3. Clarifier la politique régionale
a) Un moyen d'intervention puissant
L'objectif de cohésion économique et sociale
inscrit,
en 1986, dans le Traité de Rome afin d'accompagner les pays les moins
favorisés vers l'ouverture du marché unique européen, a
impliqué une réforme profonde des fonds structurels
communautaires.
Il est résulté de cette orientation politique fondamentale une
augmentation considérable des moyens financiers disponibles. Une
première réforme, en 1989, suivie d'une seconde,
négociée lors du Sommet d'Edimbourg de décembre 1992, ont
porté la politique régionale au deuxième rang des
dépenses communautaires. Le budget 1997 a doté les fonds
structurels de 31,8 milliards d'écus en moyens d'engagement, soit 38,6%
du budget communautaire, juste après la politique agricole par rang
d'importance des dépenses (41,2 milliards d'écus, soit 50%).
Les quatre fonds structurels existants ont tous vocation à intervenir en
matière industrielle :
- le Fonds européen de développement régional, FEDER,
dont la mission est de corriger les déséquilibres
régionaux dans la Communauté et de contribuer au
développement des régions les moins favorisées, peut ainsi
financer des investissements productifs permettant la création ou le
maintien d'emplois durables, des investissements en infrastructures ou des
mesures de soutien au développement local et aux activités des
petites et moyennes entreprises ;
- le Fonds européen d'orientation et de garantie agricole, FEOGA,
section orientation, concourt à l'amélioration des structures
agricoles et de l'industrie agro-alimentaire ;
- le Fonds social européen, FSE plus spécialement
réservé aux interventions de soutien à l'emploi, a pour
objectif de compléter les politiques menées par les Etats membres
en matière d'emploi, d'insertion dans le monde du travail et de
formation professionnelle ;
- enfin, plus récemment créé, l'IFOP, instrument financier
d'orientation de la pêche, peut participer au financement des
opérations de transformation et de commercialisation des produits de la
pêche et de l'aquaculture.
A ces quatre fonds, il convient d'ajouter le Fonds de cohésion,
institué le 16 mai 1994 et qui ne bénéficie qu'aux quatre
Etats membres dont le PIB par habitant est inférieur à 90% de la
moyenne communautaire : la Grèce, le Portugal, l'Irlande et
l'Espagne.
L'action régionale intervient dans le cadre de l'un des six objectifs
prioritaires de développement, destinés soit à certaines
zones géographiques nommément désignées
(105(
*
))
, soit à l'ensemble du
territoire communautaire
(106(
*
))
.
Il résulte de la politique structurelle actuellement en vigueur une
forte concentration des moyens disponibles : 80% des ressources des fonds
structurels seront réservés, jusqu'en 1999, aux régions en
retard de développement (objectif 1) et à celles victimes de
déclin industriel (objectif 2).
La politique régionale de l'Union constitue donc un moyen d'action
particulièrement puissant, dont l'industrie pourrait
bénéficier prioritairement.
C'est ainsi qu'un ensemble de programmes d'aide régionale
destinée aux anciennes zones industrielles de l'Union européenne,
d'une valeur totale de 2,81 milliards d'écus, a été
renouvelé par la Commission le 26 février 1997, à
destination de régions du Royaume-Uni, des Pays-Bas, du Danemark et de
la Belgique. La Commission indique que les programmes retenus créeront
150.000 emplois dans les dix régions britanniques concernées et
15.700 emplois dans les trois zones industrielles néerlandaises
répertoriées.
b) Des objectifs insuffisamment atteints
Le
fondement de la politique d'aide structurelle tient à son rôle
fondamental dans la lutte contre le chômage et le renforcement de la
cohésion économique et sociale au sein de l'Union.
Or, si l'on se réfère au bilan présenté par la
Commission dans le premier rapport qu'elle a consacré à la
cohésion économique et sociale, ces résultats restent
décevants.
Certes, les quatre Etats membres éligibles au fonds de cohésion
-Espagne, Grèce, Portugal et, surtout, Irlande- ont enregistré
des résultats positifs en termes de rattrapage du niveau moyen de revenu
par habitant dans l'Union. Mais, dans le même temps, le taux de
chômage a globalement progressé, accusant de fortes
disparités entre Etats-membres et, même, entre régions
riches et pauvres au sein d'un même Etat. En découle une
augmentation des écarts de revenus au sein des Etats que les politiques
structurelles n'ont pas empêchée.
Il convient donc de mobiliser les fonds disponibles en faveur
d'investissements productifs, notamment dans l'industrie, susceptibles
d'améliorer la situation globale de l'emploi :
on pourrait ainsi
mieux utiliser les ressources du Fonds social européen (FSE) pour
accompagner les mutations industrielles ou concentrer les ressources du Fonds
de cohésion sur la réalisation des infrastructures de transport
en Europe.
c) Des dysfonctionnements à corriger
Il faut
également se garder de l'effet pervers produit parfois par ces aides
régionales et qui ont déjà eu par le passé la
conséquence paradoxale de déstructurer la situation de l'emploi
par l'octroi de subventions incitant à la délocalisation
intra-communautaire.
