II. LA TENTATION COMMERCIALE

L'importance croissante des recettes publicitaires dans le budget des chaînes publiques en concurrence avec TF1, M6 et Canal + affecte leur mode de fonctionnement. Elle les place à cheval entre deux logiques, celle du service public et celle de l'entreprise commerciale .

Paradoxalement, la logique publique, parfois perdue de vue dans la gestion quotidienne du secteur public, est souvent invoquée, mais elle a pour seul effet de déstabiliser les chaînes en brouillant une image déjà floue tant à l'intérieur qu'à l'extérieur.

Il existe, en effet, une éthique du service public. Elle est bien vivante, dans l'esprit du personnel pour lequel elle tient lieu à la fois de référence et de motivation.

Mais, cette éthique peine à s'affirmer sous la pression conjuguée de la contrainte financière et des forces du marché. C'est ce qui explique la persistance d'un certain nombre d'errements dénoncés régulièrement par la commission des finances du Sénat, mais aussi bien par la Cour des comptes et le Conseil supérieur de l'audiovisuel.

A plus long terme, avec le développement du numérique, la tentation sera forte, pour trouver les compléments nécessaires, d'entretenir des liaisons dangereuses avec la publicité.

A. PERSISTANCE DU RISQUE DE DÉRIVES

Le mode de financement des chaînes n'est pas neutre. A des degrés divers, les abus bien souvent dénoncés par la commission des finances du Sénat participent tous d'une certaine " commercialisation " des rapports dans le fonctionnement interne des chaînes. Les marchands sont dans le temple du secteur public. Il serait naïf de croire qu'on pourrait les en chasser. Mais on ne doit pas se dissimuler que cet état de fait suppose une vigilance particulière de la part des responsables de ces chaînes, qui, à l'expérience, se révèlent plus vulnérables aux dérives de toutes sortes que celles du secteur privé.

1. Les cicatrices de l'affaire des animateurs-producteurs

Le rapport de la Cour des comptes sur la gestion de France Télévision entre 1993 et 1996 a confirmé que la plupart des sociétés d'animateurs-producteurs n'ont pu être créées que grâce à l'argent public dont elles ont bénéficié, en produisant essentiellement pour la commande publique. La Cour a également attiré l'attention des pouvoirs publics sur certains avantages anormaux :

• avances de trésorerie, alors que la trésorerie de France 2 étant généralement négative, la chaîne a dû emprunter pour tenir ses engagements ;

• les rémunérations concédées aux animateurs et à certains proches étaient considérables.
Le rapport met également l'accent sur la différence entre le coût de production de ces émissions et le prix facturé à la chaîne : un rapport allant du simple au double.

Au-delà de cas d'espèce, on est tenté de remettre en cause la structure même d'une gestion fondée sur l'achat de droits par opposition au système traditionnel du cachet . Non seulement l'utilisation d'une société de production permet d'obtenir des avantages directs et indirects, mais encore elle permet de faire monter les enchères en menaçant de partir avec armes et bagages chez le concurrent. Le suspense des " transferts ", préalables à la présentation des grilles de rentrée, ne serait pas possible sans la généralisation de ces sociétés de production indépendantes.

Sans doute le retour aux principes d'origine du service public est-il difficile à envisager. Mais il convient d'attirer l'attention sur le fait que les chaînes publiques ont un mode de fonctionnement et des structures juridiques qui les mettent en situation de faiblesse dans la négociation, aboutissant à une surenchère qui pousse les prix à la hausse sans gains véritables pour le téléspectateur.

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