III. - LES PRÉLÈVEMENTS SUR DONNEUR VIVANT
1. La loi et la pratique
1.1. Un droit marqué par une orientation restrictive
Rompant, pour les motifs précédemment évoqués, avec le libéralisme relatif du droit antérieur, le législateur de 1994 a conféré au don entre vifs un caractère subsidiaire par rapport à la transplantation avec donneur cadavérique. Ce principe de subsidiarité n'est pas expressément inscrit dans les textes à la différence de la Convention européenne sur les droits de l'homme et la bioéthique qui n'admet, en son article 19, le prélèvement sur donneur vivant que si " l'on ne dispose pas d'organe approprié d'une personne décédée ni de méthode thérapeutique alternative d'efficacité comparable " . Mais il faut noter que cette convention n'impose pas un apparentement entre donneur et receveur ni un intérêt thérapeutique direct. Dans la loi française, en revanche, la subsidiarité se déduit des limites très strictes assignées à la transplantation avec donneur vivant.
o Les catégories de sujets susceptibles de faire don d'un organe sont définies par la nature des liens de parenté qui les unissent au receveur. " L'apparentement génétique constitue ainsi le critère de référence pour autoriser le don d'organes entre vifs " (Dominique THOUVENIN). Il n'est que très secondairement tempéré par le critère affectif qui permet le don entre époux, en cas d'urgence seulement.
o La famille prise en considération est la famille " légitime ", à l'exclusion des concubins et des frères et soeurs consanguins et utérins.
o Aucun prélèvement n'est autorisé sur les sujets majeurs protégés ni sur les mineurs, réserve faite, pour ces derniers, du don de moelle osseuse entre frères et soeurs. Sur ce point, la loi française a rejoint ou précédé divers textes européens et internationaux relatifs aux transplantations d'organes humaines (résolution du 11 mai 1978 du Conseil de l'Europe, principes directeurs adoptés en 1991 par l'Organisation mondiale de la santé, Convention européenne sur les droits de l'homme et la bioéthique de novembre 1996).
Ainsi la loi s'est-elle efforcée, par un encadrement très strict, de concilier des intérêts contradictoires (prélèvement mutilant pour le donneur, intérêt thérapeutique pour le receveur).
1.2. Une pratique très limitée qui correspond à la volonté du législateur
Déjà peu usitée sous l'empire de la loi Caillavet, pourtant plus libérale, la greffe d'organes avec donneur vivant occupe aujourd'hui une place marginale dans l'activité générale de transplantation. La situation française contraste avec celle qui peut être observée dans plusieurs pays européens.
1.2.1. La situation en France
Comme le font apparaître les statistiques présentées dans le tableau général de la transplantation, la greffe avec donneur vivant représente moins de 4 % de la transplantation rénale et moins de 2 % de la transplantation hépatique.
Une grande disparité se manifeste d'un centre à l'autre : parmi les 39 unités de transplantation rénale répertoriées dans le rapport annuel de l'Etablissement français des greffes, 12 n'ont réalisé aucune transplantation rénale avec donneur vivant au cours des cinq dernières années et, parmi les 27 autres équipes, le pourcentage de ce type de greffe varie de 1 à 20 %.
Les données statistiques relatives aux liens de parenté révèlent que le groupe des donneurs vivants est constitué pour 53 % des parents, pour 43 % des frères et soeurs et pour 2 % des conjoints. Les parents représentent 90 % des donneurs pour les receveurs de moins de 20 ans et 15 % pour ceux de 20 à 40 ans. La fratrie constitue 10 % des donneurs pour les moins de 20 ans, 80 % pour ceux de 20 à 40 ans et 90 % pour ceux de plus de 40 ans, tranche d'âge pour laquelle 9 % des donneurs sont des conjoints.
1.2.2. La situation dans les autres pays européens
Plusieurs données peuvent être soulignées :
o La plus forte proportion de greffes rénales réalisées à partir de donneurs vivants s'observe dans les pays de l'Europe du Nord (Norvège 45 %, Suède 25 %, Danemark et Pays-Bas 15 %), suivis par la Suisse et le Royaume-Uni (entre 7 et 8 %).
o La relation entre le nombre élevé de greffes issues de sujets décédés et le faible nombre de transplantations rénales à partir de donneurs vivants n'est constatée qu'en Espagne et en Autriche. Partout ailleurs, aucune corrélation n'existe entre ces deux types de données comme le fait apparaître le tableau ci-dessous.
