EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mercredi 30 octobre,
sous la
présidence
de M. Christian Poncelet,
la commission des
finances
a examiné le rapport de M. Alain Lambert, rapporteur
général, sur les propositions du groupe de travail sur la
situation et les perspectives du système bancaire français.
Après avoir remercié ses collègues
membres du
groupe de travail
pour leur participation active aux travaux de cette
instance,
M. Alain Lambert, rapporteur général
, a
rappelé que le groupe de travail avait tenu vingt-cinq auditions depuis
sa création en janvier 1996, ce qui représentait environ une
soixantaine d'heures de travail. Il a également précisé
que le groupe de travail avait jugé utile de recueillir l'avis du
Conseil de la concurrence et du Commissariat général au plan dont
les contributions ont apporté un éclairage utile sur la situation
du secteur bancaire.
M. Alain Lambert, rapporteur général,
a également
rappelé la tenue, au printemps dernier, du colloque organisé par
M. Philippe Marini
sur la situation du secteur bancaire, qui a
permis de dégager d'utiles enseignements.
Il a ensuite présenté les principales conclusions du groupe de
travail.
M. Alain Lambert, rapporteur général,
a tout d'abord fait
part à la commission des observations qu'appelait la situation du
secteur bancaire.
A cet égard, il a indiqué que le système bancaire venait
de traverser une crise d'une ampleur sans précédent qui,
contrairement aux apparences, n'était pas achevée. L'ampleur de
cette crise peut être appréciée, a-t-il dit, aussi bien au
travers des indicateurs d'activité (bilans des établissements de
crédit), que des indicateurs de résultat (produit net bancaire,
résultat net, coefficient de rentabilité). En 1994, a-t-il
souligné, et pour la première fois depuis que les statistiques
bancaires existent, le produit net bancaire a diminué de 7,7 %. Cette
même année, a-t-il ajouté, le résultat net de
l'ensemble des banques accusait une perte de 11 milliards de francs. Il a
reconnu que la situation s'était améliorée depuis 1995,
les principaux établissements renouant avec les profits et que l'on
pourrait en déduire, d'une part, que le pire était
désormais passé et, d'autre part, que la crise était
conjoncturelle. Il a ajouté que, malheureusement, il n'en
était rien.
Il a indiqué qu'en effet, si l'on comparait les banques
françaises à leurs concurrents internationaux, la situation
demeurait au contraire très préoccupante. Selon lui, les
établissements de crédit français, en situation de
sous-rentabilité chronique, éprouvent des difficultés
à rivaliser avec leurs concurrents étrangers. Reprenant les
exemples fournis par le Commissariat général au plan, il a
indiqué qu'avec 3,8 milliards de dollars de profit net, la Hong
Kong and Shanghai Bank of China pouvait acheter avec moins de trois ans de
profit la Société générale, avec moins de deux ans
de profit, Paribas ou la BNP et, avec moins d'un an de profit, le Crédit
Lyonnais. Il a encore indiqué que la banque britannique Barclays, qui a
réalisé presque 2 milliards de dollars de profit en 1995,
soit l'équivalent de la totalité des bénéfices des
banques françaises cette même année, se trouvait dans une
"
situation stratégique potentielle équivalente
". Si
l'évolution se poursuit dans ce sens, a-t-il souligné, on peut
nourrir de vives inquiétudes quant à la capacité des
établissements français à faire face au choc concurrentiel
qui résultera de la mise en place de la monnaie unique.
M. Alain Lambert, rapporteur général,
a ensuite fait
observer que notre pays n'était pas le seul à avoir connu une
telle situation. Mais, il a ajouté que la France était le seul
pays dans lequel la crise bancaire ne s'était traduite ni par une
réduction du nombre des acteurs, ni par des licenciements significatifs,
ni même par une réduction des moyens mis en oeuvre par les
établissements de crédit.
A cet égard, il a fait observer que le nombre des banques commerciales
était passé entre 1984 et 1994, de 349 à 412, ce qui
représentait une augmentation de près de 20 % en dix ans,
que les effectifs étaient restés quasiment stables sur la
période, n'enregistrant qu'une faible baisse de 3 %, et que le nombre
des guichets était resté quasiment inchangé, avec une
diminution de seulement 1%.
M. Alain Lambert, rapporteur général,
a
indiqué que, par contraste, les ajustements avaient été
d'une grande ampleur et d'une grande rapidité dans les autres pays ayant
connu une crise bancaire. Il a fait observer que dans ces pays la crise
s'était traduite par des ajustements importants, tant en termes de
nombre d'établissements bancaires qu'en termes d'effectifs, que des
banques avaient été fermées ou vendues et que l'Etat avait
bien souvent dû mettre "
la main à la poche
". Dans tous les
cas, a-t-il dit, la crise a été surmontée rapidement et
les banques étrangères ont renoué avec les
bénéfices depuis déjà quelques années.
Enfin, il a encore constaté qu'en France, tous les
établissements de crédit n'ont pas traversé la crise de la
même manière et a observé que celle-ci s'était
accompagnée d'une importante redistribution des actifs et des parts de
marché entre les différents réseaux. Selon lui, les
banques commerciales ont en effet perdu du terrain, alors que les banques
mutualistes ou coopératives ont continué d'accumuler parts de
marché et bénéfices.
A l'issue de ce constat,
M. Alain Lambert, rapporteur
général,
a posé deux questions :
- pourquoi certains établissements bancaires ont-ils mieux
traversé la crise que d'autres ?
- pourquoi les systèmes bancaires qui ont également connu une
crise, dans la période récente, se sont-ils rétablis plus
rapidement que le système français ?
En réponse à ces deux questions, il a indiqué que
l'analyse effectuée par le groupe de travail montrait que la crise du
système bancaire français était essentiellement d'origine
structurelle et que les distorsions de concurrence, même si elles
n'avaient joué qu'un rôle macro-économique mineur, avaient
conduit à une redistribution sectorielle importante des parts de
marché qui expliquait, au moins en partie, la situation
contrastée de notre système bancaire.
Puis,
M. Alain Lambert, rapporteur général,
a
exposé les principales étapes du déroulement de la crise.
Il a expliqué que, dans une première étape, les
réformes des années 80 avaient libéré des
pressions concurrentielles d'une force et d'une ampleur sans
précédent.
A cet égard il a rappelé brièvement les réformes
et notamment, la banalisation, la désintermédiation et
l'internationalisation qui ont rythmé la déréglementation
du secteur bancaire.
Il a ensuite indiqué comment la concurrence s'était
manifestée sur trois fronts : interne entre les établissements de
crédit français, externe entre les établissements
français et les établissements étrangers, notamment
européens, et structurel, avec un recours sans cesse croissant au
financement par les marchés financiers.
Selon lui, cette augmentation de la pression concurrentielle sur trois fronts,
voire quatre, si l'on prend en compte l'importance du crédit
interentreprises, aurait dû provoquer l'enchaînement suivant :
l'augmentation de la concurrence aurait dû entraîner une baisse des
prix qui aurait dû s'accompagner d'une diminution des marges. Il aurait
dû s'ensuivre une réduction d'effectifs et la faillite des
concurrents les plus faibles. Le secteur se serait progressivement
restructuré par voie d'offres publiques d'achat ou de vente, de fusions
ou de reprises. Un nouveau cycle d'expansion avec des créations
d'emplois aurait pu enfin s'amorcer.
La crise du système bancaire, a-t-il indiqué, était donc
à redouter dès la mise en place des réformes ; il
s'agissait d'un phénomène naturel et prévisible tel que
l'avaient connu, par exemple, le secteur des télécommunications
ou celui des transports aériens aux Etats-Unis.
Pour
M. Alain Lambert, rapporteur général
, les
ajustements induits, en termes de réduction d'effectifs ou de
disparition des acteurs les plus faibles auraient pu intervenir de façon
relativement indolore grâce à la forte croissance de la fin des
années 1980. Mais, a-t-il fait observer, il n'en a rien
été et le processus décrit a été
enrayé au stade de la diminution des marges, en raison de blocages
d'ordre législatifs ou réglementaires.
