AUDITION DE M. JEAN-MARC MONTEIL,
RECTEUR DE L'ACADÉMIE DE
BORDEAUX
(17 FÉVRIER 1999)
Présidence de M. Adrien GOUTEYRON, président
Le
président lit la note sur le protocole de publicité des travaux
de la commission d'enquête et fait prêter serment à M.
Jean-Marc Monteil.
M. Adrien Gouteyron, président -
J'ai
beaucoup de plaisir à accueillir Jean-Marc Monteil, ne fût-ce que
parce que nous nous connaissons depuis très longtemps : c'est
l'Auvergne qui l'a fourni à la haute administration de
l'éducation nationale. Je lui souhaite la bienvenue devant cette
commission d'enquête.
Monsieur le recteur, vous avez la parole pour un exposé d'une dizaine de
minutes ; nous vous poserons ensuite des questions.
M. Jean-Marc Monteil -
La mission qui m'a
été confiée est extrêmement récente : il
me sera donc difficile d'apporter des éléments à votre
commission, à part des éléments personnels.
Elle consiste à engager une réflexion sur la notation des
personnels enseignants. Comme vous le savez, ce problème est, sinon
redoutable, du moins difficile puisqu'il s'agit de parvenir à une
appréciation à la fois pédagogique, par les corps
d'inspection, et administrative, par les chefs d'établissement. Ainsi,
un double regard est porté sur eux, d'une part, sur la façon
d'enseigner, de distribuer le savoir et, d'autre part, sur la façon de
servir plus largement l'intérêt d'un établissement public.
Dans ces deux approches, apparaît déjà, sinon une
réalité quelque peu conflictuelle, au moins une difficulté
à rendre les choses cohérentes. En effet, dimensions
administratives et dimensions pédagogiques sont certes dissociées
mais également associées sur certains points : les relations
entre chefs d'établissement et corps d'inspection existent mais de
manière non organique, très épisodique dans la mesure
où les corps d'inspection ne sont pas suffisamment nombreux pour visiter
les établissements régulièrement et
systématiquement.
Il convient donc de trouver en ce domaine une forme d'économie qui
permettrait de prendre en compte deux éléments importants :
d'abord, une appréciation la plus juste possible de l'acte d'enseigner,
de manière à éviter que la première notation ne
soit un étiquetage à partir duquel l'ensemble des notations
suivantes soient réalisées et d'obtenir ainsi un effet de source.
Une fois bien noté, on l'est à vie ; si l'on est mal
noté, ce sera parfois aussi à vie. Les correctifs sont parfois
uniquement de nature statistique.
Faut-il une notation immédiate et coter dès ses débuts un
jeune professeur, ou attendre un peu ? L'auteur de la seconde notation
doit-il connaître la première ? C'est un aspect très
important qui relève à la fois de la docimologie et d'une
éthique de l'évaluation. L'évaluation est un vrai
problème quand on sait que la promotion et les carrières des
enseignants peuvent y être attachés.
Il faut envisager les choses dans un perspective d'évaluation
positive : il faut que l'évaluation ait une fonction formative,
tant pour celui qui évalue que pour celui qui est évalué,
et pas seulement une dimension sommative.
La notation est un point de l'évaluation mais l'évaluation n'est
pas réductible à la notation. Il est important que la notation
rende compte d'une évaluation, donc d'une information donnée
à l'enseignant sur la façon dont il s'y prend pour enseigner.
C'est un retour sur son activité, une indispensable rétroaction
sur son activité.
Fondamentalement, il n'existe pas de différence considérable
entre l'évaluation des élèves, des enseignants, des corps
d'inspection, bref l'évaluation rencontrée dans tous les corps,
administratif, pédagogique, voire d'autres secteurs. Ce problème
d'évaluation est donc très difficile : il faut l'aborder
sans a priori.
C'est ce à quoi je vais m'attacher dans le cadre de la mission que m'a
confiée le ministre qui me demande de réfléchir et
d'analyser les principes à partir desquels s'organise la notation et
à partir desquels, dans une perspective d'évaluation positive,
nous pourrions concevoir un dispositif capable d'améliorer la situation.
J'avoue que je ne me suis pas encore engagé dans une réflexion
approfondie.
S'agissant de l'approche de la gestion du dispositif éducation nationale
et à partir de mon expérience de recteur, je voudrais ajouter
deux ou trois choses simples.
La gestion des personnels de l'éducation nationale est très
complexe : d'abord, pour une raison qui me paraît tellement
naturelle qu'elle doit sauter aux yeux de chacun ; une raison strictement
de territoire, c'est-à-dire d'organisation de la géographie.
En effet, si l'on analyse les choses, l'éducation nationale est le
dernier aménageur du territoire. Elle est présente partout ou
pratiquement partout. Au fond de la vallée d'Aspe, de la vallée
d'Aoste, sont implantés des écoles, des petits collèges,
voire des petits lycées. L'éducation nationale est donc
présente dans des endroits du territoire où il n'existe
pratiquement plus d'autres service publics.
La conséquence immédiate est que, du point de vue de la gestion
et de l'utilisation des ressources humaines, vous ne pouvez pas traiter de la
même façon un établissement situé dans un
département profondément rural et un établissement en zone
urbaine. Autant vous pouvez tenir une gestion des personnels, enseignants et
non enseignants, quelque peu rationalisée dans un dispositif urbain ou
suburbain, autant le problème est tout à fait autre dans un
dispositif rural.
La raison en est simple : par exemple, si, dans les zones rurales, vous ne
dispensez pas les options que vous adoptez dans les zones urbaines, vous ne
respectez plus l'égalité à l'égard de
l'accès à l'éducation. Pour servir des options en zone
rurale, vous êtes parfois forcés d'utiliser un potentiel
d'enseignement qui peut apparaître surdimensionné par rapport
à l'effectif auquel il s'adresse. C'est en quelque sorte un dispositif
binaire, en 0-1 : vous faites ou non. De la même façon, pour
le premier degré, dans un département très rural, vous
avez nécessairement un nombre important d'écoles avec une seule
classe ou deux.
Dans une telle situation, les notions d'effectifs, de nombre
d'élèves par instituteur ou professeur ne se posent pas de la
même façon qu'au centre de Paris ou de Bordeaux. Si notre regard
est par trop macroscopique, certes, on a l'information indispensable mais non
suffisante pour comprendre comment organiser le dispositif gestionnaire des
ressources humaines.
