IV. LES PROBLEMES SOULEVES PAR LES NEGOCIATIONS EN COURS
Les
difficultés rencontrées dans les travaux d'intégration de
Schengen dans l'Union européenne tiennent à certaines
originalités des accords de Schengen, que la diplomatie traditionnelle a
quelque difficulté à appréhender
.
La première difficulté est venue de la participation de la
Suède et du Danemark. Le second problème a porté sur
l'intégration du secrétariat général du
Bénélux dans le secrétariat général du
Conseil. Par ailleurs, la Commission a revendiqué la gestion du plus
puissant outil opérationnel de coopération policière
informatisé en Europe qui existe actuellement : le Système
d'Information Schengen (SIS). Enfin les services juridiques de la Commission et
du Conseil font pression pour que la clause de sauvegarde des accords de
Schengen soit absorbée par la partie communautaire du
traité.
1. L'adhésion de la Norvège et de l'Islande aux accords de Schengen
La
Suède et le Danemark, lorsqu'ils ont rejoint Schengen, ont
entraîné la Norvège et l'Islande en raison de leur
appartenance commune à l'Union nordique des passeports.
Selon les dispositions d'un protocole particulier annexé au
traité d'Amsterdam, un accord conclu par le Conseil, statuant à
l'unanimité des Etats intéressés, sera passé avec
la Norvège et l'Islande en vue de les associer à la mise en
oeuvre de l'acquis de Schengen. Un autre accord sera conclu par le Conseil,
statuant à l'unanimité de tous les Etats membres, avec la
Norvège et l'Islande pour préciser les droits et obligations
applicables entre ces deux pays.
De tels accords devront en principe entrer
en vigueur à la même date que le protocole incorporant l'acquis de
Schengen
.
Il ne faudrait pas que se crée ainsi un précédent dont
pourraient se prévaloir d'autres pays, tels la Suisse ou les pays
candidats à l'adhésion.
2. L'intégration du Secrétariat général du Bénélux
Un
accord semble avoir été obtenu au sein du groupe de
négociation " Acquis de Schengen " pour permettre
l'intégration du secrétariat général
Bénélux - qui assure jusqu'à présent le
secrétariat des accords de Schengen - par le transfert de son personnel
au secrétariat général du Conseil de l'Union
européenne. L'actuel secrétariat Bénélux, qui
comprend soixante-dix personnes environ, devrait ainsi être
transféré,
sans concours
, au secrétariat
général du Conseil.
Il résultera de cette intégration une
sur-représentation des Etats du Bénélux dans le
fonctionnement du secrétariat du Conseil
qui ne peut que porter
atteinte à l'influence de notre pays dans l'appareil administratif
chargé des matières de coopération policière au
sein des institutions de l'Union européenne.
Pour sa part, la Commission européenne s'est dotée d'une
"
task-force
" d'une quarantaine de fonctionnaires
chargés du suivi des activités du troisième pilier,
" task-force " qui se transformera, après l'entrée en
vigueur du traité d'Amsterdam, en direction générale pour
les questions de justice et affaires intérieures.
3. La gestion future du Système d'Information Schengen (SIS)
Il
s'agit du point essentiel de l'intégration de l'acquis de Schengen, car
le SIS est la pierre angulaire des accords
; 27 articles de la
convention de 1990 (articles 92 à 119) sont concernés qui
définissent les catégories de données traitées, les
conditions d'intégration des signalements nominatifs dans le
système informatisé, les motivations des signalements de
non-admission pour des étrangers non-communautaires, la nature des
données relatives aux personnes disparues, aux témoins, aux
personnes citées à comparaître devant les autorités
judiciaires, aux surveillances discrètes, aux objets, véhicules,
armes à feu, documents d'identité recherchés, aux
utilisateurs des données, à la protection des données
à caractère personnel et à la sécurité des
données, à l'autorité de contrôle commune...
Le gouvernement français estime que le système doit continuer
à relever d'une gestion entre Etats, la coopération
policière et judiciaire en matière pénale restant du
domaine intergouvernemental
.