Il a indiqué que le premier de ces blocages résidait dans le
mécanisme français de prévention des risques bancaires,
unique en son genre, qui repose presque exclusivement sur l'article 52 de la
loi bancaire et notamment son premier alinéa qui prévoit l'appel
en comblement de passif des actionnaires de référence. Ce
mécanisme, a-t-il dit, allié aux interventions
financières, aussi répétées que massives, de l'Etat
pour soutenir les banques en difficulté, s'est traduit par une certaine
forme d'immortalité bancaire. L'entrée dans le système,
a-t-il rajouté, était libre, alors que la sortie était
administrée au compte goutte ; il ne pouvait en résulter que
des surcapacités.
Il a indiqué que le second blocage résidait, notamment, dans la
réglementation de la durée du travail, issue du décret du
31 mars 1937, et dans celle relative à la tarification des
services. Ces réglementations ont introduit, selon lui, toutes sortes de
rigidités qui ont empêché les banques, à
défaut de pouvoir licencier, de s'ajuster, au moins, en faisant varier
la durée du travail ou le prix des services.
M. Alain Lambert, rapporteur général,
a ensuite
décrit la troisième étape : poussées par la
concurrence et dans l'impossibilité de procéder aux ajustements
nécessaires, les banques, a-t-il dit, ont commis des erreurs de gestion
et se sont lancées dans une concurrence destructrice, qui s'est
manifestée, notamment, par des ventes à perte.
Il a fait observer que les erreurs de gestion aussi bien
stratégiques -comme la banque industrie à la
française à laquelle toutes les banques ont rêvé-
que tactiques -comme l'aveuglement collectif sur l'immobilier- ont
affecté, selon lui, aussi bien les banques publiques que les banques
privées.
Enfin,
M. Alain Lambert, rapporteur général,
a fait
observer que, dans la dernière étape de ce processus, des
facteurs aggravants étaient intervenus qui ont
révélé l'ampleur de la crise.
Il a fait remarquer qu'en premier lieu, le retournement conjoncturel de 1993,
en augmentant le nombre de défaillances des PME, avait durement
affecté les banques intervenant dans ce secteur.
Il a ensuite indiqué que la politique monétaire n'avait pas
particulièrement contribué au redressement des banques :
avec une courbe des taux inversée, puis insuffisamment pentue, il a
été difficile à celles-ci de faire de la
"
transformation
", à l'instar de leurs consoeurs
américaines.
Enfin, il a fait remarquer que la fiscalité spécifique du
secteur bancaire, supportable en période d'expansion, s'était
révélée particulièrement pénalisante en
période de crise et ne contribuait pas au développement de
l'emploi dans ce secteur.
Abordant le sujet des distorsions de concurrence, qui constituent la seconde
partie de l'analyse du groupe de travail,
M. Alain Lambert, rapporteur
général,
a tenu à indiquer d'emblée que, selon
toute vraisemblance, ces distorsions n'expliquaient pas, à elles seules,
la mauvaise santé du secteur. En revanche, il a observé qu'elles
étaient réelles et avaient contribué à une
redistribution sectorielle qui, dans une situation difficile, les rendait
insupportables à ceux qui n'en bénéficiaient pas.
Selon lui, ces distorsions peuvent être rangées en trois
catégories : tout d'abord, celles liées au monopole de la
distribution de certains produits d'épargne ou de
dépôts : distribution des livrets d'épargne
défiscalisés, mais aussi collecte des dépôts des
notaires en milieu rural ; ensuite, celles liées à la nature
juridique des intervenants, ce qui renvoyait au problème du statut des
Caisses d'épargne et à celui de La Poste, et, enfin, celles
résultant de l'application discriminatoire de dispositions
législatives ou réglementaires. Il a rangé dans cette
dernière catégorie la fiscalité -application à
certaines institutions et pas à d'autres de telle ou telle taxe- et la
législation du travail, qui se traduit par un assujettissement des
banques commerciales au décret de 1937, alors que les autres
établissements de crédit n'y sont pas soumis.
Il a indiqué que, sur toutes ces questions, qui, a-t-il reconnu,
revêtent un fort contenu passionnel, le groupe de travail avait
jugé bon de recueillir l'avis de la l'institution, a priori la mieux
à même de dire le droit : le Conseil de la concurrence. Rapportant
les conclusions de cette institution, il a fait savoir à la commission
que, pour le Conseil de la concurrence, la majeure partie de ces distorsions
constituaient des "
restrictions injustifiées de concurrence
" et
seraient donc susceptibles de constituer des infractions au droit communautaire
ou national.
M. Alain Lambert, rapporteur général,
a ensuite
présenté les principaux axes de réforme
préconisés par le groupe de travail.
Il a indiqué qu'il convenait, tout d'abord, de mettre fin aux
rigidités et blocages de tous ordres. Dans cette perspective, il
conviendrait, en premier lieu, d'autoriser la tarification des chèques
et la rémunération des dépôts, tout en prenant des
mesures d'accompagnement en faveur des consommateurs, notamment les titulaires
de petits comptes. Il serait souhaitable également de clarifier le
coût des missions de service public liées à la tenue des
comptes bancaires. En second lieu, il a indiqué que le groupe de travail
recommandait d'abroger le décret du 31 mars 1937 et de le remplacer
par un régime conventionnel dont la négociation devrait se faire,
selon lui, au niveau de l'Association française des
établissements de crédits.
Toujours pour mettre fin aux blocages,
M. Alain Lambert, rapporteur
général,
a déclaré qu'il convenait de
réduire les coûts de la législation consumériste et,
notamment, de se pencher sur le cas particulier des remboursements
anticipés dont il serait souhaitable de modifier le calcul de
l'indemnité de remboursement, tout en prévoyant des mesures plus
favorables qu'aujourd'hui pour les emprunteurs contraints à de tels
remboursements.
Enfin,
M. Alain Lambert, rapporteur général,
a
indiqué qu'aux yeux du groupe de travail, il convenait de moderniser la
fiscalité bancaire et, notamment de réformer la taxe sur les
salaires de façon à en supprimer les effets nuisibles sur
l'emploi et d'abroger la contribution des institutions financières.
M. Alain Lambert, rapporteur général,
a ensuite
indiqué que le deuxième axe de réforme
préconisé par le groupe de travail consistait à harmoniser
les conditions d'exercice du métier bancaire.
A cet égard, il a déclaré qu'il serait souhaitable de
généraliser de façon directe et complète la
distribution des livrets défiscalisés, en réservant
toutefois les appellations "
livret A
" et "
livret
bleu
"
à leurs distributeurs actuels.
Cependant,
M. Alain Lambert, rapporteur général,
a
indiqué qu'il était indispensable de prendre des
précautions consistant, notamment, à définir une
échéance de cinq ans avant de réaliser la banalisation,
à envisager un commissionnement différencié selon les
réseaux et l'encours des livrets et enfin, à placer l'affectation
des ressources au logement social sous la protection du législateur.
Ces mesures supposent, a indiqué
M. Alain Lambert, rapporteur
général,
de redéfinir, au préalable, le
rôle et le statut des Caisses d'épargne et de La Poste.
A cette fin, il serait nécessaire, selon lui, d'autoriser les Caisses
d'épargne à offrir l'ensemble des services bancaires, et de
régler le problème de la propriété des Caisses
d'épargne en favorisant l'émergence d'un statut
coopératif. A ce sujet,
M. Alain Lambert, rapporteur
général,
a proposé de prévoir des
modalités de passage au statut coopératif qui intéressent
l'Etat et les collectivités locales. Il a rappelé la phrase du
ministre des finances en fonction à l'époque de la loi de 1990
selon laquelle "
les Caisses d'épargne appartiennent à la
Nation
". Il est temps, a-t-il conclu, d'en tirer les conséquences.
S'agissant de La Poste,
M. Alain Lambert, rapporteur
général,
a indiqué qu'il convenait de cantonner les
services financiers de cet établissement à leurs activités
actuelles sans toutefois les restreindre pour des raisons tenant à
l'aménagement du territoire. Il faudrait également, a-t-il dit,
identifier précisément les comptes respectifs des services du
courrier et des services financiers par une comptabilité analytique,
voire par une filialisation comme dans de nombreux Etats de l'Union
européenne. Par ailleurs, il a fait part du souhait du groupe de travail
de conduire progressivement la Poste vers une fiscalité de droit commun.
