18- DOCTEUR BERNARD JEGOU, DIRECTEUR DU GROUPE D'ÉTUDE DE LA REPRODUCTION CHEZ LE MÂLE À L'INSERM
En sa qualité de chercheur, M. JEGOU se situe à l'interface entre activité clinique, recherche et industrie pharmaceutique. Compte tenu de sa spécialité, il a porté une attention particulière à l'AMP lorsqu'ont été tentées des expériences de fécondation par injection de spermatides. Il a découvert un monde fier, à juste titre, de sa pratique, sensible à la détresse des patients et, pour des raisons " culturelles " (formation, histoire de l'AMP...), souvent fermé sur lui-même et déconnecté de la recherche biologique et génétique la plus avancée dans le domaine de la reproduction et du développement. Il existe donc un décalage sensible entre le développement de la recherche et celui des techniques de l'AMP qui se ramènent à des gestes, certes spectaculaires, mais assez simples.
L'ICSI a constitué un " coup d'état biologique " qui s'inscrit dans un contexte de banalisation incessante du risque, au regard de laquelle le travail du biologiste fondamental s'apparente à un combat d'arrière-garde face à des digues déjà rompues.
Plusieurs lacunes doivent être soulignées à propos de la pratique de l'AMP :
o l'absence de publications véritablement scientifiques, dont les annonces faites dans les revues destinées au grand public ou les congrès ne peuvent tenir lieu ;
o l'absence d'avis préalable à l'expérimentation ;
o la quasi-absence, voire l'absence, d'expérimentation animale ;
o l'absence de délai entre l'annonce d'une percée dans l'expérimentation animale et sa transposition chez l'homme, qui se fait donc sans validation des résultats ;
o l'absence de " bonnes pratiques de laboratoire ".
Les praticiens de l'AMP invoquent pour leur défense la durée limitée de la fertilité féminine, la marge d'incertitude et le coût de l'expérimentation animale, les réussites antérieures et la charge de la preuve incombant aux scientifiques en ce qui concerne le danger éventuel de leurs pratiques. C'est oublier que la technique doit être au service de la science, que dans le domaine du médicament ce sont des tragédies comme celle de la thalidomide qui ont imposé les modèles animaux, et que l'industrie de la procréation assistée (cliniques, fabricants d'hormones...), à la différence de l'industrie pharmaceutique, ne réinvestit aucun profit dans la recherche.
Il faut également mettre en évidence :
o la mondialisation de l'AMP, qui génère un " tourisme " procréatif contournant les contraintes légales ;
o la subjectivité du suivi des enfants ainsi conçus, puisque le monde de l'AMP est juge et partie et opère sur le mode déclaratoire sans l'intervention de techniciens/inspecteurs spécialisés dans les essais cliniques. Même si elles doivent beaucoup à la conscience des praticiens de l'AMP, les évaluations actuelles sur les résultats de l'ICSI souffrent de diverses limites dont un taux de perdus de vue important.
M. JEGOU formule plusieurs propositions :
o rompre le caractère trop autogéré de l'AMP (illustré notamment par la composition de la CNMBRDP). Pourquoi ne pas créer dans ce domaine une instance type " Agence du médicament " ?
o développer la formation à la recherche, animale et humaine, des praticiens de l'AMP et pratiquer une politique volontariste d'appel d'offres en faveur de la recherche biologique fondamentale et appliquée en reproduction. Il convient de noter à ce propos les contraintes actuelles limitant gravement les possibilités de recherche sur les cellules testiculaires humaines (conséquence des règles de consentement relatives au prélèvement de tissus à des fins scientifiques) qui, paradoxalement, favorisent l'expérimentation humaine au détriment de la recherche cognitive et " en tube à essai ". Un exemple de cette situation est que les spermatides peuvent être injectées dans l'ovocyte humain alors qu'elles ne sont pas accessibles pour être étudiées isolées ;
o mettre en place un suivi des enfants offrant toutes les garanties méthodologiques.