III. LE SOUTIEN DU DÉPARTEMENT DE LA DÉFENSE (DOD)

Les relations entre le développement d'une force aérienne militaire et celui des produits aéronautiques civiles ont été particulièrement étroites aux États-Unis alors qu'elles ont été plus distendues dans les autres pays excepté sans doute pour l'industrie des moteurs.

Il est d'abord notoire que les appareils qui ont assuré la suprématie des constructeurs américains d'avions commerciaux ont directement bénéficié de programmes militaires financés sur fonds publics .

Plusieurs exemples empruntés au passé démontrent l'étroitesse de ces liens aux États-Unis.

Le Boeing 707

Le Boeing 707 développé dans les années 50 a été le premier appareil commercial majeur de Boeing qui et a dominé le marché du transport aérien tout au long des années 60.

Pour près de 90 % le 707 provient de développements militaires, les apports les plus importants venant du programme "KC-135" dont le 707 devait devenir une réplique commerciale presque équivalente. Mais, cet appareil a également beaucoup bénéficié de la participation de Boeing au développement des bombardiers B-47 et B-52. A titre d'illustration, le rapport "Arnold et Porter" rappelle que si le B-47 et le B-52 ont réclamé respectivement 7.600 et 7.800 heures de tests en souffleries, grâce à ces tests, seules 1.357 heures de passages en souffleries ont été nécessaires pour le 707.

L'influence des programmes militaires américains sur le B-707 ne s'est d'ailleurs pas limitée à l'avion lui-même, la motorisation de l'appareil par le Pratt et Whitney JT-3C étant directement dérivée du Pratt et Whitney J-57 développé pour équiper les B-52 et KC-135.

Au total, les coûts de développement propres au Boeing 707 se seraient élevés à 16 millions de dollars alors qu'à peu près contemporain le DC 8 aurait coûté à MDD quelques 112 millions de dollars . L'allégement des coûts de développement du B-707 tiré de la participation de Boeing aux différents programmes évoqués a été estimé à 2 milliards de dollars.

En un mot, les coûts non récurrents du 707 ont été presque nuls pour Boeing qui a pu vendre près de 1.000 appareils de cette catégorie s'assurant ainsi une position dominante sur le marché mondial et reléguant MDD son concurrent d'alors à la deuxième place.

•   Le B-747

Si le B-747 n'est pas un dérivé immédiat d'un appareil militaire, il y a lieu de noter que la centaine d'ingénieurs qui ont conçu l'avion étaient en totalité membres de l'équipe qui avait conçu le C-5A, programme lancé au début des années 60 par l'armée de l'air américaine pour disposer d'un nouvel avion de transport à large capacité.

De la même manière, le moteur Pratt et Whitney JT-9D qui équipe les B-747 a été directement dérivé d'un moteur étudié pour le C-5A et qui, à ce titre, a bénéficié pour près de 70 % de son coût de fonds publics.

Les exemples développés ci-dessus montrent que des appareils commerciaux ont directement bénéficié de programmes militaires financés sur fonds publics.

Mais, les interactions entre programmes publics militaires et construction aéronautique commerciale dépassent très largement le mode de relation décrit plus haut .

Les entreprises américaines de construction aéronautique civile sont des entreprises duales qui produisent des avions militaires aussi bien que civils.

Cette caractéristique vient d'ailleurs d'être très sensiblement renforcée avec l'opération de fusion en cours entre Boeing et Mc Donnell Douglas Corp.

Par conséquent, les différentes sources de financement public direct du département de la défense ont bénéficié aux entreprises de production aéronautique et ont, indirectement, profité à l'activité de production aéronautique civile.

On peut en trouver un exemple historique avec la construction par le Gouvernement américain au cours de la deuxième guerre mondiale des 2.000 hectares qui constituent le socle de l'espace de production de Boeing à Seattle et lui ont été concédées gracieusement, semble-t-il.

