2. Audition de M. Alain Lamassoure
Le même jour, la délégation a entendu
M. Alain Lamassoure, ministre délégué au budget, sur le
système commun de TVA en Europe.
M. Alain Lamassoure,
ministre délégué au budget,
estime tout d'abord que, si la question de la TVA constitue un sujet important
et très complexe, il n'y a aucune urgence à décider en ce
domaine, ajoutant que le Gouvernement français n'a pas encore
arrêté sa position. Le système actuel fonctionne de
manière satisfaisante pour les entreprises, mais il a aussi des
imperfections ; c'est pourquoi il convient de l'améliorer. La question
est sans lien avec l'euro car la mise en oeuvre de la monnaie unique n'implique
pas de passer au régime définitif de TVA. En tout état de
cause, la TVA doit rester un impôt national et n'a pas vocation à
devenir un impôt européen.
En réponse à la première question de M. Denis
Badré, rapporteur, portant sur le bilan du système actuel, M.
Alain Lamassoure souligne que le régime dit " transitoire "
a
succédé à des régimes nationaux différents,
si bien que les conséquences de ce régime sont variables selon
les pays ; si, pour la France, le nouveau régime entraîne des
simplifications pour les entreprises, en revanche il n'en est pas de même
en Allemagne.
Le système actuel repose sur trois éléments :
- la fin des restrictions à l'achat pour les voyageurs, qui sont
imposés à la TVA dans le pays d'origine des biens qu'ils
achètent - sauf pour l'achat de véhicules neufs et pour les
ventes à distance ;
- l'abolition des contrôles aux frontières pour les entreprises,
qui permet à celles-ci de bénéficier de la suppression des
frais liés à l'accomplissement des formalités
douanières, tels que la rémunération des commissionnaires
en douane, les cautionnements douaniers et les charges administratives ;
- le maintien de la taxation dans le pays de destination pour préserver
les recettes de chaque Etat.
La contrepartie de la disparition des formalités aux frontières
dans le cadre du marché unique est la déclaration
d'échange de biens (DEB) : chaque trimestre, les entreprises
doivent communiquer un état récapitulatif de leurs livraisons
intracommunautaires par client et fournir une déclaration statistique
détaillée de leurs mouvements de marchandises avec les autres
pays européens. Cette déclaration unique, collectée par le
service des Douanes, sert à l'établissement des statistiques du
commerce intra-européen et permet la coopération entre les
administrations fiscales nationales dans le cadre d'une base de données
européenne de recoupement des déclarations.
M. Alain Lamassoure estime que le système est perfectible, car on
constate des anomalies dans les rentrées de TVA, notamment en 1996 ;
c'est la raison pour laquelle le Gouvernement est décidé à
faire porter le contrôle fiscal en priorité sur la TVA
intracommunautaire. Car le régime transitoire modifie sensiblement la
manière d'exercer les contrôles. Avant le 1er janvier 1993, les
entreprises devaient fournir des preuves simples et directes pour justifier
leurs déclarations fiscales en matière d'importation ou
d'exportation. En effet, à l'occasion du contrôle des
déductions de TVA, le reçu de la recette des Douanes devait
être présenté au vérificateur pour établir
que l'entreprise avait correctement acquitté le montant de la TVA due
sur les importations ; inversement, l'entreprise devait produire le document
administratif unique (DAU) visé par le bureau de douane pour prouver la
réalité de la sortie d'une marchandise du territoire national et
justifier l'exonération de TVA liée à cette transaction.
Le DAU n'existant plus, les contrôles sont devenus plus difficiles,
puisque, lorsque les vérificateurs veulent démontrer l'existence
d'acquisitions intracommunautaires non déclarées (par exemple
contester la réalité d'une prétendue livraison), ils
doivent en faire eux-mêmes la preuve. Comme les biens s'échangent
hors taxes dans le régime actuel, il n'y a donc plus d'incitation
à déclarer les acquisitions, puisqu'aucune taxe n'est
versée au vendeur. Il n'y a pas non plus d'intervention administrative
à un quelconque moment de la transaction, conformément au
principe de libre circulation.