Cette dimension de territoire est essentielle, car elle peut induire des
différences importantes de gestion pour les dispositifs
académiques. Voilà pour le premier point.
Le deuxième point est étroitement lié au premier : la
carte des formations. Je suis profondément convaincu que, dans les
régions, dans les académies à forte ruralité et
à faible tissu industriel, par définition, là où
l'on rencontre non pas des PME-PMI mais de toutes petites PME-PMI ou de gros
artisans, il est indispensable d'organiser un aménagement de formation
continue à travers le dispositif d'enseignement. Il permettrait à
ces toutes petites entreprises (TPE), ou à ces gros artisans de
maintenir un niveau d'innovation, à la fois dans les domaines
technologique, commercial, de la réflexion sur les produits, qui
pourrait aider au maintien de l'emploi, voire même à son
développement.
L'obsolescence des techniques et des savoirs est extrêmement rapide pour
des gens qui sont loin des grands centres d'interaction. Il faut donc pouvoir
mettre à disposition cet aménageur du territoire qu'est
l'éducation nationale.
Voilà qui est très difficile et redoutable, mais c'est
probablement indispensable pour deux raisons : dans les zones de
dépeuplement, nous perdons des élèves, mais nous gardons
un potentiel humain et technologique dans un certain nombre de cas. En tout
cas, on conserve un appareil intellectuel et de formation.
Dans la société dans laquelle nous vivons, le retour en formation
est très vite une exigence absolue pour chacun. Dépeuplement et
baisse de la démographie scolaire peuvent être partiellement
compensés par accroissement de la démographie, lié
à la formation continue des adultes, des jeunes adultes ou des
adolescents. Sortis tôt du dispositif scolaire, éventuellement en
situation de difficulté, ils peuvent revenir sur des dispositifs et des
modalités diplômantes ou qualifiantes en formation continue.
Tous ces dispositifs existent, de façon assez naturelle, dans les grands
centres avec les universités, des lycées technologiques, des
lycées d'enseignement professionnel importants : post-bac,
systèmes d'apprentissage, relations avec des entreprises, tissu
économique dense. Mais plus on s'éloigne des grands centres
urbains, moins cette réalité existe. Il convient donc de trouver
un dispositif de cette nature.
La gestion des moyens de l'éducation nationale dans leur ensemble me
paraît devoir être appréhendée dans une telle
perspective. Si nous la regardons de cette manière, nous nous retrouvons
dans une notion de service public qui s'adresse à tous.
Sans cela, le risque est, à mon avis, double : d'abord, l'appareil
de formation éducation nationale se verrait doublé d'un appareil
de formation parallèle. L'appareil éducation nationale se verrait
alors sous-employé, insuffisamment utilisé ainsi que ses
compétences. Ensuite, il me semble nécessaire de trouver des
formes d'organisation qui associent étroitement formation initiale et
formation continue. Pour cette raison et pour une deuxième raison
importante liée au fait que la formation initiale ne peut évoluer
seulement sous la pression d'une réflexion strictement
académique, la formation initiale doit aussi pouvoir évoluer
à partir des problèmes posés par la formation continue,
qui renvoie une certaine image des besoins rencontrés sur le terrain,
des pratiques sociales, économiques et culturelles.
Cela ne veut pas dire qu'il s'agit d'asservir le dispositif d'éducation
nationale à des besoins définis en aval. Sinon, nous aurions une
situation catastrophique qui nous conduirait à un dispositif très
vite inadapté à la suite de l'évolution rapide de l'aval.
Si nous rendions l'amont contingent à l'aval, nous n'aurions plus de
dispositif d'éducation avec formation initiale.
Entre ces deux dimensions, il existe encore celle qui consiste à
créer de fortes interactions qui exigent un partenariat fort avec des
collectivités, avec l'environnement économique et surtout avec
les établissements d'enseignement où il convient d'organiser
cette solidarité et cette mutualisation des compétences.
En effet, aujourd'hui, nous vivons trop dans une culture de
différenciation inter-établissements. Autrement dit -il s'agit
ici d'un paradoxe-, dans l'éducation nationale, un établissement
peut considérer qu'il est éventuellement dans une logique de
compétition avec un autre établissement, sur un même site.
Cette logique vaudrait si nous ne n'étions pas dans une logique de
service public de l'éducation où ce qui prévaut
réside dans la complémentarité des établissements
sur un même site.
Un exemple encore : si deux ou trois lycées, se situant dans une
même périphérie, rivalisent pour présenter le plus
d'options possibles pour se retrouver avec des effectifs ridicules dans chaque
option, au prétexte d'utiliser ces options comme autant de produits
d'appel. On voit alors fleurir des dérogations pour accéder
à tel établissement qui utilise tel ou tel appel optionnel pour
parvenir à un tri des élèves.
Or, la question ne se pose pas en ces termes : il faut servir les options
qui doivent l'être mais éviter d'entrer en fausse concurrence
entre établissements en entraînant des effets
délétères.
Nous savons bien qu'on peut utiliser la langue de bois et dire que c'est
marginal. Mais ce n'est pas le cas : il est difficile aujourd'hui de faire
accepter que chaque établissement soit parfaitement connu de tous les
autres dans ses structures pédagogiques. Il me paraîtrait
essentiel que, dans une académie, dans un département, dans un
site géographique, on puisse exposer clairement la structure des
établissements, leurs options, le nombre d'élèves par
classe, le rapport des professeurs sur l'élève, le budget
consolidé de chaque établissement. Tout cela devrait être
parfaitement connu de chacun des autres établissements. Ainsi,
réunissant tous les acteurs d'un site, il serait possible de montrer que
l'on tient à mener une politique de site, visant à optimiser les
capacités de formation.
Voilà une démarche de service public. Cette mutualisation est
indispensable. Il ne s'agit pas pour autant d'en arriver à ce que cette
absence de différenciation aboutisse à des effets uniformisants.
La compétition ne peut porter sur la qualité des
établissements à travers ce qu'ils sont capables d'obtenir, dans
une politique de guichet, à l'endroit de l'administration centrale ou du
rectorat.
L'important est de pouvoir servir l'ensemble des formations disponibles, mais
avec une complémentarité nécessaire sur le site. De ce
point de vue, nous obtenons des économies d'échelle tant sur la
qualité que sur la quantité des moyens. C'est difficile partout
et je ne crois pas que cela soit spécifique à l'académie
dans laquelle j'exerce.
