4. Des faiblesses à ne pas négliger
En dépit et en partie à cause de ses brillants résultats, l'économie indonésienne connaît un certain nombre de difficultés conjoncturelles. Elle se trouve aussi confrontée à des handicaps structurels, parfois endémiques, dont la résorption impose des efforts non négligeables et une volonté déterminée.
a) Les risques de "surchauffe" et la vulnérabilité des comptes extérieurs
L'accélération de la croissance en 1994 et en
1995 a entraîné une surchauffe économique dont
témoigne la monté de l'inflation. Contenue pour 1994 à
9,2 %, elle pourrait avoir dépassé 9,5 % en 1996. Or, les
objectifs du plan en prévoyaient le plafonnement à 5 % par
an.
Cet accroissement des prix nominaux supérieur à celui de ses
partenaires commerciaux est de nature à poser, à terme, le
problème de la compétitivité des exportations
indonésiennes, qu'une dépréciation annuelle de 4 à
5 % de la roupie face au dollar ne saurait à elle seule suffire à
assurer.
L'Indonésie se trouve engagée dans une course de vitesse entre
les importations de biens d'équipements et la capacité de ces
derniers à engendrer des exportations insuffisantes pour rembourser les
dettes qu'ils ont générées. Ses actuelles exportations
présentant une structure fragile
19(
*
)
, la récente dégradation
des comptes extérieurs -liée elle aussi à
l'accélération de la croissance- peut rendre circonspect.
Le déficit des paiements courants a doublé entre 1994 et 1995
(plus de 6,5 milliards de dollars contre 3,3 milliards en 1994) sous le double
impact d'une forte baisse de l'excédent commercial (due au fait que les
exportations croissent bien plus lentement que les importations) et de
l'aggravation du déficit des services (transport et assurance,
rapatriement de dividendes liés aux investissements).
Dans ces conditions, certains esprits se demandent comment la croissance des
exportations pourrait rapidement trouver un second souffle et être en
mesure de couvrir des importations dopées par la consommation
intérieure et les investissements productifs, à partir du moment
où il n'est pas certain que ces derniers contribueront plus aux
exportations qu'à la consommation intérieure.
Cependant, son niveau d'endettement extérieur relativement
élevé (plus de 100 milliards de dollars) ne pose pas de
difficultés
20(
*
)
à
l'Indonésie pour financer ses déficits courants en raison d'un
flux important de capitaux extérieurs, constitué pour une part
croissante d'investissements directs à long terme mais également
d'investissements à court terme, en augmentation forte.
b) Une certaine fragilité du système bancaire
Le gouvernement veille d'ailleurs à ce que le
gonflement de la "bulle immobilière" javanaise qui affectent le bilan
de
nombreuses banques n'aboutisse pas à ébranler cette confiance
internationale pour l'instant confortée par le fait que
l'Indonésie n'a, sur son territoire, ni l'équivalent de
l'Inspection des Finances, ni de la Direction du Trésor...
Il a notamment mis en place une politique de stabilisation de l'endettement
privé avec création d'une commission des prêts "offshore"
et imposition de plafonds pour les agents économiques ayant recours
à l'emprunt.
Ceci vise à éviter que les difficultés rencontrées
pour placer les programmes immobiliers résidentiels et commerciaux
développés à Jakarta, qui ont amené à 20 %
le taux de créances douteuses des banques publiques
21(
*
)
, affectent la
crédibilité du système bancaire dans son ensemble et
conduisent à une crise financière grave.
c) Un déficit d'investissements structurants
La réputation des cadres supérieurs
indonésiens, dont beaucoup sont formés à l'étranger
dans le cadre de la coopération internationale, est très bonne.
Cependant, le pays manque de cadres intermédiaires, de techniciens et
d'ouvriers qualifiés.