Enfin,
M. Alain Lambert, rapporteur général,
a
indiqué qu'il serait souhaitable de faire de La Poste un
établissement de place pour les activités qu'elle ne
réalise pas pour compte propre, telles que l'octroi de crédit.
Toujours afin d'harmoniser les conditions d'exercice du métier
bancaire,
M. Alain Lambert, rapporteur général,
a
indiqué que le groupe de travail avait considéré comme
opportun de soustraire le dépôt des notaires à la
concurrence et d'en confier la collecte au réseau du Trésor
(Trésor public, Poste, caisse des dépôts et consignations),
faute de pouvoir réunir des conditions de sécurité
satisfaisantes en cas de multiplication des dépositaires.
Enfin,
M. Alain Lambert, rapporteur général,
a
déclaré qu'il fallait également envisager de poursuivre la
banalisation des crédits réglementés. Il s'agirait en
particulier d'envisager la distribution universelle des derniers crédits
réglementés, tout en ménageant les transitions
nécessaires, en distinguant, par exemple, la commercialisation de la
gestion.
M. Alain Lambert, rapporteur général,
a ensuite
indiqué que le troisième et dernier axe de réforme retenu
par le groupe de travail consistait à changer la politique bancaire de
l'Etat. S'agissant du système de prévention des crises bancaires,
il a indiqué que le groupe de travail souhaitait voir cesser les
recapitalisations-perfusions récurrentes des établissements non
viables. A cet égard, il a indiqué qu'il serait souhaitable de
changer la doctrine d'utilisation de l'article 52, premier alinéa,
de la loi bancaire et de ne plus utiliser l'appel aux actionnaires de
référence de façon systématique et
privilégiée. L'Etat devrait également reconsidérer
sa doctrine de recapitalisation systématique des banques publiques et
opter plus souvent pour la fermeture ou la vente.
Dans le même ordre d'idées,
M. Alain Lambert, rapporteur
général,
a indiqué que le groupe de travail avait
estimé utile de proposer une modification de la loi bancaire afin de
sanctionner, par un retrait partiel d'agrément, les
établissements qui ont bénéficié de
mécanismes de solidarité et de garantie des dépôts
(article 52 alinéa 2 et article 52-1 de la loi bancaire).
S'agissant de la politique de l'Etat-banquier,
M. Alain Lambert,
rapporteur général,
a recommandé d'achever la
privatisation du secteur bancaire public concurrentiel. Il a également
indiqué qu'il serait souhaitable de supprimer toute influence de l'Etat
sur la direction et la gestion des établissements de crédit
concurrentiel. Par ailleurs, il a fait observer qu'il conviendrait
d'identifier, après consultation de la place, les missions de service
public du crédit que l'Etat doit conserver. Enfin, il a indiqué
que le groupe de travail avait manifesté son souhait de voir
gérer, de façon dépolitisée, les instruments aux
mains de l'Etat, tels que les taux d'intérêt administrés.
Un débat nourri s'est alors engagé auquel ont participé
MM. Joël Bourdin, Jacques Chaumont, Marc Massion, Paul Loridant,
Yann Gaillard, Mme Maryse Bergé-Lavigne, MM. Henri Torre,
Claude Belot, Philippe Adnot, Emmanuel Hamel, Philippe Marini et Christian
Poncelet, président.
M. Joël Bourdin
s'est déclaré surpris que le
rapport du groupe de travail se focalise à ce point sur les Caisses
d'épargne et La Poste.
Il a par ailleurs regretté que la part de responsabilité du
Trésor et de l'administration en général dans la crise
bancaire ne soit pas suffisamment mise en avant.
S'agissant des propositions du groupe de travail, il s'est
déclaré fermement opposé à la banalisation du
livret A. Il a considéré qu'une telle banalisation
n'était pas possible. Il s'est, en outre, déclaré
profondément déçu qu'un rapport sur les banques ne porte,
en définitive, que sur La Poste et les Caisses d'épargne.
M. Jacques Chaumont
s'est déclaré, pour l'essentiel,
favorable aux conclusions du rapport du groupe de travail. Toutefois, il a fait
valoir que la crise du secteur bancaire était avant tout la crise de la
"
nomenklatura
" formée par la haute administration des finances.
Pour lui, les inspecteurs des finances ont fini par former une
"
clique
"
qui "
s'auto-protège
". Afin de mettre fin à cette
situation, il a estimé qu'il était nécessaire d'instituer
un "
cordon sanitaire
" entre la haute administration et la
haute finance
par une réglementation plus sévère du
"
pantouflage
". Il a également fait remarquer que les banques
qui
ont le mieux réussi sont celles qui n'ont pas pour seule logique le
profit et qui sont contrôlées par leurs "adhérents" comme
les banques mutualistes.
Enfin,
M. Jacques Chaumont
a indiqué qu'il convenait de
conserver présent à l'esprit le souci de l'aménagement du
territoire. A cet égard, a-t-il dit, ou bien la Poste devient une
banque, ou bien l'Etat doit lui donner des moyens budgétaires. Mais,
a-t-il ajouté, la situation actuelle n'est pas satisfaisante.
M. Marc Massion
a interrogé le rapporteur général
sur le contenu qu'il entendait donner à la filialisation de La Poste. Il
a exprimé la crainte d'un démantèlement du service public
à la française.
M. Paul Loridant
a salué la qualité des travaux
menés par le groupe de travail. Il s'est déclaré en faveur
de l'abrogation du décret de 1937, mais à condition que cela ne
se fasse pas par "
ukase
", et en prenant en compte le dialogue
social. Il
s'est, en revanche, déclaré totalement opposé à la
modification de la loi Scrivener et au démantèlement de la
législation consumériste, notamment en ce qui concerne la
réglementation du remboursement anticipé des crédits. A
cet égard, il a déclaré que la gestion actif-passif
permettait déjà aux banques qui savent le faire de se garantir,
de façon satisfaisante, contre les demandes de renégociation des
prêts. S'agissant de la banalisation du livret A, il a
indiqué que cette évolution se traduirait par une diminution du
rôle social des Caisses d'épargne et de La Poste. Enfin, il a
déclaré que le "
métier de collecte des
dépôts
" qu'exerçait La Poste était radicalement
différent de celui de distributeur du crédit et qu'il fallait
s'attendre à de nouvelles catastrophes si on autorisait l'exploitant
public à exercer ce métier.
M. Yann Gaillard
a apporté son soutien aux travaux du groupe de
travail. Il a indiqué que la question posée était
fondamentale : existera-t-il demain un système bancaire
français capable de se projeter à l'extérieur ? Il a
souhaité qu'on ne se réfugie pas dans un "
culte de l'exception
française
". Toutefois, il a partagé l'agacement de ses
collègues quant à la responsabilité dans la crise bancaire
de la direction du Trésor, de l'inspection des finances et des
dirigeants bancaires en général. Il a en outre indiqué que
l'aspect "
contrôle des banques
" avait fait l'objet des travaux
de
la commission des finances de l'Assemblée nationale et que le groupe de
travail avait souhaité respecter cette division parlementaire du
travail. A cet égard, il a indiqué que le mécanisme de
prévention des risques bancaires n'avait été
envisagé qu'en raison de ses effets structurants sur l'économie
du secteur.
S'agissant de l'aménagement du territoire,
M. Yann Gaillard
a déclaré qu'il était nécessaire de trouver un
équilibre entre cet objectif et la nécessité d'assurer une
concurrence saine et loyale. S'adressant à M. Joël Bourdin, il
a fait observer qu'il était nécessaire de régler une fois
pour toutes la question des distorsions de concurrence mises en avant, en
partie à tort, en partie à raison, par l'Association
française des banques (AFB), il est vrai d'une manière
"
agaçante, contre productive et parfois pleurnicharde
".
