N° 354
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1996-1997
Annexe au procès-verbal de la séance du 12 juin 1997.
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des Affaires économiques et du Plan (1) par le groupe de travail (2) sur le bilan des propositions de la mission sénatoriale de 1993 chargée d'étudier la filière des fruits et légumes et sur la mise en oeuvre du règlement (CE) 2200/96 du Conseil du 28 octobre 1996 portant organisation commune des marchés dans le secteur des fruits et légumes ,
Par MM. Jean HUCHON, Jean-François LE GRAND
et Louis MINETTI,
Sénateurs.
(1) Cette commission est composée de :
MM. Jean
François-Poncet,
président
; Philippe François,
Henri Revol, Jean Huchon, Fernand Tardy, Gérard César, Louis
Minetti,
vice-présidents
; Georges Berchet, William Chervy,
Jean-Paul Émin, Louis Moinard,
secrétaires
; Louis
Althapé, Alphonse Arzel, Mme Janine Bardou, MM. Bernard Barraux, Michel
Bécot, Jean Besson, Jean Bizet, Marcel Bony, Jean Boyer, Jacques
Braconnier, Gérard Braun, Dominique Braye, Marcel-Pierre Cleach, Roland
Courteau, Désiré Debavelaere, Gérard Delfau, Fernand
Demilly, Marcel Deneux, Rodolphe Désiré, Jacques Dominati, Michel
Doublet, Mme Josette Durrieu, MM. Bernard Dussaut
,
Jean-Paul
Emorine, Léon Fatous, Hilaire Flandre, Aubert Garcia, François
Gerbaud, Charles Ginésy, Jean Grandon, Francis Grignon, Georges
Gruillot, Claude Haut, Mme Anne Heinis, MM. Pierre Hérisson,
Rémi Herment, Bernard Hugo, Bernard Joly, Gérard Larcher, Edmond
Lauret, Jean-François Le Grand, Kléber Malécot,
Jacques de Menou, Louis Mercier, Jean-Baptiste Motroni,
Jean-Marc Pastor,
Jean Pépin, Daniel Percheron, Jean Peyrafitte, Bernard Piras, Alain
Pluchet, Jean Pourchet, Jean Puech, Paul Raoult, Jean-Marie Rausch, Charles
Revet, Roger Rigaudière, Roger Rinchet, Jean-Jacques Robert, Jacques
Rocca Serra, Josselin de Rohan, Raymond Soucaret, Michel Souplet, Jean-Pierre
Vial.
(2) Ce groupe de travail est composé de : MM.
Jean Huchon,
président
; Aubert Garcia, Mme Anne Heinis,
MM. Jean-François Le Grand, Louis Minetti, Raymond Soucaret,
vice-présidents
; Alphonse Arzel, Gérard César,
Roland Courteau, Michel Doublet, Francis Grignon, Edmond Lauret, Kléber
Malécot, Jacques de Menou, Louis Moinard, Bernard Piras, Michel Souplet.
Fruits et légumes
. -
Rapports d'information.
Mesdames, Messieurs,
Porteurs de valeurs symboliques antiques et parés de vertus
diététiques modernes, les fruits et les légumes ont
conquis, au cours de ce siècle, une place de choix dans la nourriture
humaine des pays riches, en particulier en Europe de l'Ouest, en
Amérique du Nord et au Japon. Tout en apportant diversité et
plaisir dans l'alimentation, ils jouent un rôle nutritif de
complément puisqu'ils fournissent vitamines, sels minéraux et
fibres, tout en étant pauvres en calories.
Si ce secteur des fruits et légumes a pu, jusqu'au début des
années 1990, donner le sentiment d'être un secteur
relativement épargné par la crise générale que
connaissait l'agriculture française et européenne, la crise de
1992, par delà ses causes conjoncturelles, a servi de
révélateur à des déséquilibres plus
fondamentaux.
C'est donc dans un contexte d'effondrement des marchés et de vive
préoccupation
quant aux effets induits par la réforme de la
politique agricole commune que
le Sénat avait autorisé, lors
de sa séance du 16 décembre 1992, la création d'une
mission d'information
, constituée au sein de votre Commission des
Affaires économiques, chargée d'étudier le fonctionnement
des marchés des fruits, des légumes et de l'horticulture et
d'examiner leurs perspectives d'évolution, compte tenu de la
réforme de la politique agricole commune (PAC) et de formuler toutes
propositions de nature à remédier aux difficultés dont
souffrent ces secteurs.
