IV. LES DEGRÉS DE LA VALORISATION
DE
L'INFORMATION
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Les informations transmises sur les réseaux ou diffusées par
d'autres médias sont d'origine et de nature diverses :
n faits jugés dignes d'être relatés ;
n données liées à l'activité des entreprises ou
des administrations ;
n dispositions législatives ou réglementaires de portée
générale ;
n fragments de messages échangés par des particuliers ;
n connaissances, oeuvres de l'esprit ou éléments
représentatifs de notre patrimoine culturel stockés dans les
mémoires des serveurs ;
n éléments de programmes à caractère distrayant
diffusés (fichiers...) ou accessibles interactivement (jeux...).
Toutes ces informations sont codées par le langage, expression de la
pensée, puis transcodées (par l'écriture, la signalisation
électronique, numérique ou analogique) ou cryptées, avant
d'être diffusées.
Techniquement parlant, l'information, on l'a vu, est tout ce qui donne une
signification au signal utilisé pour la transmission, qu'il s'agisse
d'une impulsion électronique ou d'un caractère typographique.
Mais sur le plan économique, c'est la valeur d'échange ou d'usage
de l'information qui compte. Or, celle-ci n'est pas nécessairement
proportionnée à son importance (une loi, quel que soit son
impact, peut être diffusée quasi-gratuitement) et dépend
davantage de sa facilité d'interprétation. Car si le sens d'une
information brute peut parfois être immédiatement saisi, ce n'est
pas toujours le cas.
Les informations peuvent être structurées à
différents niveaux. Elles sont susceptibles, tout d'abord, d'être
regroupées dans des bases de données (où elles sont
accessibles en fonction des relations existant entre elles ou par rapport
à leur objet). Quand elles constituent des connaissances (cas de
données validées et scientifiquement ou culturellement
intéressantes), elles peuvent être rassemblées en savoir
(s'il est vrai qu'un savoir est un ensemble organisé de connaissances).
L'information apparaît ainsi comme un
minerai de base
,
destiné soit à être utilisé à l'état
brut (de la façon dont le charbon chauffe le poêle), soit à
subir plusieurs degrés de transformation (comme le fer dans l'industrie
sidérurgique).
La valorisation de l'information, quand celle-ci ne se suffit pas à
elle-même, fait appel par conséquent au
savoir
qui en fait
une
connaissance.
Pour être plus précis, les
connaissances
auxquelles on ajoute une
expérience
professionnelle, un savoir-faire, permettent d'acquérir une
capacité d'
expertise
.
Enfin, la
somme des expertises
constitue la
sagesse
des
industries et des nations.
C'est ce qui devient, en fin de compte, avec le temps, une
culture
,
après un long processus de maturation, d'imprégnation des esprits
et de diffusion collective.
Pour illustrer cette gradation, on peut prendre l'exemple d'une
dépêche A.F.P. rendant compte d'un événement dont
l'interprétation n'est pas à la portée de tout le monde :
une découverte scientifique, une disposition fiscale complexe mais
importante par ses effets, insérée dans un texte
" fourre-tout
"
voté, à la sauvette, en fin de session, à une heure
avancée de la nuit.
Pour mesurer la portée de la découverte ou de la mesure fiscale,
le texte - laconique ou abscons - de la dépêche initiale de
l'agence de presse ne suffit pas. Il faut faire appel à une source de
savoir (une encyclopédie ou un précis fiscal). Mais cela risque
même de n'être pas suffisant.
Seul un expert, autrement dit quelqu'un dont l'expérience lui permet de
maîtriser les connaissances concernées, pourra, en
définitive, permettre d'interpréter la nouvelle.
Aussi, la richesse d'un organe d'information vient-elle bien davantage de ses
capacités éditoriales ou de ses aptitudes à
l'interprétation et au commentaire, en un mot de son savoir, que des
moyens dont il dispose pour recueillir des données.
Ce n'est pas le téléscripteur qui donne de la valeur
ajoutée à l'information mais l'
expérience
professionnelle du journaliste.
Les choses se complexifient encore avec les professions qui manipulent des
données sur les données. Les banques ou les consultants
financiers élaborent, par exemple, des indices composites ou croisent
des données déjà établies à partir de
chiffres bruts recueillis ailleurs (statistiques diverses, économiques,
boursières, etc...). Ils procèdent ainsi à des
extrapolations, effectuent des synthèses ou mettent en évidence
des corrélations qui n'ont plus qu'un lointain rapport avec les
informations de base. C'est ce qu'Alvin TOFFLER appelle
" les meta
données "
maniées au sein d'une économie devenue
"
supersymbolique ".
Le savoir est, selon lui, une richesse faite de symboles (au sens de
représentation du réel et non de produit de l'imaginaire). Et,
sur ce plan, les travailleurs sont d'ores et déjà plus nombreux
à manier des symboles que des choses.
