AUDITION DE M. JEAN-CLAUDE LEBOSSÉ,
INSPECTEUR GÉNÉRAL
DE L'ÉDUCATION NATIONALE
(10 FÉVRIER 1999)
Présidence de M. Adrien GOUTEYRON, Président
Le
président lit la note sur le protocole de publicité des travaux
de la commission d'enquête et fait prêter serment à M.
Jean-Claude Lebossé.
M. Adrien Gouteyron, président -
Mes chers collègues,
nous accueillons aujourd'hui M. Jean-Claude Lebossé,
inspecteur général de l'éducation nationale, qui a
rédigé un rapport sur la présence des
établissements d'enseignement en zones rurales. C'est à ce titre
que nous allons l'écouter et lui poser des questions, sans oublier les
responsabilités qu'il a exercées pendant plusieurs années
au sein d'un cabinet ministériel de l'ancien Président de la
République. Il a donc une expérience intéressante, et nous
lui poserons toutes nos questions après l'exposé liminaire qu'il
voudra bien nous faire.
Monsieur Lebossé, vous disposez donc d'une dizaine de minutes pour
cet exposé qui servira d'introduction à nos échanges.
M. Jean-Claude Lebossé -
Merci,
Monsieur le Président. Tout d'abord, je vous présente
mes excuses pour mon retard résultant d'une manifestation rue de
Vaugirard.
Pour compléter ce que vous venez de dire, j'ai effectivement
été un collaborateur de l'ancien Président de la
République pendant cinq ans. Depuis quelques mois, je suis revenu dans
les cabinets ministériels puisque Jean Glavany m'a demandé
d'être chargé de mission depuis fin octobre. Je m'occupe de tout
et de rien, comme on dit, sur l'ensemble des dossiers sensibles.
M. le Président -
Ce sont souvent les gens importants qui
font cela...
M. Jean-Claude Lebossé -
Je suis également
élu local dans une zone urbaine de l'agglomération nantaise dont
les préoccupations sont relativement éloignées des
problèmes concernant les zones rurales.
Le rapport que j'ai présenté à
Mme Ségolène Royal à la fin du mois de
juin 1997 a été fait suite à la mission qu'elle
m'avait proposée un an auparavant, sur la question de l'école
rurale en milieu isolé. A la fin des années 1980,
début des années 1990, j'avais travaillé sur un sujet
similaire au cabinet de M. Henri Nallet, au ministère de
l'agriculture, où j'avais été chargé d'une mission
conjointe avec M. Pierre Maugé, inspecteur de
l'éducation nationale au cabinet de Lionel Jospin, à
l'époque ministre de l'éducation nationale, portant
également sur l'école rurale en milieu isolé.
Nous avions alors travaillé sur six départements
caractérisés comme étant des départements à
population dispersée ou peu dense.
J'avais ensuite abandonné ces questions lorsque j'avais rejoint le
cabinet du Président de la République, mais ce rapport venait
à un moment qui suivait la loi d'orientation sur l'enseignement
proposée par M. Lionel Jospin, qui tournait autour de l'idée
des trois cycles. Le rapport présenté à ce
moment-là par Pierre Maugé a été compris -ce
n'était d'ailleurs pas forcément ce qui était contenu dans
le rapport- comme l'idée qu'il fallait regrouper les structures
scolaires dans les toutes petites communes ; l'idée ressortait que
toutes les écoles à classe unique étaient plutôt
négatives au plan de la qualité pédagogique. Cela
n'était pas dit dans le rapport, mais avait été compris de
cette façon.
Autour de cela, il y a eu l'idée d'un mouvement de regroupement des
écoles et des classes. Cela a donné lieu à quelques
regroupements dans des départements où l'enquête avait
été faite. Il y a eu ensuite un mouvement contraire de balancier
avec le gel des fermetures d'écoles dans le cadre du moratoire
instauré sous le gouvernement de M. Balladur.
Compte tenu de ces allées et venues des pouvoirs publics, indiquant
parfois qu'il fallait insister uniquement sur l'aspect "qualité de la
pédagogie", parfois exclusivement sur l'aspect "aménagement du
territoire", j'avais l'impression qu'une épée de Damoclès
pesait sur les acteurs de l'école en milieu rural. Ils ne savaient
jamais si la structure scolaire dans laquelle ils travaillaient pouvait
être assurée de pérennité.
S'ajoutant à cela, on se demandait aussi si, pour une bonne
qualité pédagogique, il fallait des écoles à
plusieurs classes, un nombre minimum d'élèves par classe etc. A
un moment donné, les spécialistes affirmaient qu'il fallait une
structure minimum pour obtenir une certaine qualité.
