N°
462
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1997-1998
Annexe au procès-verbal de la séance du 28 mai 1998
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la délégation du Sénat pour l'Union européenne (1) sur la politique industrielle et commerciale de l'Union européenne face à la mondialisation de l'économie,
Par M.
Jacques OUDIN,
Sénateur.
(1) Cette délégation est composée de : MM. Jacques Genton, président ; James Bordas, Michel Caldaguès, Claude Estier, Pierre Fauchon, vice-présidents ; Nicolas About, Jacques Habert, Emmanuel Hamel, secrétaires ; Bernard Angels, Robert Badinter, Denis Badré, Michel Barnier, Mmes Marie-Claude Beaudeau, Danielle Bidard-Reydet, M. Gérard Delfau, Mme Marie-Madeleine Dieulangard, MM. Michel Dreyfus-Schmidt, Ambroise Dupont, Jean-Paul Emorine, Philippe François, Jean François-Poncet, Yann Gaillard, Daniel Hoeffel, Christian de La Malène, Lucien Lanier, Paul Masson, Daniel Millaud, Georges Othily, Jacques Oudin, Mme Danièle Pourtaud, MM. Jacques Rocca Serra, Louis-Ferdinand de Rocca Serra, André Rouvière, René Trégouët, Robert-Paul Vigouroux, Xavier de Villepin.
Politique industrielle.
INTRODUCTION
" On ne dissocie pas un pays de sa puissance
industrielle.
Pas de grand pays sans industrie puissante ".
Jacques CHIRAC - Valeurs actuelles
5 octobre 1996
La mondialisation de l'économie n'est pas un phénomène
récent : au fil des siècles, l'accroissement des
échanges commerciaux, la circulation des idées et des hommes, la
diffusion du savoir, des connaissances et des techniques, notamment
informatiques, ont conduit à l'ouverture progressive des
économies et des frontières.
En revanche, l'accélération spectaculaire de ce processus
à laquelle nous assistons depuis les années quatre-vingt a
contraint les pays industrialisés, qui s'y sont trouvés
confrontés, à une brutale et récente prise de conscience
d'une évolution, perçue tout à la fois comme une
épreuve à subir et un défi à relever.
Donnant lieu à des analyses et commentaires aussi nombreux que
contradictoires en Europe comme aux Etats-Unis, tant par les hommes politiques
que par les économistes, cette marche vers la globalisation a
provoqué des bouleversements profonds dans l'équilibre mondial.
Ils ont remis en cause le schéma de développement jusqu'alors
classique entre pays riches et pays pauvres. Cette rupture, consacrée
par la mise en parallèle des taux de croissance annuels
considérables affichés par certains pays définis longtemps
comme " en voie de développement " et la moindre progression
économique de l'Occident, est porteuse d'inquiétudes et
d'incertitudes. Ainsi que l'indique M. Daniel Cohen, "
ce face
à face entre un monde pauvre qui s'enrichit et des nations riches qui
semblent s'appauvrir donne inéluctablement prise aux théories
selon lesquelles le premier facteur serait cause du second
"
(1(
*
))
.
En 1996, confirmant ces analyses, la banque mondiale prévoyait que la
croissance asiatique moyenne des vingt prochaines années pourrait
atteindre 7,5 % par an ; les perspectives de la Commission
européenne tablaient, pour l'Union, sur 2,3 % en 1997 et 2,8 % en
1998, après le niveau modéré de 1,8 % atteint en
1996.
Un an plus tard, la situation est tout autre : la crise financière
asiatique qui a atteint les pays symboles du modèle globalisé a
brutalement perturbé l'évolution économique mondiale,
montrant une fois encore, s'il en était besoin, qu'aucune situation
n'est acquise. La donne ne s'en trouvera toutefois pas entièrement
modifiée : après une première réaction d'affolement
en Europe, les analyses laissent espérer des bouleversements moindres
que ceux tout d'abord annoncés.
Les prévisions semestrielles de l'OCDE, publiées le 8 avril 1998,
considèrent que les conséquences de cette crise seront bien
réelles mais que ses effets négatifs devraient se limiter
à la zone Asie. Les experts ont ainsi avancé que les perspectives
de croissance pouvaient être maintenues à 2,9 % pour 1998 en
France. En revanche, les estimations pour l'Allemagne sont ramenées de 3
% à 2,7 %, en raison essentiellement d'un retard de la demande
intérieure.
