N° 266
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1996-1997
Annexe au procès verbal de la séance du 19 mars 1997.
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la délégation du Sénat pour l'Union
européenne (1),
sur
les
activités de la délégation
: suivi de la
Conférence intergouvernementale, questions économiques et
financières, examen des propositions d'actes communautaires
(janvier-février 1997)
Par M. Jacques GENTON,
Sénateur.
(1) Cette délégation est composée de
: MM. Jacques Genton,
président
; James Bordas, Michel
Caldaguès, Claude Estier, Pierre Fauchon,
vice-Présidents
; Nicolas About, Jacques Habert, Emmanuel Hamel, Paul Loridant,
secrétaires
; MM. Robert Badinter, Denis Badré,
Gérard Delfau, Mme Michelle Demessine, M. Charles Descours,
Mme Marie-Madeleine Dieulangard, MM. Ambroise Dupont, Jean-Paul Emorine,
Philippe François, Jean François-Poncet, Yann Gaillard, Pierre
Lagourgue, Christian de La Malène, Lucien Lanier, Paul Masson,
Daniel Millaud, Georges Othily, Jacques Oudin, Mme Danièle
Pourtaud, MM. Alain Richard, Louis-Ferdinand de Rocca Serra, Jacques Rocca
Serra, André Rouvière, René Trégouët, Marcel
Vidal, Robert-Paul Vigouroux, Xavier de Villepin.
Union européenne - Conférence intergouvernementale CE - TVA - ECU - Contrôle parlementaire - Rapports d'information.
INTRODUCTION
Au cours des mois de janvier et février 1997, la
délégation du Sénat pour l'Union européenne a
continué à suivre les travaux de la Conférence
intergouvernementale.
Elle a également abordé des questions économiques et
financières : marché intérieur du gaz naturel,
passage au régime " définitif " de la TVA, mise en
place de l'euro.
Enfin, elle a poursuivi son examen systématique des propositions d'actes
communautaires soumises au Sénat en application de l'article 88-4 de la
Constitution.
I. LA PREPARATION DE LA CONFERENCE INTERGOUVERNEMENTALE
A. PREMIERE AUDITION DE M. MICHEL BARNIER
Le mercredi 29 janvier 1997, la délégation a
entendu M. Michel Barnier, ministre délégué
chargé des affaires européennes, sur les travaux de la
Conférence intergouvernementale, en commun avec la
délégation de l'Assemblée nationale.
M. Robert Pandraud, président,
remercie le ministre pour la
disponibilité dont il fait preuve à l'égard de la
représentation nationale et souhaite que, préalablement à
son exposé sur l'évolution des négociations dans le cadre
de la Conférence intergouvernementale, il puisse éclairer les
délégations sur la valeur juridique du " concept commun
franco-allemand en matière de sécurité et de
défense ", porté le 28 janvier à la connaissance
des membres de l'Assemblée.
M. Michel Barnier
indique que le Gouvernement apportera, sur ce
document qui constitue une déclaration commune de la France et de
l'Allemagne sur leurs convergences en matière de défense, tous
les éclaircissements souhaités, à l'occasion d'une
communication à l'Assemblée nationale inscrite à l'ordre
du jour ce mercredi 29 janvier.
Le ministre aborde ensuite l'état des travaux de la CIG, qui en sont
à leur avant-dernière phase, la dernière phase, qui se
situera en mai-juin 1997, soit après les élections au
Royaume-Uni, devant être celle des conclusions. Il précise,
à cet égard, que, pour la France, " il n'y aura d'accord sur
rien s'il n'y a pas d'accord sur tout ".
La phase en cours s'est engagée sur la base du " Cadre
général pour un projet de révision des
traités " présenté par la présidence
irlandaise en décembre dernier.
Le ministre indique que, selon les autorités françaises, ce
projet constitue un bon document technique, mais que, reflétant la
" frilosité " manifestée par bien des participants
à la négociation, il manque d'ambition et présente des
lacunes. Il ajoute que le Président de la République
française et le Chancelier allemand se sont efforcés de combler
ces lacunes et d'apporter un véritable élan dans leur lettre
commune en date du 9 décembre 1996.