Selon lui, le passage d'une gestion
intergouvernementale à une gestion communautaire du SIS comporterait des
risques sérieux. Or les négociations actuellement en cours ne lui
donnent pas satisfaction
.
a) La proposition initiale de la présidence luxembourgeoise
La
proposition initiale de la présidence luxembourgeoise envisageait une
répartition entre le premier et le troisième piliers à la
fois pour la gestion et l'architecture du système et pour la gestion des
données.
Cette solution, qui avait le soutien de la Commission et du service juridique
du Conseil, n'a pas reçu un accueil favorable de la part des Etats
membres et a suscité, au contraire, une forte opposition chez un nombre
significatif d'entre eux. La principale critique tenait au fait que,
en
divisant ainsi les dispositions applicables au SIS entre les deux piliers, qui
contiennent chacun des procédures et des dispositions institutionnelles
différentes, on introduirait une incertitude considérable qui
pèserait à la fois sur la gestion actuelle du système et
sur son évolution
. En outre le fait que le SIS est directement
imbriqué dans les systèmes policiers nationaux s'oppose à
un transfert de l'outil dans le premier pilier.
b) Une proposition à vocation intergouvernementale
Plusieurs Etats membres ont estimé que la solution
qui
correspondait le mieux à la finalité et aux besoins
opérationnels du SIS consistait à adopter une base juridique
fondée uniquement sur le troisième pilier.
Cette solution tient compte des réalités d'un système qui
a été avant tout conçu pour les besoins des polices des
Etats ; cette position serait en outre confortée par un arrêt
de la Cour de Justice (3(
*
)).
Cette
argumentation a toutefois été contestée par le service
juridique du Conseil
qui, pour l'essentiel, estime que, dans les cas
où il existe une compétence communautaire, celle-ci doit
être reconnue et respectée - éventuellement sous la forme
d'une référence à une base juridique à la fois dans
la partie communautaire et dans la partie intergouvernementale du traité
-. Le service juridique du Conseil a en outre estimé que les
signalements nominatifs du SIS concernent majoritairement des affaires
d'immigration et non des activités policières
traditionnelles.
c) Les propositions de compromis
Une
première proposition consisterait à fonder les articles qui
traitent de l'architecture et de la gestion du SIS sur une base du
troisième pilier, tandis que les articles concernant les données
relatives à la circulation des personnes seraient, eux, répartis
entre le premier et le troisième pilier.
Une seconde proposition a été formulée par le service
juridique du Conseil. Le SIS serait considéré comme une
entité créée antérieurement, en dehors du cadre de
la Communauté et de l'Union. Son intégration résulterait
de l'adoption de deux actes : d'une part, un acte communautaire (premier
pilier) et, d'autre part, un acte du Conseil de l'Union (troisième
pilier). Ainsi, la Communauté et l'Union reconnaîtraient toutes
deux le SIS et approuveraient son fonctionnement, chacune pour ce qui la
concerne et en fonction de ses compétences propres.
Dans cette hypothèse, toute modification ultérieure des
règles du SIS conduirait à rouvrir le débat sur la nature
communautaire ou intergouvernementale du système, ouvrant la porte
à un contentieux devant la Cour de Justice.
4. L'avenir de la clause de sauvegarde
La
présence d'une clause de sauvegarde dans les accords de Schengen fut un
élément déterminant de la ratification de la Convention de
1990. Entendue par la commission de contrôle du Sénat, le 26
septembre 1991, Mme Elisabeth Guigou, alors ministre des affaires
européennes, avait souligné que "
cette clause
permettrait, en tout état de cause, de rétablir les
contrôles aux frontières nationales si l'application de la
convention révélait des lacunes graves
".