Nombre de prélèvements rénaux par million d'habitants
Donneurs vivants |
Donneurs cadavériques |
|
Norvège |
16 |
26 |
Suède |
14 |
24 |
Danemark |
9 |
22 |
Suisse |
8 |
26 |
Pays-Bas |
6 |
27 |
Allemagne |
4 |
23 |
Grande-Bretagne |
3 |
26 |
France |
1 |
27 |
2. Adaptations et modifications envisageables
Au fil des auditions, il est apparu que diverses retouches pourraient être apportées au régime juridique des transplantations avec donneur vivant :
o Il s'avère nécessaire d'adapter la loi à l'évolution des techniques qui n'avait pu être prise en compte au moment de son élaboration (greffes en domino, prélèvement de cellules souches hématopoïétiques).
o Il peut être souhaitable de remédier à certaines imperfections ou omissions qui créent des difficultés pratiques ou compromettent le respect du principe du consentement (régime des tissus et des résidus opératoires, organisation des prélèvements sur mineurs).
o En fonction de données médicales, psychologiques et sociales, il serait concevable, comme le préconisent diverses instances, d'élargir les catégories de donneurs sans remettre en cause le caractère subsidiaire du prélèvement sur donneur vivant.
Préalablement, et afin d'éclairer le débat, il n'est pas inutile de donner quelques indications sur l'état des pratiques et les progrès techniques dont elles ont pu bénéficier au cours de ces dernières années.
2.1. Les évolutions et progrès techniques dans le domaine de la transplantation avec donneur vivant
2.1.1. La transplantation rénale : une pratique maîtrisée et couronnée de succès
- Les résultats des greffes avec donneur vivant réalisées en France de 1985 à 1990 sont globalement meilleurs que ceux des greffes réalisées avec rein de cadavre, que l'on considère :
o la survie actuarielle des greffons qui est, à cinq ans, de 88 % pour des greffons HLA identiques et de 78 % pour des greffons HLA semi-identiques, contre 68 % pour des greffons cadavériques ;
o la survie des patients qui est, à cinq ans, voisine de 100 % pour les transplantations avec donneur vivant HLA identique ou non et de 85 % environ pour les greffes avec donneur cadavérique.
Fait important, des études récentes menées aux Etats-Unis font apparaître que des transplantations avec donneurs vivants génétiquement non apparentés fournissent des résultats supérieurs de plus de 20 % à ceux obtenus avec rein de cadavre, résultats qui démontrent que la qualité du greffon joue, dans la réussite de la greffe, un rôle prééminent par rapport à la compatibilité HLA.
- Le devenir à court et à long terme du donneur se caractérise par :
o un risque vital très faible, de l'ordre de 0,03 %, d'après des travaux réalisés aux Etats-Unis ;
o de rares complications nécessitant des soins intensifs (0,23 %) ;
o une espérance de vie et un pourcentage d'insuffisance rénale, d'hypertension artérielle et d'albuminurie équivalents dans une population de sujets uninéphrectomisés et dans la population générale, avec un recul de 45 ans.
2.1.2. La transplantation hépatique : une pratique récente et peu développée
Le premier succès a été publié en Australie en juillet 1989 et la pratique française n'a débuté qu'en 1992. Sur 90 centres européens de greffe hépatique, on ne dénombre que 11 centres ayant pratiqué au moins une transmission hépatique avec donneur vivant de décembre 1988 à février 1996.
A la différence des transplantations rénales, la technique de greffe de foie à partir d'un donneur vivant concerne, pour l'heure, quasi exclusivement les enfants pour des raisons de plus grande facilité du don parental, d'une part (plus de 90 % des donneurs sont des pères ou mères), de difficulté à prélever chez un vivant la grande masse de parenchyme hépatique nécessaire à un adulte, d'autre part.
Le prélèvement s'opère le plus souvent par lobectomie gauche (80 % des cas), subsidiairement par hépatectomie gauche (15 % des cas).
Pour le donneur, la mortalité est de 0,2 %, la morbidité de 12 %. On ne dispose pas, pour l'instant, d'informations sur d'éventuelles complications à long terme mais il semble que le risque d'insuffisance hépatique à distance soit réduit en raison de la capacité rapide de régénération du foie.
Pour le receveur, la comparaison des résultats avec ceux de la transplantation à partir de greffons cadavériques chez des receveurs comparables montre un taux de survie globale à un an un peu plus favorable. Ce type de prélèvement garantit par ailleurs des greffons de meilleure qualité et assurés d'une meilleure survie.
2.1.3. La transplantation pulmonaire : une pratique encore inusitée en France
Inaugurée aux Etats-Unis en 1990, la transplantation pulmonaire avec donneur vivant n'a pas encore été tentée en France. Il s'agit d'une greffe lobaire bilatérale, nécessitant des prélèvements sur deux donneurs pour un même receveur. Les résultats publiés par une équipe de Los Angeles concernent, pour la période 1993-1996, 38 transplantations intéressant 27 jeunes adultes (âge moyen : 25 ans) et 10 enfants (âge moyen : 13 ans) atteints, pour la plupart, de mucoviscidose et dont l'espérance de survie estimée est inférieure à quelques mois. 73 % des donneurs ont des liens familiaux.