Mais, globalement, l'Union européenne, dans son
ensemble, devrait être peu affectée, son impact sur la croissance
étant apprécié à 0,4 et 0,2 points respectivement
pour 1998 et 1999.
Les effets seront plus nets aux Etats-Unis, où la
croissance pourrait tomber à 1,4 % au cours du second semestre 1998,
presque à point nommé pour éviter un
phénomène de surchauffe de l'économie américaine.
La zone asiatique sera beaucoup plus atteinte : le Japon pourrait enregistrer
une baisse de 0,3 % de son PIB en 1998 et n'espérer qu'une croissance de
1,3 % en 1999. La Corée, principal acteur de la situation, perdrait
6,8 % de la croissance qu'elle pouvait attendre sur la tendance des
années précédentes -soit un recul de 0,2 % de son PIB en
1998- mais elle devrait retrouver une croissance de l'ordre de 4 % en 1999.
Cette nouvelle situation économique n'entravera pas le
développement des échanges : la forte dépréciation
des monnaies asiatiques va au contraire favoriser davantage les exportations en
provenance de cette zone et accroître encore la compétition
internationale. Le volume des échanges continuera d'augmenter.
L'évolution du volume du commerce international illustre en effet
parfaitement l'effet " mondialisation ". D'après les chiffres
du FMI, pendant que le produit intérieur brut mondial augmentait, en
moyenne, de 3,7 % au milieu des années 90, les échanges
commerciaux progressaient deux fois plus, pour atteindre environ 8 %, et
même 11 % pour ceux réalisés entre pays
industrialisés et pays en développement.
De même, l'investissement direct à l'étranger, qui permet
de mesurer l'évolution des processus d'internationalisation des
économies, s'est accru massivement, entre 1990 et 1996, passant de 18
à 91,2 milliards de dollars. Tels qu'analysés dans le
rapport remarqué de M. Jean Arthuis en 1993
(
2(
*
)
)
, ces investissements directs
s'effectuaient, depuis les années soixante, essentiellement par
création de filiales, par fusions-acquisitions ou par co-entreprise,
afin de permettre aux sociétés d'accéder plus
aisément aux marchés étrangers et d'y accroître le
volume de leurs ventes. Plus récemment, ils ont été
guidés par le souci de rechercher des lieux de production à
coûts de main d'oeuvre faibles, historiquement d'abord situés au
Maghreb, puis dans le sud-est asiatique, enfin en Europe de l'Est. Ils ont
alors été requalifiés " délocalisations ".
1. L'analyse du phénomène délocalisations : un
débat qui tend vers l'apaisement
Terme générique à la définition confuse, mais
toujours considérées comme synonyme de destruction d'emplois, les
délocalisations ont accompagné, et probablement amplifié,
la mondialisation de l'économie. Favorisées par la baisse des
coûts de transports
(
3(
*
)
)
et l'efficacité des
télécommunications, elles ont concerné plus directement
les produits aisément transportables, de faible encombrement (textile,
chaussures, jouets, puis plus récemment logiciels et autres produits
technologiques...) ou les services utilisant les connexions modernes
(comptabilité, saisies informatiques...).
L'accélération de ce mouvement de déplacement des lieux de
fabrication des pays riches vers les pays pauvres, l'effet direct qu'il produit
sur l'emploi européen -notamment le moins qualifié- ont fait
l'objet de très nombreux commentaires
(
4(
*
)
)
.
Au cours des toutes dernières années, l'examen du
phénomène des délocalisations a suscité des
analyses multiples, aussi passionnées que divergentes.
Les uns y ont vu une évolution logique et inéluctable vers une
nouvelle répartition des emplois dans le monde : les industries de
main-d'oeuvre peu qualifiées s'implantant dans les pays en
développement, à charge pour les nations les plus avancées
de conserver leur avance technologique et de valoriser l'ouverture de nouveaux
marchés étrangers permise par le déplacement d'emploi.
Les autres ont considéré, à l'inverse, que cette perte
d'emplois peu qualifiés dans les pays industrialisés conduisait
leur économie à la faillite et qu'une réaction plus
protectionniste du marché, notamment européen, constituait la
seule issue viable.
Les uns ont imputé aux délocalisations la destruction de milliers
d'emplois, les autres ont soutenu qu'elles auraient au contraire permis de
sauvegarder une partie des emplois de toute façon sacrifiés.