M. Michel Barnier précise que désormais " la feuille de
route " des négociateurs français est constituée par
la lettre franco-allemande et que l'objectif est d'obtenir des conclusions
aussi proches que possible de cette lettre.
Evoquant les lacunes du projet irlandais, M. Michel Barnier souligne
l'absence de propositions en matière de réforme institutionnelle.
Il lui oppose la position franco-allemande, qui porte sur l'extension de la
majorité qualifiée, associée à la révision
de la pondération des voix au sein du Conseil, la réduction du
nombre de commissaires, la simplification des procédures et le
renforcement du rôle du Parlement européen et une meilleure
association des parlements nationaux.
Le ministre insiste sur le fait que la réforme des institutions est
indispensable pour réussir l'élargissement. La stratégie
française va donc consister à essayer de faire adopter des
amendements au projet irlandais, afin de le rapprocher du projet
franco-allemand. Soulignant qu'il ne pourra y avoir de vraie réforme
institutionnelle sans une forte solidarité franco-allemande, que la
récente conférence de presse commune tenue par
M. Hervé de Charette et M. Klaus Kinkel a
illustrée avec force, il a précisé que lui-même
travaillait en étroite coordination avec son homologue allemand,
M. Werner Hoyer.
M. Michel Barnier souligne ensuite que, s'agissant du troisième
pilier, le projet irlandais propose une marche forcée vers la libre
circulation des personnes entre les Quinze, au 1
er
janvier
2001, solution inacceptable pour la France si, concomitamment, n'est pas
prévu un accroissement réel des conditions de
sécurité pour les citoyens. Or les mesures d'accompagnement
proposées dans le document de la présidence irlandaise sont
inférieures à celles qui sont définies par l'accord de
Schengen, puisque, par exemple, ne sont évoquées ni la mise en
oeuvre d'un système d'information analogue au Système
d'information Schengen, qui contient déjà quatre millions de
données sur les personnes recherchées ou les automobiles
volées, ni de dispositions sur l'aménagement des aéroports.
Il convient donc de compléter les propositions irlandaises pour ne pas
rester en deçà des exigences posées par l'accord de
Schengen et même aller plus loin que ces exigences. La France propose en
particulier de définir un socle commun d'harmonisation pour la
qualification des infractions et la détermination des peines, pour
lutter contre la criminalité internationale, le terrorisme et le trafic
de drogue, et conçoit d'ailleurs cette nécessaire harmonisation
vers le haut comme ne devant pas empêcher les Etats membres de faire
davantage s'ils le souhaitent. La France rencontre cependant sur ce sujet la
résistance de certains de nos partenaires, dans le contexte de la
présidence néerlandaise. Pour le ministre, le Conseil devra,
d'autre part, évaluer la réalité de la mise en oeuvre de
ces dispositions avant de procéder à toute ouverture des
frontières intérieures. Il sera également
nécessaire d'améliorer la coopération policière
grâce à un développement par étapes d'Europol.
Dans la lettre du Président Chirac et du Chancelier Kohl, la France et
l'Allemagne présentent, à cet égard, un langage commun et
développent, s'agissant des procédures, une approche pragmatique,
écartant le débat théologique entre les tenants de la
communautarisation et ceux qui la refusent totalement, en partant du constat
qu'il est impossible aux Etats de faire face isolément à des
fléaux européens, continentaux, voire internationaux. Il faut
d'abord inscrire dans le Traité les objectifs que les Quinze veulent
atteindre ensemble, ainsi qu'un calendrier précis, puis définir,
sans a priori, les instruments les plus efficaces, l'initiative partagée
entre le Conseil et la Commission et le recours à la majorité
qualifiée constituant des pistes sérieuses, sans oublier le
développement, en la matière, du rôle des parlements
nationaux.
Dans le domaine de la politique étrangère et de
sécurité commune, le projet irlandais comporte, aux yeux du
Ministre, des faiblesses évidentes : tout d'abord, il ne
prévoit pas de renforcer le rôle, névralgique pour la
France, du Conseil européen, qui doit donner l'impulsion en la
matière ; ensuite, il confère à " Monsieur ou
Madame PESC " une position plus administrative que
politique ;
enfin, il n'aborde guère les problèmes de défense, en
dehors de l'intégration, certes importante, des missions dites de
" Petersberg " (missions humanitaires et d'évacuation,
missions de maintien ou de rétablissement de la paix).