Que suppose une démarche plus mutualisante ? D'abord, que les
établissements aient des projets éducatifs pluriannuels. Il est
impossible de piloter un dispositif simplement de manière annuelle, et
ce pour une raison simple : prenons l'exemple d'un collège
où les enfants entrent en sixième ; ils y sont au moins pour
quatre ans. Le projet doit donc être conçu au moins pour quatre
années.
Les établissements doivent donc décider de projets. En outre, les
projets des établissements doivent pouvoir être
élaborés en fonction de la réalité du secteur
territorial sur lequel ils sont situés. Une fois remplies les
obligations d'enseignement obligatoire et de service public, le projet de
l'établissement doit s'inscrire pour une part dans le projet de
l'ensemble des établissements du site.
Il ne suffit pas de dire qu'il faut des relations entre le primaire et le
collège, entre le collège et les lycées ; encore
faut-il qu'elles existent dans des projets d'un site donné. C'est
simple : le passage du CM 2 en sixième n'est pas affaire
facile ; l'orientation post troisième ne l'est guère plus.
Il est important que des chefs d'établissement, des enseignants et des
personnels non-enseignants d'un lycée d'enseignement professionnel aient
une connaissance étroite du collège situé à vingt
kilomètres, à cinq kilomètres ou parfois à
500 mètres d'eux, et réciproquement. Simplement pour pouvoir
organiser convenablement les filiations naturelles qui doivent exister de
l'école élémentaire à l'université.
Ce que je dis ici vaut pour la relation entre l'école
élémentaire et le collège, entre le collège et le
lycée, mais aussi entre le lycée et l'université. Or, de
ce point de vue, nous accusons un certain nombre de déficits. La notion
d'orientation, pour être largement utilisée, n'est pas
complètement pratiquée en toute connaissance de cause.
Par exemple, je suis frappé, voire même choqué, de
constater que des élèves qui peuvent passer plusieurs
années dans le système scolaire peuvent en sortir pour passer
ensuite, un bilan de compétences dans un centre de bilan, public ou
parapublic : il est paradoxal de se faire établir un bilan de
compétences alors que, pendant des années, on a fait l'objet
d'une évaluation de ses compétences. L'éducation nationale
pourrait être un excellent "bilanteur" d'élèves (le
néologisme n'est pas des plus heureux) alors que l'on s'aperçoit
que les bilans de compétences se font ailleurs. C'est paradoxal.
L'élève se situe dans une continuité mais passe dans
divers établissements : il devrait exister une filiation entre eux.
Je ferais volontiers une analogie : il me semble indispensable qu'il y ait
des filiations inter-générationnelles et une vraie filiation
inter-niveaux d'enseignement. La difficulté est que cela se passe
plutôt en termes de rupture qu'en termes de filiation.
Un autre point que je voudrais développer, assez étroitement
lié aux deux premiers : la formation des personnels et, plus
largement, de toutes les ressources humaines de l'éducation nationale.
Il conviendrait d'utiliser davantage ce que j'appellerais les savoir-faire, les
tours de main des enseignants dans la formation initiale et la formation
continue des personnels. Autrement dit, dans notre système, il existe
des enseignants qui disposent de trucs, qui savent faire des choses qui
marchent. Il est important que toutes ces compétences puissent
être partagées et transmises. Dans la formation des enseignants,
une part doit être constituée de formation par les pairs, par ceux
qui, comme nous, travaillent à ce que l'échec scolaire soit
l'exception et la réussite scolaire la règle.
Cette dimension est plus importante à mes yeux que celle consistant
à gloser à partir d'un lexique savant sur la manière de
lutter contre l'échec scolaire. Sur le terrain, des gens sont capables
de faire certaines choses. Sur le modèle des compagnons du Tour de
France, ils devraient pouvoir en faire bénéficier leurs camarades.
Il ne faudrait pas tomber dans le travers affirmant que la formation n'est
constituée que de savoir-faire, de pratiques ou de formes de
pragmatisme. Une deuxième dimension reste capitale : la lutte
permanente contre l'obsolescence des savoirs pour un enseignant expert dans une
discipline. L'évolution des sciences et des techniques est très
rapide. Des secteurs de la science, notamment, évoluent à une
vitesse considérable. Il est capital que les enseignants soient en
mesure de suivre cette évolution.
Le deuxième volet de cette formation est donc le volet
académique, le volet disciplinaire, indispensable pour maintenir au
meilleur niveau de la connaissance les savoirs les plus actuels pour l'ensemble
des personnels enseignants.
Troisième dimension à ne pas négliger : la dimension
didactique qui constitue le lien entre la dimension académique d'une
connaissance toujours actualisée des savoirs les plus récents de
la science moderne, et le partage et la mutualisation des pratiques et des
savoir-faire d'enseignement.
Cette dimension didactique appartient aux cadres de l'éducation
nationale, notamment les corps d'inspection, dont le rôle est de
réaliser la transaction entre les savoirs académiques et les
savoir-faire, en essayant d'aider les enseignants à présenter les
savoirs de la manière la plus efficace pour faire l'objet
d'apprentissage chez les élèves. Nous en revenons ainsi au
problème de la notation et de l'évaluation. Voilà pour la
partie didactique.
Les savoirs, les savoir-faire et les modes de transmission : dans ce
champ, les corps d'inspection ont naturellement leur place, mais aussi les
universitaires.
Ces trois éléments que j'ai essayé brièvement de
développer sont probablement trois chantiers, ouverts depuis très
longtemps, déjà largement travaillés mais qui demandent
à être travaillés de manière continue, avec
opiniâtreté. L'enjeu est de taille. Au moment où l'on nous
suspecte de vouloir affaiblir le système à travers la
modification des contenus des programmes, de faire de la formation "light".
C'est là un discours stéréotypé.
L'important est que tout enseignant soit parfaitement en mesure de
maîtriser les contenus qu'il est censé transmettre ; il doit
être en mesure de maîtriser les façons de transmettre et
disposer de suffisamment de ressources partagées avec ses
collègues pour assurer sa pratique.
La réflexion sur les contenus appartient à la fois aux
réflexions sur les programmes et à la manière de pouvoir
les intégrer dans nos manuels, ce qui est une vraie question. Cela dit,
pour moi, la première question reste :
"Comment fait-on avec ce
dont on dispose aujourd'hui pour installer correctement une formation continue
des personnels, qui permettra d'intégrer toutes les évolutions de
programmes ?"
