C) DE LA NOUVEAUTÉ DES TECHNIQUES À LA MODERNITÉ DES USAGES

Ces évolutions qualitatives découlent en partie des caractéristiques matérielles même du livre. Mais elles résultent également de l'impact des idées de l'époque concernant ses usages.

Autrement dit, il y a donc tout à la fois une influence du livre sur l'élaboration des idées et des idées sur l'utilisation du livre.

Incidence, tout d'abord, des particularités matérielles de ce support : son caractère portable en fait un objet personnel, contribuant à développer l'individualisme et à créer une complicité particulière entre le lecteur et des auteurs jusqu'alors souvent anonymes ou associés.

Du fait qu'il est virtuellement reproductible à l'infini, le livre n'échappe pas, ensuite, à une relative banalisation, qui favorise par contrecoup une certaine désacralisation de son contenu et qui favorise, par conséquent, l'oeuvre de laïcisation vers laquelle tend, de son côté, l'humanisme.

Mais l'imprimerie permet également une diversification des tirages, qui crée des exigences intellectuelles, autant qu'elle permet de satisfaire celles qui lui préexistent (ainsi de l'accès aux versions originales, dépouillées de tout commentaire, ou de la lecture d'auteurs oubliés ou contemporains).

Enfin, parce qu'il est le produit d'un ensemble de techniques nouvelles, le livre suscite une curiosité des lecteurs pour tout ce qui concerne les questions techniques, voire technologiques, encourageant de ce fait les approches empiriques et utilitaristes.

Mais autant que ses caractéristiques matérielles et techniques, les courants de pensée de l'époque influent sur l'utilisation du livre, et cela d'autant plus que l'éveil et l'avidité intellectuels des lecteurs, comme leur niveau d'exigence, sont très développés.

Ainsi font-ils du livre, tout à la fois :

-- un vecteur de communication, orienté vers la propagation des idées et au service des échanges intellectuels ;

-- un outil pédagogique, propice à la diffusion du savoir (parmi les plus gros tirages de l'époque, on compte en effet nombre d'ouvrages didactiques : compilations médiévales, grammaires grecque et latine, traités de mnémotechnie, etc.) ;

-- un amplificateur culturel, qui accroît les connaissances disponibles et facilite, en même temps que leur diffusion, leur conservation ;

-- un agent d'émancipation, enfin, par rapport au discours de la scolastique, contribuant à dissocier la foi de la raison, à affaiblir l'emprise linguistique du latin sur les langues nationales, et à substituer à une approche théologique des connaissances une nouvelle anthropologie fondée sur les valeurs humanistes.

De l'ensemble des conséquences qui en résulte, il est impossible de faire la synthèse exhaustive.

On retiendra cependant que se développent alors : l'esprit critique, l'usage d'une rationalité davantage empirique, ainsi qu'un lien nouveau établi entre le goût de l'autonomie, d'une part, et l'aspiration à la liberté individuelle, de l'autre -- lien inédit qui s'ébauche au moment où se déclenchent certains mouvements collectifs de grande ampleur aboutissant à la constitution de nouvelles religions et à la redéfinition des États-nations.

Ne peut-on aller jusqu'à dire que ces évolutions annoncent la philosophie des Lumières et la remise en cause généralisée des absolutismes politiques ?