III. UN CONTEXTE FAVORABLE
Faut-il le rappeler : le succès de l'imprimerie a été foudroyant. Etait-il pour autant inéluctable ? Rien n'est moins sûr. L'exemple de la Chine, qui avait également mis au point les techniques d'imprimerie, viendra confirmer à l'envi que la découverte de Gutenberg a profité en Europe d'un exceptionnel concours de circonstances.
A) UN PRODIGIEUX SUCCÈS
Selon l'ouvrage désormais classique de Febvre et Martin, l'imprimerie constitue d'abord un prodigieux succès. À la fin du XV e siècle, autrement dit cinquante ans à peine après l'impression du premier livre, on compte déjà 35 000 éditions, qui représentent au bas mot 15 à 20 millions d'exemplaires.
B) UNE RÉVOLUTION TECHNIQUE
Le triomphe de l'imprimerie s'explique également par la
conjonction d'un ensemble de découvertes techniques, qui
répondaient à l'attente d'un public avide et nombreux, d'une
part, et qui, d'autre part, étaient susceptibles d'être
exploitées par des entrepreneurs qu'un marché ouvert et fluide ne
pouvait que motiver.
On retiendra néanmoins, en ce qui concerne la mise au point des
techniques d'impression :
-- le rôle des caractères métalliques mobiles, fondus dans
une matrice en creux, préalablement entaillée par un
poinçon à tête dure, et, de ce fait, reproductibles
à volonté.
Il s'agit là d'un aboutissement des progrès qu'avaient
enregistrés les techniques de l'orfèvrerie (et, du reste, on peut
se souvenir que Johannes Gensfleisch, bientôt connu sous le nom de
Gutenberg, appartenait à la corporation des orfèvres de
Nuremberg). Mais il était alors techniquement impossible d'utiliser ces
caractères typographiques pour imprimer sur du parchemin, matière
insuffisamment lisse pour supporter les nouveaux procédés, eux
aussi fondamentaux, d'encrage et de presse.
-- Raison pour laquelle, acheté par les croisés aux Arabes, qui
en tenaient le secret des Chinois, un autre matériau a joué un
rôle crucial : le papier. Selon Régis Debray,
" la
révolution du livre est due, au fond, au papier plus qu'au plomb. C'est
son couplage avec l'utilisation du papier de chiffon qui a donné au
procédé de reproduction son essor fulgurant [...]. Même
s'il n'a pas d'inventeur nominal, c'est lui le véritable multiplicateur
de puissance
".
Par ailleurs, comme le rappelle Paul Chalus, préfacier de l'ouvrage de
Febvre et Martin,
" la vaste imagerie, surtout religieuse, qui
s'était développée au XIVème et XV
e
siècle, n'a pas été pour peu de chose dans l'extension
prise par l'industrie papetière. Celle-ci fut ainsi conduite au niveau
où elle autorisait l'imprimerie
".
Ainsi l'imprimerie n'est-elle pas le résultat d'une seule technique mais
d'un ensemble de techniques (orfèvrerie, papeterie, presse, encrage,
etc.), parvenues de concert à maturité et agencées de
façon décisive par Gutenberg et par ses associés.
Cependant, cette invention majeure n'était pas nécessairement
voué au succès. Et à ce titre, l'exemple de la Chine se
révèle particulièrement révélateur.