Ces débats ont été tranchés de diverses
façons. Peu à peu, on est arrivé à un certain
consensus. Des enquêtes faites par l'éducation nationale ont
montré que, au moins pour l'école primaire, et pour les
premières classes des collèges, dans les matières
fondamentales, on ne trouvait pas de différence de niveau entre les
élèves issus d'écoles à classes uniques ou à
classes multiples.
Finalement, on pouvait dire que l'efficacité pédagogique devait
être mis en arrière plan, mais que la pérennisation de ces
établissements demeurait.
Par ailleurs, la mission que j'ai menée ne portait pas sur
l'école rurale en général. Je suis élu dans l'ouest
de la France ; si je prends mon département de la Loire-Atlantique,
ou la Vendée, la ruralité n'a pas d'effet sur la taille des
établissements. On a un milieu rural dense, où les écoles
ont des classes multiples, et dont les effectifs sont à peu près
identiques à ceux que l'on connaît en zone urbaine.
Mon enquête a porté sur les zones rurales à population peu
dense, ou zones rurales isolées, où existe un problème
d'effectifs et de maintien des effectifs. La question est de savoir s'il faut
maintenir ou non les structures.
Pendant une période, on était dans une logique où il
fallait fermer toutes les écoles à petits effectifs pour les
regrouper ; ensuite on est passé au discours inverse, selon lequel
il fallait maintenir toutes les écoles existantes, dans le cadre du
moratoire. Une solution extrême dans un sens ou dans l'autre n'est pas
bonne.
En outre, la responsabilité revenait souvent au ministère de
l'éducation nationale qui décidait, via l'inspection
académique, de maintenir ou fermer les établissements et, d'une
certaine manière, décidait de la déresponsabilisation des
acteurs locaux, des élus qui, lorsque l'école fermait,
considéraient que la responsabilité en revenait à
l'éducation nationale et non à eux-mêmes ni aux acteurs
locaux.
Les propositions que j'ai faites -fondées sur les constats sur lesquels
nous pourrons revenir-, visaient à passer à une politique de
projet dans ce domaine. L'école en milieu rural isolé ne
fonctionnera pas sans l'appui et l'engagement des acteurs locaux, mais à
partir d'un engagement de tous les acteurs et à partir de projets.
Dans ces zones, les enseignants, sont souvent relativement isolés.
Certains sont à l'image de la population, de plus en plus urbaine.
Souvent, ils n'ont pas choisi de venir travailler dans ces zones rurales
isolées. A partir de là, on constate qu'il y avait dans ces
zones, comme dans d'autres zones urbaines connaissant des difficultés,
un taux de rotation des enseignants très important. D'abord, parce
qu'ils n'avaient pas choisi ; ils arrivaient dans un milieu qu'ils ne
connaissaient pas, et s'intégraient donc plus faiblement dans ce milieu.
Souvent, dans ces zones isolées, les enseignants sont plutôt en
fin de carrière ; ils correspondent encore, pour certains d'entre
eux, à l'image classique de l'instituteur en même temps
secrétaire de mairie, mais cette image est en train de
disparaître. D'autre part, on avait des enseignants relativement jeunes,
restant peu de temps dans ces structures. Il y avait donc un problème de
pérennité et de mise en oeuvre des projets pédagogiques.
Certains parents d'élèves disaient vouloir une structure scolaire
relativement proche ; en réalité certains d'entre eux,
lorsqu'ils le souhaitaient, faisaient en sorte que leurs enfants ne soient pas
scolarisés sur la commune même, mais souvent sur le chef-lieu de
canton (lorsqu'ils avaient les moyens de conduire leurs enfants à
l'école du chef lieu de canton).
J'ai rencontré un certain nombre d'élus ruraux, la
fédération française des maires ruraux, qui
présentaient un discours très volontariste sur le maintien de
l'école en milieu rural. Mais en discutant avec eux, on s'apercevait
qu'aucune commission n'avait été mise en oeuvre par cette
fédération pour revoir les conditions du maintien de ces
écoles. Comme on était dans une logique où la
responsabilité revenait à l'Etat et à ses administrations
déconcentrées, on protestait mais finalement on acceptait que
l'école disparaisse.
L'idée développée, à la fois pour l'école
primaire et aussi pour les collèges, était de passer à une
politique de projet, de faire en sorte que s'investissent, autour d'un projet
d'école en zone rurale, non seulement l'éducation nationale mais
encore les élus, le milieu associatif, de façon à ce que
le projet puisse pallier les manques que connaissent les enfants en zone
rurale, notamment au plan périscolaire.
