supplémentaires, il existe d'autres
expédients pour essayer de répondre à cette insuffisance
des dotations : la chasse à l'emploi statutaire a ainsi conduit
à multiplier les personnels non-titulaires, globalement payés sur
des supports de crédits dans des conditions difficilement
contrôlables par la représentation nationale. Je pense aux
maîtres-auxiliaires, mais aussi aux 60 000 emplois contrats
solidarité qui occupent dans nos établissements des emplois
permanents, comme le relevait la Cour des comptes en 1997.
La pression constante des besoins réels fait que les emplois
créés au titre des mesures jeunes -principalement les aides
éducateurs- risquent de suivre de plus en plus une logique de
substitution à l'emploi public plutôt qu'une logique
d'émergence de nouveaux métiers à laquelle nous avons cru
en accueillant la mesure et qui devrait traverser et enrichir la fonction
publique.
Le maintien des classes surchargées dans tous les niveaux de
l'enseignement scolaire, les difficultés à obtenir les moyens
d'un travail en petits groupes, le refus de rompre avec le modèle
daté et dépassé de l'instituteur seul dans sa classe, la
détérioration constante du rapport nombre d'ATOS - nombre
d'élèves sont autant de facteurs qui pénalisent lourdement
notre système éducatif.
A ces insuffisances qui sont bien connues, mais que je me permets de rappeler,
j'ajoute l'incapacité ou plus sûrement l'absence de volonté
à mettre en oeuvre une gestion moderne des effectifs. Je ne suis pas
sûr que la formule bien connue utilisée par l'une des
personnalités que vous avez auditées : "L'éducation
nationale est la seule entreprise française qui ne connaisse pas
précisément ses effectifs de personnels" soit totalement
objective. Ce qui est certain, c'est qu'il ne doit pas y avoir beaucoup de
grandes entreprises dans notre pays à refuser, comme l'éducation
nationale, la mise en place d'une gestion prévisionnelle de ses
effectifs et la programmation de ses embauches.
Il est tout à fait significatif que la loi de 1989 qui prévoyait,
enfin, une programmation pluriannuelle des recrutements d'enseignants n'est
toujours pas suivie d'effets dix ans après son adoption.
Ce n'est évidemment pas le résultat d'une quelconque
incapacité administrative, mais beaucoup plus sûrement le
résultat d'un véritable positionnement malthusien qui fait
espérer, toujours, que la demande sociale de formation va se ralentir,
se freiner, peut-être s'inverser.
De ce point de vue, je me souviens des prévisions de notre
administration de tutelle de la fin des années 1970 qui tablaient sur
une diminution de la scolarisation dans le second degré. Cela a conduit
à une réduction considérable des recrutements, à la
situation des pré-recrutements. Le résultat, en liaison avec la
dévalorisation sociale du métier, en a été une
crise de recrutements qui pendant plus de dix ans a pesé sur l'ensemble
du second degré.
Pour conclure sur cette deuxième partie, il me semble qu'il n'est plus
possible d'accepter une situation qui, faute de gestion prévisionnelle
des effectifs et des recrutements, conduit à piloter à vue et
à courir sans cesse -ce qui est le cas de l'éducation nationale
me semble-t-il- après la demande sociale de formation.
Je voudrais conclure sur une dernière question, à mes yeux
peut-être la plus fondamentale : peut-on obtenir une plus grande
efficacité du système et de ses acteurs, une meilleure
rentabilité des moyens existants ? Dit crûment :
existe-t-il des gains de productivité possibles ?
La question est provocatrice, alors même que nos collègues
ressentent l'évolution de leur métier comme de plus en plus
difficile, comme de plus en plus prégnante, à la limite parfois
de la rupture. Mais c'est peut-être une raison supplémentaire
d'interroger, d'interpeller l'aide réelle que l'institution apporte
à nos collègues dans l'exercice de leur mission.
Ainsi, le ministère de l'éducation nationale est quasiment le
seul -j'en suis convaincu- à n'avoir pas appliqué l'accord
triennal fonction publique sur la formation continue de ses salariés
1996-1997-1998 qui vient de se terminer ; le seul ministère
à n'avoir engagé aucune négociation véritable sur
ces questions -en tout cas à ne pas l'avoir conduite à terme-
contrairement à la loi et contrairement à l'accord contractuel
passé au niveau de l'ensemble de la fonction publique et contrairement
aux engagements qui nous avaient été donnés en interne du
ministère de l'éducation nationale.
Le pourcentage de la masse salariale que le ministère de
l'éducation nationale consacre à la formation continue de ses
agents ferait rire n'importe quel dirigeant de nos grandes entreprises
privées et publiques. Nous sommes actuellement au sens strict de la
formation continue, c'est-à-dire hors les congés
spécifiques, à moins de 5 % de la masse salariale.
Si on veut bien prendre en considération que nous parlons de personnel
de catégorie A, ayant des responsabilités qui les assimilent
à des personnels d'encadrement, comment comparer avec les grandes
entreprises que nous connaissons tous et pour lesquelles, pour des personnels
de ce type, le pourcentage de la masse salariale consacré à la
formation continue dépasse couramment les 10 %.
La recherche, qu'elle soit pédagogique ou élargie de type
administratif, d'améliorations de fonctionnement du système
mobilise également des sommes totalement dérisoires, sans
communes mesures avec les besoins.
La reconnaissance des qualifications se heurte aussi à des obstacles
continuels, bloquant les niveaux théoriques de recrutement et donc les
grilles de rémunération correspondantes, alors même que les
qualifications réelles des personnels qui se présentent au
concours de recrutement sont constamment en augmentation, refusant les
re-pyramidages des emplois et gelant, par exemple, les proportions des
personnels de catégorie A et B chez les ATOS, a contrario de
l'élévation de leurs qualifications et des besoins d'une
administration moderne.
Misère de la formation continue, absence de recherche, blocage des
carrières.. ; voilà bien des archaïsmes qui devraient
être au coeur de toute réflexion sur la situation et la gestion
des personnels des premier et second degrés, surtout si on ajoute
à cela la pauvreté des relations sociales globales au
ministère de l'éducation nationale : fonctionnement des
instances de concertation, refus de reconnaître totalement le rôle
des acteurs et des organisations syndicales représentatives des
personnels.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les Sénateurs, les
personnels seront très attentifs aux conclusions de votre commission
d'enquête. Ils y chercheront -mais n'est-ce-pas légitime ?-
le regard que la représentation nationale porte sur leur métier
et plus encore sur les difficultés croissantes qu'ils connaissent dans
l'exercice de ce métier. Ils y chercheront aussi le niveau d'ambition
auquel notre pays place son investissement éducatif.
L'école est confrontée aujourd'hui à des évolutions
de société extrêmement lourdes ; elle "s'attaque"
à des noyaux durs d'échec scolaire ; elle prend en compte
des inégalités sociales qu'elle écartait hier de la
scolarisation ; elle s'attaque à de véritables risques de
rupture dont la violence n'est que l'un des signe les plus spectaculaires.
L'ensemble de ces éléments devrait, pour tous ceux qui se sentent
concernés et qui s'intéressent aux problèmes
d'éducation, écarter toute tentation d'en rabattre sur le niveau
d'ambition et d'investissement éducatif dans notre pays.
M. le Président -
Les propos que vous avez
tenus concernent l'ensemble des syndicats ici représentés. Je
propose donc que nous en venions très rapidement aux questions, et je
vais donner la parole à nos rapporteurs et aux autres collègues.
Je veux vous assurer que nous abordons ces travaux -car nous n'avons pas
commencé depuis très longtemps- avec beaucoup de sérieux,
chacun porteur de ses engagements, mais sans idée
préconçue. Si nous en avons, nous abordons ces travaux avec
l'idée de passer nos idées au crible de l'examen à l'aide
des auditions auxquelles nous procédons. En tout cas, nous ne
préjugeons pas les conclusions qui seront les nôtres. Vous pouvez
en être assuré.
Nous ne sous-estimons pas non plus la difficulté de notre tâche.
Le sujet est complexe, vaste, et nous avons beaucoup à faire en quelques
mois. C'est pourquoi il est utile d'entendre les uns et les autres.
La parole est au rapporteur.
