C. MARCHE INTERIEUR DU GAZ NATUREL (PROPOSITION E 211)
Le mercredi 5 février 1997, la
délégation a entendu M. Franck Borotra, ministre de l'industrie,
de la Poste et des télécommunications, sur l'état des
négociations concernant la proposition de directive relative au
marché intérieur du gaz naturel (E 211) ; elle a
examiné une proposition de résolution de M. Jacques Oudin
sur cette proposition d'acte communautaire.
M. Franck Borotra
souligne tout d'abord que cette négociation est
plus difficile qu'il y paraît au premier abord, compte tenu de la grande
diversité des situations des Etats membres dans ce domaine. Deux pays de
l'Union européenne, les Pays-Bas et la Grande-Bretagne, sont des
producteurs excédentaires ; d'autres Etats, dont la France, utilisent le
gaz naturel, mais dépendent presque totalement de l'extérieur
pour leur approvisionnement ; enfin, certains pays constituent des
marchés émergents dans le secteur du gaz. Par ailleurs, le
marché du gaz naturel est caractérisé par l'existence
d'oligopoles, de gros consommateurs négociant avec de gros producteurs.
Il s'agit d'un secteur dans lequel la concurrence ne peut assurer à elle
seule le bon fonctionnement du marché.
Le ministre estime ensuite que l'adoption d'une directive communautaire est
souhaitable pour de multiples raisons. En premier lieu, l'interconnexion des
réseaux tend à se généraliser et il ne paraît
guère souhaitable que la France reste à l'écart de ce
mouvement. Dans les années à venir, l'existence de ressources
excédentaires permettra une diminution sensible du prix du gaz dont la
France doit pouvoir profiter. En second lieu, les gros consommateurs
industriels devraient pouvoir accéder au gaz dans les meilleures
conditions possibles, afin de renforcer leur compétitivité. En
troisième lieu, la menace que la France soit condamnée par la
Cour de justice des Communautés européennes pour le maintien de
ses monopoles existe toujours. Enfin, une telle directive permettra de
faciliter la croissance de Gaz de France qui a vocation à être un
opérateur mondial.
M. Franck Borotra observe ensuite que, dans les négociations actuelles,
on retrouvait les mêmes clivages entre Etats que sur l'ensemble des
problèmes industriels. Certains Etats souhaitent en effet une
concurrence généralisée dans tous les secteurs, d'autres
plaident pour une évolution maîtrisée, tandis qu'un
troisième groupe se montre plus fluctuant.
Le ministre présente les principes qui fondent la position
française sur ce dossier :
- il est exclu d'accepter une déréglementation
généralisée ;
- le texte de la directive devra permettre le maintien des obligations de
service public, dont la définition doit relever des Etats membres,
conformément au principe de subsidiarité. Dans le secteur du gaz,
ces obligations concernent tout particulièrement la contribution au
bilan énergétique à travers l'approvisionnement à
long terme, la sûreté et les conditions de distribution ;
- la directive devra permettre le maintien d'une programmation à long
terme et donc la conclusion de contrats dits "
take or
pay
" ;
- une certaine ouverture à la concurrence est envisageable, à
condition qu'on n'inscrive dans la directive aucun mécanisme automatique
d'ouverture progressive pour l'avenir ; en outre, l'ouverture à la
concurrence ne saurait se faire par la fixation d'un taux unique, compte tenu
des différences très grandes entre les structures des
différents marchés ;
- les Etats membres devront pouvoir choisir les clients éligibles, la
France ne souhaitant pas voir remise en cause l'organisation de son
système de distribution ;
- enfin, il conviendra de veiller à ce que les conditions
imposées aux entreprises gazières en matière de
transparence ne les placent pas en situation difficile dans leurs
négociations avec les producteurs.
M. Franck Borotra souligne que de nombreux points ne font pas l'objet d'un
accord au sein du Conseil. Il observe en particulier que le degré
d'ouverture du marché, le mécanisme d'ouverture ainsi que la
définition des clients éligibles devaient encore faire l'objet de
négociations approfondies et rappelle que la France souhaite que les
clients éligibles soient exclusivement des consommateurs finaux pouvant
apporter la preuve de l'existence de contrats fiables, ce qui implique un
contrôle des importations de gaz sur le territoire français.