Il en résulte que les productions à forte valeur ajoutée
se heurtent à des blocages liés à la compétence
technique de la main d'oeuvre. Le niveau des quantités produites et leur
qualité s'en trouvent affectés. Ceci constitue un handicap de
productivité commun à nombre d'économies
émergentes, mais gênant pour une stratégie de meilleure
spécialisation internationale.
Une telle situation souligne un
déficit d'investissement dans la
formation technique et dans les cycles d'enseignement supérieur de
courte durée
. Elle peut être assez longue à
résorber en raison des délais inhérents à la mise
en place des filières correspondantes et à leurs effets sur le
marché du travail.
Pourtant, la principale hypothèque structurelle pesant sur
la poursuite de la croissance et la réussite des politiques
économiques menées semble bien être
le
goulot
d'étranglement des infrastructures
.
Un grand retard a été pris en ce domaine, qu'il s'agisse des
télécommunications, des réseaux de transports urbains ou
interurbains, des infrastructures portuaires et -dans une moindre mesure-
aéroportuaires, de l'adduction d'eau et du traitement des déchets
dans les villes grandes et moyennes.
L'exemple de la desserte en eau permet de prendre la dimension du
problème : actuellement, moins de 30 % de la population urbaine a
accès à un réseau de distribution d'eau dite propre et la
distribution d'eau potable n'existe nulle part. A Jakarta -où la
Lyonnaise des Eaux suit le projet de concession de la distribution d'eau de la
moitié Ouest de la conurbation- le très large recours à
des puits privés entraîne une diminution de la nappe
phréatique, cause d'affaissements de terrain et de difficultés
pour l'approvisionnement en eau de la capitale.
De telles difficultés doivent, en outre, être
appréciées dans la perspective du formidable
phénomène d'urbanisation que connaît l'Indonésie. On
estime qu'aujourd'hui que 32 % de ses 192 millions d'habitants vivent
dans les villes. Cette proportion devrait dépasser les 50 % en 2020, de
sorte que les villes indonésiennes auront à accueillir
annuellement plus de 3,5 millions nouveaux habitants dans les 20
prochaines années. Les projections à cet horizon font état
d'une population urbaine de 155 millions d'habitants, avec 23 villes plus
que millionnaires. C'est dire à quel point les problèmes
d'aménagement urbain vont devenir cruciaux.
Au total, l'Indonésie est le pays de l'ASEAN dont les besoins en
infrastructures publiques sont les plus importants : près de 200
milliards de dollars sur les 10 ans à venir.
Or, l'insuffisance d'équipements n'est pas seulement pénalisante
pour la population, elle augmente aussi les coûts des entreprises,
réduit leur efficacité et retarde les délais de livraison.
d) Les "péages non fiscaux" dans l'accès aux services administratifs
L'autre lourde entrave à l'essor économique
indonésien est rarement évoquée dans les rapports
officiels. A distance, elle appelle habituellement l'euphémisme
policé ou l'allusion délicate.
Sur place, en revanche, elle est matière à anecdotes
variées et à expressions imagées dont la pudeur fait toute
la suavité. Il est vrai qu'elle est présente dans la vie
quotidienne de chacun qu'il soit usager national du moindre service public -de
l'hôpital au permis de conduire
22(
*
)
-, ou entrepreneur étranger
à la recherche d'une autorisation administrative.
Cette réalité se trouve toutefois de plus en plus souvent
stigmatisée par les économistes et les grands groupes industriels
du pays. Ceux-ci estiment en effet que les "taxes non fiscales"
exigées
tant pour les procédures administratives normales que pour celles
dérogatoires au droit constituent des "surcoûts invisibles"
pouvant représenter des pourcentages nuisibles à
l'économie du pays et constituer des obstacles importants à sa
compétitivité.
Cette situation illustre le défi majeur que la préparation de son
avenir économique lance à l'Indonésie : organiser la
libéralisation interne qu'elle a si bien su conduire sur le plan de
l'ouverture aux échanges internationaux de capitaux et de marchandises.