M. Francis Grignon, rapporteur -
Moi aussi, je
voudrais faire une déclaration liminaire. C'est vrai, monsieur le
secrétaire général, vous nous avez indiqué que
certains pensaient que cette commission était faite pour réduire
les moyens de l'éducation nationale. Je voudrais dire que pour ma part,
-je tiens à le dire fortement- je cherche d'abord à comprendre,
à savoir comment sont organisées les choses, à voir s'il y
a une bonne adéquation entre besoins et moyens, et
éventuellement, apporter des idées pour améliorer le
fonctionnement.
Dans cette optique, je voudrais savoir quel est le rôle de votre
organisation et de vos organisations syndicales dans l'organisation de ces
moyens en fonction des besoins avant et après réforme de la
déconcentration du mouvement. Cette réforme étant celle
qui se met en route actuellement.
Quel est le nombre de permanents à temps plein ou non, provenant de
l'éducation nationale, enseignants ou pas, dans vos organisations ?
Question annexe : j'aimerais savoir s'il est impératif d'y avoir
des enseignants ? N'est-il pas dommage d'avoir formé des gens pour
être enseignants et de les voir dans des organisations qui les
éloignent de leur vocation initiale.
J'aimerais un avis qualitatif, plus que quantitatif, pour savoir s'il est
nécessaire que des gens dans des organisations qui ne sont pas
directement sur le terrain soient des enseignants.
Ensuite, y a-t-il dans vos organisations des responsables syndicaux avec des
activités d'enseignement à temps partiel ? Est-ce
compatible ? Est-ce souhaitable ?
Vous avez parlé de pilotage à vue. Nous savons qu'il y aura des
départs massifs à la retraite. Cela est-il de nature à
mieux réorganiser l'adéquation entre les moyens et les
besoins ? Pensez-vous que c'est le moment d'en profiter pour avoir une vue
d'ensemble à plus long terme que d'habitude dans cet objectif ?
Vous avez parlé aussi des emplois-jeunes. Comment pensez-vous que nous
allons sortir de ce dispositif dans 5 ans ?
Concernant l'adéquation moyens-besoins, vaut-il mieux continuer à
recruter des maîtres auxiliaires, à jouer sur les heures
supplémentaires ? On nous a indiqué que cela correspondait
à environ 40 000 enseignants. Quand on dit dans le secteur
privé qu'il faut établir les 35 heures pour créer des
emplois, on aurait alors 40 000 équivalents temps pleins
traités à travers les heures supplémentaires dans
l'éducation nationale.
Toujours dans cette optique d'adéquation des besoins aux moyens,
pensez-vous qu'il soit plus judicieux de simplifier les programmes ou de
réorganiser le système ?
M. Michel Deschamps -
La plupart des questions portent
sur le second degré. Je propose que Mme Vuaillat réponde,
d'autant plus qu'elle est un bon exemple de responsable syndicale qui continue
à avoir des activités d'enseignement. Cela constituera une
réponse à une partie de votre question.
Mme Monique Vuaillat -
Avant de répondre directement
aux questions, permettez-moi d'approfondir la situation dans le second
degré.
Cette situation dans le second degré présente les
caractéristiques générales qu'a énoncées
M. Deschamps, mais je voudrais aborder plus précisément ce
point sous plusieurs autres angles.
Concernant le rapport entre besoins et moyens créés par les
budgets, contrairement à ce qui se dit, nous ne sommes pas dans une
phase de diminution des effectifs à scolariser dans le second
degré. Il y aura sans doute un effet de tassement démographique
dans les prochaines années, mais il sera largement compensé si
cette politique est conduite, par une progression de la scolarisation. Nous ne
sommes pas en situation où l'on est à saturation des besoins,
où l'on a pourvu tous les besoins en recrutements d'enseignants.
Nous sommes sortis de la crise aiguë de recrutement d'enseignants de
second degré des années 70, mais nous avons encore des
pénuries très importantes dans certaines disciplines. En
particulier, -je réponds en cela à l'une de vos questions - c'est
sans doute l'un des secteurs dans lequel sont le plus mal couverts les besoins
de remplacements. Nous estimons à 2 % le volume d'enseignants
titulaires qui assurent des remplacements. Nous apprécions les besoins
en remplacement à un niveau qui devrait être porté au
double au moins, c'est-à-dire 5 à 6 % de titulaires
remplaçants.
Les conséquences sont très concrètes. Le ministre a
beaucoup insisté -celui-ci en tout cas- sur " pas de classe sans
professeur ". Il faut que vous sachiez qu'en moyenne, les enseignants de
second degré ne sont pas remplacés à moins de 3 ou
4 semaines de congé par défaut de titulaires
remplaçants.
Deuxièmement, une grande partie des besoins d'enseignement sont couverts
par les heures supplémentaires qui, contrairement à ce qui a
été dit dans l'opinion publique, sont des heures faites en
présence d'élèves pour la très grande
majorité d'entre elles. Le volume est de 718 000 dont la
décomposition se fait de façon précise :
532.000 heures supplémentaires, 113.000 heures de
suppléance, 36.000 heures d'interrogation, 9.370 heures ATOS
spécifiques, 18.000 heures de cours conférences et
vacations. Cela donne un total de 718 000 heures. Cela pose des
problèmes dans la gestion des personnels. Je reviendrai sur cet aspect.
En matière de recrutement, nous ne sommes pas sortis de la crise de
recrutement sur des disciplines très précises. On ne recrute pas
assez pour les sciences de la vie et de la terre, les sciences physiques ;
on recrute alors des maîtres auxiliaires.
La pénurie d'enseignants titulaires alimente à nouveau le
recrutement d'auxiliaires. Nous ne sommes pas d'accord, pour répondre
très précisément à votre question, sur
l'idée qu'il faudrait garder un volant d'auxiliaires. La plupart des
besoins sont connus, stables, programmables comme les départs à
la retraite, les besoins liés à la nécessité
d'assurer des heures d'enseignement, les besoins liés à la
nécessité de remplacer des enseignants.
Statistiquement, on peut fort bien établir la programmation de ces
recrutements. C'est par abus d'une politique que l'on continue à
recruter des auxiliaires. Il faut intégrer dans les besoins de
recrutement une réponse à ces trois grands besoins. Il faut aussi
intégrer à ces recrutements la nécessité de
transformer les heures supplémentaires en emplois.
En sciences de la vie et de la terre, on est en situation déficitaire.
En sciences physiques, après avoir connu une abondance de professeurs de
physique suite à la suppression de cette matière en 5ème
dans les années 80, nous nous trouvons en situation de pénurie
avec le rétablissement de la physique en 5ème.
En langues vivantes, nous sommes en situation de pénurie au point que
cela freine le développement et l'amélioration des enseignements
des langues vivantes aujourd'hui avec la réforme des lycées.
C'est une insuffisance de recrutement qui touche toutes les langues, aussi bien
l'anglais, l'espagnol, etc.
Il y a également pénurie dans l'enseignement technologique. Je
passe sur l'énumération.
Concernant la situation des personnels, on nous a beaucoup dit -et vous avez
peut-être été sensibles à cette argumentation- que
tous les besoins étaient couverts et que la preuve en était qu'il
y avait des enseignants titulaires sans postes. On a argumenté sur cette
question pour expliquer qu'on avait trop recruté.
Il faut faire attention à bien analyser les causes de cette situation.
Dans quelle situation sommes-nous ? Nous avons 41 000 titulaires
académiques qui ne sont pas titulaires de postes, d'emplois
budgétaires, et qui sont donc mobiles. Parmi eux, il y a 36 000
certifiés et agrégés. Quand on regarde comment ils sont
employés, 76 % occupent des postes qui ont la
caractéristique d'être des postes non définitifs.
Une pratique s'est développée dans la gestion des moyens, qui est
anormale. Elle consiste à se donner de la souplesse dans le
système et à déclarer que des postes sont provisoires, ce
qui permet de les supprimer sans problème et sans avoir à
respecter aucune garantie pour les personnels.
76 % des TA (titulaires académiques), sont en postes. 1500
certifiés, soit 4 %, sont sur des postes à l'année en
lycée professionnel, ce qui indique un déficit de recrutement
d'enseignants pour les lycées professionnels. C'est une situation
anormale que nous dénonçons en commun avec le SNETAA. 20 %
de ces titulaires académiques sont affectés à
l'année sur zones de remplacements ou rattachés à des
lycées et collèges dans l'attente d'un remplacement.
Il y a une situation complètement anormale, au moins pour les 76 %
de ces titulaires académiques qui devraient être affectés
sur postes, parce qu'ils répondent à des besoins.