Le ministre estime que le degré d'ouverture du marché doit
dépendre de critères qualitatifs et non faire l'objet d'un taux
unique pour l'ensemble des pays. Il fait valoir ainsi qu'un seuil d'ouverture
fixé par référence à une consommation de 25
millions de m
3
par an correspondrait à 90 % de
la consommation finlandaise et à 18 % de la consommation
française.
M. Franck Borotra souligne enfin que la place des contrats à long terme
dans l'approvisionnement et les conditions dans lesquelles les Etats peuvent
arrêter les obligations de service public ne faisaient pas non plus pour
l'instant l'objet d'un accord entre les Etats membres.
Au cours du débat qui suit,
M. Jacques Oudin
exprime tout d'abord
sa satisfaction à propos de la directive sur le marché
intérieur de l'électricité. Il rappelle que, dans ce
domaine, la France a une particularité très importante à
défendre, à savoir l'avenir de son parc
électro-nucléaire. Il observe que, dans le secteur du gaz
naturel, le principal enjeu pour la France est la sécurité de ses
approvisionnements et demande au ministre si cette sécurité est
assurée à long terme, compte tenu des troubles existant dans
certains pays fournisseurs. Il interroge ensuite le ministre sur la situation
de la construction navale française dans le domaine du transport du gaz
naturel liquéfié.
M. Franck Borotra
indique que la fiabilité des sources
d'approvisionnement est déterminante et qu'il est nécessaire de
diversifier ces sources. Il observe que la France a intérêt
à développer la présence d'opérateurs
français dans ce domaine et se félicite des discussions existant
entre Elf et Gaz de France. Il souligne ensuite que la construction navale de
méthaniers en France est dans une situation très difficile et que
le Gouvernement ne peut malheureusement pas aider ce secteur autant qu'il le
souhaiterait du fait des dispositions communautaires en matière d'aides
d'Etat.
M. James Bordas
s'interroge sur les capacités de stockage du gaz
existant en France.
M. Franck Borotra
lui répond que ces capacités
représentent environ 10 % de la consommation annuelle et qu'il
s'agt naturellement d'un élément important pour le bon
fonctionnement du marché.
Mme Danièle Pourtaud,
après avoir exprimé son
attachement aux obligations de service public, souhaite obtenir des
précisions sur la définition des clients éligibles dans la
future directive.
M. Franck Borotra
rappelle tout d'abord que, lors des
négociations sur les télécommunications, les postes et
l'électricité, la France avait pu obtenir la prise en compte des
missions de service public. Il estime que les clients éligibles
devraient être des consommateurs finaux, en particulier des industriels
soumis à la concurrence, pour lesquels le gaz est un
élément important de compétitivité. Il souligne que
l'existence d'une bulle gazière donnerait aux industriels d'autres pays
un avantage important et que la France ne devrait pas rester à
l'écart de cette évolution.
M. Jacques Oudin
interroge ensuite le ministre sur la position
internationale de Gaz de France.
Le ministre lui répond que Gaz de France est un opérateur
international moyen, disposant de nombreux atouts pour devenir un
opérateur mondial. Il fait valoir qu'il est désormais
nécessaire d'être présent dans la production pour
être un opérateur de niveau mondial. Après avoir
évoqué la situation de marchés susceptibles d'offrir un
potentiel de développement pour l'entreprise, le ministre indique que le
contrat d'objectifs en cours de négociation entre l'Etat et Gaz de
France devrait permettre de faciliter le développement de
l'opérateur au niveau mondial, grâce à des dispositions
adéquates en matière d'investissement, de répercussion des
gains de production et de tarifs.
M. Jacques Oudin
présente ensuite une proposition de
résolution sur la proposition de directive relative au marché
intérieur du gaz naturel.
Il observe tout d'abord qu'il lui a paru important que le Sénat soit
pleinement informé des négociations en cours sur les
règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel et
puisse se prononcer sur les principes auxquels il tient.
Il indique ensuite que la proposition de résolution demande au
Gouvernement de prendre en compte quatre principes très importants pour
l'avenir :
- en premier lieu, le maintien de l'ensemble des missions de service public qui
existent aujourd'hui dans le secteur du gaz en France, et tout
particulièrement de la continuité de fourniture et de la
sécurité des approvisionnements ;
- en second lieu, la possibilité d'une planification à long terme
des investissements, qui implique que les Etats membres qui le souhaitent
puissent continuer à souscrire des contrats d'approvisionnement à
long terme dits "
take or pay
" ;
- en troisième lieu, la nécessité de veiller à ce
que les principes de transparence et de séparation comptable ne placent
pas les entreprises gazières en position d'infériorité
dans leurs négociations avec les producteurs ;
- enfin, la nécessité de laisser une large place à
l'application du principe de subsidiarité, compte tenu de la
diversité des situations des Etats membres dans le secteur du gaz
naturel. Les pays qui le souhaitent devraient en particulier pouvoir exclure
les distributeurs de la définition des clients éligibles, si cela
devait risquer de porter atteinte à l'exercice des missions de service
public.