Les résultats constatés sont équivalents à ceux de la transplantation pulmonaire dans son ensemble (survie actuarielle estimée, d'après le registre international, à 70 % à 1 an, 57 % à 3 ans, 45 % à 5 ans). " Les progrès espérés en transplantation pulmonaire, en rapport avec les nouveaux protocoles immunosuppresseurs et avec l'avantage apporté, en transplantation avec donneur vivant, par un meilleur appariement HLA entre donneur et receveur, devraient modifier le rapport risque sur bénéfice actuel et plaider ainsi en faveur du prélèvement chez les donneurs vivants. Cette option d'avenir pourrait être proposée comme une alternative intéressante à la transplantation pulmonaire cadavérique, en dehors des climats d'urgence, et de façon programmée. "
2.1.4. La transplantation cardiaque en domino
" Le principe de la transplantation cardiaque en domino consiste à récupérer le coeur sain d'un patient bénéficiant, pour une indication pulmonaire, d'une greffe cardio-pulmonaire avec donneur cadavérique, puis à greffer ce coeur sur un autre patient en attente de transplantation cardiaque. " Son principal champ d'application est la mucoviscidose. Le pronostic fonctionnel respiratoire et le pronostic vital des patients étant engagés très tôt, une greffe à un âge très jeune est nécessaire alors que leur coeur est encore parfaitement sain. La réussite de la transplantation pulmonaire exige par ailleurs des greffons d'excellente qualité et c'est la transplantation cardio-pulmonaire qui offre le plus de sécurité, pour des raisons infectieuses et de cicatrisation.
La technique du domino s'est développée en Europe depuis 1988 et la pratique en est encore réduite (92 transplantations en Grande-Bretagne de 1988 à 1994, 9 en France de 1992 à 1996). Elle est en infraction, dans leur lettre sinon dans leur esprit, avec les règles juridiques relatives à l'apparentement des donneurs et des receveurs, mais elle pose surtout problème, comme on le verra plus loin, pour l'application du principe du consentement .
Elle présente l'avantage de fournir un organe d'excellente qualité, contrairement aux greffons d'origine cadavérique qui ont subi les dommages de la décérébration, et de permettre des investigations complémentaires avant le prélèvement (bilan sérologique, typage HLA).
2.1.5. Les greffes de cellules souches hématopoïétiques (CSH) : les nouveaux types de prélèvement
Les greffes allogéniques de cellules souches hématopoïétiques, destinées au traitement de maladies hématologiques, étaient, jusqu'à une date récente, pratiquées à partir de prélèvements de moelle osseuse opérés, sous anesthésie générale, sur un donneur apparenté ou non apparenté (ce dernier cas représentant 21 % des allogreffes en 1996).
L'évolution des techniques a permis, postérieurement à l'adoption de la loi de 1994, de mettre en oeuvre deux nouveaux types de prélèvement.
o Le prélèvement de CSH à partir du sang périphérique nécessite l'administration préalable au donneur d'un facteur de croissance permettant la mobilisation des cellules dans le sang. Cette méthode présente, pour le receveur, l'avantage d'obtenir un plus grand nombre de CSH qu'avec un prélèvement de moelle, d'autoriser des manipulations du greffon et de provoquer une sortie d'aplasie plus rapide.
Pour le donneur, l'intérêt est celui d'un plus grand confort de prélèvement, sans anesthésie générale. Les conséquences et inconvénients sont ceux de l'injection d'un facteur de croissance responsable d'anomalies hématologiques transitoires (hyperleucocytose). " Le risque oncogène à long terme, très théorique, est certainement minimum voire négligeable en regard du risque de l'anesthésie générale évitée. "
Ce type de prélèvement, en progression constante, a alimenté 16 % des greffes de CSH en 1996.
o Les prélèvements opérés dans le sang placentaire , au moment de la naissance de l'enfant, permettent de créer moins de réactions immunitaires que les greffes de CSH médullaires ou sanguines. Mais le faible nombre de cellules recueillies réserve ce type de prélèvement à de très jeunes donneurs. Des banques de sang placentaire sont en voie de constitution, sous la double responsabilité de l'Agence française du sang et de l'Etablissement français des greffes. En 1996, 1,5 % des greffes ont été pratiquées à partir de sang placentaire.
Ce bref panorama permet de formuler un certain nombre de constatations :
o Les progrès médicaux permettent aujourd'hui d'élargir les indications de transplantation à partir de donneur vivant à la greffe de foie, de poumon, voire de pancréas, mais, en dehors des greffes rénales, les résultats des autres transplantations sont encore grevés d'une manière générale d'un lourd taux d'échec.
o La qualité du greffon, supérieur en cas de prélèvement sur donneur vivant, constitue, pour la transplantation rénale, un facteur de succès plus déterminant que l'apparentement génétique.
o Certaines techniques de prélèvement développées depuis 1994 échappent, de facto, à l'encadrement juridique instauré par la loi.
