CHAPITRE II :
L'ÉCONOMIE ET LA SOCIÉTÉ
AU SEUIL
DE LA MODERNITÉ
I. UNE SOCIETE PLUS OUVERTE
L'ère de l'information, nous y sommes
déjà. Les conséquences sur l'évolution de nos
sociétés sont en cours, inéluctables. La
numérisation de l'information, sa diffusion instantanée et
universelle, la disponibilité d'outils individuels de plus en plus
" intelligents " de recherche et de traitement des données
numérisées, en un mot, la mise en contact permanente des hommes
et des sociétés de notre planète bouleversent nos
habitudes. Toutes les hiérarchies sont ébranlées. Chacun
ayant accès aux mêmes informations, le pouvoir hiérarchique
change de nature, ses modalités d'exercice doivent aussi évoluer.
Seuls les ordres admis et compris seront à l'avenir
exécutés. Tous les acteurs de la vie sociale, et au premier chef
les pouvoirs publics, doivent avoir conscience de ces bouleversements : il
faut en tirer parti et en limiter les risques.
Il est intéressant de relever plus spécialement quelques
tendances de fond susceptibles d'imprimer un cours nouveau à la vie de
nos sociétés :
- la mondialisation accélérée,
- la démocratisation de l'accès au savoir,
- la prolifération de l'information,
- la fragilisation des hiérarchies,
- la nécessaire transparence.
A. LA MONDIALISATION
La société de l'information est
structurée autour de réseaux internationaux ; l'information
et la communication se font en temps réel.
Aucun Etat ne saurait se retrancher à l'écart de ces
réseaux, sauf à se résoudre au déclin.
L'accès à l'information est en effet la source majeure de
création de richesse dans les sociétés post industrielles
où l'investissement immatériel depuis déjà dix ans
est devenu plus important que l'investissement matériel. Il est de plus
impossible d'empêcher les populations d'atteindre tel ou tel ou tel
segment du réseau mondial de diffusion de l'information. La
société globale de l'information bouscule les frontières,
met les cultures en contact permanent, favorise la créativité, la
liberté, l'enrichissement mutuel. Les gouvernants chinois ont compris
qu'on ne pouvait pas mettre des gendarmes ou des douaniers derrière
chaque kilobit. Telles semblent bien être certaines des
caractéristiques majeures de la société de l'information.
On constate aussi cependant, à l'examen des principales perspectives de
la mondialisation, qu'à chaque ouverture correspond un risque qu'il
importe de prévenir, notamment celui de l'hégémonie des
cultures et techniques dominantes.
-
· Sur le plan culturel, le décloisonnement accentué
d'espaces nationaux encore inégalement ouverts sur l'extérieur
apparaît en principe comme un facteur d'enrichissement mutuel et de
liberté accrue de la création. Il est certain, par exemple,
qu'avec des moyens de communication planétaires dont le contrôle
échappera de plus en plus aux autorités politiques, les
rêves de modèle social autarcique entretenus par certains
régimes autoritaires sont promis à l'échec. On sait le
rôle qu'a joué la télévision dans les
révolutions de l'Europe de l'Est. En revanche, il convient d'être
conscient du risque de nivellement des cultures nationales que comporte
l'établissement d'une société globale de l'information
véhiculant des contenus très majoritairement américains.
La domination des Etats-Unis sur l'industrie audiovisuelle et informatique, et
désormais sur la production de certains téléservices
(pensons à la télémédecine), est
préoccupante à cet égard. Nombre d'Etats qui avaient
renoncé à toute ambition de promouvoir une création
nationale en utilisant les moyens modernes de communication commencent à
s'interroger sur les conséquences du renforcement de
l'hégémonie anglo-saxonne sur les contenus diffusés. La
France, qui a accordé de longue date un caractère prioritaire
à la préservation de son potentiel créatif, doit prendre
la vraie mesure des dangers de la mondialisation des échanges
d'informations et tout particulièrement créer les conditions
d'une dynamique française, européenne et
méditerranéenne de promotion d'une industrie interactive de
téléservices. Valoriser sur les nouveaux réseaux un
patrimoine d'une grande diversité, diffuser la culture, c'est une
priorité pour la France et l'Europe qui, par la même occasion,
porteront nos valeurs mais aussi les compétences industrielles,
commerciales, touristiques sur les marchés nouveaux.
Il faut craindre par ailleurs que les contacts permanents n'amorcent un appauvrissement général à la suite de l'utilisation des mêmes symboliques de communication et des mêmes sources d'information par des centaines de millions de personnes dans le monde. La diversité des acteurs et des contenus constitue donc un enjeu majeur. Nos amis chinois et sud américains, comme les pays du Sud et du moyen Orient en sont bien conscients.
