3. Une jurisprudence traditionnellement contraire
A supposer même que tous les obstacles qui viennent
d'être soulignés soient levés, la Cour de justice
pourrait-elle apparaître comme un gardien convaincant du principe de
subsidiarité ?
L'on doit convenir que sa jurisprudence a été, jusqu'à
présent, presque constamment orientée dans le sens de
l'augmentation des compétences et des pouvoirs de la Communauté,
allant jusqu'à reconnaître à celle-ci des pouvoirs
implicites - ceux jugés nécessaires à la
réalisation d'objectifs fixés par les traités - et
même des objectifs implicites justifiant des interventions communautaires
dans des domaines non prévus par les traités.
L'expérience montre, au demeurant, que les jurisprudences des Cours
suprêmes des systèmes fédéraux s'orientent, dans la
durée, vers le renforcement des pouvoirs de la Fédération,
ce qui est d'ailleurs inscrit dans la logique d'institutions
fédérales : une Cour suprême n'ayant de
légitimité et de compétences que fédérales,
a nécessairement tendance à accroître les
prérogatives de la Fédération, ce qui lui permet de
consolider sa propre légitimité et d'élargir le champ de
ses propres compétences. La Cour de justice de la Communauté, qui
a reconnu au Traité de Rome une finalité fédérale
implicite, s'est inscrite dans cette tendance - en s'inspirant d'ailleurs,
à diverses reprises, de la jurisprudence de la Cour suprême des
Etats-Unis.
Ainsi, en tout état de cause, une garantie effective du principe de
subsidiarité par la Cour de justice supposerait un changement aussi
profond qu'improbable de l'orientation de sa jurisprudence.
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* *
Votre rapporteur, qui a quelque expérience des
débats européens, a déjà eu plus d'une fois
l'occasion de comparer la Communauté à une pyramide reposant sur
sa tête.
En effet, lorsque des Etats s'associent pour constituer une
fédération, une confédération, ou tout type de
groupement intermédiaire, ils mettent généralement en
commun, sous une forme ou une autre, les compétences portant sur les
relations extérieures, la défense, la monnaie, le commerce entre
les Etats membres, tandis que les autres domaines restent essentiellement de la
compétence des Etats membres.
La construction européenne s'est effectuée jusqu'à
présent en dehors de ce schéma. Le commerce entre les Etats
membres et les relations commerciales extérieures ont été
mis en commun ; une monnaie unique va bientôt se mettre en place
même si elle ne s'appliquera pas à tous les Etats membres avant
longtemps, notamment si l'on tient compte du processus d'élargissement ;
mais, dans les domaines les plus fondamentaux pour une association d'Etats : la
politique extérieure et la défense, les réalisations
restent embryonnaires et les progrès envisageables incertains.
En revanche, l'élargissement continu du champ des interventions
communautaires, qui s'est effectué soit lors des révisions des
Traités, soit en marge de ceux-ci, soit encore par le biais des actions
structurelles, a fait naître une Union omniprésente, aux
compétences sans limites déterminées, si bien que dans
certains domaines (législation bancaire, marchés publics...) les
Etats membres n'ont même pas l'autonomie que conserve un Etat au sein des
Etats-Unis.
C'est à peine forcer le trait que de remarquer que la même Union
qui finance la rénovation de l'école des arts du spectacle de
Liverpool, règlemente les eaux de baignade et lance un programme de
protection des dunes, ne joue qu'un rôle des plus réduits
lorsqu'il s'agit de rétablir la paix dans les Balkans ou au
Proche-Orient, ou de redéfinir l'architecture de sécurité
de l'Europe.
Le principe de subsidiarité est une orientation politique. Il ne peut
assurément pas, par lui-même, contribuer à remédier
aux carences de l'Union dans les missions qui devraient d'abord être les
siennes. Du moins pourrait-il, indirectement, favoriser un recentrage vers ces
missions ; surtout, sa pleine application pourrait favoriser un meilleur
contrôle, une plus grande efficacité des politiques publiques, et
limiter le risque d'étiolement de la vie démocratique au sein des
Etats membres.
Pourquoi cette orientation politique n'a-t-elle pas, jusqu'à
présent, davantage inspiré la construction européenne ?
Ainsi qu'on l'a vu, au-delà de la ferveur idéologique de
certains, qui voient un progrès dans toute nouvelle intervention de la
Communauté, ce sont principalement la nature et le mode de
fonctionnement des institutions européennes qui sont en cause.
Comme ces facteurs institutionnels sont appelés à perdurer, le
principe de subsidiarité n'est sans doute pas destiné à
jouer dans l'avenir un plus grand rôle que par le passé.
Toutefois, puisqu'il n'est pas nécessaire d'espérer pour
entreprendre, votre rapporteur souhaiterait présenter quelques
suggestions concernant les évolutions institutionnelles qui pourraient
assurer un meilleur respect de ce principe.