2.2. L'origine du don : l'opportunité d'un élargissement des catégories de donneurs
2.2.1. Pour quels motifs ?
Le régime juridique instauré par la loi de 1994 se fonde principalement sur la proximité biologique : la limitation de la qualité de donneurs aux membres de la cellule familiale stricto sensu est justifiée en théorie par la plus grande compatibilité tissulaire existant entre ces individus génétiquement apparentés et par les plus grandes chances de succès de la greffe qui en découlent. Cependant, ce critère de l'apparentement biologique n'est pas appliqué dans toute sa rigueur puisque se trouvent exclus du don les frères et soeurs consanguins et utérins et que s'y trouvent en revanche inclus les enfants issus d'une adoption plénière. Il est par ailleurs tempéré, de façon limitée, par un critère affectif qui étend le don aux époux sous condition d'urgence.
Plusieurs arguments sont aujourd'hui invoqués pour élargir quelque peu le cercle des donneurs :
- En premier lieu, les travaux récemment menés aux Etats-Unis en matière de transplantation -et dont on a fait état précédemment- ont établi que l'histocompatibilité n'avait pas l'importance qu'on lui a longtemps attribuée dans la réussite de la greffe, ce qui rend médicalement possible un don d'organe par n'importe quel membre de la fratrie, ainsi que par des membres plus éloignés, voire par des sujets non apparentés.
- La limitation aux frères et soeurs du receveur en cas de prélèvement de moelle apparaît excessivement restrictive sachant qu'un cousin germain peut parfois être le seul donneur HLA identique pour un patient donné .
- La limitation des donneurs non apparentés aux époux et en cas d'urgence seulement a également été critiquée.
o La notion d'urgence est médicalement floue et n'est pas, en tout état de cause, applicable à la greffe de rein ; elle est susceptible d'une interprétation extensive si l'on prend en compte l'urgence " psychologique ". Au total, elle conduit à une pratique gouvernée par l'ambiguïté. " En effet, le concept d'urgence n'a pas d'existence légale en transplantation rénale et, d'autre part, la situation d'urgence, par nature multiparamétrique et donc subjective, est la situation la plus dangereuse qui soit pour réaliser une transplantation avec donneur vivant. "
o Le critère affectif sur lequel repose le don entre époux ne doit-il pas conduire à admettre les concubins au rang des donneurs ? Le législateur les avait écartés faute de pouvoir définir combien de temps le donneur doit avoir vécu maritalement avec le receveur. Mais il n'avait pas par ailleurs imposé aux époux une durée minimale de vie conjugale pour justifier un don d'organes. On aboutit alors, comme le relève le CCNE, à des situations paradoxales où un conjoint de fraîche date peut être admis au don alors que le compagnon ou la compagne de plusieurs années doit être écarté. On doit enfin noter qu'en d'autres domaines de l'éthique biomédicale, spécialement en matière d'assistance médicale à la procréation, la loi met sur le même plan époux et concubins.
La profession médicale semble majoritairement favorable à un assouplissement mesuré des règles en vigueur. Selon le professeur CHARPENTIER, il convient d'avancer avec prudence sur l'élargissement de la parenté. Certes, le critère de l'histocompatibilité n'a pas la valeur médicale qu'on lui avait conférée mais son objectivité en rend l'application incontestable. Assouplir les conditions du don expose à des pressions familiales qui conduiront à préférer le cousin moins histocompatible mais célibataire au frère chargé de famille .
De même, les professeurs HOUSSIN et DURAND considèrent que, dans la mesure où les greffes entre non-apparentés donnent de bons résultats, il convient de les permettre sur un mode très dérogatoire sans que cet assouplissement puisse avoir pour objectif de pallier les insuffisances des prélèvements post mortem .
2.2.2. Selon quelles modalités ?
- Pour les donneurs apparentés , un consensus semble se dessiner en faveur d'un élargissement, dans le cadre familial, de la catégorie des donneurs au-delà de la parenté du premier degré, même si des divergences se manifestent sur la portée de cet élargissement : grands-parents, oncles et tantes (en particulier en cas d'incompatibilité transfusionnelle empêchant les parents de donner un rein à leurs enfants). Les frères et soeurs consanguins et utérins pourraient être également assimilés aux frères et soeurs majeurs du receveur.