Mme Maryse Bergé-Lavigne
a déclaré que si ce
rapport pouvait apparaître comme une "
machine de guerre
"
contre La
Poste, le secteur mutualiste ou les Caisses d'épargne, elle n'en
voterait pas les conclusions.
M. Henri Torre
a déclaré que l'équilibre financier
de La Poste posait un problème, mais que, dans une situation de
surbancarisation, il n'était pas sain de lui permettre de
s'équilibrer en exerçant des activités marchandes.
M. Claude Belot
a déclaré avoir été
agacé par la "
complainte
" des banquiers de l'AFB. Sa conviction
est que le problème du secteur bancaire n'est ni général,
ni structurel, et que sans la faillite du Crédit lyonnais, il n'aurait
pas été nécessaire de créer un groupe de travail.
Il a encore indiqué que le problème n'était pas de
maintenir ou de supprimer un privilège à La Poste ou aux Caisses
d'épargne et que les banques commerciales n'échapperaient pas, de
toutes façons, à la concurrence étrangère. Il a
indiqué que le seul vrai problème était celui de
l'aménagement du territoire et que la banque était un service
public. Enfin, il a fait remarquer que la suppression du privilège des
Caisses d'épargne, viderait la France d'une présence bancaire
indispensable au regard de l'impératif de l'aménagement du
territoire, sans pour autant résoudre les problèmes des banques
commerciales.
M. Philippe Marini
a souhaité rendre hommage au travail
réalisé par le président du groupe de travail,
M. Alain Lambert,
sur un chemin semé d'embûches. Il a
encore fait remarquer qu'à cet égard, il n'était
assurément pas facile de dégager une doctrine autonome de la
commission des finances dans un domaine où les groupes de pression
étaient très présents et où toute prise de position
risquait d'être mal interprétée.
Il a ensuite fait observer que poursuivre devant la justice les dirigeants de
certaines banques, aussi utile que fût cette action, ne résoudrait
pas le problème de la compétitivité de nos banques au
moment de la mise en place de l'Euro. A compter du 1
er
janvier
1999, a-t-il déclaré, la question sera de savoir comment le
système bancaire français affrontera la compétition
internationale ? Comment les banques françaises feront-elles face
aux tentatives de prise de contrôle, qui ne seront pas forcément
amicales, de la part des autres banques européennes ?
A partir du moment, a-t-il ajouté, où l'on a accepté la
monnaie unique, le problème pour l'Etat est de mettre ses entreprises en
"
ordre de bataille
". Or, a-t-il encore indiqué, c'est bien la
responsabilité de l'Etat que d'affirmer des objectifs, de définir
une stratégie et de faire prévaloir l'intérêt
général.
De ce point de vue, il s'est estimé au regret de constater que,
jusqu'à présent, l'Etat avait eu une attitude de "
Ponce
Pilate
" à l'égard du secteur bancaire. Il ne s'est pas
déclaré fâché que le rapport soit plus critique
vis-à-vis de l'attitude de la haute administration bien que ce
durcissement ne change rien à l'analyse.
S'agissant des Caisses d'épargne et de La Poste, il a souhaité
que la commission des finances fasse preuve d'une attitude valorisante et
constructive, car c'est une grande force pour la France que de disposer d'un
secteur mutualiste en bonne santé. De ce point de vue, il a
souhaité rendre un hommage appuyé aux gestionnaires des banques
mutualistes, aux "
gens prudents
" des Caisses d'épargne, à
"
l'imagination
" des gestionnaires du Crédit agricole et à
la "
pugnacité
" de La Poste. Sur ce dernier sujet, il s'est
déclaré choqué que l'absence d'une comptabilité
analytique appropriée empêche de prendre la mesure des
activités financières de l'établissement public.
Il a encore indiqué que, selon lui, ne parler que des distorsions de
concurrence relevait d'une optique malthusienne et que, de ce point de vue,
l'Association française des banques pouvait avoir une attitude aussi
malthusienne que les autres réseaux.
Il a encore indiqué que la force du Sénat était de
pouvoir inscrire sa réflexion dans le long terme, sans être
complaisant vis-à-vis de personne.
M. Maurice Blin
a rappelé que la tonalité qui
prévalait, il y a douze ans, était radicalement
différente. Il y avait à l'époque, a-t-il expliqué,
un vrai optimisme qui contrastait avec le pessimisme ambiant. Il a
indiqué que les hommes politiques qui avaient voté la loi
bancaire étaient loin d'imaginer les folies spéculatives des
banques. Il a estimé que le procès à instruire devait
être celui de l'Etat actionnaire et gestionnaire. Il a
souligné que nous étions aujourd'hui face à un secteur en
détresse et a constaté que certains dirigeants bancaires avaient
prouvé leur incapacité, voire dans certains cas leur
"
indignité
", à assumer leurs fonctions, mais que d'autres,
au contraire, avaient "
très bien travaillé
".
M. Emmanuel Hamel
a indiqué qu'il fallait éviter
d'apparaître adhérer aux thèses des banques AFB, qui
essaient de se disculper sur les autres réseaux des erreurs qu'elles ont
elles-mêmes commises.
M. Philippe Adnot
s'est déclaré convaincu qu'on ne
pouvait pas réduire les problèmes actuels du système
bancaire à l'existence de La Poste et qu'il ne pourrait pas affronter un
rapport préconisant la banalisation du livret A.
M. René Ballayer
a souhaité rendre hommage à
la qualité des travaux du groupe présidé par le rapporteur
général.
En réponse aux intervenants,
M. Alain Lambert, rapporteur
général,
s'est déclaré surpris qu'on puisse
penser que le groupe de travail ait pu relayer les préoccupations de tel
ou tel groupe de pression. Il a encore indiqué que si le Sénat et
sa commission des finances avaient bridé leurs réflexions dans la
crainte d'apparaître comme les porte-parole de l'AFB, l'analyse de la
situation et des perspectives du secteur bancaire aurait été
"
réductrice
", incomplète et, en définitive, inutile.
Il a indiqué que l'administration portait des responsabilités
incontestables dans la crise du secteur bancaire mais que pour autant,
consacrer 120 pages sur le sujet ne résoudrait en rien les
problèmes actuels. Il a souhaité que l'on se tourne plutôt
vers l'avenir.
S'agissant de l'immobilier,
M. Alain Lambert, rapporteur
général,
a reconnu que des fautes réelles avaient
été commises par les banques et qu'un certain "
panurgisme
"
existait dans le domaine.
En réponse à
M. Marc Massion
, il a indiqué
que la filialisation de La Poste, proposée par le groupe de travail,
n'avait qu'un but comptable.
En réponse à
M. Paul Loridant
, il a rappelé
le coût des remboursements anticipés et de la renégociation
des crédits : 20 milliards de francs entre 1986 et 1988,
8 milliards de francs en 1994 et 12 milliards de francs pour l'Etat
au titre des prêts d'accession à la propriété (PAP).
S'agissant de la capacité de La Poste à distribuer du
crédit, il a convenu qu'il fallait être prudent, et que le groupe
de travail ne proposait pas d'élargir les possibilités
actuellement reconnues à cet établissement.
En réponse à
Mme Maryse Bergé-Lavigne
, il a
indiqué que le rapport ne pourrait en aucun cas être
assimilé à une "
machine de guerre
" contre La Poste et les
Caisses d'épargne.
En réponse à
M. Emmanuel Hamel
, il a indiqué
que la sagesse permanente du Sénat saurait prévaloir et que les
propositions du groupe de travail étaient équilibrées, les
sénateurs sachant mieux que quiconque l'importance qu'il convenait
d'attacher à l'aménagement du territoire. Mais il a
rappelé que les propositions du groupe de travail se voulaient
tournées vers l'avenir.
La commission a alors
adopté les conclusions du groupe de travail et
décidé de les faire publier sous la forme
d'un rapport
d'information.
CONTRIBUTIONS
DE CERTAINS MEMBRES DE LA
COMMISSION
Philippe ADNOT
Sénateur de l'Aube
Membre de la Commission des finances
Président du Conseil général
--- ---
Paris, le 30 octobre 1996
Monsieur le Président,
Je vous confirme, par la présente, le soutien que j'apporte au rapport
de M. Alain LAMBERT, rapporteur général, sur les
propositions du groupe de travail sur la situation et les perspectives du
système bancaire en France.
