N°
170
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1997-1998
Annexe au procès verbal de la séance du 11 décembre 1997.
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la délégation du Sénat pour l'Union
européenne (1),
sur
le système ferroviaire japonais
Par M. Nicolas ABOUT,
Sénateur.
(1) Cette délégation est composée de : MM. Jacques Genton, président ; James Bordas, Michel Caldaguès, Claude Estier, Pierre Fauchon, vice-présidents ; Nicolas About, Jacques Habert, Emmanuel Hamel, Paul Loridant, secrétaires ; MM. Robert Badinter, Denis Badré, Michel Barnier, Mme Danielle Bidard-Reydet, M. Gérard Delfau, Mme Marie-Madeleine Dieulangard, MM. Michel Dreyfus-Schmidt, Ambroise Dupont, Jean-Paul Emorine, Philippe François, Jean François-Poncet, Yann Gaillard, Pierre Lagourgue, Christian de La Malène, Lucien Lanier, Paul Masson, Daniel Millaud, Georges Othily, Jacques Oudin, Mme Danièle Pourtaud, MM. Louis-Ferdinand de Rocca Serra, Jacques Rocca Serra, André Rouvière, René Trégouët, Marcel Vidal, Robert-Paul Vigouroux, Xavier de Villepin.
Union européenne - Transport ferroviaire - Politique commune des transports - Politique de la concurrence - Rapports d'information.
INTRODUCTION
Tous les
secteurs de l'économie caractérisés par l'existence de
missions de service public connaissent actuellement des mutations importantes,
souvent caractérisées par l'introduction d'une concurrence
accrue. Chacun de ces secteurs a ses particularités, mais tous sont
encore appelés à évoluer.
Jusqu'à présent, le secteur ferroviaire est resté
relativement à l'écart de ce mouvement. En 1991, les institutions
communautaires ont adopté une directive introduisant une concurrence
très limitée, invitant au désendettement des entreprises
ferroviaires et imposant une séparation des comptes d'exploitation et
d'infrastructures. Depuis lors, de nouvelles réflexions ont
été conduites, sans qu'elles débouchent toutefois sur des
textes normatifs.
Plusieurs pays dans le monde ont mené au cours des dernières
années des réformes radicales de leurs systèmes
ferroviaires. Ces expériences peuvent contribuer à alimenter la
réflexion et à dégager des solutions adaptées pour
l'avenir du transport ferroviaire européen. Parmi ces réformes,
celle conduite au Japon présente un intérêt particulier
dans la mesure où elle a été mise en oeuvre il y a dix
ans. Il est donc d'ores et déjà possible d'en tirer des
enseignements utiles.
Je me suis donc rendu dans ce pays en novembre dernier, en compagnie de M.
Jean-Claude Lefort, député, rapporteur de la
Délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union
européenne. Nous avons pu rencontrer l'ensemble des acteurs du transport
ferroviaire japonais.
Assurément, tout ne peut être comparé. Le Japon est un
archipel sur lequel ne se posent pas les problèmes de circulation des
trains à travers plusieurs réseaux nationaux. Les
opportunités offertes par un tel territoire au transport de marchandises
par train sont naturellement limitées. Le Japon est également
caractérisé par une très forte concentration de la
population dans les zones urbaines, de sorte que les transports en commun
jouent un rôle irremplaçable dans les grandes métropoles. A
titre d'exemple, aux heures de pointe sur la ligne Keihin-Tohoku à
Tokyo, 24 trains par heure se succèdent à intervalles de 2 mn 30
et ont à ces heures une charge de 250 %. Le Japon présente
également la particularité de faire aujourd'hui coexister
quelques grandes sociétés d'exploitation et des dizaines de
réseaux privés, dont l'existence remonte parfois à
plusieurs décennies. On pourrait ainsi multiplier les
éléments qui rendent la comparaison peu aisée.