Concluant son propos, M. Jacques Oudin fait valoir qu'une certaine
ouverture du marché du gaz naturel peut avoir des effets
bénéfiques, en permettant aux industriels d'avoir accès au
gaz naturel dans les meilleures conditions, mais que cette ouverture partielle
n'est possible que dans le respect des principes affirmés dans la
proposition de résolution.
M. Franck Borotra
indique tout d'abord qu'il se garde bien de donner
explicitement un avis sur la proposition de résolution, le Parlement
étant seul maître dans l'exercice de cette procédure. Il
insiste sur trois préoccupations : la nécessité de
maintenir un contrôle des importations de gaz naturel, le refus de tout
mécanisme automatique d'ouverture progressive à la concurrence,
enfin l'attachement de la France au maintien de son organisation de la
distribution du gaz.
M. Alain Richard
, revenant sur les propos du ministre relatifs à
la nécessité de faire de Gaz de France un opérateur
mondial, observe qu'une telle évolution impliquera la conclusion
d'alliances internationales et la modification de la structure du capital de
l'entreprise. Il fait valoir que Gaz de France serait à la fois un
opérateur mondial en concurrence et le gestionnaire d'un réseau
public monopolistique. Il en déduit qu'à terme la structure
juridique et capitalistique de Gaz de France serait nécessairement
remise en cause.
M. Franck Borotra
lui répond que cette question se posera
vraisemblablement dans les années à venir, mais qu'il est
nécessaire d'avoir des ambitions fortes pour l'entreprise. Il estime que
Gaz de France devrait conserver un capital majoritairement public.
Après le départ du ministre, la délégation
débat de la proposition de résolution de M. Jacques Oudin.
Après un large débat, au cours duquel interviennent
M. Jacques Oudin, Mme Danièle Pourtaud, M. Alain
Richard et M. Yann Gaillard,
la délégation décide
de compléter la proposition de résolution de M. Jacques
Oudin, afin que celle-ci demande l'exclusion de tout mécanisme
automatique d'ouverture progressive à la concurrence et affirme
l'attachement du Sénat à l'organisation du système de
distribution français.
La délégation approuve ensuite, à l'unanimité,
le dépôt par M. Jacques Oudin de sa proposition de
résolution.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
Le Sénat,
Vu la proposition d'acte communautaire E 211,
Considérant que le Conseil de l'Union européenne et le Parlement
européen ont adopté une directive relative au marché
intérieur de l'électricité conforme aux
préoccupations françaises de maintien d'un service public de haut
niveau et d'une planification à long terme des investissements ;
Considérant que ces préoccupations doivent également
être prises en compte dans les négociations sur le marché
intérieur du gaz naturel ;
demande au Gouvernement :
- de n'accepter l'adoption de la proposition de directive que si elle permet
explicitement la préservation des missions de service public qui
existent aujourd'hui dans le secteur du gaz ;
- de veiller à ce que les Etats membres qui le souhaitent puissent
continuer à maîtriser la sécurité de leur
approvisionnement en contrôlant leurs importations et en souscrivant des
contrats d'approvisionnement dits " take-on-pay ", de façon
à garantir la programmation à long terme ;
- de n'accepter la transparence et la séparation comptable que pour
autant qu'elles ne portent pas atteinte à la capacité de
négociation des entreprises gazières européennes ;
- de veiller à ce que, compte tenu de la diversité des
situations de chacun des marchés des Etats membres dans le domaine du
gaz naturel, la directive laisse une large place au principe de
subsidiarité, en particulier pour la définition des clients
éligibles qui pourront s'approvisionner directement auprès d'un
producteur ;
- de s'assurer que le texte adopté permette le maintien de
l'organisation française de la distribution ;
- de n'accepter aucun mécanisme automatique d'ouverture progressive du
marché.
Cette proposition de résolution a été
publiée sous le n° 211 (1996-1997).
Elle a été renvoyée à la commission des Affaires
économiques et du Plan.