Cela découle d'une difficulté de gestion qui n'avait pas
été traitée correctement par l'administration centrale, en
particulier la difficulté liée à la progression des
enseignants à temps partiel qui laisse des quotités de temps
partiel de côté, qui ne font pas cette partie du service. Elles
sont regroupées sous la forme d'un regroupement de rompus de temps
partiel. On affecte des gens qui ne peuvent être titulaires. Nous avons
des solutions pour éviter ce problème que l'on pourra
détailler si vous le souhaitez.
Deuxième aspect de la question : toute une partie de ces titulaires
académiques devrait être titulaires d'un poste de remplacement et
donc affectés sur zone, en situation de stabilité.
Peut-on dire qu'il y a un trop plein d'enseignants quand on constate qu'il y a
des enseignants en réserves pour assurer des remplacements ? Notre
réponse est non. Evidemment, il y a des périodes durant
lesquelles ils ne sont pas en charge de cours et dans l'attente d'un
remplacement, mais il est tout à fait normal qu'il y ait ces
réserves. Si elles n'existent plus, par pénurie de titulaires
remplaçants, on est obligé de faire appel par petites annonces
-comme certains rectorats le font aujourd'hui- à des enseignants non
titulaires pour assurer les remplacements.
Cette insuffisance de titulaires remplaçants explique que nous ayons
encore 25000 maîtres auxiliaires dans le second degré et, alors
que des directives ministérielles ont été données
sous le précédent ministre pour qu'il n'y ait plus de recrutement
d'auxiliaires, que nous recrutions encore 3.000 enseignants contractuels
vacataires par an. Cela illustre aussi cette pénurie. Pas de trop-plein
mais mauvaise gestion, et des emplois et des personnels.
Pour répondre à votre question, oui, nous voulons la disparition
de l'auxiliariat. Et nous pouvons le faire, par des mesures de titularisation
et par l'arrêt définitif de ces recrutements.
J'ajoute que sur l'aspect précarité aujourd'hui, les
non-titulaires que nous recrutons, sont des non-titulaires encore plus
précaires qu'antérieurement puisqu'on nous a inventé les
contractuels 200 heures ou les vacataires. C'est-à-dire des
contractuels qui ne font que 200 heures et que l'on remercie au bout des
200 heures, quitte à les reprendre 8 ou 15 jours après
pour qu'ils entrent à nouveau dans un contrat de 200 heures. La
spécificité de ces contrats est qu'ils ne donnent aucun droit.
Parfois, nous pouvons nous croire revenus au Moyen Age dans la fonction
publique. Je l'ai constaté hier à Pau, dans un GRETA où
nous trouvons des contrats de 200 heures sans droits au chômage,
sans droits à la prise en compte de ces heures faites pour des processus
de titularisation. Dans la formation continue, c'est encore pire : ce sont
des contrats de droit public qui sont gérés comme dans la pire
des entreprises privées et avec des baisses de quantité de
travail à faire en fonction des fluctuations des ressources etc. Je ne
détaille pas, mais il y a un gros problème. Environ 5 à
6000 contractuels dans la formation continue des adultes sont sans droits et
sans perspectives. Et pourtant, il y a de la formation continue à faire.
A cet égard, nous pensons qu'il est anormal qu'on ne prenne pas en
compte les besoins de formation des adultes dans le service public alors que
c'est une de ses missions. Le budget ne prend pas en compte ces aspects. Il y a
là une situation complètement anormale !
Je n'ai pas très bien compris le sens de la question sur la
déconcentration du mouvement des personnels du second degré.
M. Francis Grignon, rapporteur -
Je peux la
préciser. Je voulais comprendre votre rôle dans la façon de
gérer le mouvement avant, et maintenant, avec la déconcentration.
Mme Monique Vuaillat -
Tout d'abord, je ferai un bref rappel
des raisons pour lesquelles nous sommes en désaccord avec ce processus.
Nous sommes dans le second degré. Nous avons à recruter des
enseignants et à gérer un personnel spécialiste de
discipline. Nous constatons qu'il y a encore une très grande
inégalité entre les régions pour disposer des viviers
suffisants pour alimenter les besoins en professeurs de chacune des
académies dans toutes les disciplines.
En sciences de la vie et de la terre, 16 % des admis proviennent de
l'académie de Lyon tandis qu'Amiens n'en fournit presque pas. Il faut
répartir encore de façon nationale les personnels
recrutés, sauf à dire que tous les enfants de toutes les
régions n'auront pas les professeurs compétents pour enseigner
toutes les disciplines.
La déconcentration du mouvement en apporte une preuve
supplémentaire car, contrairement à ce qui a été
déclaré, les jeunes enseignants sortants d'IUFM vont être
contraints à un mouvement national. Ils ne resteront pas sur place pour
l'essentiel d'entre eux. C'est en particulier le cas pour les jeunes issus des
académies qui produisent beaucoup d'enseignants comme Rennes, Bordeaux,
Toulouse, Montpellier ; ils seront obligés par un mouvement
national d'aller enseigner à Créteil, Versailles, Amiens qui sont
des académies déficitaires.
Il y a donc nécessité d'une répartition
géographique. A partir de ce moment-là, nationalement, il faut
permettre aux gens de revenir. Quant à la déconcentration du
mouvement, nous disons -et toutes les informations que nous avons aujourd'hui
le montrent- que cela va restreindre la mobilité géographique des
enseignants et restreindre les mutations inter-académiques.
Deuxièmement, le gros problème de la gestion des personnels, ce
sont ces 41 000 titulaires sans postes. Ce n'est pas parce qu'on
déconcentre le mouvement que l'on va résoudre le problème.
S'ils ne sont pas titulaires d'un poste, cela provient du décalage entre
les personnes et les moyens budgétaires dégagés. Cela ne
résout aucun des ces problèmes.
Quant à la question de savoir quel est le rôle des élus du
personnel dans le cadre de la déconcentration des mouvements, je vais
vous répondre tout à fait nettement, contrairement à ce
qui s'est dit ici ou là, que les élus du personnel sont
représentés dans des commissions paritaires nationales et
académiques. A partir du moment où la déconcentration n'a
pas pu se faire en faisant abstraction d'une consultation nécessaire des
commissions paritaires académiques, il y aura contrôle par les
élus.
Pour ce qui concerne le SNES, comme il est majoritaire, il jouera son
rôle tant au plan de la commission paritaire nationale que de la
commission paritaire académique.
Une petite remarque, vous qui êtes soucieux de la bonne utilisation des
moyens dégagés par l'Etat, ce que nous faisions avec
100 personnes au plan national, nous allons le faire avec 25 fois
58 personnes. En matière de dégraissage du "mammouth", cela
pose un petit problème.
M. le Président -
C'est la première
fois que l'on nous cite ces chiffres.
Mme Monique Vuaillat -
Cela pose deux problèmes. Cela
mobilisera une grande partie de l'administration rectorale pendant plusieurs
semaines, mais aussi une plus grande partie des élus, tous enseignants,
qui vont quitter leurs classes pour assumer leurs fonctions. Ils devront donc
être remplacés.
Dernier point, sur les décharges, pour ce qui concerne le SNES, je peux
vous dire qu'à trois exceptions près, il n'y a aucun
déchargé complet parmi les militants du SNES, au niveau
académique ou national. Tous les responsables du SNES,
académiques et nationaux, sont des enseignants en exercice par choix et
par principe.
Quand vous nous demandez si c'est une bonne chose ou une mauvaise, nous
considérons que c'est l'un des éléments importants que de
garder un pied dans les classes. Cela suppose que l'on organise le service pour
être remplacés, ce qui est le cas généralement,
à l'exception de plusieurs catégories qui sont mal
remplacées, comme les documentalistes, les conseillers principaux
d'éducation et les conseillers d'orientation psychologues. Ces gens font
entre 30 et 39 heures et, souvent, ne sont pas remplacés. Cela
pose problème. Quand on s'en va pour assumer des responsabilités
syndicales et qu'on retrouve tout le travail à faire en rentrant dans
l'établissement, ce n'est pas satisfaisant.
Les décharges sont attribuées sur des critères
transparents pour ce qui concerne les organisations syndicales, régies
par des textes, fonction de la représentativité des organisations
syndicales. Je vous renvoie donc aux textes. Je vous remettrai un document pour
dire combien il y a de déchargés pour ce qui concerne mon
organisation. Cela se fait dans une transparence totale. On ne peut pas dire
que ce soit très important.