Sur les enseignements fondamentaux, il n'y a pas de différence, mais
l'accès au sport ou à la culture sont plus difficiles parce que
les temps de déplacement sont plus longs. Les communes elles-mêmes
ne sont pas toujours en mesure de mettre en place ces activités que l'on
retrouve en milieu urbain. Cela pouvait être aussi une situation de
maintien de ces écoles en zone rurale. Autour de l'école, il faut
que les collectivités territoriales et le milieu associatif se
mobilisent.
En ce qui concerne la restructuration, pendant un certain temps, il y a eu la
logique des "regroupements pédagogiques intercommunaux",
centralisés ou décentralisés. Dans certains projets,
plusieurs communes regroupaient l'école en une seule commune, et on
avait alors des problèmes de temps de déplacement. Ou bien,
certains regroupements pédagogiques intercommunaux
déconcentrés, maintenaient une structure scolaire
spécifique dans les différentes communes : CP, CE1 et CE2
dans une commune, cours moyen dans une autre commune. Cela permettait à
certaines communes de maintenir une structure d'école, mais
n'évitait pas le problème du déplacement des enfants.
Sur cette notion de regroupements pédagogiques intercommunaux, le
rapport propose la constitution possible de réseaux d'écoles en
utilisant les nouveaux moyens de communication, permettant de maintenir des
écoles avec de petits effectifs. Dans ces classes à petits
effectifs, les enfants peuvent entrer en communication avec d'autres enfants
dans les autres classes, ceci permettant certains regroupements, et permettant
d'avoir accès à des moyens impossibles à obtenir en
restant dans des classes complètement isolées les unes des autres.
La question du déplacement et de l'hébergement a également
été abordée. Lorsque les pouvoirs publics décident
de fermer une école, cela se traduit par une économie, mais
aussi, immédiatement, et de manière directe, par une
dépense supplémentaire pour le conseil général qui
va devoir prendre en charge les déplacements des enfants. Il n'a jamais
été fait parce que cela dépend de budgets
différents, mais le solde net de ces économies et de ces
dépenses paraît intéressant à examiner. Certaines
enquêtes ont été faites, en particulier dans la
Nièvre je crois, montrant les économies et les dépenses
réalisées en regroupant l'ensemble des écoles ou en les
maintenant dispersées.
Une autre idée consiste aussi à dire que, dès lors que
l'on élabore un projet de restructuration du milieu scolaire, il
convient au préalable de réaliser un bilan budgétaire sur
les recettes et les dépenses supplémentaires. A partir de
là, il faut voir comment se répartissent les économies ou
les dépenses supplémentaires, ce qui n'a pas été
fait jusqu'à maintenant.
Concernant l'hébergement, on a assisté -en particulier dans le
secteur public- à une réduction progressive de la présence
des internats. Le secteur privé a maintenu des internats, en particulier
en zone rurale ; le secteur public les a progressivement
abandonnés. Pour un même nombre d'élèves, il y a
deux fois plus d'internes dans le secteur privé que dans le public.
Le fait qu'il y ait des internats a, d'une certaine manière,
favorisé ici et là l'augmentation des effectifs dans les
collèges du secteur privé. On n'en est plus à l'internat
traditionnel, ce sont des hébergements de qualité nouvelle, avec
des petits effectifs. L'intérêt de ces internats est de permettre
aux enfants, au lieu de se déplacer tous les jours, de pouvoir utiliser
ces longs temps de déplacement à des activités qu'ils
n'avaient pas le temps de faire. Il y a aussi l'idée, autour de ces
nouveaux internats, de pouvoir mettre en oeuvre des activités
périscolaires ou parascolaires que les enfants n'ont pas le temps de
faire par ailleurs.
Au niveau des collèges, des propositions ont été faites
pour voir comment on pouvait redéfinir une forme d'internat en zone
rurale. J'avais fait des propositions pour le primaire, mais cela pose quelques
difficultés : pour les enfants plus petits, mettre en place des
internats -même s'il s'agit d'hébergements nouveaux avec de petits
effectifs- pose problème. On pourrait imaginer, et j'en avais
discuté en particulier avec la fédération des foyers
ruraux, un hébergement de l'enfant un ou deux soirs par semaine sur le
lieu de l'école ; pendant ces soirées, il pourrait alors
bénéficier alors d'activités périscolaires
auxquelles il n'aurait pas accès en cas de déplacement.