De la même manière, selon les informations recueillies auprès de l'Office of Management and Budget qui est l'homologue de la direction du budget, il est généralement entendu que les redevances d'usage des bâtiments administratifs militaires mais aussi civils ne sont acquittées par les industriels que lorsque le projet de recherche qui le justifie est exclusivement conduit au bénéfice de l'industriel . Mais, que le projet soit dual ou qu'il admette un certain degré de coopération, l'accès aux bâtiments est gratuit pour l'industriel. Dans les autres hypothèses, les redevances ne sont d'ailleurs assises que sur les coûts opérationnels et ne tiennent pas compte des amortissements.

Ces aides indirectes sont évidemment difficiles à chiffrer mais elles sont à l'évidence substantielles -en particulier celle consistant dans la mise à disposition au profit de Boeing des infrastructures gouvernementales- et procurent à leurs bénéficiaires des avantages commerciaux conséquents.

Toutefois, l'essentiel est sans doute pour les industriels de bénéficier des crédits considérables du ministère de la Défense.

Car, en dépit de sa considérable réduction depuis dix ans avec depuis 1986 une chute du tiers des effectifs et de 40 % de son montant, le budget américain de la Défense reste considérable, autour de 252 milliards de dollars en 1995 , soit presque l'ensemble des dépenses budgétaires de l'Etat en France. En outre, l'effort de recherche-développement ne s'est pas relâché aux Etats-Unis , les sacrifices ayant été consentis sur d'autres postes de dépenses, si bien que les moyens budgétaires de la recherche-développement militaire atteignent 60 milliards de dollars. S'il s'agit là du chiffre représentant l'ensemble de l'effort de recherche-développement militaire américain, il est significatif de l'importance des moyens mobilisables en faveur de l'aéronautique, de l'ordre de 29 milliards de dollars.

Il semble à ce propos que le rapport "Arnold et Porter", préparé pour la Commission des Communautés européennes, avait pu ainsi estimer qu'entre 1976 et 1990, la recherche aéronautique avait bénéficié de 50 milliards de dollars dont 5,8 milliards pour Boeing et 6,6 milliards pour Mc Donnell Douglas. Or, si ces crédits étaient principalement destinés à des fins militaires, les communalités entre recherche militaire et civile sont telles qu'ils ont beaucoup favorisé les productions commerciales des firmes auxquelles ils ont été versés.

L'optimisation de la recherche aéronautique

L'impact des subventions du ministère de la Défense sur les programmes civils est allé se renforçant au fil du temps. Le Pentagone a, il y a quelques années, créé un service nouveau, le " Weapon Support Improvement Group ", destiné à évaluer, en particulier, les modes de passation des marchés et l'adaptation des fournisseurs aux besoins des armées américaines. L'un des axes prioritaires du service est d'exploiter au maximum les synergies entre produits civils et militaires. A cet effet, il a mis en oeuvre une politique systématique de réduction du nombre des spécifications proprement militaires et incité les directeurs de programmes à concevoir leurs projets afin qu'ils puissent bénéficier des techniques commerciales les plus récentes. Si donc une sorte de mutation est à l'oeuvre qui voit les transferts de technologies civiles vers les produits militaires prendre le relais des transferts technologiques militaires vers le civil, il apparaît surtout que plus que jamais la recherche aéronautique s'unifie. Les recherches à finalité purement militaire ne sont certes pas tombées en désuétude, mais le double usage, s'il ne se retrouve pas à coup sûr dans les produits, est bien de plus en plus dans les têtes et les composants.

Aux subventions directes versées par le ministère de la Défense, il y a lieu d'ajouter aux moins deux autres sources de financement :

Le programme MANTECH -Manufacturing Technology Program- destiné à encourager l'utilisation des nouvelles technologies dans les processus industriels ;

Les crédits pour études libres et pour le financement des soumissions aux appels d'offres qui permettent aux entreprises de voir prise en charge une partie des coûts de leurs programmes de recherche et des propositions faites par elles pour répondre aux appels d'offres publics. Les dépenses publiques réalisées à ce titre se seraient élevées entre 1979 et 1990 à quelques 7 milliards de dollars représentant près de la moitié des coûts supportés par les entreprises pour ce type de recherches.

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