Si je ne peux que saluer l'important travail de synthèse et de
concertation effectué, je tiens à souligner que j'ai voté
en faveur de ce texte sous réserve que figure, dans ses annexes, mon
intervention contre la banalisation du Livret A.
Je considère, en effet, que cette dernière n'est pas
nécessaire à l'équilibre financier des banques (la
meilleure preuve en est qu'en 1990 leur situation excédentaire se
situait autour de 18 milliards, soit 8 milliards de plus que leurs
homologues allemandes), équilibre qu'elles peuvent aisément
retrouver en apurant leurs comptes liés à l'immobilier et en
réduisant leurs frais de gestion.
Par contre, il est clair que si l'on prive la Poste de son principal produit,
qui crée un différentiel déterminant en sa faveur, elle
n'aura plus les moyens d'assurer convenablement sa mission en territoire
défavorisé ainsi que son rôle social, ce qui serait
dramatique en termes d'aménagement du territoire.
Je souhaite donc que soit bien portée en annexe du rapport ma prise de
position, et, vous en remerciant par avance,
Je vous prie d'agréer, Monsieur le Président, l'expression de
mes sentiments les plus distingués et dévoués.
Philippe ADNOT
Monsieur Christian PONCELET
Sénateur des Vosges
Président de la commission des finances
PALAIS DU LUXEMBOURG
Joël BOURDIN
Sénateur de l'Eure
---
---
Paris, le 31 octobre 1996
Le rapport, dont je n'ai malheureusement eu qu'une présentation orale,
en séance de commission, pour autant qu'il soit bien charpenté et
ait été l'objet d'un intense travail auquel je rends hommage,
recueille néanmoins un vote défavorable de ma part qui tient
à la doctrine qu'il sous-entend, à la méthode qui
l'oriente, et à la spécificité de ses conclusions.
La doctrine qui l'inspire est celle d'un libéralisme originel tel
qu'ont pu l'imaginer les penseurs anglo-saxons du siècle passé.
La volonté d'établir une concurrence pure et parfaite transpire.
Alors que personnellement je ne suis pas un adversaire du libéralisme,
j'observe :
1. Que le système bancaire français ne s'est, historiquement,
jamais épanoui dans un cadre concurrentiel parfait et qu'il a même
été très performant, dans les années 60 et 70,
alors même qu'il bénéficiait d'une garantie publique
avérée ;
2. Que l'évolution d'un système économique vers plus
de concurrence fait toujours le lit des entreprises les plus puissantes ;
3. Que le système bancaire français fragilisé, en
raison des propres erreurs de gestion de ses dirigeants, ne résisterait
pas à un degré supplémentaire de libéralisme, en
laissant le champ libre aux grandes banques étrangères.
En clair, profiter d'une période d'affaiblissement de nos banques afin
de les soumettre à une plus vive concurrence ne me paraît pas
opportun.
Quant à la méthode d'analyse choisie, elle consiste à
privilégier une approche comptable sur une recherche des causes de
l'évolution récente et peu encourageante de notre système
bancaire.
La crise des établissements bancaires et financiers n'était pas
inscrite dans un destin inéluctable. Il n'y a pas eu de fatalité
dans cette affaire.
Le système n'était pas mauvais en soi : il a été
dévoyé par des hommes, des équipes d'hommes.
Or, d'une certaine manière, j'ai l'impression que la philosophie du
rapport tient en ces quelques mots : des équipes d'hommes, n'ont pas su
gérer le système bancaire, il est donc urgent de changer le
système.
Je ne suis pas d'accord avec cette orientation, même si des retouches
doivent être apportées au mode de fonctionnement de nos banques.
Tant qu'on n'aura pas compris et admis que c'est le mode de désignation
des dirigeants de nombreuses banques, les processus décisionnels
utilisés, et le système de contrôle mis en oeuvre qui sont
en cause dans ce domaine, on n'aura pas cheminé réellement vers
l'étape opérationnelle qui nous permettra d'améliorer le
dispositif.
Une étude plus approfondie des causes aurait sans doute permis
d'infléchir l'éventail des propositions sur cet aspect certes
délicat mais incontournable du mode de désignation des
élites bancaires.
On comprendra dès lors que j'exprime ma surprise en constatant que dans
les orientations proposées on privilégie des mesures
contraignantes pour les banques mutualistes, les Caisses d'épargne et la
Poste.
Voilà des établissements bancaires originaux, qui ont une
vocation sociale ; qui participent activement à l'aménagement du
territoire en maintenant des agences dans nos campagnes et dans des quartiers
difficiles, en dépit parfois de leur rentabilité ; qui de tout
temps ont comblé les lacunes du système bancaire classique ; qui
ne se sont pas laissés entraîner par la folie spéculative
à laquelle ont succombé de grandes banques ; qui ont
continué, vaille que vaille, leur expansion quand d'autres sombraient
dans le déficit. Ô surprise, la grande réforme
institutionnelle proposée pour corriger les dérives du
système bancaire classique concerne ces modestes établissements.
Manifestement nous bénéficions là d'une version
financière moderne de la célèbre fable de La Fontaine "Les
animaux malades de la Peste".
C'est au titre des distorsions de concurrence qu'est proposée la
banalisation des livrets A et Bleu. Or, à cet égard, j'ai
plusieurs observations à faire :
1. Quelle est l'incidence des distorsions de concurrence dues au
Livret A et Bleu sur les difficultés ou la disparition de quelques
banques (Crédit Lyonnais, SMC, BTP, Hervet etc. ?). Est-on sûr que
la thérapie proposée est adaptée au mal bancaire
français ? Comme le disait Bernard Esambert, Président de la
banque Arjil, le 3 septembre à l'AGEFI "à les écouter
(les banques françaises) les difficultés sont dues, dans une
large mesure, à un phénomène de distorsion de concurrence.
Il faudrait qu'elles balayent un peu devant leurs portes".
2. Le livret A et le livret Bleu occupent une place de plus en plus
modeste dans les encours d'épargne des ménages, qui
désormais sont placés sur des produits distribués par
l'ensemble des banques (CODEVI, LEP, Livret Jeunes, Épargne Logement,
Assurance vie...). Si le livret A pour les Caisses d'épargne et la Poste
et le livret Bleu pour le Crédit Mutuel sont essentiels à leur
image, leur banalisation n'entraînerait qu'une infime influence sur la
rentabilité des banques commerciales.
3. La distribution des livrets A et Bleu par le canal des bureaux de
Poste, des agences de Caisse d'Épargne et du Crédit Mutuel
relève de la politique d'aménagement du territoire, laquelle
demeure une priorité du Gouvernement.
Qu'il y ait nécessité de modifier les statuts des Caisses
d'Épargne, certainement. Mais franchement ce n'est pas un enjeu
approprié à la crise que subit notre système bancaire. On
ne traite pas un phénomène en réglant un
épiphénomène. J'ai, en fait, la désagréable
impression d'un dispositif peu adapté à la réalité,
l'étendue, la gravité et la spécificité du mal
bancaire français.
Notre système bancaire est comme un cancéreux affligé
d'un rhume des foins. On peut toujours lui recommander de se moucher, cela lui
donnera sans doute passagèrement satisfaction, on ne l'aura pas
guéri pour autant.
Joël BOURDIN
Sénateur de l'Eure
Jacques CHAUMONT
Sénateur de la Sarthe
---
---
Paris, le 31 octobre 1996
En 1990, le bénéfice net global cumulé des cinq
principaux groupes bancaires français était de
18,5 milliards de francs. Ce résultat était obtenu dans des
conditions de concurrence avec les banques mutualistes et coopératives,
la Poste et la Caisse d'Épargne, identiques aux conditions actuelles.
Cela suffit à réduire à néant les analyses de
l'AFB sur les causes de l'actuelle crise bancaire.
Cette crise n'a touché que les banques AFB. Aussi, est-il
étonnant que ces banques offrent comme explication à leurs
déboires non leur goût immodéré pour la
spéculation immobilière mais les supposés
privilèges des autres organismes bancaires. Ces privilèges, si
privilège il y a, existaient en 1990.
