B. UN TRANSFERT DE COMPÉTENCES PROGRESSIF ET LIMITÉ DES ETATS VERS LA COMMUNAUTÉ
La
"communautarisation" prévue par le traité d'Amsterdam touche cinq
grands domaines : la suppression du
contrôle aux frontières
intérieures
de l'Union, en liaison avec des mesures d'accompagnement
directement liées à cette libre circulation ; la mise en oeuvre
de règles communes pour le
franchissement des frontières
extérieures
, les questions relatives à l
'asile
et
l'
immigration
, la
coopération judiciaire en matière
civile
.
La communautarisation procède d'une démarche progressive :
l'adoption à
l'unanimité
dans un délai de cinq ans
de mesures communes dans plusieurs domaines, la mise en oeuvre au-delà
du délai de cinq ans d'une procédure de décision
communautaire.
C'est précisément ce volet du traité d'Amsterdam -et les
nouveaux transferts de compétence qu'il prévoit- qui, aux termes
d'une décision du Conseil constitutionnel français, requiert une
révision de notre constitution.
1. Une méthode progressive
a) Une période transitoire de cinq ans à compter de l'entrée en vigueur du traité
Le
traité d'Amsterdam fixe aux Etats-membres un délai de cinq ans
pour concrétiser la libre circulation des personnes et la mise en oeuvre
des mesures d'accompagnement nécessaires. Pendant cette période
transitoire de cinq ans,
il statue à l'unanimité sur
proposition de la Commission ou à l'initiative d'un Etat membre
après consultation du Parlement européen
(art. 67 § 1).
Toutefois, la mise en place d'un dispositif commun ne touche pas au même
degré l'ensemble des questions concernées par la libre
circulation des personnes. En outre, un volet essentiel, la coopération
judiciaire en matière civile, échappe quant à elle au
délai de cinq ans.
Libre circulation des personnes et dispositif de contrôle aux
frontières communes : le degré d'intégration le plus
poussé
Dans un délai de cinq ans, le Conseil devra adopter quatre séries
de mesures :
•
la suppression de tout contrôle aux frontières
intérieures
de l'Union pour les citoyens de l'Union mais aussi pour
les ressortissants des Etats tiers (art. 62 § 1) ;
• des
règles communes
pour la mise en oeuvre du
contrôle des personnes aux frontières extérieures
(art. 62 § 2) ;
• la mise en place d'un
dispositif commun relatif aux visas
pour
les séjours de moins de trois mois (procédures et conditions de
délivrance des visas par les Etats-membres, modèle-type de visa,
règles en matière de visa uniforme) ;
• la définition des
conditions dans lesquelles les
ressortissants des pays tiers pourront circuler librement sur le territoire des
Etats-membres
pendant une durée maximale de trois mois (art. 62
§ 3).
L'asile, les réfugiés, l'immigration : un socle de
règles communes minimales
La mise en place de règles communes
dans les autres volets
relatifs à la libre circulation des personnes porte sur des aspects plus
limités :
• pour
l'asile
: les critères de détermination de
l'Etat responsable de l'examen de la demande d'asile ainsi que les "normes
minimales" relatives à l'accueil des demandeurs d'asile et aux
conditions d'obtention du statut de réfugié (art. 63 § 1).
Un protocole consacré au droit d'asile
pour les ressortissants
des Etats membres de l'Union européenne a été
annexé au traité d'Amsterdam à la demande de l'Espagne. Il
se fonde sur le constat suivant lequel les Etats de l'Union apparaissent comme
des pays d'origine sûrs les uns vis-à-vis des autres pour toutes
les questions liées à l'asile. Dès lors, un Etat membre se
refusera à instruire une demande présentée par un
ressortissant d'un autre Etat membre sauf si :
- l'Etat d'origine du demandeur d'asile a pris des mesures dérogeant aux
obligations imposées par l'article 15 de la Convention européenne
des droits de l'homme (situation de guerre ou cas de danger public
menaçant la vie de la nation) ;
- la procédure de sanction prévue par le nouvel article 7 du
traité sur l'Union européenne (violation grave et persistante des
libertés fondamentales et principes démocratiques) a
été enclenchée ou conduite à terme à
l'encontre de l'Etat dont est originaire le demandeur d'asile ;
- un Etat membre en a décidé unilatéralement ainsi, auquel
cas le Conseil est immédiatement informé (dans cette
hypothèse, la demande d'asile devra être examinée sur la
base de la présomption qu'elle est manifestement non fondée sans
que le pouvoir de décision de l'Etat membre soit affecté d'aucune
manière).
