2. Séance du mercredi 6 novembre 1996
La délégation a procédé à
un échange de vues sur les propositions d'actes communautaires
E 719 et E 720 relatives à la mise en place de l'euro (cadre
juridique, pacte de stabilité, nouveau mécanisme de change).
M. Xavier de Villepin
a tout d'abord rappelé le calendrier
d'examen des propositions d'actes communautaires qui ont été
transmises au Sénat le 23 octobre 1996 dans le cadre de l'article
88 alinéa 4 de la Constitution.
Ces propositions devraient faire l'objet d'un accord politique lors du Conseil
européen des Chefs d'Etat et de Gouvernement qui se réunira
à Dublin les 13 et 14 décembre prochain. Le Conseil des ministres
de l'économie et des finances examinera le 11 novembre 1996 la
communication de la Commission sur le nouveau système de change. Le
Conseil des ministres des finances examinera le 2 décembre les
propositions de règlement sur le statut de l'euro et sur le pacte de
stabilité financière, étant entendu qu'un des deux
règlements concernant l'euro (celui basé sur l'article 109 L
§4) ne pourra être formellement adopté par le Conseil
qu'à partir du moment où seront connus, en 1998, le nom des Etats
faisant partie de la monnaie unique.
M. Xavier de Villepin
a ensuite souligné que, à l'occasion
de la présentation de ces textes devant la délégation le
29 octobre 1996, il avait constaté que l'ensemble des intervenants
estimaient qu'il ne serait pas compréhensible que le Sénat ne se
prononce pas dans le cadre des dispositions de l'article 88 alinéa 4 de
la Constitution, en raison même de l'importance de la question
abordée et des différentes appréciations qui sont apparues
au cours de cette réunion.
Précisant qu'il rejoignait ainsi la position que M. Alain Lamassoure
avait défendue plusieurs fois devant le Sénat lorsqu'il
était ministre des affaires européennes,
M. Xavier de
Villepin
a indiqué qu'il souhaitait que le Sénat ait un
débat en séance publique sur ce sujet. Pour qu'un tel
débat puisse avoir lieu, a-t-il ajouté, il faut que la
procédure prévue s'engage rapidement. Il a alors fait savoir
qu'il avait préparé, à titre personnel, une proposition de
résolution destinée à être transmise, pour examen,
à la commission des finances. Des amendements pourront y être
apportés. Un débat pourra alors s'engager en séance
publique si la Conférence des présidents décide
l'inscription à l'ordre du jour du Sénat de la proposition de
résolution.
M. Xavier de Villepin
a ensuite jugé souhaitable que les
sénateurs disposent des informations nécessaires pour que chacun
puisse se forger sa propre opinion. A cette fin, il a proposé de
préparer, au nom de la délégation, un rapport
d'information qui ne se prononcerait pas sur les textes communautaires qui sont
soumis pour examen par le Parlement, mais se bornerait à rassembler -
aussi objectivement que possible - les éléments d'information
permettant d'éclairer ces textes difficiles.
M. Robert Badinter
a tenu à attirer l'attention du rapporteur sur
un problème juridique, à ses yeux, important et méconnu,
à savoir celui de la dénomination de la monnaie unique sous le
vocable de " euro ". Il a rappelé que le traité sur
l'Union européenne, signé à Maastricht avait fixé,
le nom de cette monnaie : l'écu. Elle est distincte de la question de la
définition de la monnaie. Cette dénomination est contenue dans
plusieurs articles du traité. Par exemple l'article 109 F point 3
précise que, en vue de préparer la troisième phase,
l'Institut monétaire européen (IME) " supervise la
préparation technique des billets de banque libellés en
écus ". Il a insisté sur le fait que, à partir du
moment où le traité précise qu'il s'agit de billets
" libellés en écus ", le traité de Maastricht a
manifestement choisi l'écu comme nom de la monnaie unique. Il a encore
ajouté que le fait que l'article 109 G indique que " la composition
en monnaies du panier de l'écu reste inchangé ", signifie
que la valeur de la monnaie unique correspond à la pondération
actuelle de l'écu. Il s'est demandé si le changement de
dénomination, invoqué pour des motifs culturels en Allemagne, ne
risquerait pas d'avoir des conséquences juridiques importantes à
l'égard des dispositions du Traité. Il s'est en particulier
demandé si, à l'occasion du changement de nom
décidé de manière politique par le Conseil européen
de Madrid, les négociateurs avaient pensé aux effets de ce
changement de nom sur l'équilibre juridique contenu dans le
traité et si le droit dérivé, qui est maintenant
proposé, était compatible avec le droit originel des
traités.