Ces différentes analyses comportent toutes leur part de
vérité : il est incontestable que certains secteurs
industriels traditionnels ont été laminés par la
concurrence des pays émergents. Mais, dans le même temps, ces
Etats se sont positionnés comme des marchés nouveaux dont le
potentiel de développement considérable offre de grandes
opportunités aux industriels occidentaux. Ainsi, la part des
importations des " quatre dragons " d'Asie du Sud-Est dans le
commerce mondial
(
5(
*
)
)
est
passée de 2,4% en 1970, à 8,4% en 1994 et les importations
chinoises ont plus que doublé, en valeur, depuis 1990.
De telles perspectives de développement incitent les industriels
occidentaux à se préparer à satisfaire cette demande, le
plus souvent en implantant dans ces pays des moyens et outils de production. En
ce sens, il n'y a pas substitution d'investissements au profit des pays
étrangers ; bien au contraire, ces
" délocalisations " sont alors la condition de la croissance
future du secteur investisseur.
Les multiples études récemment conduites sur ces questions
d'investissements à l'étranger ont également permis d'en
prendre une mesure plus large et d'en relativiser les effets. Ainsi, en 1994,
sur l'ensemble de ses investissements à l'étranger, la France n'a
consacré aux pays émergents que 10 milliards de francs, soit
1,5%. En retour, elle constituait le quatrième pays d'accueil des
investissements internationaux après les Etats-Unis, la Grande-Bretagne
et la Chine en 1995 et, selon la Datar, ces apports extérieurs ont
permis de maintenir ou de créer 20.000 emplois, soit 15% de plus qu'en
1994.
C'est pourquoi, considérant désormais la délocalisation
d'activités comme l'une des conséquences, et non la seule cause,
de la mondialisation, les commentaires les plus récents semblent
s'orienter vers une approche plus optimiste de la globalisation de
l'économie mondiale. On assiste, depuis peu, mais nettement, à un
rapprochement sensible entre défenseurs et adversaires de cette
globalisation. Le retour de la croissance en Europe est sans doute pour
beaucoup dans cet apaisement : en 1997, celle-ci est en effet sortie d'une
période de forte dispersion des conjonctures nationales et de
performances moyennes médiocres. A partir du second trimestre, une
croissance oscillant entre 3 et 4 % a établi la moyenne communautaire
à 2,7 % en 1997 -au lieu des 2,3 % prévus et des 1,8 %
réalisés en 1996. Elle s'élèvera vraisemblablement
à 2,7 % ou 2,8 % en 1998 et au moins autant en 1999.
Lors de son audition devant la commission des Affaires économiques et du
Plan du Sénat
(6(
*
))
,
M. Renato Ruggiero, Directeur général de l'OMC, a
considéré que "
la mondialisation ne détruisait
pas des emplois, puisque la croissance et l'emploi dans les pays
développés dépendaient de l'importance de leurs relations
avec les pays émergents importateurs nets et véritables
réservoirs de consommateurs et de production. La mondialisation est une
chance pour les pays industrialisés et elle doit devenir le
véritable moteur de la croissance dans les années à
venir
".
Dès lors qu'on admet comme inéluctable cette évolution des
règles du jeu commercial,
l'Union européenne ne peut se
contenter de la subir ; elle se doit de trouver les moyens de son
adaptation, notamment par une réaction énergique pour maintenir
et développer l'industrie sur son territoire.
En effet, l'industrie européenne s'est trouvée rapidement
confrontée à la mondialisation de l'économie, qui exerce
sur elle des effets tout à la fois négatifs, en créant une
concurrence internationale de plus en plus vive, et positifs, en permettant
l'ouverture de nouveaux marchés extérieurs. Ce double impact ne
peut que se renforcer à l'avenir, comme le soulignait M. Didier
Pineau-Valencienne au cours de son audition par la commission des Finances du
Sénat
(
7(
*
)
)
: en
1985, seuls 500 segments de marchés de produits faisant l'objet
d'échanges internationaux étaient totalement
mondialisés ; les Etats-Unis étaient " leader "
sur 300 d'entre eux, l'Allemagne sur 100 et la France sur pratiquement aucun.
En 1995, ce nombre était passé à 2.000 segments, dont 40
tenus par la France, 300 à 350 par l'Allemagne et plus de 1.000 par les
Etats-Unis. Il devrait atteindre 10.000 segments en l'an 2000.
