2. Allocution de M. Jean François-Poncet,
Président de la
Commission des Affaires économiques du Sénat
M. Jean-François-Poncet
.- Monsieur le
Président du Sénat, Messieurs les Ambassadeurs, Messieurs les
Parlementaires, Mesdames et Messieurs, mes premiers mots seront pour remercier
le Président Monory de l'impulsion qu'il donne, depuis qu'il est
Président, à la modernisation et à l'évolution du
Sénat, et des initiatives qu'il prend de mettre la Haute
Assemblée en rapport avec la société civile, et tout
particulièrement avec les entreprises françaises.
Je le remercie aussi de sa présence. Comme vous le savez, la session
parlementaire est terminée, et il a bien voulu revenir
spécialement de son département pour être parmi nous
aujourd'hui.
Enfin, et ce n'est pas la moindre des choses, je le remercie de son
hospitalité, puisque tout à l'heure, comme vous le savez, vous
êtes invités à déjeuner dans les salons de la
présidence du Sénat. Par conséquent, je dois au
Président du Sénat des remerciements et c'est par là que
je voulais commencer.
Je remercie aussi, bien entendu, les deux ambassadeurs sous l'autorité
tutélaire desquels nous siégons : Son Excellence l'Ambassadeur de
l'Inde et Son Excellence l'Ambassadeur de France en Inde. Ils sont l'un et
l'autre en poste depuis longtemps et ils connaissent admirablement les deux
pays. Or c'est bien des relations entre les deux pays qu'il s'agit.
Ayant dit cela, j'encourage tous ceux qui vont intervenir, à la fois de
cette tribune et de la salle, à s'exprimer librement. Il est bon que nos
deux ambassadeurs entendent un certain nombre de critiques constructives, de
façon à corriger le tir en tant que de besoin.
Si nous avons organisé ce colloque, comme le Président Monory
vient de le dire, c'est à partir d'une idée très simple :
faire partager aux dirigeants d'entreprises susceptibles de s'installer en
Inde, ou éventuellement déjà installés, les
conclusions qu'avec beaucoup de modestie, la Commission des affaires
économiques du Sénat tire de la mission d'étude qu'elle a
réalisée en Inde au mois de février de cette année,
une mission d'étude intense qui a duré quinze jours au cours
desquels nous avons à la fois visité les centres vitaux de
l'économie indienne et rencontré un très grand nombre de
ses responsables.
Nous en avions fait autant concernant la Chine voici deux ans et nous avions
obtenu un succès comparable à celui d'aujourd'hui. Je veux
remercier tous ceux qui ont répondu à notre appel pour
débattre avec nous de l'Inde, et je voudrais préciser tout de
suite que, comme pour la Chine, nous organisons ce colloque en liaison avec
l'association " Asie ", que préside mon ami Paul
Mentré. Cette association s'intéresse à la
stratégie économique, notamment dans ses orientations
internationales, en liaison avec le ministère de l'Industrie. C'est
à ce titre que l'une des tables rondes de cet après-midi sera
présidée par Paul Mentré, que je remercie d'apporter au
Sénat le bénéfice de ses attaches avec le secteur
privé.
Il y a donc eu la Chine hier. Il y a l'Inde, aujourd'hui. Le point de
départ est la même constatation que nous faisons tous et que le
monde entier fait partout : l'ascension économique de l'Asie qui
caractérise cette fin de siècle, c'est l'un des principaux
phénomènes que l'histoire retiendra de cette fin du XXème
siècle.
Or que constate-t-on en Asie ? On y observe un retard de la présence
française, non seulement par rapport à des pays comme les
Etats-Unis, l'Allemagne ou le Japon (je dirai qu'on y est habitué ou
préparé), mais même par rapport à des pays comme
l'Italie, qui sont plus actifs que nous.
Comme le disait le Président Monory, la France est probablement en train
de rattraper son retard en Chine, parce qu'il y a des effets de mode qui jouent
en faveur de la Chine. Il n'en va pas de même en Inde.