Il convient de mentionner spécialement, parmi les conséquences culturelles de l'internationalisation de l'information numérique, l'avenir de la francophonie. On peut espérer que les autoroutes de l'information serviront la francophonie en établissant des liens nouveaux entre les pays francophones, en élargissant considérablement le marché des logiciels et des contenus francophones, en proposant à des populations ne parlant pas le français mais ouverts à notre culture un accès souple et diversifié à celle-ci. Encore faut-il préalablement encourager la création de logiciels francophones de traitement de l'information et d'exploration des réseaux, qui ne soient pas de simples démarquages des produits anglophones, et promouvoir le lancement de contenus " d'expression originale française " susceptibles de répondre à la demande potentielle.
L'un des objectifs majeurs de toute stratégie de promotion de la francophonie sur les autoroutes de l'information serait enfin de prévenir les risques d'appauvrissement de notre langue sous une double influence : d'une part l'utilisation servile d'expressions issues de l'anglais de base, assez pauvre, pratiqué sur les réseaux et d'autre part le recours à des logiciels de traduction tout à fait incapables, quels que soient les progrès imaginables, de transposer dans notre langue et d'adapter à notre culture des services et des produits conçus dans un contexte différent. Or la possibilité d'atteindre le marché francophone moyennant de modiques investissements dans la traduction automatique ne pourra qu'inciter les opérateurs anglo-saxons à déverser sur ce marché des produits amortis sur le marché américain. Le processus économique qui a permis à la production audiovisuelle américaine de s'imposer sur les marchés mondiaux au détriment des production nationales pourrait se reproduire à l'échelle de la société globale de l'information. La dimension culturelle des problèmes recouvre ainsi d'importants enjeux économiques.
· La mondialisation a des enjeux spécifiquement économiques. Si, les " autoroutes de l'information " devaient provoquer l'américanisation des systèmes mondiaux de communication, et il faut retenir que 80% des serveurs d'Internet sont actuellement situés dans des pays de langue anglaise, la société de l'information pourrait servir essentiellement à la promotion non seulement de la culture et des contenus américains, comme on l'a vu ci-dessus, mais aussi des activités tertiaires américaines. Internet véhicule en effet de plus en plus des services marchands. Le décloisonnement économique accentué que suscitera la société de l'information implique donc une compétition accrue entre les grands pôles économiques mondiaux. L'entrée de la France et de l'Europe dans la société de l'information apparaît ainsi comme une nécessité primordiale au regard de la compétition économique mondiale. Les projets tels que la banque de programmes et de services de la Cinquième, dans l'axe de ce que le rapport sénatorial sur l'accès au savoir par la télévision appelait la 3ème fenêtre, est un premier pas bien timide et bien mal financé. Le projet 9e plate-forme multimédia numérisée de Sophia Antipolis et de la Cité des sciences, lié aux projets MEDSAT et Université sans mur euro-chinoise vont dans le même sens.
· Autre effet prévisible de la mondialisation, la société globale de l'information va sensiblement modifier les conditions d'exercice de la souveraineté étatique. Le caractère transnational des réseaux va en effet accélérer dans de nombreux domaines une perte d'efficacité des législations nationales, que l'on constate déjà dans le secteur audiovisuel. La réception directe de programmes diffusés par satellite grâce à des antennes paraboliques dont le coût décroît rapidement favorise l'accès d'opérateurs non soumis aux réglementations économiques et culturelles prises par les Etats, à des marchés jusqu'alors protégés. Les premiers pas d'une évolution comparable se manifestent spécialement sur l'Internet (cf. 2e partie du présent rapport, chapitre II).
- · Il convient d'observer enfin que la mondialisation pourrait contourner les pays en développement en raison du coût prohibitif de l'installation des réseaux et de l'équipement des utilisateurs en terminaux. La société de l'information contribuerait alors à renforcer la marginalisation de pays déjà largement à l'écart des échanges internationaux de biens et de services économiques et culturels. Actuellement, le tiers-monde représente moins de 5% des lignes téléphoniques dans l'ensemble du monde. Or l'accès aux nouvelles technologies de la communications, loin d'apparaître comme un luxe réservé à l'usage d'une poignée de responsables politiques et économiques, peut être considéré comme un élément significatif d'insertion dans les échanges mondiaux. L'entrée du tiers-monde dans la société de l'information devrait en particulier favoriser certaines délocalisations d'activités tertiaires, qui ouvrent d'indéniables perspectives aux pays en développement en termes de croissance, de formation de la population et de modernisation de la société. L'extension de la société de l'information au tiers-monde est donc un enjeu crucial du développement.