De la même façon que les statistiques, les images peuvent
être, au moyen des techniques numériques, manipulées,
assemblées, modifiées, superposées, recomposées,
travaillées. Mais, il en va des
" meta données "
comme des
données elles-mêmes. Elles rajoutent seulement des degrés
dans l'échelle de l'expertise qui demeure indispensable à la
maîtrise de connaissances, elles-mêmes acquises à partir de
la transformation, grâce au savoir, d'informations de base.
De plus, les connaissances et l'expertise peuvent s'exporter, notamment par
l'émigration - mais pas la sagesse.
Quant à elle, l'importation se fait avec une difficulté
croissante. En effet, il est plus difficile de soutirer de l'extérieur
des connaissances que de l'information. C'est encore moins évident pour
l'expertise, et cela devient presque impossible pour la sagesse.
Or, la France et l'Europe possèdent un grand capital de connaissances et
d'expertises.
Certes, on s'aperçoit qu'il faut de moins en moins de temps aux nouveaux
pays industriels pour rattraper notre niveau de
connaissance
sur le plan
technique, mais cela s'avère déjà plus difficile en ce qui
concerne la recherche fondamentale qui repose sur une expérience acquise
sur le long terme (le Japon a du mal, par exemple, à rejoindre le niveau
des pays occidentaux dans ce domaine).
L'expertise
peut certes s'importer, par l'immigration, mais de
façon encore plus malaisée : les savoir-faire sont de plus en
plus possédés non par des individus seuls, mais par des
équipes et l'expérience est toujours quelque chose de difficile
à communiquer.
Pour prendre une comparaison, de nombreux pays, dont les Etats-Unis, ont pu
facilement transplanter nos cépages et faire pousser chez eux de la
vigne. Mais il leur a fallu beaucoup plus longtemps pour maîtriser un
processus complexe comme la vinification.
A l'inverse, on peut penser que nous éprouverions de grandes
difficultés pour, non pas concevoir (nous possédons sans doute
les connaissances nécessaires), mais maîtriser, dans son ensemble,
le processus de fabrication des microprocesseurs (dont les Américains,
on le sait, ont le monopole).
Pourtant, les Japonais, sont passés maîtres, il est vrai depuis
longtemps, dans l'art de l'imitation qu'il ne faut pas confondre avec
l'expertise. Ils ont ainsi réussi à copier notre savoir-faire
artisanal séculaire dans la fabrication d'instruments de musique, pour
l'industrialiser et nous évincer de certains marchés, comme
celui, par exemple, des flûtes traversières ou des pianos (pour
lesquels il n'existe plus de fabricants français, même si d'autres
fabricants, européens ou américains, ont survécu). La
lutherie, moins facilement industrialisable, a mieux résisté.
Les ébénistes français, aujourd'hui encore, sont
très prisés aux Etats-Unis en raison de leur niveau d'expertise.
Et des visas d'entrée sont automatiquement accordés à ceux
qui désirent émigrer.
La sagesse, qui repose sur la somme des expertises, est la chance de l'Europe,
car il est pratiquement impossible de la copier ou de se l'approprier.
Nul hasard, dans ces conditions, si les découvreurs du virus du Sida
appartenaient à l'Institut Pasteur, dépositaire de
l'héritage du grand savant français, qu'ils ont su faire
fructifier.
Le niveau des écoles d'ingénieurs, des laboratoires et des
universités de l'Europe n'a rien à envier à celui des
Américains (même s'il manque à la France des grands
pôles de recherche technologique comme le MIT ...).
Mais ce que l'avènement de la société de l'information met
en cause, ce n'est pas seulement notre niveau de connaissances et d'expertises
mais davantage notre façon de les exploiter
en réseau
et
de faire circuler les informations de base.
Or, sur ce plan, la France accuse un très net retard.
Selon Mme ROZENHOLC, de la DATAR , que j'ai auditionnée, notre pays ne
sait pas valoriser ses atouts sur les réseaux internationaux. Ce sont,
m'a-t-elle affirmé, des Singapouriens qui vendent à la Chine
notre expertise en matière d'urbanisme, qu'ils nous ont
subtilisée. De même, parce qu'on ne leur en a pas donné la
possibilité en France, des médecins français sont devenus
consultants de réseaux américains. Ils passent par les
infrastructures du MIT pour soigner à distance des clients au
Koweït. Nos élites administratives ne semblent pas avoir encore
compris, regrette-t-elle, que l'on peut vendre autre chose que des ponts ou des
routes, par exemple de l'expertise, en recourant aux réseaux. Elles ne
paraissent pas davantage être capables d'imaginer, selon elle, que la
santé, ce n'est pas seulement des matériels et des
équipements mais aussi des services comme le diagnostic à
distance.
" Où sont nos téléservices de santé ? "
s'est-elle interrogée devant moi.
Mais il ne s'agit pas, comme me l'a fait remarquer Michel SERRES, de relier des
châteaux-forts ou de connecter entre elles des citadelles de la
connaissance. Les réseaux qu'il faut mettre en place sont des
réseaux de
circulation
et de
partage
du savoir.