Insistant sur son adhésion au principe de la monnaie unique,
M. Robert Badinter
a cependant expliqué que l'écu est
un nom qui est maintenant parfaitement connu des marchés internationaux
de capitaux. De son point de vue, ce nom, qui a été fixé
par le traité, ne peut être changé par le Conseil des
ministres qui n'a pas la compétence suffisante. Seul un autre
traité pourrait permettre ce changement de dénomination. Il
conviendrait donc de profiter de l'actuelle conférence
intergouvernementale pour procéder à ce changement de nom. Ce
problème essentiel est très précisément posé
par l'article 2 de la proposition de règlement du Conseil concernant
l'introduction de l'euro, qui stipule que " la monnaie des Etats
membres
participants est l'euro ".
M. Christian de La Malène
, exprimant son accord avec les propos
tenus par M. Robert Badinter, a déclaré que, si le Conseil
voulait changer le nom de la monnaie unique, il devait alors procéder
dans le cadre d'un traité international soumis à ratification. Il
s'est en outre étonné à nouveau du recours à des
propositions de règlement du Conseil pour la mise en place à la
fois d'un pacte de stabilité budgétaire en Europe et pour la
définition du statut juridique de l'euro. Il s'est encore
interrogé sur l'éventuelle compatibilité de ces textes, en
particulier dans leur dispositif budgétaire et fiscal, avec la
Constitution.
M. Denis Badré
a évoqué la question des sanctions
prévues par le pacte de stabilité budgétaire. Il s'est
demandé s'il était possible d'imaginer que les sanctions
financières qui pourront être infligées aux Etats seuls
participants à l'euro, soit versé au budget communautaire, qui,
lui, bénéficie aux Quinze Etats, y compris à ceux des
Etats qui ne seront pas soumis à la discipline budgétaire de la
zone euro. Le précédent ainsi constitué lui a
semblé dangereux pour la poursuite de la construction européenne
dans la mesure où on pénaliserait financièrement les Etats
qui veulent aller plus vite et plus loin dans des coopérations
renforcées au profit d'autres Etats qui ne participeraient pas à
ces coopérations.
M. Xavier de Villepin
, tout en confirmant l'analyse de M. Denis
Badré, a indiqué que les pays qui seront en dehors de l'euro ne
pourraient être seulement des observateurs critiques car l'objectif du
dispositif proposé est de créer une cohésion d'ensemble
dans les Quinze pays européens.
A la demande de M. Jacques Genton,
M. Robert Badinter
a accepté
d'étudier de manière plus approfondie la question posée
par le changement de nom de la monnaie unique en vue de la prochaine
réunion de la délégation.
M. Jacques Genton
a alors indiqué qu'il résultait de
l'échange de vues :
- d'une part que le rapporteur allait déposer à titre personnel
une proposition de résolution afin que la procédure de l'article
88-4 puisse s'engager sans tarder, proposition de résolution qui
intégrerait notamment les questions soulevées par MM. Robert
Badinter et Denis Badré ;
- d'autre part que la délégation publierait un rapport
d'information rassemblant les éléments d'information objectifs
disponibles sur ce sujet.
Enfin, la délégation a chargé son président de
demander l'inscription en séance publique de la proposition de
résolution déposée par M. Xavier de Villepin sur les
propositions d'actes communautaires E 719 et E 720.