Le ministre indique que trois grands mécanismes potentiels de fraudes
ont ainsi été répertoriés.
Dans un premier cas, les entreprises peuvent effectuer des acquisitions
intracommunautaires sans les déclarer, ce qui a des conséquences
financières pour le Trésor lorsque ces entreprises ont mis en
place un circuit de commercialisation occulte alimenté par ces
acquisitions non déclarées, ou si elles font des
déductions abusives de la TVA sur les marchandises acquises hors taxes
auprès d'un fournisseur communautaire.
Dans un second cas, les entreprises peuvent déclarer des livraisons
intracommunautaires fictives, ce qui induit un préjudice financier
réel en matière de TVA interne.
Enfin, dans un troisième cas, les entreprises peuvent constituer des
circuits frauduleux plus sophistiqués comme l'acquisition directe
à l'étranger et la réintroduction sur le territoire
national sans déclaration (par exemple, les automobiles), ou le
remboursement indu de TVA (par exemple, les " carrousels "
dont
l'originalité réside dans la possibilité de mise en place
d'un circuit d'échange de " papier " totalement
déconnecté d'un quelconque flux réel de marchandises).
M. Alain Lamassoure indique que, dans le but d'améliorer le
régime transitoire, le Gouvernement a l'intention de faire des
propositions portant notamment sur la définition de
l'établissement stable, la taxation du transport international de
personnes, la fixation du régime des opérations commerciales en
chaîne, l'harmonisation de la représentation fiscale,
l'harmonisation des cas d'exclusion du droit à déduction, la
réduction du nombre des cas d'exonération et la
détermination d'un certain nombre de régimes particuliers comme
la livraison après montage, celui des organismes publics, les ventes par
correspondance, le régime des petites entreprises. Il évoque
également la nécessité de réécrire la
6ème directive afin de tirer les conséquences de certains grands
arrêts rendus récemment par la Cour européenne de justice
et de donner un contenu juridique plus précis à la notion
d'activités économiques.
Abordant la deuxième question posée par le rapporteur, M. Alain
Lamassoure estime que deux conditions doivent être levées pour que
le système définitif proposé par la Commission
européenne puisse être mis en oeuvre sans risques excessifs pour
le budget de l'Etat.
La première condition consiste dans le rapprochement substantiel des
taux, faute de quoi on peut craindre des risques importants de
détournement de trafic commercial ; or, depuis 1987, et même
depuis 1991, l'écart des taux, loin de se restreindre, s'est accru. La
seconde condition porte sur le bon fonctionnement du système de
compensation entre les Etats membres ; or cela nécessiterait un
recensement de la totalité des transactions intracommunautaires - qui
obligerait les entreprises à de nombreuses formalités
administratives - sauf à s'en remettre à une forfaitisation
des recettes de TVA, c'est-à-dire à une négociation
politique sur leur montant, qui pourrait se révéler dangereuse
dans la mesure où la TVA assure la moitié des recettes fiscales
de la France. M. Alain Lamassoure souligne qu'il n'entre pas dans les vues
du Gouvernement d'accepter un système commun de TVA qui serait
perçue au niveau européen.
En réponse à une question de
M. Daniel Millaud
sur la
fiscalité dans la zone du franc pacifique, M. Alain Lamassoure indique
que la question du régime des régions
ultra-périphériques de l'Europe - comme les territoires
français d'Outre-mer - est actuellement en cours de
négociation dans le cadre de la Conférence intergouvernementale.
Dans l'hypothèse où ce statut serait entériné par
le nouveau traité, les autorités compétentes de ces
régions verraient encore confortée la possibilité, dont
elles disposent d'ores et déjà, de déterminer
elles-mêmes leurs régimes de fiscalité propre.