Voilà, très rapidement, les diverses orientations qui ont
été proposées. Le rapport que j'ai présenté
à Mme Ségolène Royal a fait l'objet, au mois de
décembre, d'une circulaire d'application. Une grande partie des
propositions faites dans ce rapport ont été transformées
en circulaires et transmises aux recteurs et aux instituteurs
d'académie, et seront donc progressivement mises en place au cours de
cette année scolaire et de la suivante.
M. le Président -
Merci. Dans votre rapport, estimez-vous le
coût des mesures que vous proposez ?
M. Jean-Claude Lebossé -
Je n'ai pas
procédé à une analyse quantitative du coût. J'ai
beaucoup insisté sur le fait qu'il fallait avoir une démarche
"coût/avantage" sur toutes les décisions prises. Comme je l'ai
indiqué, on s'aperçoit souvent que lorsque l'Etat décide
de fermer une école, cela se traduit pour lui par une économie,
mais génère pour l'économie territoriale une
dépense généralement supplémentaire à
l'économie ainsi réalisée.
Lorsque l'on fait une proposition de regroupement ou de maintien, toutes les
institutions concernées par cette décision doivent pouvoir
analyser les coûts et les économies. S'il y a coût
supplémentaire, il faut voir comment partager ces coûts. Si l'on
maintient une école, il y aura alors un projet pédagogique autour
de ce maintien. Si l'on décide de fermer un établissement, il
faut voir comment l'économie générée par l'Etat
peut être en partie redistribuée aux collectivités
territoriales, par les dotations globales de fonctionnement en particulier,
afin que la répartition puisse bénéficier au
département qui va devoir prendre en charge les déplacements.
Mais je n'ai pas fait d'analyse globale de l'ensemble des coûts.
M. Francis Grignon, rapporteur -
L'objet de notre
commission d'enquête étant d'analyser en détail les emplois
de l'éducation nationale, mes questions seront très
précises. Je ne sais pas si vous pourrez y répondre maintenant,
ou si vous le ferez par la suite.
Aujourd'hui, à partir de combien d'élèves ferme-t-on une
classe unique ? D'autre part, quel est actuellement le nombre
d'écoles à classe unique dans le pays, et quelle est la moyenne
des élèves dans ces classes uniques ? Ceci pour essayer
d'apprécier la situation d'un point de vue économique, purement
théorique, sans préjuger des décisions de ce que cela
implique.
Ensuite, quel est le taux d'absence des enseignants à classe
unique ? Les remplacements sont-ils bien faits, et par qui ?
Voilà déjà une première série de questions
concernant le premier degré.
Pour le second degré, c'est-à-dire d'abord les collèges...
J'imagine que les petits collèges ont au moins quatre classes :
sixième, cinquième, quatrième et troisième.
Connaissez-vous le nombre de petits collèges existants, la moyenne des
élèves dans ces petits collèges, les absences et les
remplacements, puisque nous sommes ciblés sur l'utilisation des
emplois ?
M. Jean-Claude Lebossé -
Sur les premières
questions concernant le primaire, je n'ai pas de réponse précise
à vous donner, en particulier sur le nombre d'écoles à
classe unique. Ces statistiques existent au ministère de
l'éducation nationale.
En ce qui concerne le nombre d'élèves en-deçà
duquel on commence à réfléchir à la fermeture, il
faut d'abord prendre en compte la taille de l'école et celle de la
classe. Si on a moins de quinze élèves, en
général il y a une classe. Au-delà, on peut avoir deux
classes, mais en général à plusieurs niveaux.
M. Francis Grignon, rapporteur -
Les classes uniques...
En dessous de combien d'élèves pour leur suppression ?
M. Jean-Claude Lebossé -
C'est variable. Sept ou
huit.
M. le Président -
En-dessous de neuf ?
M. Jean-Claude Lebossé -
C'est cela. Les
situations sont très diverses. En zone de montagne, où les
déplacements sont très difficiles, on accepte de maintenir des
classes uniques à un niveau plus faible parce que leur fermeture
entraînerait des déplacements extrêmement importants pour
les enfants. On raisonne plus en termes de durée du déplacement
qu'en nombre de kilomètres.
Pour les collèges, les dernières statistiques que j'avais
reprises montraient qu'il y avait, dans le public, 120 collèges de
moins de 100 élèves, et 200 collèges de moins de
100 élèves dans le secteur privé. Nous avons
même quelques exemples de collèges avec
30 élèves ; l'un d'entre eux (de quatre classes) a
été fermé l'an dernier, dans l'académie de
Clermont-Ferrand, dans le Puy-de-Dôme. La fermeture avait
été décidée à la rentrée 1997,
elle a eu lieu en 1998. Cela pose un véritable problème.