Je suis de près, l'évolution du commerce extérieur de la
France depuis l'époque où j'étais membre du gouvernement,
à la fin des années 70. C'était une période
où le commerce extérieur français était
principalement fondé sur de grands contrats publics arrachés aux
gouvernements, dans les pays arabes de préférence, mais aussi
dans un grand nombre d'autre pays qui se sont avérés par la suite
peu solvables.
A l'époque, l'objectif que le président M. Giscard d'Estaing
fixait à ses ministres, était d'opérer une reconversion
vers les pays occidentaux solvables. Or quand on regarde le commerce
extérieur français, aujourd'hui on s'aperçoit que ce
recentrage s'est effectué et notre commerce extérieur est
principalement orienté vers l'Europe, vers des pays où la
concurrence est dure, où l'appui des gouvernements ne compte
guère. Nous y avons marqué des points comme le montre
l'excédent très important de notre commerce extérieur.
Nous avons, en revanche, pris du retard dans nos échanges avec une
catégorie nouvelle de pays : les pays émergents, comme la Chine
ou l'Inde.
L'Inde est un pays sous-développé. C'est une évidence que
les médias et l'action humanitaire nous rappellent constamment. Quand on
pense à l'Inde en France, on pense à mère Theresa. Cette
image a tendance à oblitérer d'autres aspects de la
réalité indienne, et c'est évidemment sur ces aspects que
nous allons mettre l'accent, ce qui ne veut pas dire que la
réalité humanitaire est oubliée : elle existe et les
sénateurs l'ont touchée du doigt au cours de leur voyage. Il n'en
demeure pas moins que l'Inde est un des pays émergents, dont la
caractéristique principale est qu'ils affichent un taux de croissance
économique qui n'a rien à voir avec le nôtre.
Au cours de notre mission d'information, nous avons constamment eu à
l'esprit la comparaison avec la Chine. Vous trouverez de nombreuses
données permettant ce rapprochement dans le petit rapport que je me
permets de vous recommander. Après le petit livre vert, il y a le petit
livre rouge sans lequel vous aurez du mal à retrouver votre chemin dans
le labyrinthe indien. C'est un fil d'Ariane que je vous recommande de ne pas
lâcher !
Le taux de croissance indien ne se compare pas à celui de la
Chine : il est de l'ordre de 7 %, celui de la Chine dépasse 10 %.
Mais on aurait tort de s'arrêter à ce décalage. Songeons
à ce que représente pour un pays de plus de 900 millions
d'Indiens une croissance de 7 %, alors que les taux de croissance
européens se situent entre 1 et 2 %. L'Inde, c'est un immense
géant économique en train de s'éveiller, stimulé
par un certain nombre de données qui seront rappelées au cours de
ce colloque :
- le renversement de la politique économique depuis 1991 avec une
ouverture aux investissements étrangers ;
- l'abandon de la planification et de la réglementation que l'Inde de
Nehru avait mise en oeuvre ;
- une politique d'assainissement financier ;
- une inflation qui doit être de l'ordre de la moitié de
l'inflation chinoise ;
- une élite de grande valeur, une des plus distinguée du tiers
monde ;
- une classe moyenne qui émerge mais dont il n'est pas facile
d'évaluer l'importance. Certains disent 200 millions et d'autres
300 millions, d'autres 50 millions !
Nous aurons à nous pencher sur ces données et sur l'ampleur des
investissements étrangers qui commencent à affluer en Inde. On
est loin des chiffres chinois, mais le processus a commencé.
La croissance de l'économie indienne saute aux yeux. Mais cela nous
renvoie à une autre question dont nous aurons à débattre:
quelles perspectives de stabilité offre l'Inde aussi bien sur le plan
social que sur le plan politique ? Nos amis anglo-saxons parlent du
"
country risk "
, le " risque
pays ". C'est
essentiel.
Si on investit en Inde, ce n'est pas pour quelques années mais pour
plusieurs décennies. Il faut donc s'interroger. La société
indienne présente les caractéristiques tout à fait
particulières, avec son système des castes, avec sa structure
pluri-religieuse, qui débouche périodiquement sur des
affrontements, notamment, entre la communauté hindoue majoritaire et la
communauté islamique. La vie politique a, elle aussi, ses
spécificités. Elle est authentiquement démocratique avec
ses avantages et ses incertitudes. Les dernières élections ont
entraîné un renversement à la suite de l'échec du
Parti du Congrès, qui a gouverné l'Inde depuis
l'indépendance et qui, aujourd'hui, n'est plus représenté
au gouvernement : il soutient la cohalition actuelle mais n'en fait pas partie.