En outre, la Belgique a choisi pour sa part, comme le précise une
déclaration (n° 5) au protocole, dont la Conférence a pris
note, de procéder à un examen individuel de toute demande d'asile
présentée par un ressortissant d'un autre Etat membre Cette
déclaration revient en fait, pour la Belgique, à écarter
pour son compte l'application du protocole.
Cependant, une déclaration de la Conférence (n° 48) rappelle
que le protocole ne préjuge pas du droit de chaque Etat membre de
prendre les mesures d'organisation nécessaires pour remplir une
obligation au titre de la Convention de Genève de 1951 relative au droit
d'asile.
• pour
l'immigration
: la mise en place de règles communes
portera sur l'immigration clandestine (art. 63 § 3).
• pour
les
personnes déplacées
: les
règles communes s'appliqueront aux conditions d'octroi d'une protection
temporaire (art. 63 § 2)
L'absence de délai
Les Etats sont affranchis du délai de cinq ans pour les mesures qui
doivent être adoptées :
- pour assurer l'équilibre entre les efforts consentis par les Etats
membres pour accueillir les
réfugiés
(art. 63 § 2-b-)
- pour fixer les
conditions d'entrée et de séjour des
étrangers
ainsi que les procédures de délivrance par
les Etats membres de
visas
et de
titres de séjour de longue
durée
(art. 63 § 3-a-)
- pour déterminer les
droits des ressortissants des pays tiers en
situation régulière
, de séjourner dans les autres
Etats membres (art. 63 § 4).
Dans
le domaine de l'immigration
, les Etats membres peuvent maintenir ou
introduire des dispositions compatibles avec le traité.
La coopération judiciaire en matière civile
Dans ce domaine, le traité fixe principalement des objectifs (art. 65) :
- amélioration et simplification (signification transfrontalière
des actes, coopération en matière d'obtention des preuves,
reconnaissance et exécution des décisions)
- favoriser la compatibilité des règles nationales en
matière de conflits de lois et de procédure civile.
*
* *
Aucune des mesures adoptées dans le cadre du nouveau titre ne doit porter atteinte à l'exercice des responsabilités qui incombent aux Etats membres pour le maintien de l'ordre public et la sauvegarde de la sécurité intérieure (art. 64). En outre, comme le prévoit une déclaration (n° 18) annexe au traité d'Amsterdam, les Etats membres continueront à conclure des accords avec des pays tiers (notamment aux fins du regroupement familial). Inspiré par des préoccupations comparables, un protocole (n° 8) confirme la possibilité laissée aux Etats membres de continuer à conclure des accords internationaux définissant les modalités de contrôle lors du franchissement des frontières extérieures.
b) Le verrou d'une décision unanime du Conseil
Au terme
du délai de cinq ans, le traité prévoit le passage
à une procédure inspirée des règles
appliquées aux politiques communes. Il fixe les conditions de cette
évolutiion et pose également des exceptions.
Le principe
•
Au-delà de la période de cinq ans
, le
Conseil
statue sur les seules propositions de la Commission
. Les Etats membres
perdent ainsi leur capacité d'initiative même si, par ailleurs, la
Commission
doit examiner toute demande de proposition d'un Etat
sans
obligation, cependant de la reprendre devant le Conseil (art. 67 § 2).
La France souhaitait que les Etats continuent de partager avec la Commission
l'initiative dans ce domaine. Elle n'a pas été entendue sur ce
point.
• Les
autres éléments de la communautarisation
(vote à la majorité qualifiée, codécision du
Parlement européen)
restent subordonnés à une
décision du Conseil
dont l'intervention apparaît doublement
limitative :
- d'une part, le Conseil se prononce
à l'unanimité
après consultation du Parlement européen ;
- d'autre part, le Conseil peut
moduler le champ d'application
de la
procédure à un double titre, en définissant les domaines
auxquels s'appliquent la communautarisation et en adaptant les dispositions
relatives aux compétences de la Cour de justice.