Dans ces collèges , tout cela pose le problème du choix des
enfants. Il est bien entendu que s'y a une sixième, une
cinquième, une quatrième et une troisième, on ne va pas
offrir deux langues vivantes en sixième, par exemple. Il y a certains
cas où, même en quatrième, on n'avait pas toujours la
possibilité d'apprendre une seconde langue, c'était souvent la
première langue qui était renforcée.
Nous avons aussi des problèmes d'encadrement pour tout ce que l'on
appelle, à tort, les matières d'environnement : la culture,
l'éducation physique... pour lesquelles on a des difficultés
à mobiliser un enseignant. Ces tout petits collèges fonctionnent
encore beaucoup avec un corps en voie d'extinction, à savoir les
professeurs d'enseignement des collèges généraux (PEGC),
qui acceptent, parce que ce sont d'anciens instituteurs, d'enseigner plusieurs
disciplines. Avec le système de renouvellement du recrutement des
enseignants, ceci est beaucoup plus difficile à faire accepter. Un
enseignant titulaire du CAPES en français acceptera plus difficilement
d'enseigner le français, l'histoire et la géographie ; ce
sera la même chose avec un capésien de mathématiques si on
lui demande d'enseigner les mathématiques, la physique et la chimie.
Regardons comment se répartissent aujourd'hui les PEGC. Une grande
partie d'entre eux se trouvent dans ces petits collèges ruraux. Pourtant
ces personnes, en tant qu'anciens instituteurs, sont assez impliquées
dans le milieu.
Ce que je disais sur l'implication des enseignants en zone rurale isolée
se retrouve dans les collèges et dans le primaire. Le taux de rotation
dans ces petits collèges... On trouvera toujours des exceptions :
quelqu'un qui, issu d'un milieu urbain, a décidé de partir en
milieu rural, ou de revenir dans son pays. Mais souvent ces affectations ne
sont pas choisies.
M. Francis Grignon, rapporteur -
Y a-t-il des taux
d'absence plus importants qu'ailleurs, et des remplacements plus
difficiles ?
M. Jean-Claude Lebossé -
Le taux d'absence n'est
pas plus important qu'ailleurs, par contre il y a des niveaux de remplacement
plus difficiles. Cela pose d'ailleurs beaucoup de difficultés :
dans une école à classe unique, lorsque l'enseignant est malade,
l'école ferme. Elle ne peut pas fonctionner, sauf si on trouve un
remplaçant.
Autre problème dans ces écoles : les soutiens scolaires sont
beaucoup moins présents que dans les zones plus peuplées. Les
réseaux d'aide scolaire sont peu présents. Dans ces zones, on a
un manque de véritables maternelles. On a beaucoup de classes
enfantines, à savoir des classes préscolaires, les enfants se
retrouvant souvent avec des enfants de CP ou de CE2. Nous sommes très
attachés à une scolarisation en maternelle
particulièrement. Or, il y a une véritable difficulté pour
les enseignants à s'occuper à la fois d'une scolarisation en
maternelle et d'une scolarisation en primaire.
L'une de mes propositions dans ce rapport consiste à créer un
corps d'enseignants bivalents, qui seraient affectés une
demi-journée pour créer de véritables sections de
maternelle. Le matin est le moment actif et effectif de l'encadrement des
petits enfants ; l'après-midi, ces enseignants pourraient
être utilisés pour du soutien scolaire dans les sections
primaires. Je crois d'ailleurs que Mme Ségolène Royal a
commencé à mettre en oeuvre cette proposition. Ce n'est pas
toujours très facile, car il faut trouver des enseignants volontaires.
Mais cela permettrait à la fois de résoudre le problème
d'un véritable enseignement maternel dans ces zones rurales, et aussi de
pallier le manque de soutien scolaire dans ces écoles.
M. André Vallet, rapporteur adjoint -
Monsieur
l'inspecteur, vous avez commencé votre propos en indiquant que l'une des
raisons ayant motivé le rapport était une appréciation
portée sur la qualité de l'enseignement dans ces zones rurales,
dans ces classes uniques, dans ces petits collèges.
J'aimerais connaître votre point de vue, puisque vous avez
travaillé le sujet. Y a-t-il véritablement une qualité
d'enseignement moindre dans ces zones ? Nous sommes nombreux à
penser le contraire, nous aimerions donc avoir votre point de vue et savoir
s'il y a effectivement un problème de qualité dans les petits
établissements, voire dans les classes uniques.
