B. DES PRATIQUES DE DÉPISTAGE ANARCHIQUES
a) Des dépistages organisés encore trop rares
Le
dépistage et le diagnostic précoce du cancer contribuent de
manière décisive à l'efficacité ultérieure
de la thérapeutique et à l'amélioration des chances de
survie. Or, l'organisation du dépistage est notoirement insuffisante en
France.
Les lois de décentralisation de 1983 ont confié aux
départements une compétence pour le dépistage du cancer.
Cette situation apparaît incompatible avec la nécessaire
centralisation de la conception et du suivi d'une campagne de
dépistage.
Ainsi, la participation effective des départements
reste très variable. Elle est estimée à près de 40
millions de francs en 1995, mais les trois quarts de ces crédits sont
concentrés sur une douzaine seulement de départements.
Les actions organisées de dépistage restent l'exception. Depuis
1994, un Comité national de pilotage anime un programme de
dépistage du cancer du sein, associant les caisses d'assurance maladie
et les départements. A la fin 1997, une trentaine de départements
sont inclus dans ce programme, qui propose un dépistage
systématique à environ un tiers de la population féminine
de 50 à 69 ans. La participation du FNPEIS s'est élevé
à 96 millions de francs en 1997 et devrait atteindre 105 millions de
francs en 1998.
Le dépistage du cancer du col de l'utérus n'était
organisé que sur quatre sites expérimentaux en 1997,
financés par le FNPEIS à raison de 3,3 millions de francs. Cette
action devrait être étendue en 1998, pour un coût de 99
millions de francs. Le dépistage non organisé relève de la
pratique courante des médecins gynécologues. Cependant, une
partie de la population ne bénéficie pas, ou trop rarement, de ce
dépistage : femmes de plus de 50 ans, sans activité ou
marginalisées. Pour la majorité bénéficiant de
frottis fréquents, le suivi des femmes ayant des frottis anormaux n'est
pas toujours assuré correctement.
Le dépistage du cancer colo-rectal a fait l'objet
d'expérimentations à partir de 1989 dans le ressort d'une
douzaine de caisses primaires d'assurance maladie, avec le financement du
FNPEIS. Compte tenu des résultats insatisfaisants de ces
expériences en termes de participation et de qualité des actes,
celles-ci ont été suspendues par la CNAMTS à la fin
1996.
b) Des dépistages individuels non contrôlés
Alors
que les dépistages organisés restent l'exception, les
dépistages individuels réalisés sur une base
spontanée se multiplient. Ainsi, on estime le coût des examens de
dépistage (hors consultations) du cancer du col de l'utérus
à 700 millions de francs, et celui des examens de dépistage
du cancer du sein à 1 milliard de francs.
Ces dépenses non contrôlées aboutissent à des
gaspillages.
Pour le cancer du sein, une mammographie tous les deux ou
trois ans à partir de l'âge de 40 ans suffit. Or, le parc de
2.500 appareils installés favorise la multiplication des
mammographies, selon une fréquence annuelle, sur la population qui en a
le moins besoin : 50 % des femmes dépistées ont entre 35 et
50 ans.
Par nature, les dépistages individuels se prêtent mal à
une harmonisation des pratiques et à une exploitation
épidémiologique des résultats.
La coexistence
même de deux systèmes de dépistage n'est pas satisfaisante,
et explique notamment des taux de participation insuffisants au
dépistage organisé.
c) Les conditions d'un dépistage efficace
Les
actions de dépistage sont a priori peu efficientes : le test doit
être pratiquée à l'ensemble de la population ciblée,
qui en subira les désagréments, pour identifier un petit
pourcentage de sujets potentiellement atteints, et dont une plus petit nombre
encore pourra éventuellement en tirer bénéfice.
Dans une approche de santé publique, tout dépistage doit
s'inscrire autant que possible dans un raisonnement coûts-avantages.
Les conditions de l'efficacité d'un dépistage précoce sont
les suivantes :
- existence d'une stratégie thérapeutique ou préventive
lorsqu'une anomalie est découverte, le dépistage étant
inutile si le rapport entre le bénéfice et le risque du suivi
n'est pas favorable ;
- stabilité de la méthode de dépistage et qualité
des examens ;
- équilibre géographique et social du dépistage.
Ces conditions sont difficilement réunies. Ceci explique que le
dépistage ne soit pas toujours justifié.
Par exemple, plus des deux tiers des hommes présentent à 70 ans
une forme de cancer de la prostate. Cependant, sur un strict plan
thérapeutique, une intervention chirurgicale précoce,
forcément invalidante, n'est que rarement justifiée. Le patient
et son médecin se trouvent donc inutilement embarrassés si le
cancer de la prostate se trouve dépisté très
antérieurement. C'est pourquoi, après étude, le Canada a
conclu qu'il ne convient pas de dépister le cancer de la prostate.
Autre exemple, la volonté des pouvoirs publics d'étendre en 1997
le programme de dépistage organisé du cancer du col de
l'utérus s'est heurté à la piètre qualité
des frottis réalisés par les professionnels qui,
vérification faite, se sont révélés inexploitables
pour près d'un tiers.
La problématique du dépistage du cancer colo-rectal s'inscrit
dans le même raisonnement coûts-avantages. L'expérimentation
conduite à partir de 1989 a été suspendue parce que la
méthode de dépistage retenue paraissait en voie d'obsolescence,
que la qualité des examens n'était pas garantie, et que la
participation ne s'est élevée qu'à 20 % au lieu des
60 % attendus.