E. SOLVABILITÉ DES ENTREPRISES D'ASSURANCE FAISANT PARTIE D'UN GROUPE D'ASSURANCE OU D'UN CONGLOMÉRAT FINANCIER
Nombreuses sont les entreprises d'assurance qui sont
intégrées au sein d'entités économiques plus
larges : groupe
110(
*
)
ou
constellations d'entreprises des secteurs financiers ou industriels,
appelés conglomérats. Si l'on prend en compte cette
réalité économique qui n'a pas de véritable
traduction juridique, le recensement des entreprises d'assurance tel qu'il est
effectué par la Commission de contrôle des assurances (et repris
dans le chapitre Premier, 6.1.1) se trouve sérieusement
affecté : on peut considérer, à partir d'approches
réalisées sur certains segments de marché seulement, qu'un
quart environ du nombre total d'entreprises d'assurance correspond à des
entités économiques réellement distinctes, soit sur
près de 500 entreprises recensées à fin 1996, 150
entités d'assurances à peu près.
En allant plus loin et en s'en tenant aux grands groupes ou grands
regroupements, on peut considérer que le marché français
est partagé dans l'assurance des biens et des responsabilités
entre quatre grands pôles :
- AXA-UAP,
- ALLIANZ-AGF-GPA
- Groupama-GAN
- les assurances mutuelles du GEMA, chaque pôle déterminant
une part de marché de l'ordre de 15 à 16 %, tous segments
(non vie) confondus.
Les quatre pôles représentent donc 64 %, les parts de
marché unitaires des autres acteurs étant toutes
inférieures à 9 % (sauf à regrouper par exemple les
assurances mutuelles de la ROAM, avec la délicate question du
côté où il faut classer la GMF).
Une surveillance prudentielle adaptée est nécessaire pour le
suivi et le contrôle des groupes d'assurance et des conglomérats
financiers, puisque, dans ces diverses situations, les raisonnements
économiques et prudentiels appliqués aux entreprises en solo
n'ont qu'une portée très limitée. Les différents
acteurs ne sont pas à " égalité de chances " en
matière de leviers de gestion et certaines pratiques financières
peuvent permettre, en toute licéité aux plus
" audacieux " de contourner certaines exigences prudentielles
imposées au niveau " solo " de chaque entreprise d'assurance,
sans que les autorités de contrôle n'aient de pouvoirs effectifs
pour sanctionner les abus :
-
- capitaux utilisés plusieurs fois pour satisfaire à plusieurs
niveaux de filiales au sein du groupe, aux exigences de fonds propres, et ne
pouvant pas être appelés en cas de défaillance d'une des
filiales (phénomène de double ou de multiple emploi de fonds
propres) ;
- prêts d'une holding intermédiaires (non contrôlée) ou d'une entreprise de réassurance du groupe à des entreprises d'assurance du groupe, servant à financer leur participation dans leurs filiales d'assurance (autre forme d'effet de levier en capital) :
- transactions intra-groupe effectuées à des conditions préférentielles, etc.
Sur les conglomérats financiers, la Commission européenne avait pris une première initiative en faisant adopter en 1993 une directive dite " post BCCI ", suite au scandale financier de la banque du même nom. Ce texte a notamment élargi, pour les autorités de controle, les possibilités d'accès aux informations sur les différentes entreprises d'un même conglomérat et a imposé certaines obligations d'information de ces dernières à l'égard de leurs commissaires aux comptes.
Elle a ensuite donné priorité à son initiative sur les groupes d'assurance, les réflexions sur les conglomérats financiers se reportant dans d'autres forums, comme le forum tripartite du groupe de Bâle, qui réunit les autorités prudentielles des trois secteurs de services financiers des pays membres du G10.
De ces réflexions sont issues à ce stade des recommandations aux autorités de contrôle pour aborder la surveillance des conglomérats, qui techniquement sont analogues à celles sur les groupes d'assurance déjà décrites.