Puisque la survie de l'industrie européenne dépend de sa
capacité à assurer sa place dans le monde, il est impossible
à l'Union de céder à une quelconque tentation
protectionniste. Mais il n'est pas davantage envisageable de céder sans
contrôle et sans raison aux poussées libre-échangistes que
l'accord multilatéral sur les investissements ou le nouveau
marché transatlantique ont récemment suggérées.
Cette nouvelle donne réclame de nouvelles politiques économiques,
dans l'objectif supérieur d'améliorer la situation de l'emploi en
Europe.
2. L'Europe doit avoir une ambition industrielle
Il faut
impérativement garder à l'esprit les atouts industriels de
l'Europe et ne pas voir sa désindustrialisation comme une
fatalité. L'industrie européenne est puissante, sa
capacité d'exportation avérée et - on nous pardonnera
ce réflexe national - la position de la France reste aux tous
premiers rangs mondiaux dans nombre de secteurs.
a) L'opposition industrie-services : un débat
dépassé
Dans la lutte constante que mène l'Europe contre le chômage,
l'importance de l'industrie a sans doute été
mésestimée,
notamment en France où l'on a
constaté une certaine tendance à considérer que le secteur
tertiaire était le mieux -voire le seul- à même de
favoriser la création d'emplois. Le récent sommet extraordinaire
sur l'emploi, tenu à Luxembourg en novembre 1997, n'a pas davantage
réservé à l'industrie la part qu'elle aurait
méritée puisqu'il n'en fait aucune mention dans la liste des
actions à conduire.
Certes, le secteur des services représente davantage d'emplois que
l'industrie et l'agriculture réunies : au cours des quinze
dernières années, 18 millions d'emplois ont
été créés dans le secteur tertiaire, en
Europe ; dans le même temps, 13 millions d'emplois ont
été perdus dans l'agriculture et l'industrie.
Mais les analyses économiques s'accordent pour affirmer que
le
secteur industriel est essentiel au maintien global de l'emploi :
" un emploi créé dans l'industrie, c'est au moins deux
emplois créés dans les services " dit-on et
l'on ne peut
raisonnablement espérer constituer une économie puissante sans
qu'elle s'appuie sur un socle industriel fort.
Comme l'indiquait
M. Raymond Lévy, ancien patron de Renault, "
favoriser
l'industrie, c'est favoriser la puissance économique et l'emploi. On ne
remplace pas les emplois industriels par des emplois de services car il n'y a
pas de services sans industrie
"
(8(
*
)).
Il convient de ne pas oublier combien l'activité des services reste
dépendante de l'activité industrielle, à hauteur de
30 % environ et jusqu'à 40 % pour les emplois de services
liés à l'exportation de biens. On estime ainsi qu'environ
2,5 millions de personnes travaillent en France dans le secteur des
services aux entreprises.
De surcroît, opérer la distinction entre emploi de services et
emploi industriel constitue désormais une entreprise difficile.
L'appréciation de cette répartition dépend du degré
d'externalisation des firmes : à titre d'illustration, des emplois pour
l'entretien de locaux industriels peuvent être comptabilisés comme
emplois industriels s'ils sont effectués à l'intérieur de
la société, mais comme activités de service s'ils sont
sous-traités auprès d'une entreprise de nettoyage. On mesure donc
combien peut être parfois artificielle la séparation entre
secteurs secondaire et tertiaire.
b) L'urgence d'une politique industrielle européenne
L'Union européenne ne pourra pas faire l'économie d'une
politique industrielle à la hauteur de ses légitimes
ambitions.
Si l'objectif est clair, la démarche n'est pas simple en
raison d'abord, des divergences idéologiques entre les Etats membres.
En effet, au contraire de ses principaux concurrents, américains et
japonais, l'Europe éprouve les plus grandes difficultés à
parler d'une seule voix. Comme l'indiquait déjà le rapport
Arthuis précité, elle cumule les handicaps : elle regroupe
des cultures et des langues différentes, n'a pas -pour l'heure- de
monnaie unique, comporte plusieurs administrations, est consumériste et
n'est pas protectionniste.
La diversité des convictions économiques qui animent les Etats
membres la conduit alors à réagir par à-coups, au
gré des événements. Elle peut ainsi opter pour une
application excessivement rigide des règles de concurrence et perdre de
vue tout objectif industriel, comme ce fut le cas lorsque la Commission refusa
d'autoriser le rachat de la société canadienne de Havilland
par Aérospatiale et Alenia, en 1991.
