2. La déclaration d'Edimbourg
La déclaration d'Edimbourg reprend, pour l'essentiel,
les thèses de la Commission européenne, allant même parfois
plus loin dans le même sens. Ce texte reste à ce jour,
complété par l'" accord interinstitutionnel " de 1993,
le seul document communautaire précisant officiellement les conditions
d'application du principe de subsidiarité ; or il consacre,
à l'échelon de décision le plus élevé, la
neutralisation pratique de ce principe, en écartant toute forme de
contrôle spécifique.
Comme les principes inscrits dans le
préambule de la Constitution sous la IV
ème
République, le principe de subsidiarité fait l'objet d'une
affirmation solennelle, mais son application est, dans les faits,
laissée à la discrétion de ceux-là mêmes dont
il est censé encadrer les pouvoirs.
La déclaration d'Edimbourg souligne tout d'abord que le principe de
subsidiarité -sous une forme implicite ou partiellement explicite-
figurait parmi les principes de fonctionnement des Communautés depuis
leurs origines. Le Conseil européen en déduit que le
Traité de Maastricht a certes rendu cette orientation plus explicite,
lui a donné une portée plus générale, mais qu'il
n'a pas voulu donner une orientation nouvelle au fonctionnement des
Communautés.
Le Conseil précise ensuite que l'application du principe de
subsidiarité ne doit pas altérer l'"
équilibre
existant
" entre les institutions et donc être organisée
dans le cadre d'un accord "
dégagé à cet effet
entre le Parlement européen, le Conseil et la Commission
".
La déclaration se montre discrète sur la signification positive
du principe de subsidiarité. En revanche, elle se prononce fermement sur
la manière dont ce principe ne doit pas être
interprété, et va si loin dans ce sens qu'on peut à
certains égards se demander si ce qui en subsiste alors :
" Le principe de subsidiarité ne concerne pas, et ne saurait
remettre en question, les compétences conférées à
la Communauté européenne par le Traité, telles qu'elles
ont été interprétées par la Cour de Justice. Il
donne une orientation sur la manière dont ces compétences doivent
être exercées au niveau communautaire, y compris dans
l'application de l'article 235. L'application de ce principe doit respecter les
dispositions générales du Traité de Maastricht, notamment
lorsqu'il s'agit de " maintenir intégralement l'acquis
communautaire ", et ne pas affecter la primauté du droit
communautaire ni remettre en question le principe énoncé à
l'article F paragraphe 3 du Traité sur l'Union européenne,
selon lequel l'Union se dote des moyens nécessaires pour atteindre ses
objectifs et pour mener à bien ses politiques ".
M. Girolamo Strozzi, professeur à l'Université de Florence,
commente ainsi cet aspect de la déclaration (" Le principe de
subsidiarité : une énigme et beaucoup d'attentes ",
Revue trimestrielle de droit européen,
juillet-septembre 1994) :
" Le Conseil européen d'Edimbourg a confirmé l'importance
attribuée au principe de subsidiarité et la volonté de le
respecter, mais la tentative d'y apporter quelques restrictions apparaît
évidente. Par exemple, après avoir affirmé son
caractère de principe fondamental de l'Union, il souligne que celui-ci
ne peut toutefois remettre en question les compétences
conférées à la Communauté, l'acquis communautaire
ou influer sur la primauté du droit communautaire, ni remettre en
question le principe (art. F par. 3) selon lequel l'Union se dote des
moyens nécessaires pour atteindre ses objectifs : il semble que
ceux-ci doivent de toute façon prévaloir, que le principe de
subsidiarité soit respecté ou non. Cette affirmation est en nette
contradiction avec le dernier alinéa de l'article B, où il
est clairement proclamé que les objectifs de l'Union seront poursuivis
dans le respect du principe de subsidiarité (et non que ce dernier est
subordonné aux autres). Cette prise de position du Conseil reste obscure
et préoccupante et dénote une volonté de revendiquer pour
l'Union (et en définitive, le Conseil même) une pleine
liberté d'action et l'exercice de tout pouvoir approprié s'il
s'avère nécessaire à la réalisation de l'objectif
ou pour mener à bien ses politiques. De plus, on déduit que le
principe fournit seulement une " orientation " qui doit
guider
l'action de la Communauté et qui influence les modalités
d'exercice de ses compétences, plus qu'un critère
d'évaluation de la légitimité de l'intervention ".