S'agissant des greffes de moelle où l'histocompatibilité demeure une exigence incontournable, l'Académie de médecine relève que des recherches de compatibilité HLA ont été parfois autorisées hors de France chez des cousins germains et ont ainsi parfois permis de pratiquer des greffes de moelle dans des conditions immunologiquement très satisfaisantes. " L'élargissement des recherches de donneurs potentiels apparentés, en particulier sous couvert de typage HLA, devrait donc être prévu dans l'article L 671-3. " Se poserait toutefois ici un problème de compatibilité, juridique cette fois, avec la Convention d'Oviedo qui a repris, sur ce point, les dispositions restrictives de la loi de 1994.
- Pour les donneurs non apparentés , la condition d'urgence imposée aux couples mariés devrait, en tout état de cause, être levée selon l'opinion dominante. Faut-il aller au-delà et, sans procéder à une énumération limitative difficilement envisageable en l'espèce, prendre en considération la notion de personnes " émotionnellement liées " ? Il conviendrait alors de vérifier, comme le souligne le CCNE, l'authenticité et la sincérité du désir de don, l'absence de commercialisation, ainsi que l'absence de pressions abusives sur le donneur .
Le modèle britannique est invoqué à ce propos : l'ULTRA (Unrelated Living Transplant Regulation Authority), constitué de onze membres, médecins et non-médecins, examine tous les cas de transplantation rénale avec donneur vivant non apparenté ; il a accordé 28 fois son autorisation sur 450 demandes déposées de 1991 à 1994.
En France, un système comparable pourrait être mis en place par l'instauration d'une procédure contradictoire où des médecins représentant le donneur entendraient l'équipe médicale de transplantation, la famille et le couple (Pr. CHARPENTIER). Le CCNE envisage la création d'un comité ad hoc dont la composition pourrait s'inspirer des comités d'experts chargés d'évaluer la situation des mineurs proposés comme donneurs dans le cadre des greffes de moelle osseuse. L'essentiel de son intervention serait de protéger le donneur contre toutes formes de pressions. A ce titre, il pourrait être chargé d'entendre tous les donneurs proposés, qu'ils soient apparentés ou non.
2.3. Le consentement au don d'organe
2.3.1. En cas de prélèvement sur une personne majeure et capable
- La qualité de l'information préalable délivrée au donneur est l'une des conditions essentielles d'un consentement libre et éclairé. L'article L 671-3 du Code de la santé publique impose bien cette information du donneur sur les risques qu'il encourt et sur les conséquences éventuelles du prélèvement, mais non sur les résultats escomptés de la greffe.
Cette lacune a été comblée par la voie réglementaire (article R 671-3-1 résultant du décret n° 96-375 du 29 avril 1996) mais il serait sans doute souhaitable que cette exigence figure dans la loi elle-même. L'information pourrait au demeurant être plus complète et porter également, pour les greffes de moelle entre donneurs non apparentés, sur les résultats effectifs du don.
Par ailleurs, il serait judicieux, par analogie avec les dispositions de la loi du 20 décembre 1988 relative aux recherches biomédicales, codifiées à l'article L 209-9 du Code de la Santé publique, de rassembler l'ensemble des informations destinées au donneur dans un document écrit qui faciliterait d'autre part le contrôle du respect, par les informateurs, des prescriptions législatives et réglementaires.
- Quant à l'expression du consentement , la forme solennelle que lui a donnée la loi par l'intervention du président du Tribunal de grande instance, confère au don une dimension symbolique dont l'opportunité est soulignée par les praticiens. Cependant, comme l'observe Mme le professeur THOUVENIN, cette mesure est affectée d'une carence qui réside dans l'absence de pouvoir de contrôle du magistrat quant à ce que représente ce prélèvement pour le donneur du point de vue de son intérêt. Ce magistrat n'a en effet le pouvoir que de s'assurer du respect des règles. Il est écrit de plus, dans le décret d'application, qu'il recueille le consentement, selon un vocabulaire de type médical, et non qu'il le reçoit.
La formalisation des modalités d'information dans un document écrit permettrait sans doute au juge de vérifier que la procédure imposée par les textes a été respectée dans sa lettre. Mais l'appréciation du fond, c'est-à-dire des données proprement médicales, est hors de sa compétence technique et l'on peut se demander s'il ne devrait pas être assisté, sur ce point, d'un expert indépendant.
Enfin, et par analogie là encore avec la loi du 20 décembre 1988 (article L 209-9 du Code de la santé publique), pourquoi ne pas préciser que le donneur, en révoquant son consentement comme il en a, à tout moment, la latitude, ne peut voir, de ce fait, sa responsabilité engagée ?
2.3.2. En cas de prélèvement de moelle sur un mineur
Dans cette hypothèse, l'article L 671-5 impose le consentement de chacun des titulaires de l'autorité parentale ou du représentant légal du mineur exprimé devant le président du Tribunal de grande instance. En cas d'urgence, le consentement est recueilli par tout moyen par le procureur de la République.