A l'inverse, elle peut aussi choisir l'industrie, au mépris des
principes concurrentiels, en autorisant l'implantation, fortement
subventionnée, d'une usine commune à Ford et Volkswagen, pour
produire au Portugal un véhicule monospace concurrent de
" l'Espace " français.
Cette oscillation permanente entre industrie et concurrence, entre concurrence
intra et extra-européenne appelle désormais une réponse
claire et un choix constructif pour l'avenir économique de l'Union. Le
moment est venu de saisir l'opportunité que présente le retour de
la croissance en Europe.
La seconde difficulté -qui découle d'ailleurs de la
précédente- tient au contenu " colbertiste " que
sous-tend encore l'expression de " politique industrielle ".
Qu'il soit bien clair ici
que notre propos n'est pas de promouvoir quelque
approche périmée de la politique industrielle,
se traduisant
par la multiplication d'interventions étatiques dans le secteur
industriel, dont la mise en oeuvre, par le passé, n'a d'ailleurs pas
toujours abouti aux résultats escomptés. Il n'est pas davantage
question, en souhaitant protéger un marché, de différer
les adaptations et évolutions techniques qui s'imposent. La concurrence
est aussi un atout, comme en témoigne l'exemple de la
libéralisation récente des télécoms qui a
bénéficié aux entreprises comme aux consommateurs.
Certes, on n'inventera pas aujourd'hui une nouvelle politique industrielle.
Mais l'Europe peut mettre en oeuvre, avec détermination, une panoplie
de stratégies concurrentielles, commerciales et industrielles, qui
créeront un environnement favorable au maintien et au
développement de son industrie dans une économie qui sera, avec
ou sans nous, de plus en plus globalisée.
I. ATOUTS ET FAIBLESSES DE L'INDUSTRIE EUROPEENNE
A. UNE INDUSTRIE PERFORMANTE MAIS FORTEMENT CONFRONTÉE À LA CONCURRENCE MONDIALE
Après trois années de régression, la production industrielle de l'Union est en nette reprise depuis le dernier trimestre 1996. L'office statistique Eurostat fait état des résultats suivants :
Evolution de la production industrielle de
l'Union
(construction exclue)
Variation annuelle en %
|
1990 |
1991 |
1992 |
1993 |
1994 |
1995 |
1996 |
1997 |
1998 |
Allemagne |
5,2 |
2,9 |
-1,8 |
-7,4 |
3,3 |
0,2 |
0,1 |
4 |
4,3 |
Autriche |
7,4 |
1,6 |
-1,1 |
-2 |
4 |
5,4 |
2 |
2,8 |
3,8 |
Belgique |
3,7 |
-2 |
0 |
-5,2 |
1,8 |
4,2 |
0,3 |
2,4 |
2,8 |
Danemark |
0,9 |
0,1 |
3,4 |
-2,9 |
10,5 |
4,3 |
1,7 |
2,6 |
2,8 |
Espagne |
0,1 |
-0,8 |
-2,7 |
-4,8 |
7,3 |
4,7 |
-1 |
6,2 |
7,6 |
Finlande |
0,4 |
-9,7 |
2,3 |
5,2 |
11,4 |
7,5 |
3,2 |
4,5 |
4,8 |
France |
1,5 |
-1,3 |
-1,1 |
-3,8 |
3,8 |
1,5 |
0,7 |
2 |
3,4 |
Grèce |
-2,3 |
-1,4 |
-1,2 |
-2,1 |
0,9 |
2,3 |
1,7 |
1,7 |
1,7 |
Irlande |
4,7 |
3,3 |
9,1 |
5,6 |
11,9 |
18,8 |
10 |
9 |
7,5 |
Italie |
-0,7 |
-0,9 |
-1,3 |
-2,1 |
6,8 |
5,5 |
0,9 |
1,6 |
3 |
Luxembourg |
-0,4 |
0 |
-0,8 |
-2,5 |
5,9 |
0,8 |
-1,4 |
2,4 |
3 |
Pays-Bas |
2,4 |
1,7 |
-0,1 |
-1,3 |
2,9 |
2,3 |
2,5 |
2,7 |
3 |
Portugal |
9,1 |
0 |
-2,3 |
-2,6 |
-0,2 |
4,6 |
2 |
3 |
3,5 |
Royaume-Uni |
-0,3 |
-3,6 |
0 |
2,1 |
5 |
2,1 |
1,3 |
2,7 |
2,8 |
Suède |
1,1 |
-5,1 |
-1,5 |
-0,2 |
10,5 |
10,6 |
2,5 |
4 |
5 |
U.E. à 15 |
1,9 |
-0,5 |
-1 |
-3,1 |
5 |
3 |
0,9 |
3,1 |
3,9 |
Etats-Unis |
0 |
-1,8 |
3,5 |
3,5 |
5,9 |
3,2 |
2,6 |
2,3 |
2,2 |
Japon |
4,3 |
1,9 |
-5,8 |
-4,2 |
1,2 |
3,3 |
1,7 |
2,8 |
3,4 |
Pour
1995 et 1996 : estimations des services de la Commission à partir des
données les plus récentes fournies par les Etats.