Il est possible qu'il y ait dans le second degré des enseignants qui
bénéficient d'autres types de décharges pour faire
fonctionner l'institution : décharges pour assumer des
responsabilités dans les MAFPEN, organismes rectoraux qui gèrent
la formation continue. Il y en a aussi pour des gens qui, par exemple, mettent
en place les réseaux informatiques. Ils ont donc des activités
professionnelles, utiles et indispensables au bon fonctionnement de
l'institution, qu'ils combinent avec leur activité dans la classe. Je ne
crois pas que l'on puisse rechercher là des dérives en
matière d'utilisation du potentiel de moyens.
Il y a à la fois insuffisance de moyens et mauvaise gestion. Nous avons,
pour notre part, avancé des propositions qui n'ont jamais
été prises en compte.
M. Francis Grignon, rapporteur -
Il y avait une
question sur les départs massifs à la retraite.
Mme Monique Vuaillat -
Nous aimerions qu'il y ait une plus
grande transparence et des chiffres fiables pour mesurer ces départs.
C'est un sujet qui ne devrait pas connaître d'aléas. Tout le monde
connaît les dates de naissance, l'histoire des carrières ;
l'administration centrale et les rectorat peuvent le dire. Aussi est-il curieux
de voir des chiffres qui peuvent varier du simple au double quand on nous donne
le nombre prévisible des départs à la retraite.
Quelques aléas se produisent actuellement qui ont comme
conséquence pour certains collègues de retarder leur
départ à la retraite. C'est en particulier l'attente de promotion
qui nécessite un temps d'exercice. Cela peut s'expliquer par des causes
sociologiques, avec le coût que représente maintenant les enfants
qui vont à l'université pour certaine familles qui amène
certains de nos collègues à prolonger leur carrière. Cela
fait varier un peu les départs à la retraite, mais c'est un
chiffre qui devrait être connu et transparent et qui ne l'est pas
complètement. Cela aiderait à la programmation des recrutements.
Il faut voir la répartition géographique du corps enseignant. Il
y a des différences de moyenne d'âge entre académies,
académies du sud et académies dites déficitaires.
Il y a un nombre important de personnels du second degré qui partiront
en retraite dans toutes les académies du sud dans les 4 à
5 années prochaines. C'est à la fois bien, car cela va
permettre un mouvement plus ample. Cela facilitera la mobilité
inter-académique qui risque d'être freinée par la
déconcentration du mouvement. Cela nécessite aussi que l'on sache
anticiper les recrutements par rapport à ces futurs départs
à la retraite.
Je rappelle qu'un enseignant du second degré se forme en cinq ans ; il
faut donc prévoir. Nous ne comprenons pas pourquoi on gère les
recrutements de façon annuelle. Il faut absolument qu'il y ait une
anticipation des besoins de recrutement liés aux départs à
la retraite au moins à échéance des 5 ou
10 prochaines années. Cela permettrait de ne pas avoir de surprise
et de ne pas voir de coup d'accordéon et de ne pas se trouver dans une
situation de pénurie importante d'enseignants au cours de cette
période qui va connaître un important renouvellement du corps
professoral.
On nous l'avait promis dans la loi de 1989 et cela n'a jamais été
fait. C'est anormal.
Présidence de M. Jacques LEGENDRE, vice-président
M. Bernard Pabot -
J'ajouterai quelques
données spécifiques à l'enseignement professionnel par
rapport à un bilan général du second degré qui ne
pose pas d'état d'âme particulier à mon organisation.
Il me faut souligner d'abord une première dimension :
manifestement, l'éducation nationale, en matière de formation
professionnelle, n'assume pas la totalité des objectifs fixés par
la loi de 1989. Cette loi, à ma connaissance, a été
largement votée par toutes les composantes de la Nation à la fois
en expression politique et culturelle. Elle a assigné d'une part un
objectif de 80 % sur lequel on fait beaucoup de bruit, et un objectif plus
sérieux qui nous semblait être celui de 100 %
d'élèves à un niveau 5 de qualification.
A l'heure où s'approche un projet de loi sur la formation
professionnelle qui met en relief de l'autre côté de la
barrière, du côté des adultes, une situation de 40 %
du monde du travail qui n'a pas un minimum de qualification de niveau 5,
à une époque où tout le monde place les enjeux
technologiques et professionnels sur le devant de la scène, il faut se
poser des questions sur l'enjeu national de la formation professionnelle
initiale. Il ne peut pas se résoudre par des combats idéologiques
qui par ailleurs laissent sur le carreau 60.000 élèves parmi
les situations les plus dures de conflit, 150.000 au total si on compte ceux
qui sortent du système éducatif sans avoir une certification
reconnue.
Cette question est posée, notamment par la relance européenne des
écoles dites de seconde chance. Je crois qu'il y a des questions de fond
sur "l'investissement" éducatif en matière de formation
professionnelle. Je mets le terme investissement entre guillemets.
La deuxième réalité que je voudrais évoquer est
celle des enseignants : vous avez parlé des personnels sans poste.
Il y a une réalité particulière : nous sommes de ceux
qui connaissent une forte " flexibilisation " des formations.
L'enseignement professionnel n'aurait pas de sens s'il avait des
éléments de rigidification permanents, à savoir s'il
n'était pas capable d'évoluer en fonction des techniques et des
emplois. Dans ce schéma, les régions élaborent des
schémas directeurs. L'enseignement professionnel ouvre et ferme des
sections, mais on a une carrière pour 40 ans. De ce point de vue,
la dimension formation des enseignants est essentielle si l'on veut pouvoir
faciliter leurs adaptations futures, voire leur changement de
spécialités.
La question de la formation professionnelle des enseignants du professionnel
est essentielle. Il y a quelques années, nous disposions de formations
lourdes. Il était possible pour un enseignant de demander plusieurs
mois, voire un an, dans une entreprise dans un contexte de formation
donné pour améliorer sa qualification, pour la redéployer.
Ces questions ont été largement abandonnées et nous
souhaitons que l'on puisse y revenir. C'est-à-dire que l'on aura un
enseignement technologique performant -je devrais dire un enseignement
professionnel performant- quand on sera sûr que dans tous les cas, on
aura fait l'investissement pour les personnels de qualité.
En même temps que les personnels de qualité, il faut aussi
relancer le retour d'un certain nombre de personnel d'entreprise sur
l'éducation. Les concours le permettent. Il y a deux voies
d'entrée : la voie universitaire des formations technologiques et
des rares licences qui existent en matière professionnelle, et une voie
qui est celle de la prise en compte de position de cadre, disposant d'une
expérience qui souhaite s'investir dans l'éducation. Nous
souhaitons pouvoir relancer cet aspect et rééquilibrer les
recrutements.
C'est en ce sens que nous avions souhaité relancer les titularisations
dans des secteurs de métiers dans lesquels il n'y avait pas de
titulaires. C'est une affaire réglée après des
années de débat. On a ouvert des concours dans une cinquantaine
de métiers qui sont, au sens propre des métiers, et non pas
seulement des formations larges de branche. Aujourd'hui, on est en passe
d'améliorer la pertinence de la réponse du système
éducatif sur certaines questions. Cet effort avait été
engagé sous le gouvernement précédent et s'est poursuivi.
C'est un bon point.
Je voudrais rappeler la troisième question. Nous sommes attachés
à l'intégration au système éducatif de
l'enseignement professionnel, mais en même temps, nous sommes
attachés à ce qu'il ne perde pas sa dimension d'ouverture sur
l'extérieur, d'adaptation aux réalités et aux
évolutions. De ce point de vue, il y a des spécificités,
des originalités. C'est en ce sens que nous nous battons pour que l'on
ait une réponse dans l'éducation et une réponse qui soit
négociée, discutée, ouverte.
Le débat qui s'enclenche sur la question de la prise en compte des
compétences, telle qu'elle est demandée par l'UNEF, mérite
d'avoir lieu. Le débat est d'ailleurs largement lancé. Je crois
qu'il y a un enjeu national pour la formation professionnelle initiale.
Je terminerai par deux ou trois indications. Vous évoquiez
l'auxiliariat. Nous avons 62.000 enseignants titulaires. D'après la
dernière statistique déclarative des enseignants, il y aurait
6.000 enseignants non titulaires dans les disciplines professionnelles,
2.500 dans les disciplines générales plus l'apport et le renfort
de personnels certifiés ; je serais tenté de dire
nommés en dehors de leur contexte comme l'a souligné
Monique Vuaillat. Cela fait de l'ordre de 17 ou 18 % de la situation
des personnels qui ne correspondent pas à des personnels formés
et qualifiés stricto sensu, quelles que soient les compétences ou
les expériences industrielles qu'ils mettent individuellement en oeuvre
dans leur emploi.