L'AFB s'honorait en reconnaissant les prodigieuses erreurs de gestion commises
par quelques-uns des membres les plus prestigieux de cette Association.
En fait, cette crise bancaire n'est qu'un des aspects visibles de la crise de
la nomenklatura française. Le problème posé est de
protéger la société française et le contribuable
contre cette nomenklatura.
Ceci appelle quelques solutions simples :
1. Les dirigeants des banques
doivent à l'avenir être
des banquiers de profession, ayant une longue expérience de la banque et
non des nomenklaturistes venus d'ailleurs. Ceci implique :
a) La stricte application des règles sur le pantouflage et, en
particulier, l'interdiction à un fonctionnaire d'entrer dans une
entreprise qu'il a pour mission de contrôler avant une période de
cinq ans après l'achèvement de cette mission.
b) En raison des relations "
incestueuses
"
127(
*
)
entre pantouflant, pantouflé,
pantouflard, pré-pantouflard et post-pantouflard, le contrôle des
banques ne peut plus être exercé par ceux qui en ont actuellement
la charge. Cette mission pourrait être confiée aux Magistrats de
la Cour des Comptes, juridiction qui est un des trésors de nos
institutions.
2. Le secteur coopératif et mutualiste
n'a pas connu de
crise. Il serait judicieux de favoriser plus encore son développement.
Ses millions de sociétaires répartis dans des milliers de
caisses locales exercent un contrôle permanent sur les dirigeants de
caisses locales, régionales et nationale. Le principe de
solidarité interne est, du reste, une forte incitation au contrôle.
Ces structures proches de la base sous-tendent, par ailleurs, une conception
de l'Homme et de la Société qu'il convient de préserver.
3. Les Caisses d'épargne
ont augmenté leurs
bénéfices et leurs effectifs. Il convient donc de maintenir ce
réseau et le privilège du livret A, mais en imposant aux
Caisses d'épargne l'obligation de maintenir un réseau dense de
guichets de proximité.
Si les Caisses d'épargne réduisaient leur réseau, il est
clair que la banalisation du livret A devrait devenir la règle.
4. La Poste
L'engagement solennel pris par le Président de la République de
conserver le caractère spécifique de la Poste, agent de
l'aménagement du territoire, implique la poursuite des activités
financières de la Poste dans leur cadre actuel.
Conclusion
: La crise bancaire ne peut être
réglée en affaiblissant les banques qui n'ont pas commis
d'erreurs de gestion.
Celles des banques AFB qui ont été mal gérées
auraient dû payer leurs erreurs. Tel n'est pas le cas.
Mais il convient que de tels errements ne se reproduisent plus. La solution la
plus juste, la plus équitable et la plus salutaire est de confier
désormais la gestion des banques à des banquiers.
Jacques CHAUMONT
Sénateur de la Sarthe
Philippe MARINI
Sénateur de l'Oise
Maire de
Compiègne
--- ---
Paris, le 31 octobre 1996
Je souscris totalement aux orientations et conclusions de ce rapport,
où l'on s'est efforcé de développer une approche
équilibrée et réaliste du devenir de notre système
bancaire et financier. Au sein de celui-ci, les groupes d'assurance mutualiste
ou coopérative ont pris une place croissante, en raison tout à la
fois de l'efficacité de leurs implantations, du dynamisme de leur
gestion, mais aussi des pertes de fonds propres constatées par les
banques commerciales.
L'un des problèmes les plus cruciaux, aujourd'hui, est de savoir tirer
parti, au bénéfice de l'ensemble du secteur financier, des
résultats ainsi acquis. L'évolution du Crédit Agricole
montre que cette voie est possible et fructueuse. La question est de savoir si
ce modèle peut être suivi, à bref délai, par
l'institution des Caisses d'épargne.
A l'occasion des réflexions récentes sur le devenir du groupe
CIC, j'ai eu l'opportunité de développer quelques idées
sur la nécessaire réforme des Caisses d'épargne. Je crois
utile de les joindre, à titre de document de travail, assurément
très imparfait, au rapport excellemment conçu et
présenté par M. Alain Lambert.
RÉFORME DES CAISSES D'ÉPARGNE
ET
RESTRUCTURATION
DE L'APPAREIL BANCAIRE FRANÇAIS
I - LA NÉCESSITÉ D'UNE RÉFORME
Grâce à la loi de 1983, qui a ouvert leurs instances vers
l'extérieur, grâce à l'extension, grâce à la
restructuration très profonde du réseau conduite en 1991, les
caisses d'épargne ont considérablement amélioré
leur productivité, sont devenues un acteur significatif en
matière de distribution de produits d'épargne autres que le
livret A, auprès d'une très large clientèle populaire, ont
fait preuve d'un réel dynamisme commercial, et constituent aujourd'hui
un groupe aux assises solides, doté de près de 60 milliards
de francs de fonds propres. Cette situation suscite des jalousies, de la part
de ceux qui estiment que la situation présente résulte
essentiellement des distorsions de concurrence créées par l'Etat,
ainsi que des caractères propres du réseau des caisses
d'épargne, dont les fonds propres sont en auto-contrôle, et ne
subissent aucune contrainte de rémunération. Mais le vrai enjeu
n'est pas à mes yeux celui-là. Il est de savoir quelles doivent
être les orientations stratégiques et les ambitions de ce groupe
financier, dont l'image est excellente auprès de la population, et qui a
les moyens d'une réelle croissance externe.
Aujourd'hui les caisses d'épargne ont des forces, que je viens de
rappeler, mais aussi des faiblesses ;
- il est vrai que leur situation juridique nécessite une
clarification, car elles n'appartiennent ni au monde capitaliste, ni au monde
mutualiste ;
- le réseau ne dispose pas de l'instance stratégique qui lui
est indispensable, car son centre national demeure essentiellement un organe de
tutelle administrative et de surveillance, tandis que la caisse centrale, dont
il a depuis peu la majorité, vit encore en symbiose très
étroite avec la caisse des dépôts ;
- l'assainissement du paysage bancaire français impose à
l'évidence un décloisonnement des circuits d'épargne, et
donc une banalisation du livret A, perspective à la fois
nécessaire et troublante pour les caisses d'épargne, si elle
remet en cause les ressorts de leur profitabilité.
Pour résoudre ces problèmes, une loi est indispensable, en ce
qui concerne le mode d'appropriation des fonds propres, mais elle doit
être accompagnée de la définition claire d'un cadre
stratégique valant engagement contractuel de l'Etat, lequel a le devoir,
à maints titres, d'intervenir : en tant que régulateur du
système financier, mais aussi en tant que responsable de la politique
économique, et encore en tant que propriétaire de la caisse des
dépôts ou actionnaire de plusieurs entreprises demeurées
jusqu'ici publiques.
II - L'OPPORTUNITÉ DE CETTE RÉFORME
Celle-ci, à mon avis, est double :
- d'un côté, la compétitivité du système
bancaire français est une question majeure et les mauvais
résultats, comme la mauvaise image des banques, portent préjudice
à l'emploi, à l'investissement des entreprises et plus
généralement à la prise de risques économiques dans
notre pays ; il est impératif de changer les comportements et de
redynamiser tout ce secteur ;
- d'autre part, l'Etat doit résoudre, à bref délai,
la question de la privatisation du groupe CIC, les offres des repreneurs
éventuels étant attendues pour le tout début de juillet ;
or, il existe aujourd'hui un risque tout à fait réel pour le GAN,
et donc pour l'Etat, de ne pas obtenir le prix escompté, tout en devant
accepter, selon les formules étudiées, soit une prise de
contrôle du groupe CIC par une institution financière
étrangère, soit une forte perte de substance des banques
régionales qui constituent ce groupe.
En effet, le prix de vente du CIC, s'il n'atteint pas la valeur comptable de
celui-ci dans les comptes consolidés du GAN, provoquera une perte de
quelques milliards de francs, au préjudice de ce dernier, et sera un
handicap supplémentaire pour la privatisation du GAN.
