2. Les secteurs traditionnels sont très vulnérables
Parmi les branches industrielles les plus affectées par les évolutions économiques récentes figurent essentiellement les industries de main-d'oeuvre. Or, il convient de souligner que l'Europe est composée de deux blocs dont les intérêts sont parfois divergents entre les pays " industriels " et les Etats " commerçants " : la France, qui relève plutôt du premier groupe, y défend de ce fait souvent une position minoritaire pour obtenir des politiques de soutien à la production. Les secteurs du textile et de la chaussure illustrent particulièrement cette dichotomie :
a) La situation du secteur textile
•
Le secteur européen du textile-habillement
constitue l'une des
principales victimes de la mondialisation et de la concurrence par les
coûts. L'uniformisation des modes à travers la planète a
permis la constitution d'un immense marché et d'une demande largement
satisfaite par les productions à bas prix.
La production de textile, qui montrait déjà des signes de
faiblesse au deuxième trimestre 1995, a chuté de 4,9 % en 1996.
L'habillement a connu la même tendance : la baisse amorcée fin
1995 s'est poursuivie pour se situer à 3,7 % en 1996
(16(
*
)).
Hormis quelques exceptions -légère hausse dans le domaine de
l'ennoblissement du textile en Espagne ou des étoffes à mailles
pour l'Allemagne, la France et le Royaume-Uni- les baisses de production les
plus spectaculaires ont été enregistrées en Allemagne, en
France et en Italie.
En conséquence, l'emploi a continué de chuter en 1996 dans
l'industrie textile (- 6,3 %). Le secteur emploie désormais 2,2 millions
de personnes soit 600 000 de moins qu'en 1990.
•
La situation du secteur textile-habillement français
est
particulièrement préoccupante puisque, entre 1986 et 1995, ses
effectifs sont passés de 439 500 à
281 500 emplois, soit un recul de plus du tiers, très
supérieur à celui constaté globalement dans le secteur
industriel (- 15 %).
Ce contexte difficile s'explique en partie par les difficultés
d'adaptation de ce secteur aux évolutions de la demande mais, surtout,
par la concurrence mondiale qui s'exerce sur le marché grâce au
faible prix des matières premières et au bas niveau de
rémunération de la main d'oeuvre dans les pays en voie de
développement.
La concurrence qui provenait, voici quelques années encore, des pays
d'Afrique du Nord, est aujourd'hui originaire d'Asie du Sud-Est -avec la
récente montée en puissance du Vietnam- et des pays de l'Europe
de l'Est qui bénéficient de l'avantage lié à leur
proximité géographique.
En outre, la dévaluation compétitive des monnaies britannique,
espagnole, italienne et portugaise constatée ces dernières
années a accentué le déséquilibre des
échanges intra-communautaires, en particulier aux dépens de la
France qui exporte 60 % de sa production et en importe 50 %.
En 1996, la réponse française au choc provoqué par les
dévaluations compétitives a consisté à
élaborer un " plan textile " tendant à alléger
les charges sociales pour réduire les frais de main d'oeuvre et
accroître la compétitivité du secteur. Ce dispositif
d'allègement a été notifié aux autorités
européennes qui ont aussitôt ouvert une procédure d'examen
approfondi pour vérifier qu'il n'entraînerait pas de distorsion de
concurrence. Le système a été accepté par la
Commission pour les entreprises de moins de cinquante salariés, qui
représentent 90 % des entreprises éligibles au
bénéfice du plan textile ;
mais son second volet a
été jugé illégal par les autorités
européennes et annulé pour rupture des conditions de commerce
dans l'Union.
Si la structure du secteur du textile, français et européen, ne
permet pas d'augurer d'un réel rétablissement,
il existe
toutefois, dans ce marché difficile, des niches de rentabilité
exploitant en particulier l'image de la France, ses marques reconnues dans le
monde entier et son savoir-faire, et celle, peut-être plus encore, de
l'Italie. Dans ce cas, le différentiel de salaire est compensé
par une mécanisation du secteur et une capacité d'adaptation et
d'innovation importantes.
A l'inverse, d'autres Etats membres ont vu disparaître
l'intégralité de leur secteur textile :
la divergence des
intérêts entre les partenaires constitue alors un obstacle
à la préservation d'une industrie textile en Europe
. En
effet, les pays n'ayant plus de production nationale sont favorables à
une ouverture très large sinon intégrale des frontières de
l'Europe pour qu'une production à bas coût puisse alimenter leur
marché intérieur.
UN EXEMPLE DE RELOCALISATION EN EUROPE
A contre courant du mouvement de délocalisation des entreprises
européennes vers l'Asie, le Président Directeur
Général de deux entreprises textiles belges, Modibel et Texim,
vient de décider de relocaliser en France une partie de sa production
jusqu'alors fabriquée en Inde.