Cette clause stipule que "
lorsque l'ordre public ou la
sécurité nationale l'exigent, une Partie Contractante peut...
décider que, durant une période limitée, des
contrôles frontaliers nationaux adaptés à la situation
seront effectués aux frontières permettant à un Etat de
rétablir les contrôles aux frontières lorsque l'ordre
public ou la sécurité nationale l'exigent
"
(article 2, paragraphe 2 de la Convention). Dès juin 1995, la
France utilisa cette clause de sauvegarde pour assurer le contrôle de sa
frontière avec la Belgique. En décembre 1996, le Comité
exécutif des ministres définit une procédure comportant
une consultation préalable des autres Etats membres et l'indication
d'une durée limite d'effet.
Cette clause a été également utilisée par nos
partenaires : les Pays-Bas l'ont appliquée il y a dix-huit mois à
l'occasion d'une rencontre sportive ; en octobre dernier, le Luxembourg y
a eu recours à l'occasion d'un match de football au cours duquel les
Luxembourgeois craignaient des débordements de la part de hooligans
britanniques. L'Allemagne a menacé de recourir à ce dispositif si
la solidarité de l'Union européenne ne permettait pas de faire
face à l'afflux de kurdes et de kosovars.
D'après les auditions auxquelles la délégation a
procédées, la clause de sauvegarde devrait, en l'état
actuel de la négociation, relever du pilier communautaire.
Ce transfert vers le domaine communautaire de la clause de sauvegarde aurait
des conséquences importantes
, car même si le traité
prévoit la possibilité, pour les gouvernements, de prendre des
mesures dictées
" par la sécurité
intérieure et le maintien de l'ordre public
", ces mesures
seraient indirectement placées sous le contrôle de la Cour de
justice ; certes la Cour n'aurait pas compétence pour
apprécier l'opportunité ou la proportionnalité des mesures
de maintien de l'ordre décidées par les ministres de
l'intérieur, mais elle pourra néanmoins interpréter les
arguments avancées par un Etat pour faire valoir que sa
sécurité est en cause. De plus, les conditions de
procédure de l'application de la clause de sauvegarde qui avaient
été définies dans une décision de décembre
1996 du Comité exécutif Schengen seraient à l'avenir
réglementées sur proposition de la Commission, sous le
contrôle de la Cour de justice. Il ne faut donc pas exclure la
possibilité de contentieux si des contrôles fixes étaient
maintenus - comme par exemple par la France sur la frontière belge - ou
mis en place exceptionnellement par les Etats membres.
Une évolution de la négociation vers une communautarisation de la
clause de sauvegarde paraît peu compatible avec la réponse faite
en décembre 1997 par le ministre de l'Intérieur lorsqu'il
affirmait sa volonté de maintenir cette clause de sauvegarde (4(
*
)) : "
La possibilité pour
un Etat d'utiliser librement cette clause de sauvegarde, c'est-à-dire en
dehors de tout contrôle de la Cour de justice, représente un enjeu
essentiel en terme de souveraineté nationale.
Cette question
paraît d'autant plus sensible que l'on ne peut exclure des
interprétations différentes de la part de certains de nos
partenaires, ou une jurisprudence extensive de la Cour de justice des
Communautés européennes, lorsque le traité d'Amsterdam
entrera en vigueur
. Des négociations viennent de s'engager sur
les modalités d'intégration de l'acquis Schengen dans le
traité sur l'Union européenne.
Le Gouvernement veillera au
respect de ce principe de libre utilisation de la clause de sauvegarde par les
Etats membres et refusera toute dérive éventuelle, qui ne serait
conforme ni au traité d'Amsterdam ni à la souveraineté
nationale
. ".
On comprendrait difficilement que le Gouvernement puisse accepter aujourd'hui
que la clause de sauvegarde relève du pilier communautaire. Faut-il
rappeler que, de l'avis de tous les juristes, le traité prévoyant
l'unanimité quant à la décision de ventilation de l'acquis
sur les deux piliers, il suffit dès lors de l'opposition d'une seule
délégation pour que cette ventilation n'ait pas lieu et pour que
tout l'acquis de Schengen soit transféré au troisième
pilier.