La lettre commune franco-allemande affirme, au contraire, le rôle
fondamental du Conseil européen, la nature politique de " Monsieur
ou Madame PESC " et la nécessité du rapprochement de
l'Union de l'Europe occidentale (UEO) et de l'Union européenne,
même si ce rapprochement peut comporter des étapes.
Rappelant que la France, en coopération avec l'Allemagne, s'efforce
d'améliorer le projet irlandais sur tous ces sujets, M. Michel
Barnier souligne ensuite que le fond de la réforme l'emporte sur le
calendrier et que, si la France est décidée à conclure au
Conseil d'Amsterdam pour éviter des télescopages avec d'autres
échéances, elle veut conclure sur une vraie réforme et ne
le ferait pas à n'importe quel prix, sur un " filet d'eau
tiède " ou un " plus petit dénominateur commun ".
Après avoir rappelé les propositions de la lettre
franco-allemande en matière de coopérations renforcées et
de subsidiarité, le ministre note certains progrès sur les
demandes plus spécifiquement françaises, en particulier les
services publics, les DOM, grâce notamment au soutien sans faille de
l'Espagne et du Portugal, et les PTOM, et enfin la fixation dans le
Traité du siège des institutions européennes, notamment du
Parlement européen.
Tirant les enseignements du premier mois de présidence
néerlandaise, le ministre constate que celle-ci a engagé un
travail sérieux, qu'elle n'écarte pas les sujets difficiles comme
les questions institutionnelles, mais que certains points lui posent
problème, comme la taille de la Commission, la repondération des
voix et le socle commun d'harmonisation du troisième pilier. Les
contacts se multiplient pour que la coopération avec la
présidence néerlandaise soit la plus fructueuse possible.
Il souligne d'autre part le caractère stratégique de la
solidarité franco-allemande pour la réussite de la CIG,
même s'il faut encore travailler sur certains points.
Il note par ailleurs le raidissement des Etats les moins peuplés sur le
nombre des commissaires, qui pourrait bien devenir le point le plus difficile
des négociations. La repondération des voix liée à
l'extension de la majorité qualifiée ne semble pas susciter non
plus beaucoup d'enthousiasme, étant précisé qu'une double
majorité, fondée sur le nombre des Etats et un critère
démographique, proposée par certains Etats membres, ne va pas
dans le sens de nos intérêts.
S'agissant du rôle des parlements nationaux et de la Conférence
des organes spécialisés dans les affaires communautaires (COSAC)
rénovée, l'avis unanime de la COSAC de Dublin a fait
évoluer les esprits, même si l'accord semble plus difficile
à obtenir sur l'intervention des parlements nationaux en matière
de subsidiarité que pour le troisième pilier.
Accroître l'objectif de sécurité dans le troisième
pilier constituerait, pour M. Michel Barnier, un résultat majeur de
la CIG, mais il y a lieu de prendre en considération la forte
résistance prévisible de certains Etats.
La politique étrangère et de sécurité commune n'est
malheureusement plus considérée comme un sujet majeur par
beaucoup de nos partenaires. C'est un sujet essentiel : il ne s'agit pas
de définir une politique étrangère commune et encore moins
unique, mais, après la leçon de la Bosnie, chacun a pris
conscience de la nécessité d'élaborer les outils
permettant de mener des actions stratégiques communes sur certains
sujets intéressant les Quinze.
Le ministre conclut en soulignant que la ligne de fracture ne se situe plus
entre fédéralistes et intergouvernementaux, ni même entre
" petits " et " grands " Etats, mais
entre ceux qui
partagent l'ambition d'aboutir à une vraie réforme
préalable à l'élargissement et ceux qui se contentent du
statu quo. Pour la France, l'Union européenne doit cesser d'être
seulement un marché et accomplir des avancées politiques en
matière de sécurité extérieure et
intérieure, pour le plus grand profit de ses citoyens.