Paradoxalement, en raison de la détention partielle du contrôle
du CIC par la société GAN-vie, et au niveau des comptes sociaux
de celle-ci, un profit significatif sera enregistré par les
assurés, et viendra par conséquent accroître la perte pour
l'Etat...
Si l'opération de cession du CIC se fait au profit d'une banque
commerciale existante, la Société Générale ou la
BNP par exemple, les réseaux étant le plus souvent en concurrence
directe, une réduction importante des effectifs et des moyens
s'ensuivra, et l'on assistera donc à une conséquence
étonnante : la quasi disparition d'un groupe bancaire dont la
rentabilité est redevenue correcte (du fait de l'Etat), alors que le
même Etat réalise dans le même temps des efforts très
onéreux pour maintenir artificiellement en survie des institutions
financières qui demeurent fortement déficitaires en exploitation,
telles que le Crédit Lyonnais, le CEPME ou la Société
Marseillaise de Crédit...
Bien sûr, et avant d'envisager une acquisition par la caisse centrale
des caisses d'épargne du contrôle du réseau CIC, il faut
savoir répondre à deux questions essentielles :
1. Existe-t-il une réelle complémentarité de fonds de
commerce entre le CIC et les caisses d'épargne ?
2. Les caisses d'épargne sont-elles capables, et dans quelles
conditions, de gérer une telle mutation ?
Sur le premier point, l'analyse montre :
- qu'il est opportun, dans l'intérêt de l'économie, de
"brancher" un réseau régional de banques dont la part de
marché est significative en matière de crédit aux
entreprises, sur l'un des réseaux français les plus puissants de
collecte de ressources auprès des particuliers ;
- que, d'un côté comme de l'autre, l'identité
régionale est forte ;
- que des partages de marchés peuvent intervenir à certaines
rectifications de frontières près, entre les banques
régionales du réseau CIC et les caisses d'épargne
correspondantes ;
- que leurs forces conjuguées s'avèreront extrêmement
efficaces en matière de distribution de produits d'épargne, et en
particulier d'assurance-vie et de gestion de capitaux à long terme.
En ce qui concerne le second aspect, il est clair que trois préalables
devront être levés :
- la redéfinition de la nature juridique des caisses les conduisant
progressivement à rémunérer leurs fonds propres à
des conditions normales ;
- leur adaptation économique, là encore progressive, et sur
quelques années, à la perspective de banalisation du livret A ;
- la création d'un organe stratégique central qui soit aux
caisses d'épargne ce qu'est aujourd'hui aux caisses régionales de
crédit agricole la CNCA.
III - LE CONTENU DE LA RÉFORME SOUHAITABLE
Je pars du principe qu'une telle réforme doit valoriser et mobiliser
les caisses d'épargne. Je constate également que celles-ci ont
une image très spécifique et très positive dans la
population et qu'il importe avant tout de la préserver et de la mettre
en valeur. Je formule deux axes de propositions :
- En premier lieu, une fraction, représentant par exemple un
montant global de l'ordre de 15 milliards de francs, des fonds propres des
différentes caisses d'épargne, serait répartie sous forme
de parts sociales, entre les mains des déposants ; en assemblée
générale, et selon le principe mutualiste, chaque déposant
ne disposerait, quel que soit le montant de ses avoirs, que d'une seule voix ;
ces parts sociales seraient dans un premier temps échangeables entre les
sociétaires au sein de l'ensemble du réseau, ce qui ferait
apparaître progressivement une certaine valeur de marché des
caisses ; la rémunération de ces capitaux serait formée de
deux éléments, une part fixe en pourcentage de la valeur nominale
et un intérêt variable selon le résultat ; à moyen
terme, la rémunération variable progresserait par rapport
à la rémunération fixe.
- En second lieu, les instances centrales du réseau seraient
renouvelées, dès la promulgation de la loi, et la caisse centrale
prendrait immédiatement ou progressivement, selon le choix du
Gouvernement et les contraintes en la matière, son indépendance
stratégique et technique, par rapport à la caisse des
dépôts et consignations ; en cas de prise de contrôle du
réseau du CIC, la caisse centrale deviendrait la maison mère de
deux ensembles, les caisses d'épargne d'un côté, et les
banques régionales du CIC de l'autre, chacune de ces entités
conservant sa personnalité propre ; enfin on veillerait à
composer les instances de la caisse centrale de manière à ce que
les deux réseaux puissent bien être représentés, et
surtout de façon à susciter une bonne compréhension
mutuelle et un enrichissement de l'un par l'autre.
Tels sont les aspects à traiter par la loi et, simultanément
à celle-ci et de manière indissociable, un "contrat" serait
passé avec l'Etat, et réglerait les aspects suivants :
- l'objectif de banalisation du livret A, à terme de cinq ans par
exemple, serait affirmé ;
- en contrepartie, les caisses d'épargne réaliseraient
l'acquisition du CIC auprès du GAN, à la valeur comptable du CIC
dans les comptes consolidés du GAN ;
- pendant la période de transition qui nous sépare de la
banalisation complète du livret A, la rémunération des
fonds propres des caisses d'épargne progresserait de manière
à atteindre un taux de marché ; cette évolution pourrait
se faire à la fois par l'accroissement de la part variable visée
ci-dessus, et par la distribution aux déposants de fonds propres
supplémentaires par rapport aux 15 milliards de francs
évoqués à titre d'exemple plus haut.
Ainsi, on verrait émerger un groupe financier qui, au terme de la
période transitoire, serait totalement immergé dans la
compétition internationale, et qui deviendrait un pôle essentiel
du système financier français.
IV - LES EFFETS À ATTENDRE DE LA RÉFORME
Il est aisé de les prévoir :
- les déposants des caisses d'épargne, c'est-à-dire
30 millions de titulaires de livrets, seraient associés au
développement du nouveau groupe, ce qui serait peut-être de nature
à changer l'image aujourd'hui ingrate et défavorable du
système bancaire dans la population, et ce qui créerait de
racines régionales profondes, tant pour les caisses d'épargne que
pour les banques du réseau CIC ;
- le GAN pourrait être privatisé à bref délai,
à condition bien entendu que soit arbitrée la question de la
distribution d'assurance vie par les deux réseaux (il serait à
mon avis préférable de mettre en place pour l'ensemble caisses
d'épargne et CIC un accord de distribution de produits du GAN, la caisse
nationale de prévoyance gardant de son côté des liens
identiques avec le réseau de la Poste) ;
- la question lancinante des distorsions de concurrence dans le
système bancaire français serait enfin réglée par
l'affirmation d'une volonté claire de l'Etat, et les querelles
franco-françaises en ce domaine prendraient fin ; enfin et surtout,
l'émergence du groupe caisses d'épargne-CIC aurait un effet
structurant sur l'ensemble du système financier français et
entraînerait des réactions en chaîne dans le sens de
l'assainissement et de la rationalisation de ce dernier.
En quelque sorte, il est proposé ici de mettre en oeuvre une
réforme qui aurait sur le secteur financier des conséquences
assez analogues à celles qui vont être engendrées par la
restructuration des industries de défense en ce qui concerne de larges
pans de notre économie productive.
Philippe MARINI
Vice Président de la
Commission
des Finances
du Sénat
Groupe Socialiste
--- ---
Paris, le 4 novembre 1996
OBSERVATIONS PRESENTÉES PAR MME MARYSE
BERGÉ-LAVIGNE, MM. JEAN-PIERRE MASSERET ET ALAIN RICHARD POUR LE GROUPE
SOCIALISTE
______
Les membres socialistes du groupe de travail entendent
préciser leur désaccord sur l'analyse des causes de la crise
bancaire et sur les propositions qui sont présentées dans le
rapport du groupe de travail.
Si beaucoup de banques françaises AFB sont, aujourd'hui, dans une
situation difficile, ce n'est pas par des mesures visant à fragiliser
les réseaux mutualistes, coopératifs et les caisses
d'épargne que les réponses utiles seront trouvées.
Les difficultés des banques AFB ont pour partie une explication dans
l'atonie de l'économie française étouffée par les
choix politiques des gouvernements de droite. A ces considérations de
politique générale s'ajoutent des erreurs de choix
stratégique opérées, notamment, dans l'immobilier.