S'agissant de la procédure de décision du Conseil, la
déclaration d'Edimbourg se fait particulièrement précise
pour éviter tout examen spécifique de la
subsidiarité :
" L'examen de la conformité d'une mesure avec les dispositions
de l'article 3 B doit être entrepris de manière
régulière ; il doit devenir partie intégrante de
l'examen global de toute proposition de la Commission et être basé
sur le fond de la proposition. Les règles pertinentes du Conseil, y
compris en matière de vote, s'appliquent à cet examen. Dans le
cadre de cet examen, le Conseil vérifie si la proposition de la
Commission est totalement ou partiellement conforme aux dispositions de
l'article 3 B (en prenant comme point de départ pour cet
examen le considérant et l'exposé des motifs de la Commission) et
si les modifications que le Conseil envisagerait d'apporter à la
proposition sont conformes auxdites dispositions. La décision du Conseil
sur les aspects touchant à la subsidiarité est prise en
même temps que la décision sur le fond et conformément aux
règles de vote prévues par le Traité. Il convient de
veiller à ne pas entraver la prise de décision au sein du Conseil
et d'éviter tout système de prise de décision
préliminaire ou parallèle. L'examen et le débat concernant
l'article 3 B auront lieu dans le cadre du Conseil compétent en la
matière. "
A la lecture de ce texte, on a peine à comprendre l'inquiétude si
nettement présente dans la communication de la Commission
analysée plus haut :
loin de vouloir "
mettre en
tutelle
" la Commission, le Conseil européen se montre encore
plus catégorique que la Commission elle-même dans son refus de
tout contrôle préalable de la subsidiarité.
La volonté du Conseil européen de limiter les contrôles
dans ce domaine s'étend jusqu'à la Cour de Justice des
Communautés, puisqu'il croit utile de préciser que
" le
principe de subsidiarité ne saurait être considéré
comme ayant un effet direct ".
Cette formule semble principalement
destinée à apaiser des inquiétudes au fondement assez peu
défini : en effet, comme le soulignent MM. K. Lenaerts et
P. van Ypersele (art. cit., p. 74),
" s'interroger
sur
l'effet direct d'une règle supérieure par rapport à
laquelle on contrôle la compatibilité d'une règle
inférieure n'a pas de sens. C'est ainsi que la Cour ne s'est jamais
demandé, dans le cadre de renvois préjudiciels, si une directive,
par rapport à laquelle on examinait la compatibilité d'une loi
nationale de mise en oeuvre, avait ou non un effet direct ou si une disposition
du traité, dont on conteste qu'elle puisse constituer la base juridique
d'une disposition de droit dérivé, avait un tel effet. Les normes
de référence du contrôle de la Cour n'ont pas besoin
d'avoir un effet direct pour pouvoir conduire à l'annulation ou à
la constatation de l'invalidité d'une norme inférieure. Dans un
système de normes hiérarchisées seul importe le
caractère obligatoire de la norme supérieure. Il s'ensuit qu'avec
ou sans effet direct le principe de subsidiarité pourra être
invoqué, comme toute disposition du traité, pour contester la
légalité d'un acte communautaire ".
C'est seulement sur certains aspects de la mise en oeuvre du principe de
subsidiarité que se manifeste une spécificité de l'analyse
du Conseil européen.
Tout d'abord, celui-ci établit un lien entre l'exigence de
subsidiarité et la modération des charges pesant sur les Etats
membres :
" Toute charge, qu'elle soit financière ou
administrative, incombant à la Communauté, aux gouvernements
nationaux, aux autorités locales, aux opérateurs
économiques et aux citoyens, doit être réduite au minimum
et proportionnelle à l'objectif réalisé ".
Surtout, le Conseil européen adopte une interprétation plus
" forte " du principe de proportionnalité
(troisième alinéa de l'article 3 B) en mettant l'accent sur
la nécessité de prendre en compte la possibilité de
s'appuyer sur la coopération entre les Etats membres, et en soulignant
la nécessité d'éviter de régler un problème
localisé par une mesure contraignante de portée
générale :
- " Lorsque le traité le permet, et à condition que cela
soit satisfaisant pour réaliser ses objectifs, il convient de choisir de
préférence un type d'action communautaire consistant à
encourager la coopération entre Etats membres, à coordonner les
actions nationales ou à leur apporter un complément, un
supplément ou un appui ".
- " Lorsque les difficultés sont localisées et n'affectent
que certains Etats membres, l'action éventuellement requise au niveau de
la Communauté ne doit pas être étendue aux autres Etats
membres, à moins que cela ne soit nécessaire pour réaliser
un objectif du traité. ".
En définitive, mis à part quelques nuances dans
l'interprétation, les positions exprimées dans les documents du
Conseil européen, de la Commission et du Parlement s'accordent sur
l'essentiel: l'inscription du principe de subsidiarité dans le
Traité ne doit pas entraîner de modification substantielle des
pratiques communautaires ;
le respect de ce principe ne doit pas
faire l'objet d'un contrôle particulier ; il appartient à la
Commission européenne de faire preuve de vigilance dans
l'élaboration de ses propositions.
Celle-ci, dans une annexe
à la déclaration d'Edimbourg, annonce d'ailleurs qu'elle se
montrera
" plus sévère "
et précise qu'
" elle a ainsi renoncé à proposer l'harmonisation des
plaques d'immatriculation des automobiles et la réglementation des jeux
de hasard ".
Elle déclare également estimer
" qu'il n'est pas nécessaire de poursuivre la préparation
de certains projets d'harmonisation de règles techniques (par exemple
aliments diététiques, machines de seconde main, structures
démontables et matériel pour foires et parcs d'attraction,
composants mécaniques de fixation en particulier les boulons). "