M. Alain Richard
déclare qu'il partage largement le sentiment du
ministre au regard du potentiel de fraude contenu dans le système de TVA
intracommunautaire. Faisant état de son expérience
antérieure comme rapporteur général du budget à
l'Assemblée nationale, il insiste sur les difficultés que
rencontrent les services fiscaux à évaluer le montant de la
fraude et rappelle que l'on constate un certain flou dans la corrélation
entre le niveau de la consommation et le montant des rentrées fiscales.
Il fait valoir la nécessité et les difficultés de la
coopération entre les administrations fiscales des pays partenaires,
déterminante pour la mise en place d'un système définitif
faisant l'objet d'une compensation des recettes entre Etats sur une base
statistique. Il attire enfin l'attention du ministre sur les entreprises
à faible durée d'existence et s'interroge sur la fiabilité
des statistiques d'échanges commerciaux, support des reversements.
M. Alain Lamassoure
confirme que, de son point de vue, des
progrès importants restent à faire à l'intérieur de
l'Union européenne, et en France même, pour lutter contre la
fraude à la TVA. On a ainsi constaté en France, en 1996 une assez
forte disparité, à législation constante entre
l'évolution des " emplois taxables " et celle des recettes
nettes de TVA. Les explications conjoncturelles (notamment les effets de la
grève de décembre 1995 et le rattrapage sur janvier 1996, les
remboursements aux collectivités locales, la jurisprudence de la Cour de
justice, notamment sur les produits financiers en matière de
crédits interentreprises) ne permettent pas d'expliquer la
totalité des aberrations constatées dans les rentrées de
recettes. C'est pourquoi le Gouvernement a décidé de renforcer
les contrôles sur cette recette et c'est aussi la raison pour laquelle il
émet des réserves sur un système de compensation
fonctionnant avec des statistiques qui sont elles-mêmes sujettes à
caution.
Répondant à une question de
M. Yann Gaillard
sur le
rapport remis par M. de La Martinière, M. Alain
Lamassoure réaffirme que la France met comme principale condition pour
le passage au régime définitif un degré de
fiabilité suffisant des administrations fiscales nationales. Mais le
régime transitoire, dans son fonctionnement actuel, n'est pas, lui non
plus totalement satisfaisant, puisqu'il conduit à accorder plus de
confiance aux entreprises françaises qu'aux administrations fiscales des
autres Etats membres.
Rappelant que, dans le cadre des débats sur l'euro et des débats
sur la Conférence intergouvernementale (CIG), l'on a
évoqué l'idée de recourir à des
" coopérations renforcées " dans le domaine de la
fiscalité afin de lever l'obstacle que constitue la règle de
l'unanimité en ce domaine,
M. Jacques Genton, président
,
demande au ministre si une telle formule lui paraît praticable et utile.
En réponse,
M. Alain Lamassoure
indique tout d'abord que,
à l'invitation du commissaire Mario Monti, un groupe à haut
niveau, dans lequel il représentera la France, se réunira
prochainement pour examiner la question de l'évolution de la
fiscalité dans l'Union européenne et dans le cadre de la mise en
place de l'euro. Il ajoute qu'il a peine à discerner l'avantage que
pourrait apporter le recours à des coopérations renforcées
en cette matière. En effet, il importe moins de procéder à
une harmonisation de la TVA et des droits d'accises en Europe que d'adopter un
code de bonne conduite pour éviter le dumping fiscal de la part de
certains Etats. Il est en effet anormal que certains de nos partenaires
cherchent à attirer les investissements, les talents et l'épargne
par la création de zones de basse pression fiscale ; de même qu'il
est paradoxal que la Commission intervienne avec des règles très
rigoureuses pour les aides - par exemple en matière d'aides nationales
pour l'aménagement du territoire -, mais qu'elle n'agisse pas avec la
même rigueur sur la compétition fiscale des Etats. Mais un code de
bonne conduite ne peut remédier à ce problème que s'il
s'applique à l'ensemble des Etats membres, ce que le recours à
des coopérations renforcées ne permettrait pas.