B. DE NOUVELLES STRUCTURATIONS
Les technologies de l'information bouleversent les relations de travail et le fonctionnement de l'économie. Les hiérarchies et la géographie tendent à être remplacées par les partenariats et les réseaux.
1. Le rôle accru des " réseaux de savoir "
" L'économie du savoir " accorde une
grande
importance à la diffusion et à l'utilisation de l'information. La
réussite des entreprises et des économies dépend plus que
jamais de leur efficacité à rassembler et utiliser des
connaissances.
Certains économistes
36(
*
)
décrivent l'économie actuelle comme "
une
hiérarchie de réseaux
, mus par
l'accélération du rythme du progrès et de l'acquisition de
connaissances. On aboutit ainsi à une société de
réseaux, où la capacité d'avoir accès et de
participer à des relations à forte intensité de savoir et
d'apprentissage conditionnent la position socio-économique des individus
et des entreprises
".
Le mode de fonctionnement en réseau permettrait même de bousculer
le processus de l'innovation, traditionnellement conçu selon une
séquence binaire associant, en premier lieu, la recherche scientifique,
puis les stades successifs de mise au point, de production et de
commercialisation.
Avec les technologies de l'information, les germes de l'innovation
proviendraient de sources multiples, donnant lieu à un processus non
linéaire. Certains auteurs ont ainsi mis à jour un
" modèle interactif d'innovation "
37(
*
)
, issu d'une intense communication
entre les différents acteurs -entreprises, laboratoires,
établissements universitaires et consommateurs- ainsi que
d'allers-retours entre les volets scientifique, technique, de
développement des produits, de fabrication et de commercialisation.
Dans cette optique, l'innovation résulterait des multiples interactions
d'une "
communauté d'agents économiques et
d'établissements qui, ensemble, forment ce que l'on a appelé
systèmes nationaux d'innovation
. De plus en plus, ces
systèmes d'innovation s'étendent au-delà des
frontières nationales. Ils portent essentiellement sur les mouvements et
les relations créés entre les branches industrielles, les
pouvoirs publics et les milieux universitaires à travers le
développement du savoir. Les interactions au sein de ces systèmes
influent sur la performance des entreprises et des économies en
matière d'innovation. Le pouvoir de diffusion du savoir du
système, ou sa capacité de garantir aux novateurs un accès
opportun aux stocks de savoir dont ils ont besoin, est de toute première
importance. On commence à peine à quantifier et à dresser
la carte des circuits de diffusion du savoir et de l'innovation dans
l'économie, qui sont considérés comme les nouveaux
éléments clés de la performance
économique
"
38(
*
)
.
Le processus de la création de richesse et l'innovation seraient donc
transformés par l'avènement des nouvelles technologies. Bien
plus, la nature même des communautés humaines de travail pourrait
être bouleversée.
2. L'entreprise virtuelle
L'utilisation des nouvelles technologies fait apparaître
un nouveau mode d'organisation du travail, qui remet en cause les modes
d'organisation traditionnels.
Plusieurs facteurs introduisent de profonds changements dans la façon de
travailler.
Il s'agit d'abord du
développement du télétravail
,
facilité par les liaisons à haut débit, qui
" éclate " géographiquement l'entreprise. Les
collaborateurs ne se rencontrent plus dans des bureaux, à une adresse
fixe, mais sur les réseaux. On peut imaginer qu'une
société commerciale n'ait d'ailleurs plus de lieu
géographique d'implantation et qu'elle soit totalement
dématérialisée.
Le second facteur qui bouleverse les structurations de travail actuelles est
lié au phénomène de
fragilisation des
hiérarchies
évoqué plus haut. Les nouvelles
technologies permettent une circulation de l'information quasi
instantanée à un faible coût. L'accès à
l'information n'est plus réservée à l'équipe
dirigeante. Cette démocratisation possible du savoir change la donne au
sein de l'entreprise puisque chacun, de la base au sommet, peut disposer d'une
même qualité d'information.
Enfin, les nouvelles technologies suscitent presque naturellement la
formation de réseaux
. L'utilisation des applications
partagées de l'informatique favorise un travail plus coopératif.
Le rapport précité de l'Office parlementaire d'évaluation
des choix scientifiques et technologiques faisait déjà
état de ces changements en cours en citant certains
39(
*
)
qui estiment que "
la
révolution en cours aujourd'hui sera entraînée, non pas des
changements dans la production, mais par des changements dans la
coordination
". La hiérarchie traditionnelle se trouverait
remise en cause par la formation de structures provisoires appelées
"
adhocraties
", constituées ponctuellement pour
réaliser des tâches spécifiques. Les organisations
figées et cloisonnées seraient donc vouées à
disparaître.
L'entreprise de la société de l'information tendra donc vers le
modèle d'une structure à géométrie variable,
éclatée dans l'espace, souple, flexible, peu
hiérarchisée. Cette opinion est partagée par de nombreux
observateurs. D'aucuns ont prédit l'avènement de l'entreprise
" flexible " :
L'ENTREPRISE " FLEXIBLE "
ENTREPRISE CLASSIQUE |
NOUVEAU MODÈLE FLEXIBLE |
- Centre unique
|
- Centres multiples
|
Source : H. Bahrami, 1992, " The emerging
flexible
organisation " California management review.
D'autres
40(
*
)
estiment que
"
l'entreprise de la société de l'information acquerra
une
flexibilité inconnue de sa devancière de la
société industrielle
. Les technologies de l'information
facilitent la décentralisation des décisions tactiques, la
réduction des niveaux hiérarchiques la diminution des effectifs
dans les unités de production, l'augmentation de la part du personnel
oeuvrant en amont et en aval, le développement du travail nomade ou
à domicile
".
Denis Ettighoffer
41(
*
)
estime que
les nouvelles technologies transforment l'entreprise qui, de taylorienne et
mécanique, devient réseau : "
l'entreprise
post-taylorienne est flux
". Au lieu d'une logique
économique fondée sur l'accumulation du capital matériel,
l'entreprise virtuelle développe une logique de co-production,
fondée sur l'accumulation collective de matière grise et de
capital immatériel. Une véritable mutation des entreprises et des
organisations serait à l'oeuvre, liée à l'apparition des
nouvelles technologies qui leur permettraient d'obtenir les trois
" dons " de l'entreprise virtuelle :
l'ubiquité
(être virtuellement et simultanément en des lieux multiples),
l'omniprésence
(découpler le temps de travail de
l'ouverture des services et faire travailler l'entreprise 24 heures sur 24),
l'omniscience
(accéder aux réseaux d'échange des
savoir-faire).
Les nouvelles technologies, source de modifications profondes de l'organisation
du travail, sont aussi porteuses de promesses de nouveaux services offerts
à la société.