Ma seconde question concerne le coût. Vous n'avez sans doute pas les
chiffres, mais j'aimerais que la commission sache ce que coûte
véritablement à l'Etat le maintien des classes uniques, en tenant
compte du ramassage scolaire. Je crois qu'il serait intéressant d'en
connaître le coût, de le comparer avec certaines autres
dérives qu'il nous semble avoir été constatées, et
de voir si il y a là un problème important de dispersion de
l'argent public dans l'éducation nationale.
Le dernier point porte sur les PEGC et ces collèges. Puisque les
professeurs refusent la bivalence, voire la polyvalence qu'avaient
accepté les PEGC, nous allons vers la fermeture des petits
collèges. Sans avoir des collèges à 30, il y a quand
même des collèges à 200, à 250, ayant une
utilité évidente dans les zones rurales.
Pensez-vous que l'abandon progressif de la bivalence, voire de la polyvalence
-les PEGC partant en retraite- va conduire à la disparition de ces
collèges, ou y a-t-il d'autres mesures à prendre ? N'y
a-t-il pas possibilité, au moins pour ces collèges, d'un retour
à une formule de type PEGC ?
M. Pierre Martin -
C'est un élément
incontournable pour les écoles, et en particulier en milieu rural. Quand
on dit qu'en classe unique la réussite n'est pas moindre qu'ailleurs, je
crois qu'on se base sur les connaissances à acquérir ; on ne
s'appuie pas sur un environnement. Vous parliez en effet de ce que l'on peut
apporter à travers le périscolaire. Il est évident que,
dans des classes uniques, il est impensable d'offrir ce que l'on peut offrir
dans des regroupements centralisés.
Vous parlez du coût. C'est vrai, pour l'Etat c'est un enseignant. Mais
pour une commune, il faut aussi poser la question de coût d'un
élève. A combien revient un élève dans une commune
où il y a six enfants dans l'école ? Cela aussi a son
importance.
Je pose la question de l'utilisation des moyens, que ce soit au niveau de
l'Etat ou des communes.
M. Xavier Darcos -
En ce qui concerne le moratoire, je
n'ai jamais vu de texte qui l'ait abrogé de manière
définitive. Je voudrais savoir ce qu'il en est effectivement. Est-ce par
incitation, par discussion ? Pour parler clairement, le moratoire
n'existe-t-il plus ?
Seconde question : qu'en est-il de cette nouvelle notion de "bassin
d'école" que l'on voit apparaître, qui semble se substituer au
regroupement pédagogique, et dont je n'ai pas compris exactement ce
qu'elle pouvait être ? J'aimerais savoir de quoi il est question
lorsqu'on parle de bassin d'école. Cela dit, les élèves
des classes uniques ont bien de la chance de ne pas avoir à subir le
parascolaire périphérique que subissent les élèves
dans les autres établissements. Au moins, ils font des choses
sérieuses, ils apprennent à lire, écrire et compter.
C'était une parenthèse.
M. Jean-Claude Carle, rapporteur adjoint -
Quelle est la
taille minimum souhaitée pour un collège, intégrant bien
sûr les frais fixes à la qualité de l'enseignement, et la
nécessité aussi de certaines options, notamment en matière
de langues ?
M. Jean-Claude Lebossé -
J'aurais dû
préciser deux éléments au début de mon
intervention. J'avais proposé cette mission à Mme
Ségolène Royal car c'était un dossier sur lequel on
se renvoyait des arguments. Je trouvais qu'il fallait sortir de ce
manichéisme.
L'école rurale tenait à la fois de la qualité et de
l'aménagement du territoire ; c'est un peu les deux. J'ai
essayé d'avoir une démarche non partisane sur cette
question ; c'est plus facile à dire qu'à mettre en oeuvre.
Autour de moi, j'ai constitué un groupe de travail dans lequel j'ai pris
l'ensemble des mouvances du milieu rural, que ce soient des élus ou des
parents d'élèves. J'ai volontairement exclu les acteurs directs,
dans ce groupe de travail je n'ai mis ni les parents d'élèves ni
les syndicats enseignants, qui ont été auditionnées par le
groupe mais ne faisaient pas partie du groupe, de façon à ne pas
avoir de prises de position
a priori
. Par contre, il y avait dans ce
groupe deux ou trois enseignants travaillant dans des écoles à
classe unique, et qui ont pu apporter leur position.
