2. Les marins-pêcheurs
2.1 Les emplois
Les marins-pêcheurs constituent un groupe socioprofessionnel à part dans le monde du travail. Il s'agit de l'héritage du système de l'Inscription maritime, datant de Colbert. Si l'Inscription maritime a disparu en 1965, l'administration des Affaires maritimes continue d'exercer la tutelle de la profession et des relations professionnelles. Selon la durée des marées, les pêcheurs sont classés en quatre catégories administratives : la petite pêche (absence du port inférieure à 24 heures), la pêche côtière (absence entre 24 et 96 heures), la pêche au large (absence supérieure à 96 heures sans correspondre aux critères de la grande pêche), et la grande pêche (navire supérieur à 1 000 kW ou à 150 tjb et absent plus de 20 jours de son port d'armement).
La réduction de la flottille a eu des conséquences sur l'emploi, aussi bien pour les marins-pêcheurs que sur les emplois indirects à terre. Il y avait 19 769 marins en 1990 et seulement 17 565 marins embarqués plus de trois mois en 1995. Si l'on compte les marins embarqués moins de trois mois, le chiffre est de 22 109. Le secteur de la pêche a donc perdu 2 000 emplois en cinq ans. Les marins embarqués moins de trois mois sont des pluriactifs qui travaillent dans des entreprises aquacoles ou dans une autre activité, comme le tourisme. La réduction des emplois a touché surtout les marins embarqués plus de 9 mois sur des unités de pêche côtière ou de pêche au large. Les réductions d'emplois dans la flotte industrielle ont surtout eu lieu dans les années 80.
Parmi les marins embarqués plus de trois mois, la majorité pratique une pêche de proximité. La pêche industrielle n'emploie que 4% des effectifs.
Répartition nationale du nombre de marins en 1995.
2.2 La rémunération des marins
Les marins ont vu leur rémunération décroître suite à la crise de 1992-1993. La diminution des revenus a été d'autant plus brutale qu'il n'existait pas jusqu'à récemment, de minimum garanti, sauf dans la pêche industrielle. Le système de rémunération est différent suivant le type de pêche, artisanale ou industrielle. Dans la pêche artisanale, le système en vigueur est celui de la rémunération à la part, qui dépend directement du chiffre d'affaires du navire, après imputation des « frais communs ». Toute baisse du chiffre d'affaires se répercute sur les revenus des marins, alors qu'ils passent de plus en plus de temps en mer (quarante jours supplémentaires dans le Finistère en 1996 par rapport à 1993). Une circulaire en date du 25/10/1995 précise les conditions de rémunération à la part et crée un SMIC marin : soit l'armateur complète les parts de pêche lorsqu'elles sont inférieures au SMIC, soit il mensualise le marin au SMIC en complétant ce salaire fixe par une prime d'intéressement aux résultats de la pêche. Le principe du SMIC est cependant très peu appliqué aujourd'hui.
Le système de paiement à la part a permis, dans le contexte favorable des années 80, d'assurer aux hommes d'équipage des rémunérations satisfaisantes. Mais elles ont décru par la suite. Un document établi par la Confédération de la coopération maritime, à partir des comptes de gestion de 73 chalutiers de plus de 22 mètres, montre que le salaire mensuel moyen s'établissait en 1989 à 14 573 F par mois pour un matelot. En 1991, ce salaire était de 11 906F (- 21%). Pendant la crise, il est tombé à 8 000 F (-45 %). Aujourd'hui, le salaire des marins est remonté à 10 000 F par mois. Cette cyclicité du revenu doit être bien présente à l'esprit, lorsque l'on étudie le secteur.
Dans la pêche industrielle, les marins ont un salaire minimum garanti. Ils sont rémunérés au « pour mille » du chiffre d'affaires net (CA brut moins frais de débarquement et moins taxes de criée). Ils touchent en plus, une prime d'intéressement aux résultats. Ils prennent moins de risques que dans la pêche artisanale, car une partie des risques est transférée à l'armement. En revanche, en cas de forte diminution des ventes, les salaires ne jouent plus le rôle d'amortisseur financier. Dans ce cas, la probabilité d'une faillite de l'armement est plus élevée et le risque est grand pour les marins qu'il emploie.
2.3 La formation des marins
Le secteur fait face à un problème de recrutement des marins. L'évolution des conditions du métier de pêcheur est souvent perçue négativement, ce qui entraîne une désaffection pour ce secteur d'activité. Depuis 1993, la main d'oeuvre ne se renouvelle plus et le savoir-faire tend à disparaître. Il est difficile, aujourd'hui, de trouver une main d'oeuvre qualifiée : les difficultés du secteur et le nombre d'heures de travail par semaine découragent les jeunes à se lancer dans cette filière. Ils savent, d'autre part, qu'il sera difficile d'acquérir leur propre navire.
La formation est très variable selon la nature du poste du pêcheur : matelot, officier ou capitaine. Le métier varie aussi en fonction de la taille du navire (entre 4 et 80 mètres), de la technique de pêche utilisée (chalut, filet fixe, casier, drague, ligne, etc.), des espèces pêchées (pélagiques ou démersales 6 ( * ) , sédentaires ou migratrices), de la production visée (pêche fraîche ou congelée, transformation à bord du navire ou pas), de la durée d'absence du port (moins de 24 heures ou plusieurs mois). En fonction de tous ces critères, la formation exigée peut être très différente.
Une formation minimale est obligatoire pour travailler à bord des navires français, car le métier de marin est dangereux et l'État responsable de la sécurité de la navigation et de la sauvegarde de la vie humaine. Cette formation obligatoire peut être obtenue par une formation initiale sanctionnée par un « certificat de fin d'études maritimes », ou par une formation continue, avec le « certificat d'initiation nautique », réservé aux adultes âgés de plus de vingt ans. Ces titres sont délivrés par le ministère de l'Équipement, du logement, des transports et du tourisme. L'accès au titre de capitaine ne peut se faire que par la voie de la formation continue. Il faut au moins 48 mois de navigation à la pêche, dont 24 mois dans des fonctions de second sur des navires de pêche au large ou de lieutenant sur des navires de grande pêche.
En fonction de leur grade, les pêcheurs doivent aujourd'hui avoir des connaissances dans plusieurs domaines : la conduite du navire, des machines et des auxiliaires, la sécurité à bord, l'exercice de la pêche (détection des captures, mise en oeuvre d'un engin de pêche), le traitement des captures (tri, transformation, congélation, ...), la maintenance courante du navire, la gestion de l'entreprise (comptabilité) et la définition d'une stratégie de production. Ils devraient être plus sensibilisés à la raréfaction de la ressource.
Le patron pêcheur est devenu un véritable chef d'entreprise, qui doit gérer son outil de production et qui devra aussi progressivement gérer sa matière première : la ressource II doit savoir se situer entre l'offre et la demande, valoriser au mieux sa production. Mais les patrons-pêcheurs ne sont pas encore suffisamment formés à la gestion financière, à la gestion de la qualité et à la commercialisation. Les pêcheurs débarquent encore leurs poissons sans vraiment se soucier de la façon dont ils seront vendus
* 6 Les espèces pélagiques sont des espèces marines qui évoluent en plein eau, loin du fond. Les espèces démersales, par opposition, vivent sur le fond ou à proximité du fond des mers.