Voilà, en peu de mots, ma vision des choses. Je suis prêt à
répondre à vos questions.
M. le président -
Pour entamer les questions,
je passe d'abord la parole au rapporteur.
M. Francis Grignon, rapporteur -
Sur la
première partie de votre exposé, concernant la mission qui vous
est confiée et la gestion des ressources humaines qui en découle,
j'ai une série de questions.
Sur l'évaluation positive, je suis d'accord. Je l'ai
éprouvée dans d'autres lieux, dans l'entreprise en particulier.
Je suis intimement persuadé qu'on arrive mieux à gérer les
ressources humaines en développant les atouts des gens qu'en accentuant
leurs défauts ; il est nettement préférable d'aller
dans ce sens.
Cela étant, le corollaire de cette approche est aussi d'avoir une
évaluation sur les résultats peut-être en d'autres lieux.
Première question : à partir de cette démarche
très positive consistant à mettre en confiance les gens afin d'en
tirer le meilleur d'eux-mêmes, à l'autre bout de la chaîne,
regardera-t-on les résultats ? Je songe aux résultats qui
restent à définir en termes d'évaluation pour les
élèves, des résultats aux examens ou en termes
d'insertion. Seriez-vous prêt à aller dans ce sens ?
Pour aller plus loin, si au bout du compte, grâce à ces vraies
évaluations qui ne sont pas des notes brutales, mais qui donnent des
éléments positifs sur la personnalité des gens, on se rend
compte que certaines personnes ne sont pas tout à fait faites pour
rester là où elles sont ; dans le cadre d'une
démarche positive, est-on prêt à leur ménager des
portes de sortie pour faire autre chose, dans l'éducation nationale ou
ailleurs, où leurs compétences abordées de façon
positive seraient mieux utilisées ?
Deuxième question : seriez-vous prêt, les esprits sont-ils
assez mûrs pour que cette évaluation positive soit
réalisée en association avec les élèves et les
parents d'élèves ? Après tout, ce sont eux les
"clients" des professeurs. Or, dans tous les domaines, on demande toujours
l'avis de ceux à qui on rend un service. Pensez-vous que cette
démarche soit envisageable ?
Ma troisième question découle de la notation et se pose
plutôt en termes de gestion des ressources humaines. J'observe, dans
l'enseignement primaire de mon ressort, qu'un inspecteur des écoles
primaires connaît bien ses écoles, qu'il gère avec elles
les personnels, les remplacements et qu'il se comporte un peu comme un chef
d'établissement pour un pool d'écoles primaires. Je trouve que le
système fonctionne très bien. Comme l'objet de notre
enquête traite de l'utilisation du personnel, j'y reviens de suite :
le système permet de bien organiser les choses, par exemple, pour faire
appel au titulaire remplaçant au bon moment.
Par comparaison avec le secondaire, collèges et lycées,
pensez-vous que les chefs d'établissement devraient disposer de
davantage de prérogatives pour jouer ce rôle ?
Vous l'avez abordé en parlant de notation, il existe la notation
administrative et la notation pédagogique : elles sont
dissociées. Que je sache, dans le primaire, c'est la même personne
qui les attribue. L'image est un peu osée : j'ai l'impression que
l'inspecteur joue un rôle de chef d'établissement pour les
écoles. Pensez-vous qu'on puisse avoir la même logique dans le
secondaire ?
Ma dernière question, que je relie directement à l'objet de notre
commission : en faisant appel à votre expérience de recteur,
pensez-vous que le taux d'utilisation des titulaires remplaçants a la
même efficacité dans le primaire que dans le secondaire ? Il
faut en effet savoir que, dans le primaire, les personnes sont parfaitement
polyvalentes, gérées par un inspecteur ; dans le secondaire,
au contraire, les gens sont spécialisés et les chefs
d'établissement doivent se débrouiller. Sans citer de chiffres
que nous aurons par ailleurs, avez-vous le sentiment que ces dispositifs ont la
même efficacité ?
Voilà une première série de questions, liée
à la notation et à la gestion des ressources humaines.
M. Jean-Marc Monteil -
Sur l'évaluation positive
et l'évaluation corrélative des résultats, à quel
aune en mesure-t-on l'efficacité ?
Le problème est plus complexe que dans d'autres dispositifs, non
éducatifs. En effet, les résultats sont nécessairement
ceux des élèves, ce qui pose la question de l'évaluation
des performances des élèves, sur deux plans :
évaluation des performances des élèves par rapport
à eux-mêmes et évaluation des performances
élèves par rapport à l'ensemble auquel ils appartiennent.
Ce n'est pas pareil.
Le danger de l'évaluation des résultats bruts est d'obtenir une
évaluation en termes de résultats -examens, moyennes obtenues par
une classe-, sans qu'on puisse comparer les choses puisque les choses ne sont
pas égales par ailleurs ; c'est difficile à réaliser.
Je vous présente un exemple intéressant tiré de
statistiques récoltées dans mon académie. S'agissant de
l'évaluation des professeurs, les hommes sont aujourd'hui mieux
évalués que les femmes, toutes choses égales par ailleurs,
sur une inspection pédagogique. Les professeurs qui travaillent dans des
établissements difficiles sont souvent moins bien évalués
que ceux qui travaillent dans les établissements plus faciles. Les
résultats aboutissent ainsi à des biais
révélateurs : un certain nombre d'éléments se
rencontrent et se traversent. Quand je dis que les femmes sont moins bien
évaluées que les hommes sur le plan pédagogique, elles le
sont aussi moins bien par les inspecteurs femmes ; que l'on se comprenne
bien.
M. le président -
"Moins bien
évaluées" signifie bien que les résultats de leur
évaluation sont moins bons ?
M. Jean-Marc Monteil -
Effectivement. Leur
évaluation est significative-ment inférieure à celle des
hommes. Les biais sont donc nombreux.
M. Francis Grignon, rapporteur -
Pouvez-vous dire,
connaissant les potentialités d'un enfant, si cet enfant les
exploite ? C'est là que se situe le problème.
M. Jean-Marc Monteil -
Avec mon exemple, j'ai fait une
digression ; excusez-moi. Elle montre bien la difficulté de la
notion d'évaluation et de la notion de résultat : la machine
qui évalue est la machine humaine, qui présente certains
éléments faillibles.
