Audition de Jean-Marie RAUSCH
Sénateur-Maire de METZ
Résumé : Le changement de
société que nous vivons en passant de la société
industrielle à la société de l'information transforme
radicalement le comportement des hommes, et la société verticale
et hiérarchique va être remplacée par une
société beaucoup plus transversale sous forme de
réseaux ; la nouvelle société va s'administrer de par
la volonté, l'espoir et l'esprit des gens, donc d'une manière
totalement différente de la société industrielle ;
or, l'Etat, le Gouvernement, l'état d'esprit français, restent
complètement ou presque basés sur le système de la
société industrielle; Si on veut changer tout cela, il faut
s'attaquer aux thèmes suivants : toutes les formes
d'éducation, de formation, d'accès à la culture,
d'ouverture au monde ; cela passe aussi par une beaucoup plus grande
association des femmes aux pouvoirs ; même s'il est vrai qu'il
entraîne un certain retard vis-à-vis du développement
d'Internet, il ne faut pas sacrifier le Minitel mais le laisser tel quel car il
reste encore et par beaucoup d'aspects, le système le plus
rapide ;
1. Je m'intéresse à la communication depuis
plus de 25 ans
; j'ai câblé ma ville intégralement
dès 1979 et je travaille toujours sur les systèmes de
communication parce que la
Lorraine
est une région en
déclin industriel : on s'est rendu compte qu'elle était
passée il y a 150 ans de la forme de société agricole
à la société industrielle et qu'elle est en train
actuellement d'abandonner cette dernière - disparition du charbonnage,
de la sidérurgie ; je veux conduire aujourd'hui son virage vers la
société de hautes technologies, sans être sûr
toutefois que l'on arrivera à retrouver le même niveau d'emplois
que jadis ;
2. Ce qui change en fait aujourd'hui, c'est le mode de fonctionnement de la
société
: le système de la société
industrielle qui a dominé notre activité de 1835 à nos
jours était en gros un système qui, aussi bien en matière
d'organisation politique qu'industrielle et de management, était
très hiérarchique, pyramidal
avec défense du
" pré carré ", avec l'ordre qui venait d'en haut, avec
une certaine rigueur et raideur ; le changement de société
que nous vivons actuellement en passant de la
société
industrielle
à la
société de
l'information
transforme radicalement, à mon avis, le
comportement des hommes, et la société verticale et
hiérarchique va probablement être remplacée par une
société beaucoup plus transversale sous forme de
réseaux ; la nouvelle société va s'administrer de par
la volonté, l'espoir et l'esprit des gens
, donc d'une manière
totalement différente de la société industrielle ;
or
, l'Etat, le Gouvernement, l'état d'esprit français,
restent complètement ou presque basés sur le système de la
société industrielle qui est pyramidal, c'est-à-dire
hiérarchique et vertical
;
3. On le voit
au travers du non-enthousiasme pour une vraie
décentralisation - par exemple les réactions d'anciens
élèves de l'ENA aux changements annoncés concernant leur
école : on se rend compte qu'il sera difficile de passer d'une
forme de société qui est
très centraliste et
centralisée vers une société plus horizontale, plus en
réseau, plus transversale
. Ceci est le
grand blocage
à surmonter dans la modification de la société
française
; les gens ayant de plus en plus
d'informations, étant de plus en plus rapprochés, pouvant de plus
en plus se brancher les uns sur les autres, pouvant de mieux en mieux se
connecter, rentrent qu'on le veuille ou non dans un système de
réseaux dans lequel il y a une grande transversalité une
connaissance infiniment meilleure que dans l'ancienne société
avec ses " prés carrés ", ses secteurs
réservés, cette attitude très centralisatrice et
jacobine
;
4. Si on veut changer tout cela
, il faut s'attaquer aux thèmes
suivants : toutes les formes d'éducation, de formation,
d'accès à la culture, d'ouverture au monde ; cela passe
aussi par une
beaucoup plus grande association des femmes aux
pouvoirs
, parce que les femmes n'ont pas une mentalité trop
verticale et hiérarchisée ; elles ont beaucoup plus une
mentalité transversale, de contact, de réseau ; autour de
moi d'ailleurs, j'ai placé des femmes à parité avec les
hommes, partout : ça marche très bien et je suis la seule