On se souvient ainsi de l'exemple de la société Atlas-Copco qui
s'est déplacée de la région de Brême, située
en objectif 2, vers une autre région d'objectif 2, en
Suède, après l'adhésion de ce pays à l'Union
européenne.
C'est pourquoi le Parlement européen, sensible à ces
difficultés, a invité la Commission à procéder
à une évaluation des fonds structurels dans l'optique de
distorsions de concurrence et de mise en évidence de " courses aux
subventions "
(107(
*
))
.
Il a ainsi proposé "
que le soutien apporté par l'Union
européenne à des sociétés par le truchement des
fonds structurels soit conditionné par un engagement à long terme
en matière d'emploi et de développement local
", afin
d'éviter que de telles implantations puissent être aisément
délocalisées plus tard.
Cette critique du comportement anti-économique de la recherche de
subventions européennes n'est pas nouvelle ; nous la connaissons
également dans le cadre national. Pour autant, il est très
contestable que le même raisonnement ait été formulé
par le Parlement européen le 12 mars 1997, au cours de la session
consacrée à la discussion de la fermeture par Renault de son site
de production belge de Vilvorde. En effet, il n'est ni juste, ni
justifié de vouloir expliquer cette décision purement
économique de restructuration industrielle par le fait que,
parallèlement, une subvention était accordée à
Renault pour l'extension d'un autre site de production situé en Espagne.
L'usine de Vilvorde, implantée voici soixante-douze ans, ne peut
être décemment considérée comme une installation de
courte durée en vue d'une délocalisation rapide. Il est tout
aussi malsain qu'un commissaire européen se propose de supprimer ces
subventions à titre de sanction contre la fermeture de l'usine belge,
alors même que la création de cinq cents emplois en Espagne en
dépend : cet exemple illustre, une fois encore, le conflit des
impératifs industriel et concurrentiel au sein de l'Union.
Enfin, le Parlement européen a estimé regrettable que
" l'utilisation actuelle des fonds structurels rende difficile la
coopération économique entre régions européennes et
que le potentiel de développement considérable de celles-ci soit
entamé par cet effort de concurrence "
; il a
considéré opportun
" d'adapter l'utilisation des fonds
structurels de façon à ce qu'ils permettent de promouvoir la
coopération économique entre régions
européennes "
(108(
*
))
.
Il a par ailleurs demandé à la Commission d'évaluer
l'impact des fonds structurels sur la concurrence en élaborant
"
des indicateurs socio-économiques efficaces et pertinents
permettant d'évaluer les conflits potentiels entre la politique de
concurrence et la politique de cohésion
".
Les mêmes observations ont été formulées lors du
Conseil Industrie du 24 avril 1997, au cours duquel les ministres ont
souligné les aspects négatifs sur la concurrence dans la
Communauté que peut avoir la conjugaison des versements des fonds
structurels et de l'aide régionale accordée par les gouvernements
nationaux pour attirer l'industrie et relancer l'emploi
(109(
*
))
. La Commission y a été
invitée à présenter, dans un délai d'un an, un
rapport sur la délocalisation des sociétés en quête
du régime d'aide le plus favorable. Elle a ainsi présenté,
le 16 décembre 1997, une série d'orientations qu'elle entend
appliquer -mais à partir de l'an 2000- seulement pour
l'évaluation des aides régionales. L'objectif est de
réduire le montant de l'aide versée tout en se concentrant sur
les régions les plus pauvres de la Communauté. Elle a
également adopté une communication aux Etats membres appelant le
Conseil à s'entendre sur un nouveau système d'allocation des
fonds structurels compatible avec les règles de concurrence de
l'Union.
d) Que peut-on attendre d'Agenda 2000 ?
La
réforme de la politique structurelle envisagée pour la
période 2000-2006 dans le cadre Agenda 2000 ne résoudra pas
toutes ces difficultés, peut-être même risque-t-elle de les
renforcer.
Il s'agit là d'une phase transitoire destinée à
accompagner l'élargissement de l'Union, calibrée pour tout
à la fois ménager les susceptibilités des Etats
actuellement membres de l'Union et réserver une place aux candidats
à l'adhésion.
Certes, on peut en espérer une simplification des mécanismes, une
plus grande transparence du mode de fonctionnement, un resserrement sur les
objectifs et les régions prioritaires. Mais jusqu'en 2006, il en
résultera surtout un plus grand saupoudrage des fonds disponibles afin
d'organiser en parallèle la " sortie " des actuels
bénéficiaires et " l'entrée " des nouveaux
adhérents. Au-delà de cette échéance, les besoins
des nouveaux entrants seront tels qu'ils monopoliseront, très
légitimement d'ailleurs, les moyens d'action.
En définitive, on peut se demander si l'occasion n'a pas
été manquée, au cours des dernières années,
de mobiliser les moyens financiers au profit du développement industriel
et de redéployer des fonds, que l'on savait notablement
sous-utilisés, pour assurer la réalisation de grands projets
d'infrastructures, fortement structurants pour l'espace européen et
fondamentalement utiles pour l'industrie.