J'en reviens à l'élève : la connaissance des
potentialités de l'élève est une exploration quasiment
infaisable de nos jours. Ma spécialité m'autorise quelques
remarques à ce sujet. Essayer de définir le potentiel d'un
élève à l'entrée est très difficile. Pour
évaluer les résultats de l'élève par rapport
à eux-mêmes, l'important est de faire en sorte que, dans une
progression programmée, il soit possible d'observer comment
l'élève progresse dans ses apprentissages. Qu'est-il capable de
faire de plus aujourd'hui qu'hier ? C'est le plus important parce que
c'est ce qui permet de mener à une évaluation positive de
l'élève.
Mais, comparé à la cohorte à laquelle il appartient, cet
élève peut se trouver dans une position défavorable.
L'acte éducatif est bien de lui permettre de développer au mieux
ses possibilités. Pour évaluer les résultats, il faut le
faire au vu de la progression de l'élève par rapport à
lui-même et par rapport à des indicateurs macroscopiques :
baccalauréat, BEPC, etc., c'est-à-dire la plus-value des
établissements. Pouvoir situer la part de l'enseignant me paraît
extrêmement difficile.
En revanche, ce qui peut être apprécié de manière
plus flagrante, c'est la part de l'établissement, c'est-à-dire la
façon dont le potentiel d'experts est géré dans un
établissement donné. D'ailleurs, de nos jours, c'est
calculé : au regard de la géographie de l'école,
certains établissements devraient présenter des plus-values et
n'en présentent pas, compte tenu des caractéristique
sociologiques de leur population.
Je parle d'évaluation positive, mais je devrais plutôt utiliser
l'expression d'évaluation formative, c'est-à-dire destinée
à faire en sorte que l'évaluation du professeur permette
d'établir certaines corrections éventuelles de sa pratique,
susceptibles d'engendrer des effets sur les résultats des
élèves. Voilà qui peut s'évaluer.
Il faut cependant prendre toutes les précautions. L'approche ne peut se
contenter d'être strictement statistique ou quantitative : on
passerait à côté de certaines choses. Il existe des
progressions non linéaires dans l'apprentissage des
élèves, des effets de potentialisation qui ont diverses
conséquences.
Il s'agit d'un univers très compliqué et je conserve une grande
modestie à son endroit. Je connais relativement bien le problème
de l'évaluation et il faut le prendre avec des pincettes. Il me semble
important que toute pratique fasse l'objet d'un regard extérieur et il
faut regarder ensuite si cette pratique et sa correction éventuelle ont
des effets sur l'objet de l'évaluation.
Deuxième élément : faut-il que les
élèves et les parents participent à l'évaluation de
l'enseignant ? Vous avez même parlé de "clients" à ce
propos. Pardonnez-moi de me montrer direct, mais je trouve que le terme ne sied
pas du tout à l'élève ; l'élève n'est
pas un client. D'abord, parce qu'il n'achète rien ; il est en
situation de développement et d'apprentissage, ce qui est
différent. En outre, l'approche est très différente selon
que l'on se trouve avec des élèves étudiants, post-bac, ou
avec des élèves de sixième, de seconde ou de
première.
Sinon nous en arriverions à une situation extraordinaire : un
élève peut être en mesure d'apprécier la
qualité de l'enseignement donné. A l'université, cela ne
présente aucune difficulté. A l'époque où
j'étais président de l'université, dans ma discipline
ainsi que dans d'autres comme les sciences de la terre, j'avais mis en place
l'évaluation de l'enseignement des professeurs par les étudiants.
D'ailleurs, on aurait presque pu s'en passer : il suffisait de faire une
évaluation de couloir pour savoir comment les choses
fonctionnaient !
Il est évidemment impossible de demander la même chose à
des élèves de collèges, de porter des jugements sur la
façon dont le professeur enseigne : ce qu'expriment les
élèves sont des sentiments à l'endroit de la relation
qu'ils ont nouée avec lui.
"Je ne comprends rien avec lui ! Le
cours est trop difficile !"
Mais il serait extrêmement dangereux
d'organiser une démarche de cette nature, chez les enfants jeunes. A
l'université, je serais favorable à ce dispositif qui se pratique
d'ailleurs dans d'autres pays.
S'agissant des parents, le problème est extrêmement
complexe : je suis placé dans une situation difficile, comme
beaucoup de collègues qui reçoivent des courriers de parents
à l'endroit de tel ou tel professeur. La diversité de ce qui est
dit à l'endroit d'un même professeur par les parents est telle
qu'on peut se poser des questions. Se baser sur eux peut être très
dangereux. Aujourd'hui, l'évaluation est quelque chose de très
complexe, difficile, exigeant beaucoup d'expertise. Les corps d'inspection ont
même beaucoup de mal à réaliser une
évaluation ; celle réalisée par les
élèves et leurs parents serait très impressionniste et
totalement rapportée aux préoccupations de l'élève
et de la famille, sans pouvoir prendre en compte la réalité de la
classe. Laisser le soin aux élèves et aux parents de piloter une
telle évaluation amènerait plus d'inconvénients que
d'avantages.
En outre, parce que le phénomène s'accroît, il me
paraît important de rappeler que les parents doivent participer.
L'instruction, la partie instructive, enseigner à apprendre
relèvent d'une expertise professionnelle dont les experts sont les
enseignants. Cette instruction ne se partage pas. Sinon tout le monde peut
faire de l'enseignement. En revanche, la partie éducative n'est pas
l'expertise exclusive des enseignants ; heureusement. Elle se partage avec
la famille, avec les pairs, avec les associations, avec l'ensemble des groupes
sociaux.
L'éducation est donc un espace partagé et l'instruction est un
espace d'expertise. Si l'on demande que les professeurs soient
évalués par les élèves et les parents, que va-t-on
évaluer ? C'est toute la question posée : on aurait
finalement une évaluation en termes de
"J'aime, je n'aime pas !
Il me va bien, il ne me va pas bien !"
Nous n'obtiendrions rien qui
nous permettrait de saisir l'expertise du professeur.
Il ne faut pas se cacher derrière ce discours : il est
évident que certains enseignants, dans cette profession comme dans
d'autres, présentent des insuffisances telles que l'évaluation
est facile à faire par n'importe qui : élèves,
parents, personnalités extérieures, à tout moment. Tout
cela n'est pas bon. Mais l'évaluation n'est pas difficile quand on est
dans les extrêmes : ce maître charismatique que tout le monde
regarde avec admiration ou cet incapable que tout le monde a situé.
C'est dans la zone intermédiaire que les choses sont difficiles et
réclament une expertise.