Ce type de prélèvement répondant le plus souvent à un besoin urgent, le recours au procureur ne risque-t-il pas de devenir la règle et d'interdire, compte tenu de la brièveté des délais, une intervention crédible du comité d'experts chargé de délivrer l'autorisation ? Ceci conduit le CCNE à préconiser l'établissement d'une liste limitative des urgences par commun accord entre les services greffeurs.
Un certain nombre de problèmes se pose à propos du fonctionnement du comité d'experts qui a pour mission d'autoriser le prélèvement.
- Le comité doit s'assurer que le mineur a été informé du prélèvement envisagé en vue d'exprimer sa volonté, s'il y est apte (article L 671-5). Le décret du 29 avril 1996 pris pour l'application de ces dispositions a précisé qu'il devait procéder à l'audition du mineur s'il est capable de discernement. Faute d'un critère objectif et incontestable, la mise en oeuvre de cette disposition relève d'une appréciation au cas par cas laissée à la discrétion des experts.
- Le comité apprécie la justification médicale de l'opération, les risques qu'elle peut entraîner ainsi que ses conséquences prévisibles sur le plan physique et psychologique (article L 671-6). Cette intervention sur le terrain médical, qui crée un risque de contradiction avec la position des prescripteurs, est critiquée par les praticiens qui souhaitent limiter sur ce point la compétence du comité. Au demeurant, dans la pratique, " le comité ne se substitue pas au service d'hématologie et au service préleveur pour évaluer le bien-fondé de l'indication de la greffe et du prélèvement. Il s'assure que la consultation d'anesthésie pour le donneur a bien eu lieu et qu'elle n'a pas fait apparaître de facteur de risque particulier. Il explique aux parents son rôle et reprend avec eux l'anamnèse et l'histoire récente : annonce du diagnostic, annonce de la nécessité d'une greffe, modalités de décision concernant l'enfant donneur, réactions de l'enfant donneur et des enfants de la fratrie non donneurs. "
- Le comité n'a pas à motiver un refus éventuel d'autorisation du prélèvement. Il s'agit là d'une décision grave qui ne peut se fonder que sur des arguments solidement justifiés. C'est pourquoi une opinion dominante se prononce en faveur de la motivation. Certains, cependant, opinent en sens contraire, eu égard aux pressions familiales qui peuvent s'exercer, compte tenu de l'enjeu, le plus souvent vital, pour le frère ou la soeur malade. L'obligation de motivation conduirait à rendre public le refus du mineur alors que celui-ci doit pouvoir l'exprimer sans se sentir immédiatement soumis à la réprobation de ses parents et de sa famille.
- Le double contrôle (magistrats et comité d'experts) entraîne des lourdeurs administratives génératrices de retards qui peuvent être préjudiciables au transplanté mais l'Académie de médecine, qui en fait l'observation, ne souhaite pas que soit remise en cause la garantie judiciaire " absolument nécessaire ".
2.3.3. Les situations non prévues par la loi
Deux pratiques médicales développées depuis l'adoption de la loi de 1994 (cf. supra) doivent être aujourd'hui prises en considération par le législateur au regard du respect du principe de consentement.
- Les coeurs greffés " en domino " sont, pour l'heure, assimilés aux résidus opératoires ou, pour reprendre les termes de l'article L 672-1, aux " tissus, cellules et produits humains prélevés lors d'interventions chirurgicales et utilisés ultérieurement " qui ne sont soumis à aucun autre consentement que celui exprimé par le patient avant l'intervention elle-même. La circulaire ministérielle qui règle, pour l'instant, ce problème a fondé l'assimilation sur le fait que la greffe en domino ne faisait pas courir de risque supplémentaire au donneur de coeur et ne justifiait donc pas une mesure supplémentaire de protection à son égard.
Quelles que soient les modifications qui pourraient être par ailleurs apportées aux règles touchant les résidus opératoires, il sera nécessaire d'inscrire dans la loi la notion d' " organe subsistant " et de la soumettre aux principes généraux du consentement, compte tenu, notamment, des importantes implications psychologiques que comporte pour le donneur ce type de transplantation.
- Les cellules souches hématopoïétiques peuvent désormais être prélevées directement, comme on l'a indiqué, dans le sang périphérique et le cordon ombilical. La loi n'ayant pu prévoir ce développement scientifique, ces nouveaux types de prélèvement peuvent donc être mis actuellement en oeuvre sans aucun consentement.
Il convient donc d'unifier le régime des cellules souches en les soumettant, soit à celui des cellules, soit à celui des organes. Compte tenu des urgences liées à la pratique des greffes de CSH allogéniques, la préférence de l'Etablissement français des greffes va à cette dernière solution, un cadre juridique spécifique devant cependant être dessiné au sein des organes pour ces catégories de prélèvements. On notera, par ailleurs, l'inadéquation de l'article L 672-5 qui, dans sa forme actuelle, interdit tout prélèvement de cellules sur les mineurs, excluant par là-même le don, par ces derniers, de cellules souches issues du sang périphérique.
