DEUXIÈME PARTIE : LA CITOYENNETÉ

INTRODUCTION

1. CONTRASTES PRÉMONITOIRES

On pourrait croire que notre organisation démocratique est épargnée par la révolution numérique. Nous votons toujours selon les mêmes règles : le bulletin de vote et la carte d'électeur paraissent immuables. Nous élisons toujours des représentants qui, aux différents échelons de notre organisation politique, agissent avec pour limite la sanction électorale et le contrôle du juge.

Une loi interdit toujours la publication des résultats de sondages la semaine précédant le jour du vote.

Mais Internet existe maintenant et a fait parler de lui ! La démonstration de la croyance d'une France protégée de l'intrusion des réseaux a volé en éclat... L'interdiction de diffuser tout résultat de sondage pendant cette dernière semaine a été aisément contournée par la lecture de ces résultats sur Internet. Médias français muets, la parole était mondialisée sur le site de la Tribune de Genève ! Les dernières informations diffusées par Secrets de campagne , le vendredi 30 mai à 15 heures 30 avaient pour titre : « BVA : la gauche l'emporterait avec 316 sièges » . Dimanche soir, le chiffre était de 320. Soudain nos concitoyens ont découvert les NTIC.

Dès le vendredi soir, tous ceux qui en avaient à la fois le besoin et les moyens, soit qu'ils fussent sur le point de quitter les ministères, soit qu'ils eussent quelques chances d'y entrer, pouvaient disposer d'éléments d'appréciation fiables, si ce n'est irréfutables. Tous les discours, en cette fin de campagne, devenaient hypocrites.

En 1851, REUTER utilisait les pigeons ramiers pour faire connaître au monde les fluctuations de la bourse. Aujourd'hui, c'est en temps réel, jours et nuits, seconde par seconde, qu'elles parviennent en tous lieux, à tous les intéressés.

La gestion du monde en est bouleversée ; le temps de la réflexion, du choix est limité à l'instant le plus court possible. En tous lieux, quelles que soient les distances, le citoyen, plus consommateur que citoyen, est sollicité, sommé de donner réponse dans une société où tout repose sur la prééminence d'une politique économique subordonnant « les droits sociaux du citoyen à la raison compétitive, et abandonnant au marché financier la direction totale des activités de la société ainsi dominée... Les États-nations n'ont plus la capacité de s'opposer aux marchés. » 103 ( * ) Et le citoyen encore moins...

S'ajoute à la libre circulation des capitaux, une multinationalisation de l'économie aboutissant à permettre à « 200 principales entreprises de la planète de réaliser un chiffre d'affaires représentant plus du quart de l'activité de la planète, n'occupant que 18,8 millions de salariés, soit moins de 0,75 % de la main-d'oeuvre planétaire » 104 ( * ) .

A terme, ce processus pourrait engendrer de nouvelles fractures, entre ceux qui accepteront ou pourront sans aucune difficulté s'insérer dans cette nouvelle société et ceux qui ne le pourront pas. Pour Jacques ATTALI, l'émergence d'une « surclasse » 105 ( * ) disposant d'une rente de situation technologique serait inéluctable. Ses membres seraient les premiers détenteurs d'un « actif nomade » qu'ils « utilisent de façon nomade pour eux-mêmes ». Pour Jacques ATTALI, il faut accepter cette mutation, malgré les réticences que ne manqueront pas de lui opposer, en France, les élites traditionnelles, détentrices d'autres formes de richesse, dont les diplômes.

*

* *

* 103 I. Ramonet Le Monde diplomatique n° 514, janvier 1997.

* 104 I. Ramonet Le Monde diplomatique n° 514, janvier 1997.

* 105 J. Attali « La surclasse », Le Monde, 7 mars 1996.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page