Autant d'interrogations auxquelles nous nous sommes efforcés de
répondre dans notre rapport. Je vous livre notre conclusion : on
aurait le plus grand tort de ne voir l'Inde qu'à travers les
affrontements, souvent sanglants qui, tous les cinq ou dix ans, font la une des
journaux. La plus grande démocratie du monde parvient, à travers
son système représentatif et grâce à l'esprit de
tolérance qu'il fait régner, à réconcilier des
contraires qui ailleurs -songeons à l'ex-Yougoslavie- se traduisent en
conflits dramatiques.
Nous ne pouvions pas ne pas penser, quand nous étions là-bas, aux
événements en Bosnie. S'il y avait dans les Balkans la même
tradition de tolérance qu'en Inde, les tragédies qui les ont
déchiré ne s'y seraient pas produites.
A long terme, la stabilité indienne pourrait l'emporter sur les tensions
qu'on perçoit en Chine, mais qu'un régime autoritaire
réprime temporairement.
En abordant ces questions, en analysant la situation politique de l'Inde, nous
aurons à nous interroger sur l'avenir de la politique de
libéralisation, sur le " consensus indien " qui nous a
beaucoup frappés. Nous avons naturellement rencontré les partis
d'opposition, qui ont aujourd'hui un pouvoir et qui nous ont convaincus qu'il
n'y avait pas de bouleversement à attendre. Un accord très
général existe sur l'accueil des capitaux étrangers, la
déréglementation, sur le fait que l'Inde de demain sera
amenée à miser de plus en plus sur les investissements
privés. C'est essentiel pour ceux qui songent à investir en Inde.
Un mot du déroulement de notre colloque. Après que les deux
ambassadeurs auront pris la parole, je leur ai recommandé d'être
brefs, je préférerais les voir intervenir dans le cours des
débats afin de " corriger le tir ". Nous entendrons ensuite
le
professeur Amado, à qui j'ai demandé de nous tracer l'image de la
société indienne qu'il connaît mieux que personne.
Francis Doré, Président de la Chambre de commerce et d'industrie
franco-indienne, traitera du thème des relations franco-indiennes. Il a
passé dix ans de sa vie comme conseiller culturel à l'ambassade
de France en Inde. Il est le témoin privilégié des
relations entre les deux pays.
Nous traiterons ensuite du développement économique et des
problèmes juridiques qu'il pose à ceux qui opèrent en
Inde. Il est, en effet, essentiel, pour une entreprise qui veut s'installer en
Inde, de savoir à quel type de difficultés juridiques elle
s'expose.
La matinée se terminera par une conclusion de Mme Christine Chauvet,
Directeur général du Centre français du commerce
extérieur, après avoir été ministre du Commerce
extérieur.
Je termine par une observation qui nous a frappés : le potentiel de
sympathie réciproque qui existe entre la France et l'Inde. Il existe,
nous a-t-il semblé, de nombreux points communs entre les cultures et les
civilisations des deux pays. Cela tient à l'importance de la
spiritualité en Inde. Il y a peut-être plus d'affinités
intellectuelles et morales entre la France et l'Inde, qu'entre la France et la
Chine. Il y a la démocratie, une presse pluraliste, qui ne se prive pas
de critiquer le gouvernement, des tribunaux qui n'hésitent pas à
mettre en accusation les membres du gouvernement ! Ce n'est pas évident
dans un pays du tiers monde. Il y a la même attention portée aux
problèmes du sous-développement dans le monde.
Ces affinités ne demandent qu'à s'inscrire dans la
réalité économique. Comment y parvenir ? C'est le
thème auquel nous allons consacrer nos délibérations de la
journée. Merci d'être venus, merci de votre attention. Je donne la
parole à Monsieur l'Ambassadeur de l'Inde en France.