Il n'est pas question de critiquer leur travail, mais de se dire qu'en
même temps, il faut qu'il y ait un encadrement de ces personnels, une
première formation. Le fait que l'on n'enseigne pas quand on enseigne la
formation professionnelle ne dispense pas de jeter un regard particulier sur la
pédagogie que l'on applique. Dieu sait que les élèves de
l'enseignement professionnel ont une pédagogie particulière,
difficile à gérer.
De ce point de vue, le dispositif actuel des IUFM ne donne pas
complètement satisfaction ; il a largement pris de la distance en
négatif par rapport au précédent dispositif de formation
des écoles normales d'apprentissage. Je crois qu'il y a là des
choses à revoir.
Par rapport aux décharges syndicales, nous sommes 6 permanents au
sens permanent du terme -dont moi-même, qui ai exercé 11 ans
à mi-temps entre un poste de conseiller en formation continue et un
poste de responsabilité nationale syndicale. Je n'ai abandonné
mon poste que quand je suis devenu secrétaire général.
210 personnes relèvent de décharges syndicales diverses et
variées, que cela soit pour apporter des collaborations nationales ou
des collaborations en responsabilités ou en aides à
l'échelon académique.
M. André Vallet, rapporteur adjoint
- Monsieur le président, je voudrais rappeler, au nom des
rapporteurs, que notre commission -M. Grignon l'a dit tout à l'heure-,
contrairement à ce que j'ai cru comprendre monsieur Deschamps de
votre propos, n'a pas pour objet de souligner les carences ou les insuffisances
de l'éducation nationale, mais de mieux assurer la gestion du personnel.
C'est donc une aide que nous voulons vous apporter et non pas un
élément critique à l'encontre du personnel de
l'éducation nationale que nous voulons complètement rassurer
quant aux objectifs que s'est fixés cette commission d'enquête.
Il y a un point qui m'a étonné et que je me permets de relever.
Vous avez dit dans votre propos liminaire que nous ne sommes pas le pays qui
consacre le plus pour l'éducation nationale, et que bien d'autres font
un effort supplémentaires. C'est une petite contradiction que je me
permets de relever : d'autres personnes, hauts fonctionnaires du
ministère entendus précédemment, nous ont indiqué
que votre propos était valable pour l'enseignement supérieur,
mais certainement pas pour l'enseignement primaire et l'enseignement secondaire.
C'est un débat que je ne veux pas ouvrir, mais qu'il serait
intéressant d'avoir. Il faudrait peut-être que notre commission
puisse mesurer -encore que cela soit très difficile- l'effort de notre
pays pour l'éducation nationale comparativement notamment aux autres
pays européens.
Vous avez à plusieurs reprises indiqué, et nous sommes nombreux
à partager ce point de vue, que ce système des maîtres
auxiliaires n'est certainement pas la meilleure réponse que l'on puisse
donner au problème de remplacement. Nous avons constaté qu'il y
avait une rigidité considérable dans le fonctionnement de
l'éducation nationale.
J'aimerais que vous nous indiquiez vos contre-propositions, puisque vous ne
voulez pas des maîtres auxiliaires et qu'il faut éviter cette
rigidité et assurer les remplacements. Que faut-il faire ?
Avez-vous des propositions en ce domaine ?
Autre point précédemment évoqué sur lequel
j'aimerais avoir votre point de vue : les classes de niveau. On nous dit
qu'elles n'existent pas par les textes, mais que peu à peu, dans de
nombreux établissements scolaires, de façon quasi clandestine,
elles se reforment. On met d'un côté les meilleurs
élèves et de l'autre les plus faibles. Qu'y a-t-il de vrai et
quel est votre point de vue ?
Par ailleurs, ne pensez-vous pas que la formation des enseignants devrait
être revue et adaptée afin que cela puisse répondre aux
différents besoins des élèves, acquisition des savoirs,
mais aussi apprentissage des règles élémentaires de la vie
en société ? Vous paraît-il envisageable, pour les
formations professionnelles ou technologiques les plus pointues, de faire appel
à des professionnels qui ne soient pas issus de l'éducation
nationale, mais qui ont cette formation très pointue que l'on ne trouve
peut-être pas parmi les enseignant ? Je parle d'un pourcentage
très faible et de formations très particulières.
Vous avez indiqué qu'au niveau des décharges syndicales, vous
vous conformiez aux textes. Je pense que oui. Y a-t-il, de votre point de vue,
des particularités des textes de l'éducation nationale par
rapport aux autres administrations du pays ? L'éducation nationale
est-elle favorisée ou défavorisée ? Y a-t-il une
particularité du système de décharge syndicale pour
l'éducation nationale ?
Y a-t-il, de votre point de vue, d'autres permanents dans d'autres
organisations de l'éducation nationale péri ou post-scolaires,
associations, mutuelles, divers services qui concourent à
l'éducation ?
Enfin, vous n'avez, ni les uns ni les autres, répondu à une
question qui nous interpelle fortement. C'est le devenir des emplois-jeunes
d'ici cinq ans. Comment le voyez-vous ?
Je terminerai par un constat qui ne se veut pas laudateur : l'enseignement
privé et l'enseignement agricole semblent moins touchés par les
dysfonctionnements que ne l'est l'éducation nationale lors de chaque
rentrée scolaire. C'est surtout dans l'enseignement public que nous
constatons, les uns et les autres, quelques problèmes.
Dernier point, nous avons été étonné de constater
que dans un même établissement scolaire, selon la formation
initiale que l'on a eue, le nombre d'heures de présence devant les
élèves n'est pas le même. Y a-t-il une justification
à cette situation ?
M. le Président -
J'attire votre attention que
cette audition doit se terminer à 16 heures 30. La dernière
commence à 18 heures 30. J'ai encore deux demandes de parole
de M. Carle et de Mme Luc. Il conviendrait donc de concentrer les
questions pour que nous puissions avoir des réponses dans les
délais.
M. Jean-Claude Carle, rapporteur adjoint -
Madame
Vuaillat, vous nous avez dit qu'il y avait pénurie de personnels dans
certaines disciplines. Il y a sûrement surabondance dans d'autres
disciplines. Pensez-vous que, non pas la polyvalence, mais au moins la
bivalence de certains personnels pourrait permettre de réduire cette
inadéquation ? Quel est votre sentiment sur ce point ?
Mme Hélène Luc -
Tout à
l'heure, mon collègue a fait remarquer que notre commission
d'enquête porte sur la situation et la gestion des personnels. Nous nous
occupons forcément du nombre d'enseignants nécessaires au bon
fonctionnement du système éducatif. Je l'ai dit au ministre de
l'éducation nationale, donc je veux le dire devant les
enseignants : l'évolution des effectifs enseignants est sans
rapport avec l'évolution des besoins. Les enseignants ont donc une
lourde charge avec le doublement de l'accès d'une classe d'âge au
baccalauréat, l'évolution des savoirs, les nouveaux besoins de
l'école générés par la crise et l'exclusion, le
développement des ZEP ; autant de facteurs qui nécessitent
l'augmentation du nombre d'enseignants.
Si je dis cela, c'est pour la suite. Le problème du gel de l'emploi
public me préoccupe énormément, et je sens qu'en
Seine-Saint-Denis, et dans les DOM, il y a une préoccupation très
forte quant aux engagements qui ont été pris et qui ne sont pas
encore réalisés. Cela pose problème. Peut-être que
les syndicats pourront dire ce qu'ils en pensent.
Tout tourne en fait, pour moi, autour du taux d'encadrement des
élèves, c'est-à-dire du nombre d'enseignants et de leur
formation, donc de leurs conditions de travail. Je pense en effet que des
élèves que l'on conduit à la réussite scolaire ont
beaucoup plus de chances de s'intégrer dans la société.
Je connais pas mal d'exemples d'enfants pour lesquels il aurait
été opportun de travailler en petits groupes. Comme disait le
ministre : "abandonner la calculette et les faire travailler en groupe", y
compris avec des classes de 18. Je pense à l'enseignement primaire
où il y a encore des classes de 30 élèves. Tels que sont
les enfants aujourd'hui, surtout dans certaines communes, je ne crois pas que
l'on puisse mener ces enfants à la réussite.
