IV. DE PROFONDES CONSEQUENCES
Les effets de l'imprimerie sont considérables, multiples et complexes, qu'on les étudie à court ou à long terme ; qu'on se place sur le plan culturel ou religieux, social ou politique, voire politique ou économique.
A) HUMANISME ET DIFFUSION DU SAVOIR
Les conséquences les plus évidentes parmi celles
induites par les nouvelles techniques tiennent à leur pouvoir
d'amplification, de diffusion et de propagation de l'écrit, et cela dans
une civilisation médiévale, encore fortement
imprégnée de traditions orales.
À court terme, il va en résulter une diversification
considérable des documents et des ouvrages à la disposition des
lettrés.
À plus long terme, l'alphabétisation va contribuer à
faciliter l'accès de tous -- du moins d'un nombre croissant -- à
l'information et au savoir.
Sur un plan technique, la typographie modifie aussi en profondeur le rapport du
lecteur à la chose écrite. De sorte que le travail intellectuel,
tout comme la relation nouée entre l'auteur et le lecteur, vont s'en
trouver radicalement transformés.
On assiste donc à l'accélération, à
l'intensification et à l'extension de la pénétration de
l'écrit dans la société, à commencer par la
sphère restreinte des lettrés.
Si des données suffisamment fiables et complètes nous manquent,
qui permettraient d'évaluer la proportion de la population sachant lire
au moment de l'apparition de l'imprimerie, il est cependant évident que,
dès cette époque, une demande importante d'ouvrages se
manifeste..
Certains perfectionnements techniques permettent d'accélérer la
cadence des copistes, et les manuscrits les plus recherchés (livres
d'heures ou de piété, ouvrages d'enseignements
élémentaires, etc.) sont recopiés par centaines dans
certains ateliers.
Dans le même temps, les étudiants, qui constituent avec les clercs
et les enseignants la majorité des liseurs, se comptent par milliers
dans des universités comme celle de Paris ou celle de Cologne. Plus tard
s'y adjoindront les gens de robe, dont les bibliothèques, à
partir de la seconde moitié du XVI
e
siècle,
deviendront plus nombreuses que celles des ecclésiastiques.
Ainsi, les tirages qu'atteignent relativement vite les ouvrages imprimés
(20 millions d'exemplaires à la fin du XV
e
siècle
; 150 à 200 millions au XVI
e
siècle)
témoignent d'un appétit de lecture et d'une avidité
intellectuelle incontestables.
D'autre part, l'alphabétisation -- très inégale, comme on
le verra plus loin, entre les pays catholiques du Sud et les pays
réformés du Nord -- ne fera qu'accentuer cette demande et,
partant, l'influence du livre.
Bref, comme le remarquent Febvre et Martin, il est indéniable que la
découverte de l'imprimerie peut d'emblée être tenue
"
pour une étape vers l'apparition d'une civilisation de masse et de
standardisation
", même si, au premier abord,
" la culture du
temps ou plus précisément son orientation n'en paraît
guère changée
". Si bien qu'
" à l'origine, les
contemporains de Gutenberg purent peut-être ne voir dans la reproduction
mécanique des textes, qu'une innovation technique commode, utile surtout
pour la multiplication des textes les plus courants
".
"
Mais bientôt, poursuivent les mêmes auteurs, se
révélèrent les possibilités qu'offrait le nouveau
procédé et ses effets bouleversants. Car, très vite,
l'imprimerie rendant les textes plus largement accessibles, leur assura une
force de pénétration bien plus puissante que celle des
manuscrits
".
Force de pénétration, donc, liée à un effet
démultiplicateur qui va bénéficier au courant humaniste,
certes antérieur à l'imprimerie, mais dont il devient, en quelque
sorte, inséparable.
Pour être plus précis, le triomphe de l'esprit humaniste, à
l'évidence indissociable de celui de l'imprimerie, se manifeste par la
quantité croissante de textes antiques publiés, qui
s'insèrent dans une production totale explosant littéralement au
XVI
e
siècle.
Aux effets de la diffusion croissante des auteurs classiques latins, fort
prisés au XV
e
siècle, vont s'ajouter, au siècle
suivant, ceux de la redécouverte d'auteurs moins connus, bientôt
suivie par la vogue de l'hellénisme suscitée par les citations,
en langue grecque, de certains auteurs latins, ainsi que par les contacts avec
la Grèce. Des traductions en langue vulgaire se multiplient, tandis que
certains ouvrages contemporains rencontrent une très large audience
(Rabelais, bien entendu, Budé mais aussi Érasme, dont les Adages
et les Colloques sont tirés, avant leur mise à l'index, à
des centaines de milliers d'exemplaires).
En d'autres termes, ainsi que l'écrivent Breton et Proulx, "
le livre
qui avait servi jusque là à diffuser la culture
médiévale allait devenir l'outil privilégié d'une
redécouverte de l'Antiquité
".