Néanmoins, l'exemple japonais demeure très intéressant
pour le continent européen, ne serait-ce que par l'importance du trafic
ferroviaire dans ce pays. Ainsi, la société East JR, plus
important opérateur ferroviaire japonais, transporte plus de voyageurs
que la SNCF et la Deutsche Bahn réunies. Le Japon constitue une
référence pour les zones caractérisées par une
forte densité de population et les choix effectués par ce pays
sont susceptibles d'éclairer les réflexions conduites en
Europe.
I. UNE REFORME RADICALE
A. UNE SITUATION PROFONDEMENT DEGRADEE AVANT LA REFORME
La
première caractéristique marquante de la réforme du
système ferroviaire japonais est que celle-ci n'a été
entreprise que lorsque la dégradation du système en vigueur a
atteint un niveau tel qu'il n'était plus possible de faire
autrement
. L'entreprise publique nationale JNR (Japan National Railways) a
été créée en 1949. Dans un premier temps, elle a
profité de l'expansion de l'économie japonaise qui a conduit
à un accroissement du trafic de passagers entre le milieu des
années 1950 et le milieu des années 1970. La situation de
l'entreprise s'est cependant dégradée dès avant la fin de
cette période puisque le premier déficit d'exploitation est
apparu en 1964.
Il est intéressant de constater que ce premier déficit
d'exploitation a coïncidé avec la mise en service du premier
Shinkansen (train à grande vitesse) entre Tokyo et Osaka. Contrairement
à la situation qui prévaut en France, le Japon est un pays
à écartement de voie dit " métrique ". Dans ces
conditions, les Shinkansen, pour lesquels des voies spéciales sont
construites, ne peuvent emprunter les voies traditionnelles, même
à vitesse réduite, pour prolonger certaines liaisons.
L'élargissement des voies est donc systématiquement indispensable
pour la circulation des Shinkansen, ce qui représente des
investissements très coûteux.
Face à la dégradation de la situation de l'entreprise, les
responsables du réseau tentèrent de mettre en oeuvre des mesures
de redressement, non sans succès. Dans ces conditions, les tarifs
augmentèrent régulièrement pour limiter l'ampleur des
déficits. La dégradation de la situation de l'entreprise publique
s'explique notamment par le poids de l'Etat dans la gestion de l'entreprise,
par la réalisation d'investissements dictés par des
considérations plus politiques qu'économiques, enfin par
l'existence de relations sociales très détériorées
au sein de l'entreprise.
Les négociations avec les syndicats étaient menées
directement par le Gouvernement. Les syndicats détenaient alors des
pouvoirs considérables, leur accord étant indispensable pour les
changements de postes de personnel ou pour la mise en service de trains
supplémentaires. De grandes grèves périodiques ponctuaient
la vie du groupe JNR.
Il apparut progressivement qu'une réforme de grande ampleur serait
nécessaire pour donner au transport ferroviaire les moyens d'un
renouveau. En 1981, une commission ad hoc fut mise en place pour
réfléchir à la question de la réforme des JNR.
Elle conclut à l'impossibilité d'améliorer la gestion des
JNR à partir de la structure existante. Elle estima en particulier que
le gigantisme de l'entreprise était l'une des raisons essentielles de la
détérioration des relations entre direction et employés. A
la suite du rapport de cette Commission ad hoc, une commission de
réforme fut créée et formula les propositions qui
conduisirent à la réforme de 1987.
Il convient de noter que, pendant les dernières années
d'existence des JNR, la situation de l'entreprise ferroviaire se
détériora à tel point que la population prit clairement
parti contre l'entreprise et ses salariés. Les représentants des
syndicats que j'ai rencontrés gardent un souvenir très amer de
cette période, estimant que la population a été
montée contre les cheminots.
Ce rappel historique n'est pas sans intérêt pour les pays de
l'Union européenne. Attendre la dégradation complète d'une
situation pour entreprendre des réformes n'est pas la meilleure
manière de faire celles-ci dans la sérénité. Le
Japon, à cet égard, est un mauvais exemple, comme l'ont
noté certains de nos interlocuteurs.