Ce qui me préoccupe, c'est de savoir comment on va résorber
complètement l'emploi précaire. Je viens de lire le document qui
nous a été remis. Il y a des pourcentages, des chiffres. Mais
pour moi, c'est l'un des problèmes les plus importants.
Il en va de même avec l'ouverture du nombre de places aux concours, car
si l'on veut résorber l'auxiliariat, il faut augmenter ce nombre.
A-t-on une idée précise de l'étendue de l'emploi
précaire et quelles mesures seraient envisageables dans le cadre de
cette résorption ?
Sur la formation continue, celle-ci appelle un accroissement du nombre des
postes pour être menée à bien sans désertion dans
les classes. Est-on capable d'évaluer les besoins en postes à ce
titre ?
Depuis que le ministre a prononcé les paroles qui se sont
retournées contre les enseignants -ce qui n'était pas une bonne
chose- il y a une psychose incroyable dans les écoles. On m'a
cité hier l'exemple d'une enseignante qui n'a pas assisté aux
obsèques d'un enfant en raison du refus de son principal d'être
absente de sa classe. Une élève a demandé à la
professeur pourquoi elle n'était pas à l'enterrement. Les
élèves ont été choqués que le professeur ne
soit pas à l'enterrement de cet élève. Cela fait aussi
partie de l'éducation civique.
J'aimerais que vous disiez ce que vous pensez de la formation des personnels de
l'enseignement technique dans les IUFM. Pensez-vous que cela soit
adapté ? Quelles sont les incidences des heures
supplémentaires sur la gestion du personnel enseignant ?
Sur l'enseignement professionnel, en tant que rapporteur, j'ai souligné
que le ministre avait pris des grandes options, qu'il avait dit qu'il en ferait
la priorité des priorités. Je sais qu'un document vous sera remis
pour être discuté par tous les syndicats. Avez-vous des choses
particulières à nous dire à ce sujet ?
D'autre part, avez-vous un avis sur ce qui est en discussion à propos de
la sécurité, sur les élèves qu'il faudrait couper
de leur milieu ? Que pensez-vous de ce que M. Chevènement a
dit dimanche ? Je réfléchis, je demande un avis. Je n'ai pas
de réponse toute faite. Je comprends que certains élèves
sont des meneurs de bandes ; comment faire ? J'aurais encore beaucoup
de questions, mais nous n'avons pas le temps. Je vais donc à l'essentiel.
M. le Président -
M. Pabot a
rappelé la possibilité pour certains professionnels
qualifiés d'intégrer les services de l'éducation
nationale. Quelle est la position de votre organisation dans le cadre de la
formation permanente de ces enseignants quant à la possibilité
-cela a été fait à l'époque de M. Beullac-
pour les enseignants du technique de retourner en stage pour retrouver une
expérience de l'entreprise ?
M. Daniel Le Bret -
Je voudrais juste
répondre à des questions qui n'ont pas été
posées s'agissant du premier degré. Je ne sais pas si c'est parce
qu'il y a transparence totale que vous ne posez aucune question sur le premier
degré. Même si l'on ne me demande rien, j'en profiterai pour dire
un mot.
J'ai lu les comptes rendus de la commission. Par rapport aux chiffres qui ne
seraient pas transparents, il faudrait être sérieux. Chaque
inspecteur d'académie pour le premier degré est capable de donner
à l'unité près, la répartition des postes et des
emplois de chaque instituteur payé par l'éducation
nationale ! Des postes qui seraient secrets et qui ne seraient pas
comptabilisés par les inspecteurs d'académie, cela n'existe pas.
Vous avez, au niveau national, avant à la direction des écoles,
aujourd'hui à la DESCO, le décompte total des enseignants. Qu'ils
soient détachés ou pas, ce chiffre existe. Evidemment, je suis
étonné de voir que dans plusieurs interventions, on se pose la
question.
La structure du corps a changé par rapport à il y a 20 ans.
La majorité des instituteurs étaient dans leur classe. On a
inventé aujourd'hui l'enseignement spécialisé qui
n'existait pas il y a 30 ans. Aujourd'hui, ce sont des maîtres qui
apportent une aide à des enfants en grande difficulté et qui ne
sont pas devant une classe.
On a aussi inventé les conseils pédagogiques pour accueillir les
jeunes qui sortent de l'IUFM et pour leur donner un coup de main dans leur
premier poste. Ce sont des postes qui ne sont pas directement devant une
classe. Notre enseignement s'est donc diversifié. On a inventé
les ZEP en 82 et il y a des postes de soutien en ZEP qui n'existaient pas
auparavant.
Evidemment, il y a aujourd'hui plus d'enseignants qui font un travail hors la
classe, car des besoins nouveaux ont été reconnus.
En termes de gestion, si cette commission peut aider à quelque chose,
c'est de dire que c'est une gestion "d'épicier". Il n'y a pas une
approche prospective. La carte scolaire et les recrutements sont faits chaque
année, année après année. Il ne peut pas y avoir de
climat de confiance. Je prends l'exemple de la carte scolaire qui voit chaque
mois de janvier, les élus que vous êtes, et d'autres,
défiler avec les manifestants pour empêcher les fermetures des
classes. Ce n'est même pas pensé sur une durée à
5 ans. Chaque année, on réorganise l'ensemble du
système avec des ouvertures et des fermetures.
C'est la même chose pour la programmation des recrutements. Nous pensons
qu'il y a beaucoup à faire en termes de prospective transparente pour
les personnels. On ne demande pas des cabinets d'experts pour gérer la
carte scolaire. Il pourrait y avoir une déclaration sur
l'évolution du système dans les années à venir, qui
intégrerait la baisse démographique, et expliquerait comment les
postes récupérés par la baisse démographique
peuvent être utilisés pour l'amélioration du
système. C'est ce débat qu'il faut avoir aujourd'hui.
On gère l'éducation nationale comme il ne serait pas pensable de
gérer une entreprise. Il faut un débat de prospective. Il n'est
pas transparent, et d'année en année, y compris avec les
changements de gouvernements et les changements de politique, il y a des
modifications importantes.
Dans les dernières années, les postes que nous avions obtenus,
autorisaient des congés formation : un instituteur ou un professeur
des écoles avait la possibilité durant un an d'avoir une
mobilité dans une entreprise pour revenir ensuite dans son métier
et le faire ainsi évoluer. Ces congés mobilité pour aller
en entreprise, et les congés formation permettent d'accéder
à des formations en université ont été quasiment
supprimés.
C'était évidemment consommateur de postes. On a
récupéré ces postes. On a eu une approche de comptable et
le métier d'instituteur et de professeur des écoles souffre de
son manque d'ouverture.
En matière de prospective, les enfants qui sont dans nos classes
aujourd'hui seront dans la vie active en 2025. Cette commission doit prendre
conscience que les experts sont incapables de dire quelles seront les
structures des métiers en 2025. La seule chose qui est sûre est
qu'il y aura besoin d'un haut niveau d'intelligence et de capacité
d'adaptation en 2025. On a des choix à faire qui ne dépendent pas
du budget actuel, et qui n'ont pas à être raisonnés sur un
an ou deux, mais des choix d'investissements lourds sur le long terme pour le
premier degré.
Sur la question posée concernant les autres pays, MM. Clinton et
Blair viennent de décider de multiplier l'investissement dans
l'éducation dans leurs pays. Des chiffres très précis
issus de source OCDE montrent que nous sommes pour le premier degré,
derrière les Etats-Unis et à un certain nombre d'autres pays. On
a bien dans ce pays un problème de développement et les
élus de la nation, pas seulement de cette commission, doivent proposer
des solutions pour que l'école puisse remplir sa fonction.
Pour conclure, la nation demande à l'école primaire d'assurer
l'apprentissage d'une langue vivante dès le plus jeune âge et que
les enfants soient formés aux nouvelles technologies. Nous savons bien
que ces deux paris ont déjà été tentés.
Jean-Pierre Chevènement l'avait tenté et la cour des comptes
a montré que l'année suivante, un appareil sur deux était
en panne dans les écoles. Aujourd'hui, on ne peut pas rater ce
rendez-vous, et pour ce rendez-vous, vous avez besoin de matériel, mais
aussi d'enseignants formés qui soient capables de maîtriser les
nouvelles technologies et d'enseigner les langues vivantes.