A ce niveau, il est inadmissible de laisser la possibilité de juger
à la discrétion de ceux qui reçoivent l'enseignement.
D'abord, ils sont en situation d'apprendre : les savoirs ne sont pas
partagés. Plus on monte dans la hiérarchie de l'enseignement,
plus les savoirs peuvent être partagés, comme à
l'université : l'étudiant de troisième cycle peut
être meilleur que son professeur dans certains domaines, mais pas dans
l'appréhension globale des problèmes. Il peut donc porter un
certain jugement. L'élève de troisième qui apprend la
mathématique peut seulement dire que le professeur ne lui convient pas,
qu'il parle trop vite. Si l'on instituait une telle dimension, ce serait
inaudible et aurait plus d'effets pervers que positifs.
Votre troisième question concerne l'IEN, l'inspecteur de
l'éducation nationale, qui fonctionne sur un dispositif en réseau
et qui pilote bien ces personnels considérés. D'abord,
l'enseignement élémentaire a une très grande
qualité : il est organisé en réseau. C'est
extrêmement positif du fait de cette logique de proximité.
Néanmoins, il faut convenir que cette logique de proximité est
moins liée à la qualité intrinsèque des gens
qu'à des conditions objectives, en l'espèce le maître
unique dans chaque classe, ce qui permet de partager davantage avec ses
élèves qu'en ne les ayant que trois heures par semaine pour un
cours de mathématique.
Le chef d'établissement peut-il jouer un rôle dans
l'évaluation ? A travers la commission Blanchet, il m'a
semblé que c'était le souhait des chefs d'établissement,
mais pas forcément celui des professeurs. Nous sommes en pleine
contradiction.
Ce n'est vraiment pas un réponse de Normand : je pense que
l'évaluation est très sérieuse et très
difficile ; c'est un moyen de développement important de notre
dispositif. Mais si, demain, chefs d'établissement et inspecteurs
doivent partager une évaluation du professeur, il est essentiel que la
formation des uns et des autres soit singulièrement
améliorée. Ainsi, on n'en arriverait pas à une
espèce d'évaluation composée de 90 % de
subjectivité et 10 % d'objectivité. Il convient de faire
attention : un chef d'établissement est un animateur de ressources
humaines.
Cet aspect est l'un des plus tendus du dispositif. Il existe actuellement une
note administrative donnée par les chefs d'établissement aux
professeurs : autorité, rayonnement etc. L'impact n'est pas
considérable. La question posée est de savoir si, dans
l'évaluation pédagogique réalisée, la part
évaluative du chef d'établissement doit entrer de la même
façon que celle apportée par le corps d'inspection qui juge de la
capacité supposée à enseigner du maître. Sur quoi
doit porter l'évaluation ? Quels sont les observables sur lesquels
doit porter l'évaluation ? Evaluer suppose des observables.
A propos d'évaluation, une observation : pour une évaluation
vraie, au sens de la physique, pour parvenir à stabiliser la note d'une
copie de philosophie, il faut 126 correcteurs ; en mathématique, il
en faut 47 ! Lisez les traités de docimologie ; vous utilisez
la méthode de l'erreur physique. Ce n'est pas très
compliqué. Je dis bien que, pour stabiliser la note, il faut autant de
correcteurs. La part de variation est tout à fait importante. Beaucoup
de travaux ont été faits : les notes au baccalauréat
ont été comparées chez différents
évaluateurs.
L'évaluation est donc très importante. C'est pour cette raison
qu'il faut dissocier les notations des évaluations. Nous savons que les
évaluations faites sur les professeurs le traduisent en une note qui
augmente avec le temps et au fil des inspections. Parfois, les temps
d'inspection sont très larges. Il me semble important -et c'est l'un des
éléments de la mission que le ministre m'a confiée-
d'essayer d'enclencher dès le début, chez l'enseignant, un
dispositif qui ne soit pas déterminant à titre définitif
de son évolution, c'est-à-dire un marquage initial qui
fonctionnera comme le "marqueur" biologique.
Autre question : le problème des remplacements. La gestion des
remplacements évolue. Dans mon académie, j'ai mis en place
25 zones de remplacements. J'ai donc affecté à des
établissements secondaires, dits mutualisateurs, des personnels
enseignants. Le primaire a son dispositif de remplacement organisé.
Cette affectation est décidée selon un calcul prévisionnel
consistant à dire que, sur les trois ou quatre dernières
années, dans telle discipline, les absences se sont distribuées
de cette manière sur le plan statistique.
Dans cette zone, j'attribue un stock de remplaçants supposé
pouvoir répondre aux absences habituelles. Les absences de très
courte durée sont gérées par le chef
d'établissement ; les absences plus longues, exigeant la
mobilisation d'un personnel remplaçant, sont gérées par
l'établissement mutualisateur. Si on ne parvient pas à trouver la
personne adéquate à cet échelon, le niveau
départemental constitue un deuxième niveau de recherche. Si,
à ce niveau, les recherches restent infructueuses, on accède
alors à un troisième niveau : le niveau académique.
Effectivement, dans certaines disciplines, il est difficile de trouver le
remplaçant adéquat. Ainsi, il existe une organisation de zones
-que j'ai appelée zones de remplacements- que j'ai fait correspondre
à des zones d'animation pédagogique.
M. le président -
Cette organisation
correspond-elle à un schéma que vous a suggéré le
ministère ?
M. Jean-Marc Monteil -
Non. Pas pour la définition
des zones de remplacements. C'est un type d'organisation que nous avons
défini académiquement pour gérer le mieux possible les
personnels de remplacement sur la base d'un constat établi à
l'échelon ministériel : il consiste à dire qu'un
professeur absent dans un collège pouvait être remplacé par
un professeur du lycée ; comme collège et lycée n'ont
pas de relations, le collège ne sait pas que quelqu'un est disponible
à côté. Il convenait d'essayer d'organiser ces
échanges.
Il convenait également de prendre en compte la notion de zone
d'animation pédagogique qui recouvre l'idée de bassin de
formation. Elle permet de gérer à hauteur d'homme, si j'ose dire,
dans un espace territorial déterminé, en fonction des ressources
humaines, de la carte des formations ou de la carte des options, afin que les
chefs d'établissement puissent travailler.
Peut-on envisager une approche de la notation qui associe plusieurs personnes,
qui soit collégiale, issue des corps d'inspection et des chefs
d'établissement ? C'est une question que j'ai écrite en gros
sur ma feuille blanche.
