1. Les limitations des mutuelles dans l'appel public à l'épargne, déjà assouplies, sont logiquement dépendantes de leur forme juridique spécifique et d'ailleurs contournables par la démutualisation
Si l'on
veut respecter l'esprit du statut des sociétés mutuelles, en tant
qu'elles sont des sociétés de personnes, qui renvoie
implicitement à une taille de société raisonnable, c'est
plutôt par une forme ou une autre de " démutualisation "
que la recherche d'un égal accès aux fonds propres
extérieurs paraît devoir être légitimement
trouvé.
Les sociétés mutuelles sont des sociétés de
personnes, caractérisées par la responsabilité personnelle
et solidaire des associés et, pour cette raison juridique, par un fort
" affectio societatis ", qui exerce en principe un impact limitatif
sur la taille de telles sociétés. Elles ne disposent pas de
capital social mais d'un fonds d'établissement constitué à
fonds perdus par les fondateurs et les sociétaires. Leurs
excédents non ristournés aux adhérents appartiennent
à la " collectivité indivise et intemporelle des
sociétaires ". Ceux-ci sont à la fois individuellement
assurés et collectivement assureurs. Selon la belle formule
d'Edmond Proust, premier président de la MAIF : " A la
fois bénéficiaires et responsables des garanties
accordées, les adhérents d'une mutuelle ne sont bien
assurés que s'ils sont bons assureurs "
239(
*
)
.
C'est pour dépasser ces limites propres aux sociétés de
personnes que les sociétés de capitaux, et en particulier les
sociétés anonymes, ont été autorisées puis
banalisées à partir de 1867. Il n'est pas illogique que les
sociétés mutuelles subissent les contraintes propres à
leur statut. D'autant plus qu'un certain nombre d'assouplissements en
matière de renforcement des fonds propres leur a déjà
été accordé, et que les mutuelles peuvent par ailleurs
déjà se constituer en groupes.
En effet, selon l'article L.124-5-1 du code de la mutualité (en
vertu de la loi 93-121 du 27 janvier 1993, art. 49-VI) les
mutuelles peuvent émettre des titres participatifs dans les conditions
de la loi sur les sociétés commerciales du
24 juillet 1966 (art.283-6 et 283-7).
Quant aux sociétés d'assurance mutuelles, si leur statut le
prévoit, elles peuvent constituer un fonds social complémentaire
par emprunt auprès des sociétaires après accord de
l'autorité de tutelle. Elles peuvent également émettre des
titres participatifs, qui ne sont remboursables qu'en cas de liquidation de la
société ou, à son initiative, à l'issue d'un
délai non inférieur à 7 ans. Depuis l'article 8
de la loi DDOEF du 12 avril 1996, les SAM sont également
autorisées à émettre des titres de créances sous
forme de titres subordonnés à durée
indéterminée - TSDI - ou d'obligations à
l'instar des sociétés anonymes après approbation de
l'assemblée générale
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*
)
. Il est vrai cependant que la mise
en oeuvre de ces possibilités d'émission est en pratique
limitée par la notation des titres par les agences de notation qui n'ont
pas une bonne connaissance des sociétés d'assurance qui ne sont
pas cotées en bourse.
Par ailleurs, rien n'interdit aux sociétés mutuelles de
créer des filiales commerciales. Les sociétés d'assurance
mutuelles font d'ailleurs déjà largement appel à cette
possibilité, à vrai dire parce qu'elles n'ont pas en
l'état du droit positif, d'autre possibilité.
Mais on pourrait imaginer, pour les mutuelles qui le souhaitent, de faciliter
la possibilité institutionnelle de démutualisation qui est
aujourd'hui juridiquement impossible, compte tenu des règles de
dévolution de l'actif net résiduel en cas de dissolution
volontaire ou forcée d'une mutuelle. En effet pour les SAM d'un
côté, selon l'article L.322-26-5 du code des assurances, en
cas de dissolution, l'excédent de l'actif net des sociétés
mutuelles est dévolu, soit à d'autres sociétés
d'assurance mutuelles, soit à des associations reconnues
d'utilité publique. Pour les mutuelles régies par le code de la
mutualité de l'autre, l'article L.126-5 prévoit que
" le surplus éventuel de l'actif social est attribué au
Fonds national de solidarité et d'action mutualistes ".
Il suffirait donc d'élargir les possibilités de
dévolutions de l'actif net des sociétés mutuelles en cas
de dissolution vers des sociétés de statut coopératif, qui
seraient en l'espèce, vraisemblablement, des Unions d'économie
sociale (UES), ou vers des sociétés commerciales comme les
sociétés anonymes (voir en annexe 4 les
caractéristiques des divers types de regroupement en économie
sociale) pour que la démutualisation soit possible, pour les
sociétaires ou les dirigeants de mutuelles qui le voudraient. Dès
lors les possibilités d'appel public à l'épargne seraient
les mêmes. Cette faculté ne serait d'ailleurs en rien une
contrainte ni une incitation à la démutualisation qui, en
l'état du droit, est impossible.
Contrairement aux souhaits de renforcer l'étanchéité du
monde commercial et du monde mutualiste, la possibilité juridique de la
démutualisation paraît être le test véritable et
l'occasion que s'exprime, notamment par la voix des sociétaires, la
volonté de faire perdurer l'esprit mutualiste. Faire en sorte que la
mutualité ne se survive le cas échéant qu'au moyen de
contraintes réglementaires, même traditionnelles, serait prendre
le risque de laisser penser que l'esprit mutualiste n'est pas le seul
intérêt en cause.
Divers tenants du monde mutualiste soulignent qu'une telle
éventualité serait non seulement un contresens économique,
et que la simple possibilité de démutualisation introduirait une
fragilité permanente des structures mutualistes, qui pourraient
être confrontées, à chaque assemblée
générale, à une motion de démutualisation. Ils
s'appuient sur le précédent britannique, où cette
faculté aboutit à une mobilisation permanente du management pour
le maintien du statut mutualiste, au détriment de la gestion
quotidienne. Au demeurant, le verrou français à la
démutualisation intéresse de plus en plus un certain nombre
d'organisations mutualistes d'autres pays.
Comme une telle évolution aboutirait à un changement d'habitudes
profondément ancrées, elle ne pourrait résulter que d'un
large débat autour de la nécessité de faire évoluer
ou non le droit de la mutualité sur ce point crucial. Il devrait en
particulier porter sur la légitimité de l'appropriation sous
forme de parts sociales ou d'actions par une génération
particulière de sociétaires d'un actif net accumulé par
les générations successives sous une forme individuellement non
appropriable, et sur la palette des attributions possibles en cas de
démutualisation.