Aujourd'hui, comme le soulignait Michel Deschamps tout à l'heure, la
première observation que devrait faire cette commission serait de
mesurer le poids de la formation continue par rapport aux autres
administrations. C'est la plus grosse erreur de ce système de ne pas
mesurer comment la formation continue pourrait modifier le système. Ce
n'est un problème de gestion, c'est un problème de conception de
l'évolution de ce système. Il y a un système qui
n'évolue pas. Il y a des instituteurs qui, pendant 27 ans ou 37,5
annuités, ne sont pas obligés d'aller en formation continue. Cela
correspond à l'école de Jules Ferry et certainement pas à
l'école du XXIe siècle !
M. le Président -
Soyez assuré que
votre prise de parole tardive ne traduit pas un manque d'intérêt
de la commission pour les problèmes de l'enseignement primaire.
Absolument pas.
M. Bernard Pabot -
Je vais repréciser ma
réponse. L'un des problèmes de l'enseignement professionnel est
d'abord la pédagogie que l'on y met en oeuvre. Ce n'est pas un
enseignement qui se décline par discipline.
Vous invoquiez, monsieur Carle, l'interdisciplinarité pour les
disciplines générales. Je vous rappelle que les professeurs
d'enseignement général sont bivalents dans l'enseignement
professionnel. Je ne me prononce pas sur le fait qu'ils le soient ou non dans
des secteurs d'enseignement que je ne connais pas.
Non seulement nous pensons qu'ils doivent être bivalents, mais nous
pensons que leur formation doit les mettre en contact avec l'enseignement
professionnel, et qu'il y a un équilibre à trouver entre
l'enseignement professionnel et l'enseignement général avec un
centre interdisciplinaire autour de l'enseignement professionnel. C'est pour
répondre à Mme Luc dont j'ai suivi avec intérêt
les interventions et les rapports.
Ce que nous sentons autour des IUFM, c'est l'abandon de cet esprit. On est en
train de décliner les enseignements dans l'enseignement professionnel
comme s'ils étaient strictement disciplinaires. Cette conception
strictement universitaire de l'enseignement professionnel nous paraît
difficile à assumer et de plus en plus dangereuse.
L'idée d'une certaine spécificité de l'enseignement
professionnel, notamment ce que nous avons appelé la pédagogie
inductive, l'idée qu'il faut accéder au savoir à partir
d'un support de l'objet technique, à partir de ses fonctions, à
partir de la façon dont on les manipule et de décliner l'abstrait
après avoir décliné le concret, c'est une question qui se
perd aujourd'hui.
C'est l'une des critiques de fond que nous faisons aux IUFM, à savoir
que pour des raisons de moyens, on forme un professeur de lettres anglais des
disciplines professionnelles comme un professeur d'anglais des disciplines
générales. Ce n'est pas du tout le même débat.
Il y a un débat sur la place des langues vivantes, dans les
enseignements professionnels. On sait que l'on va avoir besoin des langues
vivantes dans les disciplines d'enseignement professionnel et on mesure bien
qu'on en a besoin, notamment pour la mobilité des qualifications en
Europe. C'est une question importante, mais on ne peut pas former les
professeurs de langues vivantes des lycées professionnels par la seule
discipline.
Pour répondre à Mme Luc, nous avons de fortes interrogations
sur la façon dont l'IUFM traite la formation des enseignants du
professionnel, en étant, nous ne le cachons pas, quelque peu
réservés, pour ne pas dire critiques.
Le deuxième aspect des choses, c'est la place des professionnels dans
l'enseignement. Je rappelle que le corps des PLP est ouvert à des
recrutements de gens venant des entreprises. Nous tenons à cette
ouverture et à cette oxygénation.
Reste le problème de la participation des entreprises dans le
système éducatif. Des collaborations ponctuelles ont lieu. Je
crois savoir que des enseignants, que ce soit dans le technique ou dans le
professionnel, invitent des représentants d'entreprises à faire
des conférences sur telle ou telle question. Il y a des
conférences sur des produits techniques, sur des machines etc.
J'insiste sur un autre aspect qui n'est pas souvent pris en compte. S'il est
vrai que l'on peut difficilement faire intervenir un intervenant d'entreprise
devant des élèves en grande situation de difficulté, car
il y a un problème d'habillage de la présentation, il faut savoir
que dans le baccalauréat professionnel, il y a une place
réservée dans la diffusion des savoirs dans l'entreprise. Cela
nécessite qu'il y ait des gens dans l'entreprise qui l'assument.
De ce point de vue, en entreprise, il y a des tuteurs qui jouent un rôle
très particulier dans la formation des élèves, notamment
en baccalauréat professionnel qui est le diplôme le plus
élaboré en matière de coopération de savoirs entre
l'entreprise et l'éducation.
Mme Monique Vuaillat -
Sur la question des remplacements, vous
demandez quelles sont nos propositions alternatives. Il y a plusieurs types de
remplacements : les remplacements longs pour congé de
maternité, pour longue maladie etc. et les remplacements de très
courte durée liés à des absences qui ne nécessitent
pas 8 jours de congé.
Pour les congés assez longs, la réponse est l'emploi de
titulaires remplaçants. A moins de 8 jours, c'est compliqué.
La ressource peut être le titulaire remplaçant si le maillage est
suffisant sur la zone. On peut trouver d'autres palliatifs. La
rentabilité d'un remplacement improvisé pour une 1 ou
2 heures par semaine n'est pas évidente au niveau de
l'efficacité pédagogique.
Les palliatifs peuvent être, soit les échanges d'enseignants entre
eux qui, par accord volontaire, se remplacent. Un professeur de
mathématiques peut prendre les heures du professeur de français
qui est absent un jour pour faire un complément en mathématiques,
lequel lui sera rendu la semaine suivante. Cela se pratique déjà.
Il y a le recours à l'activité en CDI quand 1 ou 2 heures
manquent. Et parfois, on peut trouver aide auprès d'un étudiant
surveillant qui peut amener un soutien à un moment donné.
La seconde question portait sur la formation continue des enseignants. En
moyenne, dans le second degré, tous les enseignants n'ont pas droit
à la formation continue sur le temps de travail. Il représente
quatre jours et demi par an. Vous voyez donc le ridicule de la question.
Nous aussi, dans le second degré, nous avons perdu les
3.000 congés de mobilité acquis en 1989 et la formation
professionnelle continue qui donne droit à un an de congé, mais
avec perte de salaire pour l'enseignant. C'est une particularité de
l'éducation nationale : on peut partir en congé de formation
pendant un an, mais on n'est payé qu'à 85 % de son salaire. Cela
se réduit comme une peau de chagrin d'année en année. Il
n'y a pratiquement plus de possibilités de départ en formation
continue. Il y a des interdits de départ en stage quand il n'y a pas de
remplacement. Comme il n'y a pas de remplacement, il y a de fait suppression
des stages. C'est une politique à courte vue.
Nous ne sommes pas satisfaits de ce système. Il faudrait accroître
la formation continue et intégrer dans les besoins de remplacement le
droit à la formation continue sur le temps de travail.
M. Daniel Le Bret -
Sur les remplacements, je
suis d'accord avec ce qui vient d'être dit par Monique Vuaillat. Il y a 5
à 10 instituteurs professeurs des écoles par
département qui ne sont plus capables de faire classe pour des raisons
historiques. A un moment donné, des instituteurs ont été
en très longue maladie, et il n'y a pas de postes de reclassement
prévus. Dans les indicateurs, ce sont des gens qui sont sur des postes
de remplaçants, mais ils ne font pas de remplacements. En termes de
gestion, d'année en année, tout le monde considère que
c'est normal et rien n'est fait. Cela fait de 500 à 1000 postes au
niveau national !
Mme Monique Vuaillat -
Nous n'avons pas le même
système mais nous demandons, pour les enseignants fatigués, qui
ont des problèmes pour enseigner, que l'on puisse créer des
postes d'adaptation. Il y en a, certes, tout le monde le sait. Mais,
plutôt que de laisser ces enseignants souffrir sur place, et les
élèves aussi par voie de conséquence, il faudrait
créer des postes de réadaptation en nombre suffisant, même
s'il y en a.
Sur la précarité, la résorption, je ne veux pas m'y
attarder longtemps. Il faut arrêter de recruter des précaires.
Pour les résorber, on avance plusieurs pistes : les concours.
Or, les postes aux concours diminuent et le rythme de titularisation actuel,
pour ce qui concerne le CAPES surtout et l'agrégation est de 5.000 par
an. Comme les postes aux concours réservés -on vient de nous
supprimer un concours spécifique- diminuent, il y aura de moins en moins
de titularisations. Il faut réouvrir ces postes aux concours et
réouvrir les concours spécifiques.