Votre dernière question portait sur l'utilisation des remplaçants.
M. le président -
Nous disposons de très
peu de temps : M. Baro, que nous entendons ensuite vient d'arriver.
Je passe maintenant la parole à M. Darcos.
M. Xavier Darcos -
L'exposé de
M. Jean-Marc Monteil a été très
intéressant. Il a centré son exposé sur le problème
de la notation et de l'évaluation. Ce qui frappe dans le système
éducatif, c'est l'abondance des dispositifs qui permettent d'obtenir ces
notes. Une direction est chargée de calculer l'efficacité des
établissements, leur intérêt en fonction de la zone dans
laquelle ils se trouvent, de manière à les faire progresser. Donc
évaluer et noter, nous savons faire.
En revanche, ce qui a été légèrement
esquivé, car l'exposé ne permettait pas d'entrer dans le
détail, est le lien pouvant exister entre l'évaluation et/ou la
notation et la formation continue. Or, le système éducatif
possède des outils de formation, mais aucune obligation d'y participer
n'est adressée aux enseignants. Ainsi, ceux qui suivent des formations,
qui utilisent le plan national de formation, sont essentiellement des
professeurs déjà excellents, motivés pour continuer
à se former et pas ceux qui en auraient besoin.
En fait, la question à poser, assez difficile à résoudre,
est de savoir comment lier la notation, quelle qu'elle soit, par qui que ce
soit, avec une obligation de formation, d'autant que le recteur Monteil a
lui-même rappelé à quel point l'obsolescence des savoirs,
des disciplines et des méthodes était grande.
Ma deuxième question : j'ai été très
intéressé par son exposé sur la mutualisation des lieux de
formation dans les sites. Tout simplement, ce qui se trouve derrière
tout cela n'est-il pas tant la volonté de l'établissement de se
faire identifier, que de trouver une solution à la massification. Les
établissements ont créé des options pour essayer d'amener
à eux de bons élèves.
La massification est-elle une réussite ? De tels propos, on
perçoit l'idée qu'après le collège unique, il
faudrait fonder le lycée unique, un grand lycée
départemental où l'on répartirait entre divers
établissements certaines options particulières. Le recteur
Monteil le sait puisque nous nous connaissons fort bien et que nous nous
tutoyons : je suis persuadé qu'au niveau du lycée, nous
risquons de retrouver ce qui a déjà été
réalisé au niveau du collège et que je dénonce,
à savoir une globalisation, une
hétérogénéité renforcée, un lieu
unique de formation pour tout le monde ; bref, l'unicité qui ne me
paraît pas répondre à la situation sociologique actuelle.
M. Jacques Mahéas -
Ma première question
concerne le même sujet que je voudrais compléter. Ce qu'a dit mon
collègue est très important : l'évaluation est un
élément intéressant, la notation également encore
que, quelquefois, elle n'est malgré tout pas faite de façon
systématique : parfois, les temps entre les évaluations et
les inspections sont si longs que les notes sont
réévaluées de façon automatique.
M. Jean-Marc Monteil -
C'est encore vrai.
M. Jacques Mahéas -
Oui, c'est encore vrai,
d'ailleurs. Une telle méthode me paraît la première des
choses à laquelle il conviendrait de remédier.
Pour rejoindre mon collègue, la question se pose quand on se trouve face
à une évaluation d'un enseignant en grande difficulté.
Encourager un bon enseignant c'est fort bien. Mais pour un enseignant en grande
difficulté par manque de formation, ou parce qu'il enseigne dans des
milieux particuliers, voire difficiles surtout pour un jeune enseignant, ou
encore parce qu'il manque de pédagogie, qu'il a lui-même un
problème particulier à régler, alors l'évaluation,
assez facile à établir, se heurte néanmoins à une
difficulté : comment aider ces enseignants?
Ne faudrait-il pas organiser une réflexion profonde sur
l'évaluation et les conséquences de la notation ?
Autres questions : j'ai été conquis par votre idée
qu'en milieu où apparaissent des marges disponibles d'enseignants et
d'heures disponibles d'enseignants, ils puissent participer à la
formation continue de petites villes et de villages. Cette idée me
paraît très intéressante.
Dans le même ordre d'idée, nous assistons à quelque chose
d'extraordinaire. Je suis de Seine-Saint-Denis, où nous avons des
milieux pas faciles : nous percevons le découragement des
enseignants. J'ai vu poindre au cours de votre discours l'idée de
l'enseignant avant celle de l'éducateur.
Pardonnez-moi, dans nos milieux difficiles, c'est d'abord d'éducation
qu'il s'agit. J'oserais même dire que la matière à
enseigner n'est pas fondamentale avant le baccalauréat. Ce qui me
paraît extraordinaire, c'est d'entendre les enseignants dire qu'ils
distribuent des notes de comportement. Au sein de l'école, cela se passe
bien. Dès le seuil de l'école franchi, ce n'est plus le
même monde, ce ne sont plus les mêmes lois, ce ne sont plus les
mêmes règles.
On assiste à cette dichotomie extraordinaire dans nos milieux. Les
enseignants nous avouent ne plus savoir comment faire. Les opérations de
citoyenneté et d'autres expériences ont été
réalisées : ils ne perçoivent pas les fruits de cette
éducation sur un comportement citoyen. Avez-vous réfléchi
à ce problème ?
M. le président -
Vous avez cinq minutes pour
réagir sur ces questions qui mériteraient de plus longs
développements.
M. Jean-Marc Monteil -
D'abord, le lien entre
évaluation et formation. L'évaluation de l'enseignant, quand elle
fait apparaître des difficultés, devrait déboucher sur une
proposition de correction de ces difficultés par la formation, en-dehors
du fait que la formation est un processus continu.
M. le président -
Sans qu'il soit imposé
aux enseignants.
M. Jean-Marc Monteil -
A partir du moment où
l'évaluation sera requalifiée, il apparaîtra naturel que la
formation puisse venir soutenir une progression sur l'échelle
d'évaluation et l'échelle de promotion. On n'engage pas les gens
sans une dynamique de cette nature. Le lien entre évaluation et
formation est donc très important.
Deuxième point : collège unique, lycée unique. Il ne
s'agit pas d'aller à l'unicité. Nous avons un dispositif
relativement intéressant : il intègre l'enseignement
professionnel, l'enseignement technologique et l'enseignement
général. Cette réalité et cette diversité
présentent un intérêt réel.
