D. L'ABSENCE DE VÉRITABLE GARANTIE JURIDICTIONNELLE
On a vu que le fonctionnement même des institutions
communautaires tendait à mettre entre parenthèses le principe de
subsidiarité, et que ce dernier restait un " corps
étranger " dans la culture politique de la plupart des Etats
membres.
Dans ces conditions, il semble que ce soit seulement de la Cour de justice des
Communautés que l'on puisse attendre une garantie du principe de
subsidiarité.
Or cette juridiction n'est pas, pour plusieurs raisons, en situation de jouer
véritablement le rôle de gardien de ce principe.
1. Les obstacles à la saisine
Le rapport adopté en 1992 par la
délégation prévoyait que les saisines de la Cour de
justice sur le terrain de la subsidiarité seraient vraisemblablement
très rares, tant les obstacles étaient nombreux. De fait, depuis
l'entrée en vigueur du traité de Maastricht
(1
er
novembre 1993), il semble qu'une seule décision ait
été prise par la Cour de justice (plus précisément
par le Tribunal de première instance) à la suite d'une
requête en annulation se fondant sur le principe de subsidiarité.
Le Tribunal de première instance a au demeurant rejeté cette
requête au motif que la décision attaquée était
antérieure à cette entrée en vigueur.
De fait, si, en théorie, la justiciabilité du principe de
subsidiarité ne relève pas d'un régime particulier, il en
va autrement en pratique.
Examinons en effet les différentes hypothèses de saisine de la
Cour de justice sur ce terrain.
Un recours en annulation d'un acte communautaire pour violation du principe de
subsidiarité est tout d'abord possible de la part d'un Etat membre, du
Conseil ou de la Commission.
On imagine mal la Commission saisir la Cour de justice pour défendre les
prérogatives des Etats membres.
Le Conseil, responsable de la très grande majorité des
décisions, pourrait difficilement demander l'annulation de celles-ci ;
ce n'est que dans les cas, peu nombreux, où la Commission prend seule
une décision susceptible de poser problème au regard du principe
de subsidiarité, qu'il pourrait former un recours : encore faudrait-il
qu'il existe pour cela un accord suffisamment large en son sein.
Le recours formé par un Etat membre paraît davantage concevable,
mais constitue en pratique une hypothèse peu réaliste : une
démarche consistant, pour un Etat membre mis en minorité,
à attaquer les autres Etats membres sur le terrain de la
subsidiarité en demandant à la Cour d'arbitrer, serait fort
pénalisante pour l'Etat requérant dans ses relations avec ses
partenaires ; il faudrait donc un intérêt
particulièrement important pour qu'un Etat membre entreprenne une telle
démarche. Mais, outre le fait que le Conseil s'efforce
généralement d'éviter de mettre en minorité des
Etats membres lorsque de tels intérêts sont en jeu, on peut douter
qu'il soit fréquent que des Etats membres attachent un
intérêt très important au seul respect du principe de
subsidiarité : en réalité, cette dernière
considération ne pourrait entrer en jeu que si d'autres
préoccupations, plus pressantes, l'accompagnaient.
De fait, on peut observer que, depuis le 1
er
novembre 1993, la
Cour de justice n'a jamais eu à se prononcer sur un recours en
annulation introduit par un Etat membre sur le fondement du principe de
subsidiarité.
Un recours en annulation est également possible de la part d'une
personne physique ou morale ; encore faut-il qu'elle soit
"
destinataire
" de l'acte, ou du moins
"
directement
et individuellement
" concernée par celui-ci. En pratique,
à de très rares exceptions près, c'est seulement dans le
domaine de la concurrence que peuvent apparaître des situations où
une personne se trouve en situation de former un recours en annulation
fondé sur le principe de subsidiarité.
Enfin, la Cour de justice pourrait être amenée à la suite
d'un renvoi préjudiciel à se prononcer sur le respect du principe
de subsidiarité par un acte de droit dérivé. Là
également, il paraît en pratique très difficile que la Cour
soit saisie par cette voie d'une question relative à la
subsidiarité. Dans ce cas, en effet, la Cour est saisie par une
juridiction nationale qui elle-même doit avoir reconnu un
intérêt pour agir à une personne physique ou morale. La
définition de l'intérêt à agir n'est pas
parfaitement identique dans tous les Etats membres, mais elle inclut
nécessairement, d'une manière ou d'une autre, la condition que la
personne soit lésée de manière spécifique par
l'acte qu'elle conteste. Ainsi, les actes communautaires
généralement les plus critiquables au regard du principe de
subsidiarité, c'est-à-dire les programmes communautaires (dont on
voit mal comment, en eux-mêmes, ils pourraient léser
spécifiquement une personne), se trouvent à l'abri d'un recours.
En pratique, par cette voie, la Cour semble pouvoir être saisie
principalement sur le terrain de l'intensité excessive d'une
réglementation : mais il s'agit là plutôt d'un
contrôle du respect du principe de proportionnalité
(3
ème
alinéa de l'article 3 B), contrôle que la
Cour exerçait déjà avant le traité de Maastricht.
Sur le terrain de la subsidiarité proprement dite, les
possibilités de recours paraissent non pas certes inexistantes, mais
fort limitées, d'autant que l'acte doit être postérieur au
1
er
novembre 1993, date d'entrée en vigueur du Traité
de Maastricht.
Il convient d'ajouter que la Cour de justice n'est pas habilitée
à se prononcer sur la conformité au principe de
subsidiarité des actes entrant dans le cadre des deuxième et
troisième piliers de l'Union, bien que l'ensemble de l'action de
celle-ci soit soumise au principe de subsidiarité par l'article B du
Traité de Maastricht.
Au total, le principe de subsidiarité peut difficilement fonder un
recours de la part d'une personne, en raison de son contenu
général et abstrait, comme de la part d'un Etat membre, pour des
raisons tenant au fonctionnement des institutions ; si bien que le
contrôle de la Cour de justice a une portée pratique
limitée dans ce domaine.