Au terme de plus de 35 auditions et d'un grand nombre de déplacements
" sur le terrain ", cette mission avait présenté, au
mois de
mai 1993, son rapport
.
1(
*
)
Celui-ci présentait,
après un constat de l'évolution et des difficultés de la
filière, une série de mesures de nature à remédier
aux insuffisances et aux dysfonctionnements de ces secteurs.
Ces propositions s'articulaient
autour de trois axes
: la mise en
oeuvre de mesures nationales, la modification de la réglementation
communautaire applicable et une meilleure maîtrise des importations des
pays tiers.
Rappelons que la mission
, convaincue que les propositions susceptibles
d'être formulées ne recueillaient pas nécessairement
l'unanimité avait,
d'une part
, tenu compte de la
variété des situations particulières, en ne proposant pas
systématiquement de solution uniforme et,
d'autre part
, n'avait
pas souhaité se substituer aux opérateurs économiques et
aux professionnels concernés dans le choix des stratégies
à mettre en oeuvre.
Au sein de la
cinquantaine de propositions
, la
réforme du
fonctionnement de l'organisation commune du marché (OCM) des fruits et
légumes était considérée comme une
impérieuse nécessité.
Cette réforme de la réglementation communautaire est apparue
d'autant plus urgente que l'adoption depuis 1993 d'un certain nombre de mesures
préconisées par la mission sénatoriale au niveau national,
pour nécessaires qu'elles soient, n'ont néanmoins pas
été suffisantes pour régler l'ensemble des
difficultés de la filière.
Cette réforme finalement a été adoptée par le
Conseil des Ministres de l'Union européenne le
26 juillet 1996
, les derniers règlements d'application
ayant été publiés au début de
l'année 1997.
Ce nouvel environnement communautaire, sur fonds de poursuite d'une crise
à la fois conjoncturelle et structurelle, a conduit le groupe de travail
" fruits et légumes " de votre commission des Affaires
économiques à se pencher, à nouveau, sur cette
filière importante tant en termes économiques que d'emplois et
d'aménagement du territoire.
Outre des déplacements en région Provence-Alpes-Côte d'Azur
(PACA), en Maine-et-Loire et à Rungis, le groupe de travail (voir
annexes 1 et 2) a procédé à une
vingtaine
d'auditions
(annexe 3)
.
Il a souhaité,
tout en effectuant un bilan synthétique
des
différentes propositions du rapport de la mission sénatoriale,
examiner les mécanismes de cette nouvelle OCM
et
d'apprécier les perspectives d'avenir du secteur français des
fruits et légumes à l'aube de l'an 2000
.
Quatre années après la publication du rapport de la mission
sénatoriale,
le groupe de travail a pu constater que le secteur des
fruits et légumes demeurait en crise
.
Toutefois,
la mise en oeuvre d'un cadre communautaire rénové,
dans un secteur
dont les
atouts sont indéniables,
offre
l'opportunité, aujourd'hui, de
rompre avec le passé
et
d'envisager
de nouvelles perspectives
de développement.
I. LE SECTEUR DES FRUITS ET LÉGUMES EN 1997 : UN CONSTAT PARADOXAL
Le constat effectué par une grande partie des personnes auditionnées converge : en effet, si la filière française des fruits et légumes connaît une crise à la fois conjoncturelle et structurelle évidente, elle n'en dispose pas moins d'atouts réels.
A. EN DÉPIT D'ATOUTS RÉELS ET DE LA MISE EN OEUVRE DE MESURES OPPORTUNES EN FAVEUR DE LA FILIÈRE...
1. De réels atouts
a) L'image " positive " des fruits et légumes
L'image des fruits et légumes est excellente dans
notre société contemporaine
: elle est portée
à la fois par une certaine mode (par exemple au travers des recettes des
grands chefs) et à la fois par des orientations de fond basées
sur des
valeurs de naturalité, de vitalité, de santé et
de plaisir sain et simple.
En effet, face à une société complexe, qui
s'accélère, perd ses repères,
l'image que
véhiculent les fruits et légumes rassure
, paraît
procurer l'équilibre et l'harmonie tout en permettant un retour à
l'essentiel, à la nature.