La distorsion de concurrence entre banques AFB et réseaux mutualistes,
coopératifs et les caisses d'épargne ne saurait expliquer les
difficultés de l'industrie bancaire française, dès lors
que ces distorsions jouent dans les deux sens.
Si la restructuration du système bancaire est nécessaire, et
personne ne le conteste, la réussite de cette réforme ne peut se
faire au détriment de certains de ses acteurs qui doivent conserver
leurs spécificités. Le système bancaire français
doit rester multiforme. C'est dans ce cadre que les réformes
susceptibles d'améliorer sa compétitivité doivent
être réfléchies, engagées et réussies.
A cet égard, les choix de sortie de crise proposés par le
rapport sont critiquables :
- En premier lieu, le rapport pousse à une
déréglementation du travail impliquant une régression de
grande ampleur de la situation des salariés et une perte de protection
pour les consommateurs.
Revenir sur des éléments-clés du droit du travail serait
grave pour la situation des salariés. Si l'on estime que le
décret de 1937 relatif aux horaires de travail est pénalisant
pour les entreprises, il est nécessaire de mener une négociation
préalable à sa révision. La méthode
proposée, c'est à dire l'abrogation de ce décret, rendra
impossible la réalisation d'un accord équilibré,
satisfaisant pour tous.
Par ailleurs, il est anormal de contester le droit du consommateur à
rembourser son prêt par anticipation, sans indemnité. Ce droit,
qui est la contrepartie du taux fixe et de la différence évidente
d'expertise entre les co-contractants, n'est guère susceptible d'abus.
- Le rapport recommande, en outre, une banalisation injustifiée de
certains produits spécifiques, en particulier le livret A.
Les fonds collectés sur ce livret sont essentiels puisqu'ils permettent
le financement du logement social. La baisse de taux, décidée par
le gouvernement, a entraîné sur ce produit, en 1996, une
décollecte de 80 milliards de francs, dangereuse pour le logement
social. L'extension du livret A aux banques AFB risquerait
d'accroître cette tendance. En effet, dans le but d'améliorer leur
rentabilité, elles inciteraient leurs nouveaux clients à
transférer leurs fonds du livret A vers d'autres produits sur lesquels
leur marge est plus élevée. Donc, même avec une affectation
obligée au logement social, le livret A banalisé ne serait sans
doute plus en mesure d'assurer l'équilibre de ce secteur.
En outre, si le rapport se prononce, à juste titre, pour le maintien
des activités financières de la Poste, la banalisation du livret
A entraînerait assurément une baisse de son volume
d'activité et remettrait en question son réseau, dans les zones
rurales et les quartiers en difficulté, d'où les banques
commerciales sont absentes. La banalisation aurait également des
incidences néfastes pour la politique d'aménagement du territoire
et viendrait contredire les engagements du gouvernement en la matière.
- Enfin, si la préconisation d'un compte distinct pour les
activités financières de la Poste peut être retenue,
l'idée de la filialisation ne peut s'analyser que comme une étape
vers la privatisation et le démantèlement des réseaux. Le
rapport se prononce en effet, en principe, en faveur de la privatisation
intégrale du réseau bancaire. Les membres socialistes du groupe
de travail, soucieux d'améliorer l'efficacité de l'Etat
actionnaire, ne tirent pas des privatisations passées, la conclusion que
l'actionnariat privé garantit des résultats supérieurs et
restent fortement attachés à la notion de service public et
d'intérêt général.
Conforter la situation de certains acteurs du monde bancaire, en en
pénalisant d'autres, faire porter le poids des restructurations sur les
salariés et les clients, notamment les plus modestes, ne constitue pas
une approche constructive et saine pour aborder les problèmes
posés. Ce n'est pas dans cette optique que se situent les socialistes.
Maryse Bergé-Lavigne
Sénateur de la
Haute-Garonne
Jean-Pierre Masseret
Sénateur de la Moselle
Alain Richard
Sénateur du Val d'Oise
COMMISSION DES FINANCES
Paul LORIDANT
Sénateur de l'Essonne
--- ---
Paris, le 4 novembre 1996
Le secteur bancaire français est incontestablement dans une situation
difficile et le présent rapport de la commission des finances du
Sénat a le mérite d'en faire l'analyse. Toutefois, je ne saurais
en partager toutes les conclusions et préconisations.
Je partage l'idée qu'il faudrait aujourd'hui revoir le décret de
1937 sur l'amplitude horaire du travail des salariés des banques AFB.
Toutefois, j'insiste sur le fait que dans ce domaine, la négociation
s'impose entre les partenaires sociaux. La voie a été ouverte
dans ce domaine par différents établissements bancaires. Je
considère que les évolutions en ce domaine dépendent pour
l'essentiel de la qualité du dialogue social.
La banalisation de la distribution du livret A et du livret bleu
préconisée dans le rapport me laisse perplexe. Le livret jeunes,
récemment mis au point par les pouvoirs publics, a montré que les
banques AFB n'ont su tirer profit de façon significative de sa
banalisation dans la distribution de ce produit d'épargne. Les emplois
adossés au livret A sont essentiellement tournés vers le
financement du logement social dont les besoins sont plus que jamais
nécessaires. Il me paraît impensable de revenir sur cet usage
privilégié des fonds collectés par ce livret. Au
demeurant, les dérives constatées dans un précédent
rapport de la commission des finances du Sénat (rapport Arthuis, Marini,
Loridant) sur l'usage des fonds CODEVI renforcent mes réticences
à la banalisation préconisée. Je considère que le
maintien des modes de distribution du livret A devrait avoir pour
contrepartie une obligation de présence des Caisses d'épargne et
de la Poste dans les zones rurales ou urbaines peu prisées par le
secteur bancaire. Les exemples abondent de retraits de guichets dans des villes
de banlieue jugées "difficiles" ou dans des "pays" atteints
par une
certaine désertification. A mes yeux, cette présence
relève d'une mission de service public dont la France n'a pas à
rougir.
Cette position me conduit à préconiser la consolidation des
services financiers de la Poste dont le rôle essentiel est de collecter
de l'épargne, métier qu'elle sait bien exercer. En revanche, je
suis plus circonspect sur l'opportunité de distribution de
crédits par les mêmes services, sauf à créer une
banque postale soumise aux mêmes obligations légales et
réglementaires que le reste du système bancaire. C'est en effet
une activité à hauts risques qui requiert un strict
contrôle des pouvoirs publics et une technicité certaine.
Enfin, je ne partage absolument pas l'orientation du présent rapport
sénatorial concernant la remise en cause de la "loi Scrivener"
permettant aux particuliers de rembourser de façon anticipée les
prêts souscrits. Curieusement, les banques, si soucieuses de
bénéficier de conditions banalisées de concurrence,
supportent mal d'être ainsi soumises à cette règle,
à l'initiative des souscripteurs d'emprunts. Il me paraît
contraire à l'évolution consumériste de notre
société que de limiter le droit à remboursement
anticipé moyennant paiement d'une indemnité légale au plus
à 3 % du capital restant dû. En ce domaine, ne faut-il pas
considérer que la France est en avance par rapport aux autres pays de
l'Union économique et monétaire ? Est-ce vraiment
insupportable de donner, de fait, la possibilité aux consommateurs de
renégocier les conditions de leurs prêts ? J'y vois
plutôt un élément d'équilibre dans les rapports
entre les banques et leurs clients. De plus, il faut tenir compte de
l'émergence depuis une dizaine d'années, dans le bilan des
banques, de ce qu'on appelle la gestion "actif-passif" qui permet aux
établissements de travailler en permanence la structure de leurs
ressources, de faire des arbitrages en fonction de la structure de leurs
emplois. A titre d'exemple, à quoi aurait-il alors servi d'introduire la
technique de la "titrisation" dans le système bancaire
français ?
En conclusion, je tiens à souligner l'excellent esprit d'équipe
qui a animé ce groupe de travail sénatorial... même si,
à l'évidence, il reste des points de désaccord.
Paul Loridant,
Sénateur de l'Essonne