Comme l'a observé le professeur VERNANT , le recueil des CSH d'origine sanguine soulève un autre problème lié à l'administration préalable au donneur d'un facteur de croissance (GCSF). Si l'utilisation de ces facteurs est légalement possible chez les patients dans le but de pratiquer une autogreffe de moelle, elle ne l'est pas de la même façon chez un donneur sain qui n'a pas de bénéfice direct à cette administration et qui devrait donc bénéficier sur ce point d'une information particulière.
2.4. Le consentement au don de tissus et cellules
2.4.1. Remarques générales
L'article L 665-11 qui pose le principe général du consentement préalable du donneur et de sa révocabilité à tout moment inclut, dans son champ d'application, les tissus, cellules et produits, sauf dérogation particulière. Cela étant, la loi, à la différence de ce qu'elle a prévu pour le don d'organes, n'impose aucune information du donneur sur les risques encourus, ni sur les conséquences éventuelles du prélèvement. Elle n'est pas plus exigeante sur l'expression du consentement, n'imposant ni l'intervention d'un juge, ni même un document écrit. Cette absence de précaution semble s'être expliquée par le fait qu'il s'agit ici d'une simple " récupération " de tissus et non d'un don, à proprement parler. On a pu cependant faire observer à cet égard que ces prélèvements ne sont pas nécessairement anodins. " Théoriquement, la loi n'interdit pas un prélèvement de cornée ou d'os du vivant de l'intéressé. On ne saurait prétendre qu'un " don " de cette nature ait des conséquences équivalentes à celles d'un prélèvement de quelques cellules. " La fixation d'un cadre plus précis incomberait donc au pouvoir réglementaire mais le décret en Conseil d'Etat prévu à l'article L 672-3 n'est pas, à ce jour, paru.
La loi française se trouve donc, sur ce point, en retrait par rapport à la Convention européenne de bioéthique dont l'article 19 prévoit un consentement écrit devant une instance officielle. De son côté, le Groupe européen d'éthique auprès de la Commission européenne, dans l'avis qu'il a adopté le 21 juillet 1998, estime que le consentement du donneur vivant doit se fonder sur des informations aussi précises et compréhensibles que possible pour le profane portant sur :
o les modalités du prélèvement ;
o les conditions et délais de conservation et de stockage éventuels des tissus ainsi que les conditions de l'enregistrement des données les concernant dans une banque de données, au regard des exigences de la protection de la vie privée et du secret médical ;
o l'utilisation envisagée des tissus (diagnostic, allogreffe ou autogreffe, fabrication de produits pharmaceutiques, recherche, production de lignées cellulaires pour usages divers...).
En fait, d'après le professeur HOUSSIN, le prélèvement de tissus sur un volontaire sain, bien que prévu par la loi, ne semble pas aujourd'hui traduit en pratique car il ne correspond pas à une nécessité médicale. " L'ensemble des tissus prélevés chez le donneur vivant le sont en tant que résidus opératoires (peau y compris). "
Se trouve dès lors posé avec une acuité particulière le problème du régime de consentement applicable à ces résidus.
2.4.2. Le régime des résidus opératoires
L'originalité de ces résidus tient à trois éléments :
o ils sont recueillis à l'occasion d'un acte thérapeutique qui n'a aucun rapport avec la greffe pour laquelle ils doivent être utilisés ;
o ils sont reconnus comme étant désormais sans utilité pour le donneur ;
o ils sont, enfin, destinés à des greffes de tissus, certainement utiles, mais dont le caractère indispensable n'est pas toujours établi .
Si on laisse de côté les veines saphènes internes dont l'utilisation tend à être abandonnée, les résidus opératoires les plus utilisés sont les valves des coeurs explantés lors d'une greffe cardiaque et, surtout, les têtes fémorales recueillies à l'occasion des arthroplasties par prothèse totale de la hanche.
L'article L 672-1 du Code de la santé publique soumet ces prélèvements -auxquels avait été joint le placenta à l'initiative de l'Assemblée nationale- aux principes de non-publicité, d'anonymat, de gratuité et de sécurité sanitaire mais non à celui du consentement.
En pratique, beaucoup de chirurgiens, considérant que l'exploitation du résidu opératoire ne constitue en rien le prolongement normal de l'acte thérapeutique, font signer aux donneurs un consentement écrit mais ce texte semble insuffisant dans la mesure où il ne dégage pas suffisamment la responsabilité des donneurs et où l'absence de prétention à toute forme de rémunération n'est pas clairement signifiée.