La seule histoire de la Nature Morte, des premières
représentations des " tables servies " sur les murs
d'Herculanum et de Pompéi jusqu'aux compositions des peintres
contemporains suffit à montrer la place qu'occupent les fruits et
légumes dans l'imaginaire.
Ainsi, derrière ces produits se cache une histoire
extraordinaire
: tous n'ont pas été connus en même
temps en Europe occidentale, les premières attestations
archéologiques remontant au 8ème millénaire avant
Jésus-Christ. Certains ont d'abord été couronnés
à titre de médicaments, d'autres sont nés de croisements
et d'hybridations. Depuis, le Paradis terrestre, jardins et vergers tiennent
une place primordiale dans l'art de vivre de chaque époque. Chaque
siècle, chaque pays, chaque province, a eu sa manière
particulière de consommer les fruits et légumes. " Le
Potager du Roy " à Versailles, dont la réalisation avait
été confiée à Jean de la Quintinie, a gardé,
après trois siècles, une réalité vivante, proche de
sa vocation d'origine, irremplaçable dans l'histoire des productions
fruitières et légumières.
b) Un secteur d'une grande importance économique et sociale
Un secteur qui génère une forte valeur
ajoutée en Europe
Selon les dernières statistiques publiées, la production
communautaire de fruits et légumes utilise
4,3 % de la
superficie agricole utile
(soit 5,5 millions d'hectares),
représente plus de 16 % de la production finale agricole
et
compte
1.800.000 exploitations
d'une dimension moyenne de
1,3 hectare. Les exploitations " professionnelles "
spécialisées dans la production de légumes sont environ
100.000 avec une superficie moyenne de 4,2 hectares. Pour les fruits, ces
chiffres sont respectivement de 350.000 exploitations et de
7 hectares.
Ce secteur
, qui
utilise peu de terres et génère une
plus forte valeur ajoutée
à l'hectare que les exploitations
moyennes, est également
le principal employeur de main d'oeuvre
agricole
. Il est en outre
localisé dans des régions
souvent éprouvées
par le chômage, où n'existent
pas de réelles possibilités de diversification de l'emploi et
joue par là-même un rôle important pour l'emploi
rural
.
Le commerce intra-communautaire est très actif
, puisqu'il
dépasse 6,5 millions de tonnes (8,7 millions de tonnes avec
les agrumes), soit environ 70 % des volumes de fruits et légumes
qui circulent en Europe. Les principaux expéditeurs sont l'Espagne et
l'Italie, tandis que l'Allemagne est le principal client.
PRODUCTION EUROPÉENNE DE LÉGUMES FRAIS
|
1980 |
1990 |
1992 |
1993 |
1994 |
Millions de tonnes |
|||||
EUR 12 |
38,0 |
46,0 |
46,5 |
45,8 |
|
Italie |
11,5 |
12,2 |
12,6 |
12,1 |
|
Espagne |
8,4 |
11,5 |
10,5 |
10,2 |
10,6 |
France |
4,6 |
5,5 |
5,6 |
5,7 |
5,8 |
Grèce |
4,2 |
3,9 |
4,2 |
4 |
4,2 |
Autres pays |
9,3 |
12,9 |
13,6 |
13,7 |
|
|
|
|
|
|
|
EUR 12 |
38,0 |
46,0 |
46,5 |
45,8 |
|
Tomate |
11,1 |
13,5 |
12,7 |
16,2 |
13,3 |
Melon, pastèque |
3,3 |
3,9 |
3,8 |
3,8 |
3,7 |
Chou |
3,1 |
3,3 |
3,4 |
3,4 |
3,3 |
Oignon |
2,6 |
3,1 |
3,2 |
3,1 |
3,1 |
Salade |
2,3 |
3,0 |
3,0 |
3 |
3 |
Carotte |
2,0 |
2,9 |
3,2 |
3,2 |
3 |
Chou-fleur |
1,9 |
2,0 |
2,3 |
2,3 |
2,2 |
Aubergine-courge |
1,2 |
1,4 |
1,4 |
1,4 |
1,4 |
Poivron, piment |
1,2 |
1,5 |
1,5 |
1,5 |
1,5 |
Autres |
9,4 |
11,4 |
12,1 |
11,9 |
|
PRODUCTION EUROPÉENNE DE FRUITS
|
1980 |
1990 |
1993 |
1994 |
Millions de tonnes |
||||
EUR 12 |
28,8 |
31,0 |
32,2 |
|
Italie |
10,0 |
10,1 |
10,8 |
|
Espagne |
6,7 |
8,7 |
9,7 |
9,3 |
Grèce |
3,1 |
3,5 |
3,3 |
3,4 |
France |
3,4 |
3,5 |
3,4 |
3,8 |