Par ailleurs, quand les établissements utilisent des options dans la
perspective d'attirer les bons élèves, c'est dans un souci
d'homogénéisation par le haut ; c'est clair. Mais on sait
que des gens homogènes dans une classe deviennent
hétérogènes trois semaines après. Un exemple type
est celui des classes préparatoires : tout le monde a la mention
très bien au bac et, trois mois après, l'un obtient 5 et l'autre
15. Homogénéité et
hétérogénéité constituent donc un vrai
problème.
Un point me paraît important à propos du lycée. Le
problème se pose en ces termes : nous constatons que les
lycées périphériques sont progressivement vidés et
s'homogénéisent d'une façon dangereuse, car il s'agit ici
d'une homogénéisation par le bas, avec toutes les
conséquences qu'elle implique. Si on laisse aller les choses, le coeur
des cités possédera trois ou quatre lycées qui proposeront
les langues rares, les options rares, celles qui attirent les
élèves. Il faudra aussi fermer les lycées de la
périphérie pour transporter les élèves à
cinquante ou soixante kilomètres !
Ce n'est pas ainsi qu'on aménagera le dispositif des services publics en
termes d'aménagement du territoire. L'objectif est de pouvoir plus ou
moins équitablement offrir aux élèves l'ensemble des
options possibles. Cela suppose que, dans des sites particuliers, il faudra
parfois s'organiser pour mutualiser certaines compétences.
Sur les enseignants en difficulté : les personnels en
difficulté, les professionnels en difficulté, quelle que soit la
nature de ces difficultés -mais restons-en à l'école-
constituent un élément dramatique que nous ne pouvons pas saisir,
vis-à-vis duquel nous ne savons pas comment nous y prendre, ni
même comment l'écarter. Nous ne sommes même pas dans la
situation de pouvoir répondre à la question de savoir s'il y a
une alternative professionnelle à une incapacité personnelle,
pour sortir de l'incapacité professionnelle qui peut être
liée à de la mauvaise volonté, à l'absence de
travail. Nous savons que cela existe, que des gens souffrent et nous ne savons
pas quoi faire. Une réflexion a conduire à ce sujet me semble
indispensable.
La question est de savoir, s'il peut exister, dans cette profession comme dans
d'autres, une incapacité à assumer une réalité
professionnelle qu'on n'avait pas bien appréhendée ou qui s'est
dégradée, pour des raisons diverses, si l'on peut offrir, dans le
service éducation nationale ou dans le service public d'autres
collectivités, la possibilité d'une réorientation ou d'une
requalification. Cela suppose une vraie relation et un travail entre certaines
politiques publiques. La mobilité entre les services publics me
paraît importante de ce point de vue.
Une personne qui n'est pas en situation de faire face à un groupe
d'élèves, qui s'en trouve dans l'incapacité totale peut
avoir une compétence pour autre chose. Nous savons cela par les
statistiques. Aujourd'hui, nous ne sommes pas en mesure de traiter ce sujet. On
peut très bien voir des gens "gâcher" une génération
d'élèves faute d'avoir pu repérer ces incapacités,
faute d'en avoir eu connaissance.
Nous travaillons actuellement dans la gestion des ressources humaines avec des
relations de proximité de plus en plus grandes ; cela
m'amène à votre deuxième question.
Aujourd'hui comme hier, l'enseignant est dans une forme d'isolement
réel. Je parlais d'absence de visibilité des
établissements entre eux, l'absence de partage de leurs
réalisations, mais ce que vous réussissez en tant qu'enseignant
ou ce en quoi vous échouez, vous ne le partagez pas ou peu avec vos
collègues : les lieux, les moments, les temps de partage existent
peu. Il y a une espèce de fonctionnement proche du repli sur soi, qu'on
peut appeler indépendance à l'intérieur de la classe, qui
fait que, quand on y est mal, on ne le dira pas et, quand on y est bien, on
n'en exprimera pas nécessairement les raisons à celui qui s'y
sent moins bien.
Il faut donc la mutualisation. La formation a son importance pour dire ses
réussites et ses échecs qui deviennent partageables, car nous
essayons d'améliorer une expertise collective et pas seulement
individuelle. Vous avez dit que vous aviez perçu dans mes propos que je
plaçais l'instruction, l'enseignement avant l'éducation. Je
n'oppose pas instruction à éducation mais je ne pense pas qu'on
puisse éduquer sans maîtriser certaines données de base
minimales.
M. Jacques Mahéas -
Je ne suis pas d'accord.
M. Jean-Marc Monteil -
Cette distinction n'est pas
toujours bien faite. Nous avons connu, dans l'histoire de l'éducation,
des temps où l'éducation a été le primat et
l'instruction la dérivée. Autrement dit, c'était le temps
où le professeur disait que l'élève en savait autant que
lui et que l'important était d'apprendre à vivre ensemble.
Certes, il faut apprendre à vivre ensemble, mais il faut partager
certains codes communs minimaux qui relèvent de l'instruction. Il est
très important que les professeurs remplissent cette dimension. La
dimension éducative n'est nullement dérivée,
parallèle : elle est consubstantielle à l'acte d'instruire.
Mais la réciproque n'est pas vraie : éduquer n'instruit pas
nécessairement, au sens cognitif du terme.
M. Jacques Mahéas -
D'accord, sauf que
l'éducation citoyenne est quand même de l'éducation.
M. Jean-Marc Monteil -
D'accord avec vous, mais ce n'est
pas cela que je suis en train de dire. Je dis que, si le gamin qui passe devant
l'épicerie ne voit pas ce qui est écrit, il n'en profitera pas.
M. le président -
Je crois que l'éducation
est faite pour certains et l'instruction pour d'autres.
M. Xavier Darcos -
Ces propos sont tout à fait
hérétiques par rapport à la vulgate de M. Meirieu.
M. Jean-Marc Monteil -
Non, cela constitue un
débat de fond : instruction, éducation. On les oppose alors
qu'il faut les lier, fondamentalement. Aujourd'hui, quels sont ceux qui sont en
déficit d'instruction ? Désolé, mais ce sont les
enfants défavorisés ; or, ils sont aussi en déficit
d'éducation.
M. Jacques Mahéas -
Excusez moi de dire : surtout
d'éducation.
M. le président -
Merci, monsieur le recteur. Vous
voyez comme vous nous avez passionnés. Si nous avons besoin
d'informations complémentaires, nous ne manquerons pas de faire appel
à vous.