Pour 1997 et 1998 : prévisions.
Source : Eurostat 1997.
Les dernières données, publiées le 28 mars 1998, mettent
en évidence une période d'expansion constante de la production
industrielle. En augmentation de 3,8 % en 1997 (soit plus que les 3,1 %
prévus), elle enregistre une progression très supérieure
à celle constatée l'année précédente (+0,1
%). La hausse est nette dans l'ensemble des Etats membres et notamment en
Irlande (+ 15 %), en Finlande (+8,3 %) et en Suède (+7,9 %) ; les taux
les plus faibles étant enregistrés au Royaume-Uni (+1,2 %), en
Grèce et aux Pays-Bas (+1,9 %). En outre, tous les Etats membres
-sauf les Pays-Bas- ont constaté des résultats très
supérieurs à ceux de 1996, année au cours de laquelle
quatre d'entre eux avaient vu leur production régresser (Espagne,
France, Italie et Luxembourg). Sur la même période, la production
américaine a augmenté de 5 %, contre 3,4 % en 1996, et la hausse
se situe à 4,30 % au Japon, contre 2,4 % en 1996.
Pour le seul mois de janvier 1998, le volume de la production industrielle de
l'UE a augmenté de 4,3 % par rapport au même mois de
l'année précédente, succédant à un taux de
4,8 % en décembre 1997. Sur la même période, la production
américaine a augmenté de 5,3 % tandis qu'elle baissait de 2,5 %
au Japon.
Ces résultats très positifs sont le signe tangible de la reprise
de la croissance en Europe ; ils masquent toutefois des situations
contrastées selon les secteurs industriels. Il n'est pas question ici de
dresser un tableau exhaustif de l'industrie européenne, mais
plutôt, à travers quelques exemples représentatifs,
d'apprécier quelques grandes tendances de sa situation. L'exercice n'est
d'ailleurs pas simple en raison de l'absence de séries statistiques
complètes ou de l'établissement très tardif de
celles-ci.
1. Les secteurs les plus technologiques résistent
Il
ressort du panorama industriel européen qu'un secteur résiste
d'autant mieux à la concurrence mondiale qu'il intègre une part
forte de haute technologie. C'est une évidence qu'il convient de
rappeler.
Dans cette optique, l'Allemagne bénéficie de la meilleure
situation puisqu'elle domine le classement des dix premières
régions de haute technologie : le Baden-Württenberg et le Bayern
occupent les deux premières places du palmarès qui compte au
total six régions allemandes, l'Est français étant
placé en sixième position. Une situation semblable est
observée dans le classement des dix premières régions de
technologies de pointe, comprenant les machines de bureau et le matériel
informatique, les équipements de radio, télévision et
communication ainsi que l'industrie chimique, mais excluant notamment
l'automobile. L'Allemagne y place six régions, la Flandre belge et le
sud des Pays-Bas figurant en bonne place tandis qu'aucune région
française n'y est retenue
(9(
*
))
.
Parmi les secteurs industriels européens les plus performants, on
observe notamment que :
a) L'industrie aéronautique et spatiale se restructure
•
L'atout Airbus
Grâce à une coopération exemplaire de quatre industriels de
l'aéronautique, l'Europe s'est dotée, avec Airbus Industrie, d'un
géant industriel capable de rivaliser avec ses principaux concurrents,
notamment américains. En 1996, près de trente ans après sa
constitution, le consortium occupe plus de 30 % du marché mondial
et affiche ses ambitions de porter ce chiffre à 50 % dans les
prochaines années
(10(
*
))
.
