8- PROFESSEUR THOMAS TURSZ, DIRECTEUR DE L'INSTITUT GUSTAVE-ROUSSY DE VILLEJUIF
La situation actuelle de la recherche thérapeutique est relativement bonne. Les problèmes qui se posent sont liés à la formation et au financement, plus qu'à la réglementation. La loi, en comblant un vide juridique, a doté la recherche d'un cadre qui en a amélioré la qualité. Cet encadrement n'a pas eu la rigidité redoutée et les progrès de la recherche clinique doivent beaucoup, depuis dix ans, à cette réforme.
Sur le plan financier, en revanche, la situation est moins bonne : les laboratoires pharmaceutiques accentuent leur mainmise sur la recherche thérapeutique, faute pour les hôpitaux et établissements de pouvoir développer leurs études sans l'aide d'un partenaire industriel.
Se pose le problème de la recherche d'une bonne pratique médicamenteuse, les essais conduits par les laboratoires poussant à la consommation de médicaments. Les chercheurs ont du mal à se situer dans cette stratégie industrielle.
On assiste d'autre part à un reflux de la thérapie génique, promue par les industriels, en raison des difficultés procédurières : trop d'avis redondants sont demandés à des commissions qui se réunissent très épisodiquement, ce qui conduit à la prise de décisions obsolètes. De surcroît, les dispositions de la loi du 28 mai 1996 relatives aux thérapies géniques et cellulaires n'ont pu, faute de décret, entrer en application. Le professeur TURSZ indique qu'il a déposé, en 1993, le premier dossier mondial relatif à l'utilisation d'adénovirus en cancérologie dont une étude a démontré la faisabilité.
Il manque, dans le dispositif légal, une agence publique de la recherche thérapeutique et clinique qui ferait contrepoids au secteur privé et coordonnerait les études. Encore faudrait-il qu'elle ne soit pas perçue comme un guichet supplémentaire.
Dans le domaine des thérapies cellulaires, les budgets hospitaliers ne permettent pas toujours le financement des recherches, ce qui oblige ici encore à lier des partenariats industriels. Par ailleurs, l'édiction de règles de bonnes pratiques est assurément nécessaire mais risque, si elle impose un niveau élevé de technicité, de limiter le nombre des établissements capables de les mettre en oeuvre.
Auditions du 16 septembre 1998
9- MM. DIDIER HOUSSIN, DIRECTEUR DE L'ETABLISSEMENT FRANÇAIS DES GREFFES (EFG), ET DOMINIQUE DURAND, PRÉSIDENT DU CONSEIL MÉDICAL ET SCIENTIFIQUE DE L'EFG
Appréciation générale
La loi du 29 juillet 1994 est intervenue dans une période de crise après l'affaire d'Amiens (1991), le problème posé dans certains centres par les patients non résidents et l'affaire du sang contaminé. Dans ce climat général, l'activité de prélèvement avait fortement diminué : - 30 % pour les cornées, - 20 % pour les organes de 1991 à 1994.
La loi a, sans aucun doute, contribué à rétablir la confiance du public et à lui donner une perception positive du don et de la greffe d'organes. Les personnels, sensibles dans un premier temps à la rigidité de l'encadrement de leurs activités, commencent maintenant à en ressentir les bénéfices. Les règles sanitaires édictées sont les plus élevées au monde. Peut-être faudra-t-il ultérieurement les assouplir légèrement pour trouver un juste équilibre et laisser toute sa place à la décision médicale.
Depuis 1994, on note, pour les cornées, une remontée des prélèvements au niveau antérieur à la crise, l'objectif étant de n'avoir plus aucun patient en attente plus de quelques semaines d'ici l'an 2000. Pour les organes, la chute a été stabilisée en 1995-1996. L'information faite auprès du public et la mise en place d'une organisation du prélèvement y ont été pour beaucoup. L'objectif est de passer de 15 à 20 prélèvements par million d'habitants en l'an 2000.
Parmi les textes d'application non encore parus, figure le décret relatif à la vigilance qui doit tenir compte des dispositions figurant dans la récente loi sur la sécurité sanitaire. Il faut souligner que, hormis les xénogreffes, les greffes n'exposent pas aux risques collectifs que l'on rencontre dans d'autres activités. Le problème est de définir le champ de la vigilance. Si la greffe augmente les risques de cancer ou les risques infectieux, ne s'agit-il pas du simple suivi de complications attendues ?
Il serait souhaitable de donner une base législative à la balance bénéfice-risque déjà prise en compte dans le décret du 9 octobre 1997 relatif à la sécurité sanitaire, qui permet de déroger aux règles qu'il fixe, en cas d'urgence vitale. Il s'agit de permettre au médecin d'exercer pleinement sa responsabilité et non de s'en exonérer.
Les grands principes posés (consentement, gratuité, anonymat) ne doivent pas être remis en question.
Manifestation du consentement
La mise en place récente du registre des refus a conduit à l'inscription, en un mois et demi, de 15 000 personnes qui s'opposent à toutes les finalités (don, recherche scientifique, autopsie clinique). Il convient d'homogénéiser le système du consentement sans faire un sort à part au prélèvement à des fins scientifiques. L'article L 671-9 devrait être modifié en ce sens.
Le registre ne doit pas être le moyen exclusif de manifestation de l'opposition. Le témoignage des familles devra continuer à être recherché, même s'il leur confère parfois un pouvoir que la loi ne leur avait pas explicitement attribué.
Les résidus opératoires doivent être soumis au même régime de consentement que les organes et tissus. C'est souvent déjà le cas en pratique.
Donneurs vivants
La loi a imposé un encadrement très strict qui doit être assez largement maintenu pour ne pas prêter le flanc aux soupçons de pratiques lucratives. Cela étant, la pratique est très en dessous du niveau d'encadrement (4 % seulement des greffes de reins). Dans la mesure où les greffes entre non-apparentés donnent de bons résultats, il convient de les permettre sur un mode très dérogatoire sans que cet assouplissement puisse avoir pour objectif de pallier les insuffisances de prélèvements post mortem. Cet élargissement ne doit être qu'une réponse à des demandes individuelles dont aucune raison éthique ne justifie le rejet. Il faut abandonner le recours à la notion d'urgence, actuellement imposée aux conjoints, et instituer un encadrement strict contrôlé par une commission d'experts sur le modèle anglo-saxon. Oncles, tantes, cousins et grands-parents pourraient ainsi être admis dans le cadre des donneurs.
S'agissant des cellules hématopoïétiques, il faut instaurer un régime unique quelle que soit leur origine (moelle, sang périphérique, placenta), ce régime pouvant être celui des organes, préférablement, ou celui des cellules.
Questions diverses
Xénogreffes : les dispositions inscrites dans la loi sur la sécurité sanitaire sont satisfaisantes.
Suivi de l'AMP : l'EFG pourrait se voir confier une compétence d'évaluation et d'information.
Consécration du don : cette qualification doit être assortie d'une reconnaissance qui peut prendre deux formes : suivi de proximité de la famille du donneur et manifestations symboliques.