Deuxièmement, j'ai un peu abandonné ces questions depuis le mois
de novembre, actuellement je m'occupe plus des problèmes de
l'Agenda 2000 et de la loi d'orientation agricole que des questions de
l'école rurale. Je vais essayer de répondre à la question
sur les bassins d'écoles, mais ce sont des notions qui ont
évolué depuis le mois d'octobre.
Il faut examiner la question de la qualité avec circonspection : on
peut mesurer la qualité par des tests auxquels on peut donner une
fonction objective, encore que l'on sait très bien que les enfants en
classe unique dans tel ou tel bassin rural, n'ont pas les mêmes origines
sociales que des enfants de même âge en zone urbaine.
L'environnement a une grande importance sur ce genre de résultats. Si on
suppose que l'on peut éliminer tous ces biais, effectivement sur les
enseignements fondamentaux (orthographe, arithmétique), les
différences sont absolument insensibles. On s'aperçoit qu'en
arithmétique, si on prend les tests faits en CM1 ou CM2, la moyenne doit
être de 0,2 supérieure à celle en zone urbaine. Et de 0,1
si on compare les résultats des enfants en zone rurale et en zone
urbaine, classe unique ou non. Si l'on considère ces aspects-là,
il n'y a pas de différence significative.
Je reviens à ce qu'a dit M. Darcos, je n'ai pas bien compris sa
réflexion sur le parascolaire.
Il y a un vrai problème d'environnement. Les études
réalisées montrent qu'à la fin du CM2, à la fin de
la troisième, que les élèves soient dans des structures
à classe unique, des petites structures, des petits ou des grands
collèges, il n'y a pas de différence fondamentale sur les acquis
fondamentaux.
Il n'y a pas d'études contradictoires. A partir du moment où les
enfants quittent l'école primaire ou le collège, où
à chaque fois, en général, ils ont été dans
des petites structures, dans une sorte de cocon, bien encadrés,
lorsqu'ils passent en seconde, ou lorsqu'ils s'orientent dans des
filières professionnelles ou technologiques, ils se retrouvent
quasi-généralement (sauf pour ceux qui choisissent les maisons
familiales) dans des structures plus importantes. Ils quittent leur lieu de
résidence, ils s'éloignent un peu plus.
On constate que, pour les enfants issus de classes uniques ou de petits
collèges, le taux d'échec à la fin de la seconde serait
de 20 à 25 % supérieur. A quoi tient ce
taux ? Au fait que les enfants ont été
éloignés, ont quitté leur milieu, se retrouvent dans des
établissement plus importants.
Ce que disait Xavier Darcos m'interpelle un peu. Tout l'enseignement
périscolaire (c'est-à-dire l'accès à la culture, au
sport, etc.) n'est-il pas un élément qui manque aux enfants
entrant en seconde ? C'est un peu tout cela.
Quelles conséquences peut-on tirer de ce constat ? Il faut fermer
toutes ces structures qui aboutiraient à un taux d'échec plus
important ? Faisons en sorte que les enfants dans ces petites structures
bénéficient davantage de l'ouverture à la culture et des
activités sportives.
Parce que dans les communes ou dans les collèges, il n'y a pas une
diversité leur permettant d'avoir accès à toutes ces
fonctions, essayons de faire en sorte de pallier ces manques sans
forcément fermer ces structures. On peut le faire, mais
l'éducation nationale ne peut pas le faire seule ; il faut un
engagement de l'ensemble des acteurs sociaux. Nous devons voir comment
travailler avec une collectivité territoriale, avec les
départements ou les communes, avec le milieu associatif, de façon
à voir si en maintenant ces structures, les enfants peuvent avoir les
mêmes chances de réussite.
Sur la question des collèges, je ne sais pas si on peut
déterminer un seuil minimal. Je pense cependant qu'il faut
réfléchir à la pérennité des
établissements où il n'y a plus que trente élèves.
Faut-il s'arrêter à 90 ou à 100 ? Cela
dépend des conditions.
Mes propositions, qui ne sont pas novatrices, seraient les suivantes : que
ces établissements deviennent "multifonctionnels" ; maintenir ces
enseignants ; qu'ils soient de plus en plus
spécialisés ; les utiliser pour faire de l'enseignement dans
l'enseignement initial, mais aussi de la formation professionnelle et de
l'animation.
Cela nécessite des conventions entre l'éducation nationale et les
collectivités territoriales, afin qu'une partie des enseignants soit
utilisée le soir, comme une partie des équipements. Les
équipements informatiques, en particulier, ne sont utilisés que
quelques heures dans la journée par les élèves ; ils
pourraient l'être aussi par les adultes dans le cadre de certaines
activités.