L'enjeu est à la mesure de cet objectif car les perspectives tablent sur
des besoins estimés à 15 000 avions dans les vingt prochaines
années, soit un volume d'affaires de 5 000 milliards de francs.
D'intérêt tout à la fois stratégique, technologique
et économique, l'industrie aérospatiale n'occupe toutefois qu'une
place modeste dans l'économie européenne. Elle emploie
directement 370 000 personnes, plusieurs fois ce nombre en terme indirect et
génère un chiffre d'affaires de 350 milliards de francs.
Elle ne représente que 1 % du PNB de l'Europe et 3 % de la
production industrielle. Toutefois, en 1996, les exportations
aérospatiales ont représenté plus de quinze milliards
d'écus, soit près de 3 % des exportations totales de l'Union.
Cette industrie est essentiellement concentrée sur trois pays : la
France, la Grande-Bretagne et l'Allemagne, qui assurent respectivement 34, 31
et 26 % de la production. La structure choisie -celle du GIE- a permis, tirant
les leçons de l'échec de l'association franco-britannique du
Concorde, de créer une véritable coopération,
gérée et coordonnée par les industriels eux-mêmes.
• Une situation à conforter
La situation de l'aéronautique européenne a toutefois
été fragilisée lors de l'acquisition de Mc Donnell Douglas
par Boeing, qui a été officiellement autorisée par la
Commission le 30 juillet 1997 après quelques velléités de
résistance. Celle-ci avait alors considéré que sur le
marché en cause -celui des grands porteurs commerciaux à
réaction- l'industrie de l'Union présentait une structure
compétitive comparable à celle de son rival américain.
Toutefois, ce marché reste largement dominé par les
américains- détenant désormais 70 % du marché
mondial contre 25 % pour l'Europe-. La rentabilité économique de
l'industrie américaine est supérieure de moitié à
celle de sa rivale européenne (19 % contre moins de 13 %), tandis que la
rentabilité financière y est trois fois plus élevée
(9,6 % contre 3,6 %), grâce au large appui des contrats militaires
outre-Atlantique
(11(
*
)).
Une
restructuration de ce secteur, décidée par les Etats-membres
concernés et conduite par les industriels, est aujourd'hui en
cours
(12(
*
))
.
b) L'industrie chimique se maintient
L'Union
européenne est le premier producteur de produits chimiques au monde :
elle devance largement les Etats-Unis et le Japon dans ce secteur qui
génère un chiffre d'affaires de 350 milliards d'écus, soit
3 à 4% du PIB de l'Union. Ce domaine emploie environ 1,6 million de
personnes, ce qui représente 6% de l'emploi industriel.
L'Allemagne constitue le principal site d'implantation de l'industrie chimique,
notamment pour les trois plus grandes firmes mondiales, qui y ont leur
siège. Mais cette branche est surtout composée d'un grand nombre
de PME dans les secteurs de la peinture, des cosmétiques, du traitement
du plastique ou des produits pharmaceutiques de base.
Si la situation européenne reste solide, on ne peut toutefois ignorer le
danger de la concurrence asiatique ou d'Europe centrale qui est
désormais à même d'offrir de nombreux produits de
qualité, à des prix inférieurs à ceux des firmes
européennes. En outre, il faut tenir compte des capacités
industrielles des pays producteurs de pétrole (Arabie Saoudite,
Mexique...) qui maîtrisent parfaitement la fabrication de produits
pétrochimiques de base ou dérivés.
c) L'industrie automobile perd son avance
•
Elle demeure au premier rang mondial
En 1997, la production automobile des sept constructeurs
européens
(13(
*
))
s'est
élevée à 14,7 millions d'unités en
augmentation de 3,7 % par rapport à l'année
précédente (14,15 millions). Avec près de 30 % de la
production mondiale, l'Europe devance toujours les Etats-Unis (24 %) et le
Japon (21 %), mais les pays émergents assurent déjà
15 % de la capacité mondiale, dont plus d'un tiers par la seule
Corée du Sud. Bien que d'un très haut niveau technologique,
l'industrie automobile européenne est désormais combattue par des
rivaux tout aussi performants.