Il semble toujours dans les intentions de la Commission européenne de faire adopter une directive relative aux conglomérats financiers, dans la foulée de l'adoption de la directive des groupes d'assurance.
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Au total
et en conclusion de ce chapitre, les analyses quantitatives et
financières qui émaillent nécessairement les
développements et les dires d'experts qui les colorent ou les
complètent par une approche plus qualitative et expérimentale,
font ressortir les forces et les faiblesses suivantes de l'assurance
française dans le contexte de compétition européenne
renforcée et de course internationale à la prédominance
sur le marché de l'assurance entre les grands groupes
d'assurance-réassurance.
Au crédit de l'assurance française, à la veille du passage
à la monnaie unique, il convient de mettre :
-
- le niveau élevé de satisfaction du consommateur
français d'assurance (même si par définition le
consommateur national est incapable de comparer) qui correspond à une
qualité objective de service rendu par l'assurance française et,
jusqu'à présent, à un très bon rapport
qualité-prix (délai de règlement des sinistres,
étendue des garanties, niveau des primes, grande diversité de
produits). Il renvoie aussi à un haut niveau de protection légale
du consommateur. Le consommateur français d'assurances est certainement
le principal bénéficiaire de la répartition de la valeur
ajoutée, au lieu de l'actionnaire dans le monde anglo-saxon ;
- la diversité des acteurs de l'assurance qui a non seulement permis que la concurrence, largement animée à l'origine par les mutuelles d'assurance, aujourd'hui relayées par les bancassureurs, joue au profit du consommateur et fournit la meilleure protection naturelle contre des prises de parts de marché excessives par des acteurs européens ou internationaux dans le domaine des risques de masse ;
- la modernisation des relations entre agents généraux et sociétés d'assurance et la restructuration plus avancée en France de la profession des mandataires exclusifs ;
- la qualité de gestion et de " l'après-vente " ainsi que le sens de la relation dans la durée de l'industrie de l'assurance mutuelle et commerciale française et de ses intermédiaires (par opposition à une assurance anglo-saxonne très performante dans le marketing et la vente) même si parfois un manque de spécialisation aboutit à une duplication des tâches et à un chargement global alourdi ;
- une capacité industrielle et commerciale à prendre des parts de marché sur les autres grands marchés européens et notamment sur le marché allemand, du moins dans le domaine des risques de masse où la technologie française est particulièrement en pointe ;
- un bon niveau de provisionnement de ses engagements et donc de solvabilité effective, notamment par rapport à ses concurrentes continentales, qui a valu à l'assurance française un taux de défaillance extrêment bas, notamment par rapport à ses concurrentes anglo-saxonnes ;
- le bon positionnement de l'assurance française dans ses diverses facettes dans la branche complémentaire de l'assistance touristique où elle a joué un rôle de pionnier ;
- une restructuration sociale qui s'est faite sans drame, même si elle n'est pas encore achevée à ce jour.
-
- une situation financière moyenne relativement à la concurrence
anglo-saxonne et notamment une faible rentabilité (liée à
la fois au niveau très concurrentiel des tarifs et à des
inefficacités de gestion) se répercutant sur la capacité
d'assurance des groupes français dans le grand risque et se traduisant
par le fait que l'assurance commerciale française sur ce segment est
plutôt objet que sujet dans la restructuration financière de
l'industrie européenne et mondiale de l'assurance ;
- une éviction lente des marchés du risque industriel et des grands comptes, renforcée par le rachat des grands courtiers français par les grands cabinets de courtage anglo-saxons qui accélère la " délocalisation " de la gestion des risques de l'entreprise, et les difficultés réglementaires et fiscales diverses, comme celles en particulier rencontrées par les groupes industriels français pour l'implantation en France de leurs filiales " captives " de réassurance ;
- un positionnement international sous-optimal au regard des marchés où la densité et la pénétration de l'assurance sont les plus élevées (Europe du Nord notamment) et une insuffisante internationalisation de bien des acteurs ;
- une insuffisante spécialisation des acteurs liée à une tradition de surbordination de la logique de rentabilité à la logique de la part de marché.