Quant aux collèges et à la réhabilitation d'internats,
l'idée serait de permettre à ces collèges de devenir des
pôles d'animation rurale, alors qu'aujourd'hui ce sont souvent des
équipements, mais aussi des moyens humains, qui sont utilisés
sans efficacité optimale.
Si on raisonne uniquement "éducation nationale", l'efficacité
serait de décider que s'il n'y a pas vingt élèves et deux
sections, on ferme
.
Pour les élèves, il faut que ces
structures demeurent. Cela provoque un surcoût ; comment le
répartir sur d'autres activités ?
L'idée est d'établir une convention permettant au collège
de s'ouvrir, en évitant les dérives. Le collège s'ouvre,
mais il y a des limites. J'ai vu, pendant ma mission, quelques exemples d'un ou
deux principaux qui ont voulu le faire sans avoir vraiment l'accord des
collectivités territoriales ; les collèges devenaient en
quelque sorte des endroits où il se passait tout et n'importe
quoi ; les enfants ne savaient plus trop si c'était une
école ou un lieu d'animation continuelle.
Je crois que la solution est plutôt d'élargir l'utilisation des
moyens humains et des équipements, de façon à
éviter la fermeture de ces structures. On pourrait ainsi
bénéficier de ces structures et de ces moyens humains pour
d'autres besoins.
M. le Président -
Une dernière question très
générale, en vous demandant simplement votre avis ou l'expression
de votre opinion, même si cela n'est pas l'objet de votre rapport.
Pensez-vous que l'arbitrage (qui, de toute façon, se fait explicitement,
ou implicitement) entre les besoins des zones urbaines -avec leurs
difficultés, la violence, etc - et ceux, moins évidents mais
réels, des zones rurales, se fait correctement, clairement ? Vous
êtes-vous penché sur ce problème ? L'arbitrage se
fait, forcément.
M. Jean-Claude Lebossé -
L'arbitrage se fait au
niveau de l'inspection d'académie. Lorsque l'inspecteur
d'académie a le choix entre fermer une classe en zone rurale -cela
dépend du lieu de cette fermeture- et permettre de réduire les
effectifs dans des zones urbaines difficiles, je crains que l'arbitrage ne se
fasse souvent en faveur de la zone urbaine. Certains problèmes se
concrétisent par des manifestations, et le choix va souvent se faire
dans ce sens.
Le moratoire n'a pas été supprimé, j'étais
d'ailleurs opposé à sa suppression. Il fallait d'abord mettre en
place cette notion de projet de conventionnement, et progressivement, autour de
cela, supprimer le moratoire.
J'ai pu constater l'un des aspects négatifs du moratoire dans mes
déplacement dans certains départements où la notion
d'école et de classes "moratoires" avaient pris une connotation assez
négative : on disait que cela faisait un peu "mouroir". Tant que le
maire n'a pas demandé la fermeture de l'école, on ne ferme pas.
Mais vous n'avez plus aucune initiative, plus aucun projet pédagogique.
Le regroupement global ou le maintien à tout prix ne sont pas les bonnes
solutions. Je ne crois pas beaucoup à l'idée que la fermeture de
l'école conduise à la mort du village. Malheureusement, à
mon avis, quand on a fermé l'école du village, c'est que le
village n'était plus en très bonne santé.
Il faut donc mobiliser tout le monde, afin qu'il y ait adéquation entre
discours et pratique. Combien de parents d'élèves ai-je entendus
qui voulaient à tout prix maintenir l'école et qui critiquaient
les menaces de fermeture ? Et je m'apercevais que ceux qui critiquaient le
plus ne mettaient pas leurs enfants dans l'école du village, y compris
certains élus !
Il faut que tout le monde prenne ses responsabilités. Ce n'est pas
l'éducation nationale qui, seule, va régler le problème de
l'école en zone rurale. La collectivité territoriale doit
également s'en occuper, à la condition aussi que
l'éducation nationale accepte de s'ouvrir un peu et de discuter avec les
collectivités territoriales. Il y a des frilosités et des
pétitions de principe de certains syndicats enseignants souhaitant que
l'enseignant reste uniquement dans une tâche enseignante.
Je crois à la polyvalence des services publics en zone rurale, et c'est
la même chose pour l'école. Je pense qu'on ne pourra maintenir et
renforcer nos fonctionnaires et nos équipements en zone rurale que si
l'on accepte une certaine polyvalence, à la fois des moyens humains et
des équipements.
M. le Président -
Je vous remercie.