Les exceptions
Dans le
domaine des visas
, le traité fixe deux catégories
d'exceptions relatives, d'une part, à la période de transition de
cinq ans, et d'autre part, aux conditions de mise en place de la
procédure communautaire complète.
- Le mode de décision à la majorité qualifiée sur
proposition de la Commission, et après consultation du Parlement
européen, s'applique
dès l'entrée en vigueur du
traité
pour la mise en place d'une
liste commune des pays
tiers
soumis à l'obligation de visa et pour la définition
d'un modèle type de visa.
-
Au terme du délai de cinq ans
, la procédure de l'article
251(majorité qualifiée et codécision) s'applique
automatiquement
pour la
mise en oeuvre des procédures de
délivrance de visa
ainsi que pour les règles en
matière de visa uniforme.
2. Une communautarisation incomplète
a) Une compétence limitée pour la Cour de justice
Le
contrôle juridictionnel sur les matières traitées dans le
cadre du titre IV constitue à la fois une nécessité et un
risque.
La question de la liberté de circulation intéresse directement
les libertés publiques. La protection des droits fondamentaux appelle en
conséquence l'intervention du juge communautaire. A cet égard,
l'intégration de l'acquis Schengen dans le cadre de l'Union
européenne satisfait certains des Etats signataires de la convention
d'application de Schengen, soucieux de placer cette construction sous le
contrôle d'une juridiction commune.
Cependant, l'abondance potentielle du contentieux, en particulier pour le droit
d'asile, risquait de paralyser l'activité de la Cour. En outre, la place
dévolue aux droits fondamentaux dans le traité pourrait conduire
la Cour à développer son contrôle au risque, pour le
présent titre, de déséquilibrer le compromis auquel les
négociateurs sont parvenus. L'expérience a en effet
souligné l'interprétation extensive à laquelle la Cour se
livre parfois dans son interprétation.
C'est pourquoi, sans remettre en cause les conditions du contrôle de la
Cour de justice sur le titre IV, le traité procède à
plusieurs aménagements relatif à la compétence
d'interprétation de la Cour.
S'agissant des recours préjudiciels (lorsqu'une juridiction nationale
saisit la Cour pour interpréter ou apprécier la validité
d'une disposition communautaire),
l'intervention du juge communautaire est
limitée aux demandes des juridictions nationales dont les
décisions ne sont pas susceptibles de recours.
En outre, la saisine
de la Cour de justice reste une faculté alors qu'elle est une obligation
dans le droit commun communautaire (art. 68 § 1).
Par ailleurs, le Conseil, la Commission ou un Etat membre, mais non le
Parlement européen, peuvent demander à la Cour de justice
d'interpréter un aspect du traité ou une mesure prise sur le
fondement du titre IV. L'arrêt rendu dans cette circonstance n'est
toutefois pas applicable aux décisions des juridictions nationales qui
ont force de chose jugée (art. 68 § 3).
Si la compétence d'interprétation de la CJCE reçoit ici un
nouveau point d'application, elle demeure, comme dans le cas
précédent, soumise à une initiative qui échappe
à sa maîtrise.
Enfin,
la compétence de la Cour a été
écartée pour les mesures relatives au maintien de l'ordre public
et à la sauvegarde de la sécurité intérieure
prises dans le cadre de la suppression des contrôles aux personnes (art.
68 § 2).
b) Une construction à "géométrie variable"
Le
cas danois : le refus de la communautarisation
Si le Danemark n'est pas hostile à une coopération plus
approfondie dans le domaine de la justice et des affaires intérieures,
comme le montre son
adhésion aux accords de Schengen
, il
récuse en revanche toute forme de "communautarisation" dans ce domaine.
Cette position ne surprendra personne. Les négociateurs danois se sont
souvenus du désaveu exprimé par les électeurs de leur pays
lors du premier référendum surle traité de Maastricht et
revendiquent depuis lors un statut particulier pour plusieurs volets de la
construction communautaire.