M. Robert Pandraud
observe d'abord que les élections au
Royaume-Uni, prévues au plus tard en mai prochain, auront pour
conséquence de retarder les choix du futur Gouvernement britannique,
quel qu'il soit, ce qui pourra avoir pour effet de reporter la conclusion des
négociations au second semestre de 1997, sous présidence
luxembourgeoise. Tout en soulignant la nécessité d'une solide
entente entre la France et l'Allemagne, il s'interroge sur l'effet que pourrait
provoquer, chez nos autres partenaires, la multiplication des
déclarations franco-allemandes.
M. Michel Barnier
déclare d'abord que rien ne donnait
à penser que les Pays-Bas, qui font partie des six pays fondateurs du
marché commun, allaient privilégier la défense de leurs
positions nationales, au détriment de la recherche d'une position
commune équilibrée. Il estime que les deux partis qui se
disputent actuellement le pouvoir au Royaume-Uni se préparent à
prendre rapidement position dans la phase finale de la CIG et il précise
que le parti travailliste est régulièrement informé du
déroulement des négociations.
Le ministre reconnaît ensuite que le fait de privilégier le
dialogue franco-allemand comporte le risque d'irriter nos autres partenaires,
mais il rappelle que, depuis le Traité de l'Elysée, le couple
franco-allemand est le moteur de l'Europe. Il note le double sentiment
d'attente et d'agacement de la part des partenaires de la France et de
l'Allemagne. Il conclut en soulignant la nécessité de cette
coopération franco-allemande, tout en observant qu'elle n'a pas un
caractère exclusif.
M. Robert Pandraud
précise qu'il ne méconnaît
pas la nécessité de cette coopération franco-allemande,
mais qu'il s'interroge seulement sur la méthode utilisée.
M. Jacques Genton, président
, se félicite que le
ministre vienne présenter chaque mois aux parlementaires l'état
d'avancement des travaux de la CIG. Il indique que la dernière audition
du Ministre s'est déroulée au lendemain du Conseil
européen de Dublin, ce qui n'a pas permis de mener une réflexion
approfondie sur le projet de la présidence irlandaise et la lettre
franco-allemande du 9 décembre 1996.
M. Jacques Genton se réjouit de l'inscription dans le projet de la
présidence irlandaise du délai de quatre semaines qui sera
accordé aux parlements nationaux pour se prononcer sur les textes
communautaires, disposition qui résulte d'une demande unanime des
parlements des quinze Etats membres. Il regrette cependant la formulation du
projet de la présidence irlandaise, qui vise les " propositions
législatives de la Commission au sens de l'article 151 " du
Traité instituant la Communauté européenne. Or, le droit
communautaire ne prévoit pas de hiérarchie des normes et
l'article 151 du Traité concerne uniquement le COREPER et le
Secrétariat général du Conseil. Il demande au ministre de
confirmer qu'il s'agit bien, dans le projet de la présidence irlandaise,
de viser l'ensemble des propositions normatives.
Puis il note que la lettre franco-allemande du 9 décembre 1996
mentionne le renforcement de la COSAC, mais aussi la création d'une
commission commune composée à parité de membres du
Parlement européen et des parlements nationaux, instance qui n'avait
jamais été évoquée, ni au cours de la CIG, ni lors
des travaux de la COSAC.
M. Robert Pandraud
déclare que cette proposition est
même en contradiction avec les positions précédemment
exprimées par la France.
Rappelant l'expérience malheureuse de la Conférence des
Parlements de la Communauté, ou Assises, tenue à Rome en 1990,
M. Jacques Genton
juge qu'une telle instance ne pouvait que tomber
sous l'emprise du Parlement européen, et donc exacerber, de façon
totalement inopportune, les éventuelles divergences entre celui-ci et
les parlements nationaux.
M. Michel Barnier
confirme que la présidence irlandaise a
reconnu son erreur dans la citation de l'article 151 et considère que le
délai de quatre semaines qui sera accordé aux parlements
nationaux concerne bien toutes les activités normatives de l'Union. Il
précise que l'idée d'une instance consultative composée de
représentants du Parlement européen et des parlements nationaux
avait été avancée en Allemagne, ce qui explique qu'elle
soit mentionnée dans la lettre franco-allemande du
9 décembre dernier. La France, pour sa part, s'en tient à
une COSAC rénovée, intervenant sur le troisième pilier et
la subsidiarité.