Sa décision résulte d'un calcul simple : les gains
tirés des faibles coûts salariaux de la main-d'oeuvre
étrangère sont compensés par une productivité
locale faible, une qualité des produits imparfaite, des frais et des
difficultés de transports non négligeables, des délais de
livraison plus longs.
Grâce à un investissement massif dans l'automatisation des
tâches, limitant la création d'emplois à cinquante postes
sur le site de Roubaix, l'entreprise devrait être plus compétitive
en France qu'elle ne l'est aujourd'hui en Inde.
Libération - 20 février 1997
b) L'industrie de la chaussure
•
la situation européenne
La production de l'Union reste importante bien qu'en légère
diminution depuis une dizaine d'années. En 1994, 1,1 milliard de
paires ont été réalisées dans plus de
10 000 entreprises employant environ
300 000 salariés. Les cellules de production sont très
souvent des PME implantées dans des zones rurales et employant une main
d'oeuvre essentiellement féminine. L'industrie de la chaussure est ainsi
un des éléments de rééquilibrage régional,
par exemple en France où la majeure partie de la production est
réalisée dans les régions du littoral atlantique :
Bretagne, Poitou, Charente, Aquitaine et, surtout, Pays de Loire.
L'Italie est la première zone de production (470 millions de
paires) avant l'Espagne (190), la France (155), le Portugal (110) et le
Royaume-Uni (105), la part des autres Etats membres restant très
marginale sur ce secteur.
• La situation française
L'industrie française de la chaussure présente un très bon
niveau d'exportation, destinées à plus de 60 % aux pays de
l'Union européenne. Ce niveau supérieur à la performance
moyenne de l'industrie française est une preuve du dynamisme et de la
compétitivité du secteur, malgré les barrières
tarifaires et non tarifaires qui freinent son développement sur de
nombreux marchés.
La stabilité des exportations en 1996, après le net recul des
années précédentes, est encourageante, de même que
la légère diminution des importations, mais elle ne doit pas
masquer la fragilité de la situation. Les taux de
pénétration des importations varient, suivant les années,
de 70 à 75 % de la consommation.
Jusqu'en 1996, la concurrence est surtout provenue des producteurs
traditionnels intra-européens -Italie, Espagne et Portugal- qui ont
bénéficié de reports de consommation grâce aux
dévaluations compétitives de leurs monnaies respectives depuis
fin 1992 : par rapport au franc, la lire et la peseta ont perdu
près de 25 % de leur valeur en quatre ans et l'escudo 15 %.
A terme rapproché, le danger majeur vient des pays à très
bas coût salarial. En effet, l'industrie de la chaussure est
essentiellement une industrie de main d'oeuvre, donc exposée à la
concurrence des faibles salaires en vigueur notamment en Asie du Sud-Est
(Indonésie, Thaïlande et surtout Vietnam, en forte
progression) : les importations en provenance de cette zone
géographique représentent près de 56 % du volume
total des importations françaises en 1995, la Chine en assurant à
elle seule 31 %. Hormis un contingent d'importations applicable à
ce seul pays, mis en place en mars 1994, les échanges sur ce
marché sont libres. En outre, la dépréciation des monnaies
asiatiques risque de perturber violemment le secteur de la chaussure dans les
mois à venir.
Cette concurrence, renforcée par des procédés de dumping
économique et social et par l'usage du piratage des modèles
dénoncés par la Fédération nationale de l'industrie
de la chaussure de France,
a fait perdre à l'industrie
française, en une quinzaine d'années, la moitié de ses
emplois et le quart de sa production.
L'industrie de la chaussure en France en 1996 :
un nouveau
recul
Variation par
rapport à 1995
26 670 salariés - 9,6 %
248 entreprises - 4,6 %
139 millions de paires produites - 8,6 %
13,5 milliards de francs de chiffre d'affaires - 4,2 %
Exportations :
58 millions de paires 0 %
(dont 66 % à destination de l'U.E)
soit 5,1 milliards de francs - 1,09 %
Importations :
240 millions de paires - 3,2 %
(dont 30 % en provenance de l'U.E)
soit 12,5 milliards de francs + 3,3 %
Déficit commercial : 7,4 milliards de francs + 7,2 %
(Source : Fédération nationale de l'industrie de la chaussure de France)
Parmi
nos partenaires dans l'Union, d'autres industries nationales ont moins bien
résisté que la nôtre à la pression des pays à
faible niveau salarial : le secteur de la chaussure a ainsi pratiquement
disparu en Suède ou dans les Etats du Bénélux.
De ce fait, la prise en compte des difficultés de ce secteur
économique est très différente suivant les cas : si
la France est prête à défendre ses productions nationales,
d'autres pays devenus non producteurs, sont au contraire incités
à favoriser des importations à des prix satisfaisant leur
consommation locale et distribuées en grandes surfaces. Ce secteur
illustre à nouveau ici la difficulté inhérente à
l'Union qui veut faire parler d'une seule voix des intérêts
diamétralement opposés.
*