grande ville de France à ne pas avoir augmenté les impôts
depuis 1984 : vis-à-vis des problèmes de dépenses et
d'investissements, les femmes sont rigoureuses ; donc,
dans un pays
comme la France, plombé hiérarchiquement, il est probable que
l'un des grands moyens d'en sortir est de placer des femmes partout aux postes
de responsabilités
;
5. La France comporte des ingénieurs absolument extraordinaires ayant
inventé des technologies remarquables et qui, pour la plupart,
marchent ;
mais ils ont doté ces technologies de concepts dans
lesquels ils les ont emballées et qui ne marchent absolument
pas
; et c'est l'un des grands drames français ; dans le
domaine des NTIC justement, on a loupé la plupart des belles
technologies qu'on a inventées parce qu'on les a habillées de
concepts " à la française " qui ont complètement
" foiré " : ainsi, les 819 lignes, il y a une
cinquantaine d'années : génial, la plus fine
définition,...mais on a ensuite obligé les français
à acheter un poste en 819 lignes, on a payé deux fois plus cher
que les allemands, déjà entrés dans les 625 lignes
fabriquées en grande série...bref, une erreur
économique ; on pourrait dire la même chose du
procédé SECAM : le PAL a fait une percée sans commune
mesure avec lui ; puis il y a eu " l'erreur
absolue " : le
plan câble ; ça nous a coûté 30 milliards et
nous sommes le pays le moins bien câblé du monde...Enfin, les
satellites : on a lancé TDF1 et 2 : catastrophe
financière : il n'y a rien dessus ; c'est terminé,
planté !Pour
Internet
, quand c'est arrivé, on a
dit : " c'est un truc américain, nous, on a un système
infiniment meilleur qui est le Minitel " ; on ne s'est pas
bousculé jusqu'à il y a six ou sept mois ; dernier
exemple : la numérotation à 10 chiffres, complètement
débile par rapport à celle d'autres pays ; bref, " on
est les meilleurs " ...mais ça reste à prouver car le
système dans lequel on a emballé notre meilleure technologie
s'est, lui, " planté " ;
6. A qui la faute ? Que faut-il faire ?
Pierre LAFFITTE l'a bien
analysé : la France a toujours eu un conflit entre des
intérêts qui ont peut-être été bien
définis, non par des ministres de l'Education nationale mais par des
gens qui se sont plus ou moins occupés de cela, et entre
l'industrie ; et, lorsqu'il s'agissait de faire un choix entre l'emploi et
l'industrie, on a plutôt privilégié l'industrie aux
dépens de la formation et de l'enseignement : chaque fois qu'on
pouvait faire une vraie percée sur quelque chose, et notre retard au
niveau des écoles est dû à cela, on est bloqués par
des gens qui disent : " Ah non ! le seul matériel que
vous ayez le droit de mettre, c'est du Bull ; celui-là est
américain, ça ne va pas ! " ;
7. Les écoles
: la situation de l'informatique -
le
stylo des gosses de demain
- est peut-être moins dramatique qu'on
ne le dit : récemment, je me suis rendu dans un collège de
Metz : à la question : " combien avez-vous d'ordinateurs
dans la classe ? ", la réponse a été 1 ou 2,
c'est-à-dire rien ; mais, à la question : " qui
sait se servir d'un ordinateur ? ", presque toutes les mains se
sont
levées ; j'ai demandé : " comment ça se
fait ? ", ils m'ont répondu : " on en a un à
la maison " ; il y aurait donc là, de la part du
Gouvernement
, quelque chose à approfondir : ne pourrait-on
pas, plutôt que d'équiper systématiquement les
écoles, aider les familles à acquérir des ordinateurs pour
leurs gosses, chez eux ? les gosses en prendraient plus soin, et cela
coûterait moins cher
;
8. Le Minitel
: j'ai été un des premiers à
dire, alors que tout le monde en faisait la louange, que le Minitel serait
assez rapidement dépassé par des réseaux informatiques
nouveaux ; cependant, aujourd'hui, même s'il est vrai qu'il
entraîne un certain retard vis-à-vis du développement
d'Internet par exemple,
il ne faut pas le sacrifier mais le laisser tel
quel car il reste encore et par beaucoup d'aspects, le système le plus
rapide
: pour réserver, pour l'annuaire, pour consulter des
horaires d'avion, il est fabuleux, en tout cas plus rapide
qu'Internet ;
il faut donc le laisser partir " en
sifflet " doucement et progressivement et arriver, avec Internet ou
des
réseaux Intranet, à des choses qui soient aussi bonnes que le
Minitel
;