Allemagne (1) |
3,3 |
3,0 |
2,7 |
|
|
|
|
|
|
EUR 12 |
|
|
|
|
Dont : pomme |
8,2 |
8,0 |
8,8 |
9,1 |
Poire |
3,0 |
2,5 |
2,5 |
2,7 |
Pêche (2) |
2,7 |
3,8 |
4,1 |
4,5 |
1 : Y compris ex-RDA
2 : Y compris nectarines
Source : EUROTAST
Une place considérable dans l'économie nationale
La
production française moyenne de fruits et légumes
s'établit à environ
10 millions de tonnes
, dont
6 millions de tonnes de légumes, hors pommes de terre et
4 millions de tonnes de fruits, pour une
valeur
estimée
à environ
32 milliards de francs
. Le secteur des produits
frais emploie directement et indirectement plus de 500.000 personnes.
En ce qui concerne les fruits
, le verger français occupe
actuellement 238.500 hectares. Le pommier, avec 64.000 hectares,
reste le verger le plus important malgré une perte de
6.000 hectares. Le pêcher et le nectarinier viennent en seconde
position. L'abricotier a considérablement crû depuis 1980 et le
verger de noyers fait preuve de dynamisme avec une progression de 30 %
depuis 1990.
LA PRODUCTION FRANCAISE DE FRUITS EN 1995
La France joue également un rôle important dans la production de légumes et notamment de tomates, de carottes, de choux-fleurs, de salades, de melons. Avec 6 millions de tonnes de produits (qui représentent plus de cinquante variétés différentes), le secteur des légumes représente, en valeur, 26 milliards de francs.
PRINCIPAUX LÉGUMES FRAIS RÉCOLTÉS EN FRANCE EN 1995
Le circuit de distribution, constitué par un réseau regroupant
environ 800 expéditeurs, 200 coopératives,
100 associations et syndicats de mise en marché,
2.000 grossistes et 80.000 points de vente,
emploie
également 250.000 personnes.
c) Le rayon fruits et légumes : un rayon " stratégique " en plein développement
Les fruits et légumes constituent un rayon
stratégique
. Il est en effet un des deux ou trois rayons du magasin
les plus rentables financièrement au m² puisque l'évolution
des marchés (surproduction, atomicité de l'offre, ...) met
à disposition des détaillants des produits abondants, de
qualité, peu coûteux et sans image de marque.
En outre, il est le plus porteur d'image pour le magasin
:
fraîcheur, agrément, propreté, ... : cette image
rejaillit sur tous les rayons alimentaires frais.
Par ailleurs, le distributeur est conduit à rechercher des axes de
différenciation pour se dégager de la pression concurrentielle et
augmenter ses marges : les innovations étant peu nombreuses dans la
filière, tout travail allant dans ce sens les intéresse.
Aussi, afin de rendre plus attrayants leurs rayons et développer
leurs ventes, les distributeurs proposent
:
- l'aménagement de " bergeries " de présentation
à la manière des marchés forains ;
- le retour à des " pesées
assistées " ;
- l'offre particulière de préemballé pour les clients
" pressés " ;
- la mise en place progressive d'un marketing spécifique alliant
marque de distributeur et marques de groupements ;
- l'élargissement de la gamme des produits ;
- la mise en place de systèmes tendant à optimiser la
rotation des produits et la rentabilité des linéaires.
Ces caractéristiques commerciales doivent être
considérées comme des atouts
pour l'avenir de la
filière des fruits et légumes,
même si, aujourd'hui,
les producteurs les perçoivent comme des contraintes.
La production pourrait, en effet, dans le futur, tirer profit de cette valeur
stratégique du rayon fruits et légumes en exigeant de la part des
GMS une association aux bénéfices réalisés
grâce à la qualité des produits mis sur le marché.