• Elle est fragilisée
-- La domination européenne est donc menacée : les
constructeurs européens, qui supportent des coûts de production
élevés, sont moins bien implantés à
l'étranger que leurs concurrents américains et japonais. Le
marché de l'Union, très largement ouvert à la concurrence
de l'ensemble des constructeurs mondiaux souffre d'une offre supérieure
à ses capacités d'absorption : environ 13,7 millions de
véhicules ont été vendus en 1996 pour une capacité
théorique annuelle de production de 18 millions. Cette
fragilité a obligé les fabricants à des mesures de
restructuration industrielle pour abaisser les coûts de production, dont
" l'affaire Vilvorde " a été le signe le plus marquant.
Les plus récentes évolutions économiques laissent
toutefois espérer une hausse de la demande sur ce secteur : on estime
qu'elle pourrait se fixer en 1998 à 14,74 millions de véhicules.
-- Avec plus de trois millions de véhicules construits, la France
se situe au quatrième rang mondial et occupe la troisième
position pour sa capacité d'exportation. Toutefois, si le secteur
automobile demeure l'un des fleurons de l'industrie française, sa
situation est actuellement très instable
(14(
*
)).
Comme ses partenaires
européens, la France est placée sur un marché ouvert
à la concurrence internationale où la guerre des prix est
exacerbée.
En outre, le système des primes qui s'est appliqué ces
dernières années -primes à la casse " Balladur "
de février 1994 à juin 1995, puis prime de qualité
" Juppé " d'octobre 1995 à septembre 1996- a soumis le
marché à de fortes fluctuations. Elles ont ainsi artificiellement
dopé le nombre de nouvelles immatriculations, mais en favorisant la
demande pour des petits modèles notamment importés,
destinés à un marché centré sur le renouvellement
du parc (80 % des acquisitions). Elles ont par ailleurs eu pour effet de
rendre le prix déterminant dans l'acte d'achat : ce faisant, elles
ont renforcé la pénétration étrangère sur le
marché français, passée de 40 % début 1994
à 44,6 % en octobre 1996. A l'issue de la période
primée, le volume des nouvelles immatriculations a reculé de plus
de 21 %.
Pour toutes ces raisons, le constructeur Renault a enregistré, en 1996,
une perte nette pour le groupe de 5,2 milliards de francs
(15(
*
))
, le déficit d'exploitation de la
branche automobile atteignant 2,5 milliards de francs et celui du
département " poids lourds " 705 millions de francs. Les
résultats de PSA s'établissaient en baisse de 56 % en 1996 par
rapport à l'année précédente.
En outre, il faut reconnaître que notre secteur automobile accuse un
retard d'adaptation à la mondialisation par rapport à la moyenne
européenne : si Renault fabrique des véhicules dans une
vingtaine de pays, ses ventes hors Union ne constituent que 14 % de
l'ensemble -et moins encore pour PSA- tandis que Fiat assure déjà
plus du tiers de ses ventes à l'extérieur de l'Europe
occidentale.
Bien que difficiles à établir, les prévisions pour 1998
tablent sur une reprise de la consommation, les prévisions
d'immatriculations oscillant autour de 1,8 million de véhicules, soit
au-dessus des résultats pour 1997 (1,7 million).
QUELQUES AUTRES POINTS FORTS POUR LA FRANCE
DANS L'INDUSTRIE EUROPEENNE
• Les télécommunications : la situation
française y est favorable puisqu'elle occupe 15 % du secteur des
télécommunications mondiales, alors que le PIB français ne
représente que 7,7 % du PIB mondial. La France occupe la
cinquième place mondiale en termes de services et le quatrième
rang pour les équipements. Il est essentiel que cette avance soit
consolidée, compte tenu de l'accord récemment obtenu à
l'OMC en la matière.
• Le secteur nucléaire : la France y occupe une position de
pointe. La preuve en est que l'entretien des centrales américaines est
actuellement assuré par des sociétés françaises.
Toutefois, il convient de préparer activement le passage aux centrales
de la nouvelle génération : on observe en effet que le calendrier
américain de renouvellement des installations affiche une avance de
quatre ou cinq années sur le nôtre. Les préoccupations
écologiques devraient permettre de soutenir le développement de
ce secteur.
Plusieurs autres postes sont porteurs comme la chimie-pharmacie, les
biotechnologies, l'environnement, notamment l'industrie de l'eau,
l'agro-alimentaire et l'armement.