Second volet, il y a un volant de 7.000 à 8.000 maîtres
auxiliaires qui ont plus de 10 ans d'ancienneté. Pour
ceux-là, nous demandons une équivalence de CAPES et un
accès direct à l'IUFM.
Troisième question, est-il normal qu'il y ait des différences de
service en fonction de la qualification ? Je pense que vous faites
référence aux agrégés. Je répondrai par
boutade : non, ce n'est pas normal. C'est pourquoi nous demandons que les
certifiés qui font 18 heures soient alignés sur le service
des agrégés. De ce point de vue, nous avons une réponse
très simple.
Peut-on parler de pénurie dans certaines disciplines et de surabondance
dans d'autres ? De pénurie, certainement. J'ai évoqué
la question. De surabondance, cela dépend par rapport à quels
types de besoins.
Est-il normal qu'aujourd'hui, il y ait en apparence un surplus de professeurs
de philosophie quand nous avons des terminales à 38 et 40
élèves ? On pourrait considérer que ce surplus
provisoire est une anticipation sur les recrutements à venir et qu'ils
peuvent permettre d'améliorer les conditions d'enseignement.
Par exemple, il y a aussi un surplus en apparence en
histoire-géographie. On peut y appliquer le même raisonnement.
Peut-on résorber ces surplus qui nous semblent complètement
conjoncturels par l'introduction d'une bivalence ? La réponse est
non. Clairement non ! Nous pensons que nous abordons un nouveau
siècle et qu'il faut quand même permettre aux enseignants
d'être très qualifiés dans leur discipline. A vouloir leur
en imposer deux ou trois pour cause de mauvaise gestion, c'est un mauvais
calcul à terme. Notre argumentation étant assez connue, je n'y
reviens pas.
Sur les heures supplémentaires, il y a un petit scandale qui consiste
à ne pas créer les moyens en postes budgétaires, à
imposer des heures supplémentaires aux enseignants, à baisser le
taux de rémunération et à refuser comme c'est le cas la
transformation en emplois. Il faut résorber rapidement ce volant
d'heures supplémentaires. Evidemment, nous demandons le
rétablissement du taux.
Il n'est pas banal qu'un gouvernement se permette de baisser la
rémunération au nom d'une solidarité, non pas pour
créer des emplois statutaires, mais pour créer des emplois
précaires alors que des milliers d'étudiants attendent des
possibilités d'entrer dans l'enseignement.
Sur les classes de niveau, ce n'est un secret pour personne qu'il y a de
l'échec scolaire dans le système éducatif. Il existe dans
le primaire et se fossilise au collège. Le scandale le plus important
par rapport à l'avenir du système éducatif, c'est que rien
n'est fait de sérieux pour empêcher ce type de situation.
Avant de traiter des questions de classes de niveau implicites, il y en a. Par
exemple, la fonction des classes européennes en collège a
été détournée de son objectif. Cela devient des
sections pour regrouper les enfants de milieux favorisés. En même
temps, cette question est très compliquée. Certains
collèges de zones d'éducation prioritaire (ZEP) créent des
classes européennes, car c'est le seul moyen de maintenir une
mixité sociale dans le collège. C'est donc très complexe.
Le scandale, ce sont toutes les structures ghetto comme les troisièmes
d'insertion sans perspectives ou les quatrièmes aménagées
qui sont un moyen d'enfermer définitivement les jeunes dans des
impasses. C'est cela le gros scandale. Vous trouverez toujours des
quatrièmes constituées en fonction du fait que l'on a choisi
telle ou telle langue vivante. Ce n'est pas un mystère, tout le monde le
sait. Le phénomène le plus important est celui que je
décris ; le reste est désagréable, négatif,
mais reste marginal.
Dernier élément, oui au départ des enseignants sous forme
de congé long, d'année sabbatique pour aller prendre l'air et
voir d'autres choses. Cela suppose que l'on rétablisse les stages en
entreprise d'un an que nous avions il y a 15 ans et que l'on a
supprimé pour questions budgétaires. Ils étaient fortement
demandés et appréciés par les collègues ; ils
ont été regrettés. Mais que l'on nous donne des
années sabbatiques ! Il est anormal que dans cette profession, on
ne puisse pas bénéficier d'un temps long à disposition des
enseignants. Au total, l'institution est gagnante ensuite. Même quand la
formation qui est faite n'a rien à voir, c'est un enrichissement pour
l'enseignement et son ouverture. Pour des raisons budgétaires, on a
supprimé cette chose et c'est regrettable.
M. Michel Deschamps -
A propos des décharges
syndicales, le système est fait de telle façon que le
ministère de l'éducation nationale a moins de décharges
comparativement que les autres ministères. Le système est
dégressif : plus il y a de personnels, plus les affectations son
réduites. J'ai pu comparer, venant d'un autre ministère, cette
situation plutôt défavorable du ministère de
l'éducation nationale.
J'ajoute qu'au sujet des dispenses de services qui sont totalement
transparentes, le ministère peut vous en communiquer les volumes ; ce
sont des règles de fonction publique. La comparaison avec les
entreprises privées montrent que nous sommes en deçà des
délégations accordées aux syndicalistes du privé.
De plus, dans les entreprises privées, on ajoute aux heures diverses de
délégation un subventionnement direct, soit de la puissance
publique, soit du patronat via les comités d'entreprise que nous
connaissons pas dans la fonction publique.
Sur les emplois-jeunes et sur la sortie du système, le ministère
est toujours dans une logique de recrutement. Il est à peine dans une
logique de formation et il n'est pas du tout dans une logique de
préoccupation de la sortie du système.
Nous avons pesé beaucoup pour le que le ministère prenne en
compte, y compris en adaptant les obligations de service des aides
éducateurs, les questions de formation continue, mais nous n'avons pas
réussi encore à avoir un vrai débat et à pouvoir
faire entendre nos propositions pour gérer la sortie du système.
J'attire votre attention : nous avons raté cette question avec les
contrats emploi solidarité. J'ai peur qu'au bout de 4 ou 5 ans,
nous ne soyons très échaudés sur la gestion de sortie du
système.
Sur le classement de la France, nous sommes au cinquième rang
après les pays scandinaves et les Etats-Unis, mais nous offrons une
espérance de scolarisation beaucoup plus importante -je ne parle pas des
comparaisons de performances où nous sommes très
supérieurs aux Etats-unis, mais c'est plutôt contre productif pour
ma démonstration- que les pays qui nous précèdent.
Sur l'enseignement agricole qui a une gestion des personnels avec un mouvement
national non déconcentré, relativisons car l'enseignement
agricole représente à peine un rectorat du ministère de
l'éducation nationale.
Cependant, même si comparaison n'est pas raison, nous avons avancé
nos revendications d'abaissement des effectifs de classe et nous avons
attiré l'attention de l'éducation nationale sur la
corrélation entre la violence et la taille des
établissements : j'ai participé à une table ronde
présidée par Alain Juppé, Premier ministre, où
Monique Vuaillat et moi, pour la FSU, avons beaucoup insisté sur la
nécessité de faire la chasse aux gros établissements dans
une optique de lutte contre la violence.
Voilà un type d'enseignement où ces deux facteurs, des
établissements qui ne dépassent pas 500 élèves
et des effectifs de classe en moyenne nettement inférieurs à
l'éducation nationale, font la preuve que cela marche. Ce sont des
solutions qui fonctionnent.
J'ajoute que la plupart des établissements agricoles sont en banlieue
urbaine et non pas dans le rural profond et qu'ils ont un recrutement
majoritairement ouvrier. Il n'y a pas de caractéristiques sociologiques
qui expliqueraient cette différence de performance.
Mon dernier mot sera pour dire que je crains que le début de mon
intervention ait entraîné une incompréhension. Je n'ai
aucune défiance a priori envers votre commission. La façon
directe dont nous avons répondu le montre. Nous avons
dépouillé -comme c'était normal- avec beaucoup d'attention
les comptes rendus des précédentes auditions dans lesquelles les
sénateurs posent des questions, mais ne donnent pas leur avis. Par
contre, parmi les personnalités auditées, plusieurs ont
joué avec cette idée des effectifs pléthoriques.
Voilà ce que j'ai voulu dire et pas plus.
M. le Président -
Nous vous remercions.