L'obligation du consentement peut, d'autre part, être indirectement déduite des règles de bonne pratique fixées par un arrêté du 1er avril 1997 qui imposent au médecin préleveur d'informer le patient, avant l'intervention, du recueil envisagé et de la nécessité de pratiquer des examens sanguins permettant d'éliminer le risque de transmission de certaines maladies au receveur. En acceptant de s'y soumettre, le patient autorise par voie de conséquence l'utilisation de ces résidus.
Usages inégalement observés, procédures indirectes et semi-explicites : on peut considérer que la situation actuelle qui induit, dans certains hôpitaux, des comportements attentistes aboutissant à un blocage de l'activité de prélèvement n'est pas satisfaisante et mériterait d'être clarifiée par l'inscription dans la loi du principe de consentement libre et éclairé, quels que soient l'origine du prélèvement et sa destination. On rejoint ici les constatations faites par le Groupe européen d'éthique qui relève l'absence fréquente de réglementation et souligne que l'information du donneur est d'autant plus nécessaire que les tests effectués pour vérifier la sécurité sanitaire des tissus ne peuvent être faits qu'avec le consentement de la personne concernée (avis du 21 juillet 1998).
2.4.3. Le régime des prélèvements sur embryons et foetus morts
Cette question, déjà posée sous l'empire de la loi Caillavet, n'a pas été davantage tranchée par le législateur de 1994 qui ne l'a même pas évoquée dans les travaux préparatoires.
La finalité de ces prélèvements, en dehors des visées diagnostiques qui ne posent pas de problème, peut être thérapeutique ou scientifique.
Sur le plan thérapeutique, la transplantation de cellules souches hépatiques embryonnaires a été réalisée pour traiter les déficits immunitaires héréditaires. Plus récemment, se sont développées des recherches sur l'intérêt des transplantations de cellules nerveuses embryonnaires pour le traitement de certaines maladies neurovégétatives : maladie de Parkinson, chorée de Huntington.
Dans le silence de la loi, certains juristes ont cru pouvoir considérer que le régime des résidus opératoires s'appliquait de plano aux prélèvements et à l'utilisation des tissus, cellules ou produits d'embryons ou de foetus humains morts des suites d'une intervention médicale et, notamment, d'une interruption volontaire de grossesse. Rien, dans les travaux préparatoires, ne permet de l'affirmer et ceux-ci autorisent même une argumentation inverse : en effet, si la notion de déchet opératoire a pu être jugée insuffisante pour inclure le placenta (celui-ci ayant été rajouté au cours de la navette), il est difficilement admissible qu'elle s'applique, sans disposition expresse, aux prélèvements sur foetus et embryons morts .
Quoi qu'il en soit, face à la carence de la loi, les professionnels se réfèrent, pour guider leur pratique, aux avis du Comité consultatif national d'éthique. S'exprimant pour la première fois sur cette question le 22 mai 1984, le CCNE a estimé souhaitable que soit reconnue à la mère une faculté de refus de prélèvement sur l'enfant après avortement, même en cas d'interruption volontaire de grossesse pour détresse. " Certains estiment qu'en décidant de la mort de l'embryon, la mère se prive de tout droit à son égard. Cette position paraît excessive. La faculté de refus doit être préservée car il s'agit de tissus humains. " Faculté de refus mais non expression obligatoire d'un consentement qui n'est exigé que pour un prélèvement sur cadavre. Or il n'est ni évident ni opportun, selon le CCNE, de considérer l'embryon mort comme le cadavre d'un enfant. Ces prélèvements devraient n'être opérés que sur des embryons et foetus dont la non-viabilité est certaine (c'est-à-dire avant la 22 ème semaine gestationnelle) et dont la mort a été préalablement constatée par arrêt de la circulation sanguine.
Ces orientations ont été confirmées dans l'avis du 13 décembre 1990 concernant l'autorisation de pratiquer des greffes intracérébrales de tissus mésencéphaliques d'embryons humains chez cinq malades parkinsoniens dans un but d'expérimentation thérapeutique. Il était précisé à cette occasion que le prélèvement de cellules d'embryons devrait suivre l'avis du 22 mai 1984 et, en particulier, les directives déontologiques et médicales.
Plus récemment encore (août 1998), a été autorisée par le CCNE une expérience, menée par des biologistes et des médecins du CEA, du CNRS et de l'INSERM, consistant, après expérimentation animale, à greffer des neurones foetaux dans le cerveau de six malades atteints de chorée de Huntington.
La multiplication vraisemblable de ces types de greffes à partir de prélèvements embryonnaires et foetaux nécessitera sans doute une intervention du législateur, les lacunes des textes ne pouvant être comblées par les seuls avis d'une instance consultative, si éminente qu'elle soit.