Le rejet du système communautaire pour les questions liées aux
affaires intérieures a ainsi conduit à la mise au point d'un
protocole particulier
pour le Danemark annexé au traité
d'Amsterdam.
Aux termes de ce protocole, le Danemark
ne prend pas part aux
décisions adoptées par le Conseil
sur la base du titre IV. Il
en résulte trois conséquences :
- institutionnelle, avec une adaptation des conditions de vote et des
modalités de pondération des voix (art. 1er)
- juridique, dans la mesure où aucune disposition prise en application
de ce titre ni aucune décision d'interprétation de la Cour de
justice ne s'appliquent au Danemark (art. 2).
- financière, enfin, dans la mesure où le Danemark ne supporte
pas le coût éventuel des mesures prises sur la base du nouveau
titre.
Le dispositif souffre une exception : les mesures relatives au visa
-déjà largement communautarisées en vertu de l'ancien
article 100 c du traité de Maastricht- pour lesquelles le Danemark
accepte les procédures posées par le titre IV.
La position du Danemark connaît en outre deux éléments
d'assouplissement.
D'une part, le Danemark peut à tout moment faire savoir à ses
partenaires qu'il ne se prévaudra plus de la totalité ou d'une
partie du protocole. Il subordonnera cette initiative à ses exigences
constitutionnelles, autrement dit à l'accord des électeurs. Le
cas échéant, il appliquera alors toutes les mesures pertinentes
prises par l'Union européenne en son absence (art. 7)
D'autre part, le Danemark peut décider de transposer dans un
délai de 6 mois une décision adoptée par le Conseil pour
développer l'acquis de Schengen sur la base du titre IV (art. 5).
La position du Royaume-Uni et de l'Irlande : le refus d'une approche
commune pour la libre circulation des personnes
Les traits particuliers d'une position insulaire ont conduit le Royaume-Uni et,
dans son sillage, l'Irlande à récuser le
principe
même
d'une
approche commune
de la libre circulation des
personnes.
Si ce refus répond à une inspiration plus radicale que celle qui
a motivé la position danoise, le dispositif applicable à ces
trois Etats apparaît largement commun.
Cependant, les éléments d'assouplissement se distinguent
cependant du régime accordé au Danemark :
- Dans un délai de trois mois à compter de la présentation
au Conseil d'une proposition, le Royaume-Uni ou l'Irlande peuvent notifier au
président du Conseil leur souhait de participer à l'adoption de
la mesure concernée. Dans ce cas, les deux pays seront pleinement
liés par la règle adoptée. Toutefois, afin d'éviter
tout
risque d'obstruction,
aucun des deux Etats ne peut faire obstacle
à l'adoption d'une décision : dans un "délai raisonnable"
la mesure peut en effet être adoptée sans la participation des
deux Etats. Il restera à délimiter précisément la
marge ouverte par ce "délai raisonnable"(art. 3) ;
- Après l'adoption d'une mesure, le Royaume-Uni ou l'Irlande peuvent
notifier au Conseil ou à la Commission leur décision de
l'appliquer selon la procédure fixée par les coopérations
renforcées plus étroite fixée par l'article 11 du
traité.
L'Irlande a joué de son influence pour introduire ces
éléments de souplesse dans un dispositif auquel elle a
adhéré en raison de sa zone de voyage commune avec le
Royaume-Uni. L'article 8 du protocole prévoit d'ailleurs, explicitement
la possibilité pour l'Irlande de ne plus relever du régime
dérogatoire.
La flexibilité introduite par les protocoles a sans doute
été la condition nécessaire pour permettre aux autres
Etats membres d'approfondir leur coopération ; elle n'en contribue pas
moins à compliquer à l'excès le dispositif du
traité.
Un autre protocole (n° 3) habilite en outre le Royaume-Uni à
maintenir des contrôles sur les personnes à ses frontières
avec d'autres Etats membres. Il permet en outre au Royaume-Uni et à
l'Irlande de conclure entre eux des arrangements relatifs à la
circulation des personnes envers leurs territoires dans le cadre d'une "zone de
voyage commune". En contrepartie, les autres Etats membres peuvent continuer
à exercer des contrôles sur les personnes en provenance du
Royaume-Uni et de l'Irlande.