M. Patrick Hoguet, député
, se réjouit de
l'évolution des négociations sur le troisième pilier, qui
s'inscrivent dans la ligne de ce qu'a souhaité la
Délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union
européenne, notamment sur le lien à établir entre la
sécurité et la liberté, soucis permanents de nos
concitoyens. S'agissant des coopérations renforcées, il
s'inquiète de la position du Gouvernement britannique qui, sans les
écarter en principe, les soumettrait à des décisions
prises à l'unanimité, ce qui introduirait un facteur de blocage
et risquerait de vider cette procédure de toute substance. Il demande
ensuite, sur le problème de l'extension de la majorité
qualifiée et de la pondération des voix au sein du Conseil, si
l'on a procédé à des simulations et selon quels
critères : PIB, population, contributions au budget
communautaire... Le problème risque, selon lui, de devenir très
difficile si l'on aboutit à une différenciation entre l'Allemagne
et la France, au détriment de celle-ci, ce qui n'est sans doute pas le
souhait de celle-là. Enfin, concernant une matière relevant de la
citoyenneté, M. Patrick Hoguet rappelle que la mission
d'information de l'Assemblée nationale sur l'encéphalopathie
spongiforme bovine a mis en évidence certains dysfonctionnements au
niveau européen. Il émet donc l'idée que la CIG
définisse, dans le Traité CE - au delà de l'actuel
article 43 -, une base juridique qui puisse permettre de traiter des
questions agricoles à la fois sur le plan économique
(organisation des marchés) et sur le plan sanitaire et de la protection
des consommateurs.
Dans sa réponse,
M. Michel Barnier
se félicite tout
d'abord de la qualité des travaux de la Délégation de
l'Assemblée nationale sur le troisième pilier, travaux qui,
souligne-t-il, ont étayé les propositions françaises
présentées dans le cadre de la CIG.
S'agissant de la position britannique visant à subordonner à
l'unanimité d'éventuelles coopérations renforcées,
le ministre fait part de l'opposition du Gouvernement français à
l'introduction d'une telle condition. Après avoir précisé
que, dans son esprit, une coopération renforcée ne doit pas
être contraire au traité, ni incompatible avec le marché
intérieur, et que le Gouvernement français envisage, à cet
égard, que la Commission soit chargée de veiller à la
validité des coopérations renforcées au regard du
Traité pour le pilier communautaire, le ministre souligne les
caractéristiques que doivent présenter ces
coopérations : celles-ci ne sauraient, en aucun cas, être
subordonnées à l'unanimité des Etats membres, de
manière à ce qu'aucun Etat ne puisse interdire une
coopération renforcée ; si, par définition, aucun
Etat membre ne doit être obligé de participer à une telle
coopération, en revanche, tous les Etats doivent pouvoir, s'ils le
désirent, rejoindre une coopération renforcée
engagée sans eux.
Abordant la question de la nouvelle pondération des voix au sein du
Conseil, le ministre indique que seul un système simple pourrait
être susceptible de recueillir l'approbation de l'ensemble des Etats
membres. Il rappelle la volonté française d'aboutir à une
meilleure prise en compte du poids démographique des Etats, tout en
soulignant qu'il faudra, in fine, conserver une certaine
sur-représentation des Etats les moins peuplés pour obtenir leur
accord. Il fait, par ailleurs, observer que le système des groupes de
pays permettrait de maintenir les parités et les équilibres
nécessaires, entre la France et l'Allemagne, par exemple. Il fait
remarquer que cette démarche correspond au souci manifesté par
l'Allemagne de ne pas aboutir à un système qui lui
conférerait une quelconque prééminence au sein du Conseil.
Abordant les questions de la santé et de la sécurité
alimentaire, le ministre observe qu'il ne paraît pas souhaitable de
modifier le titre II du Traité, mais indique qu'une
réflexion interministérielle est engagée sur
l'opportunité d'introduire des dispositions spécifiques dans le
traité sur ces questions.
M. Jean-Pierre Chevènement, député
, souhaite
savoir si le référendum sur la monnaie unique, annoncé au
Royaume-Uni tant par le parti travailliste que par le parti conservateur, aura
lieu avant avril 1998. Il s'interroge, par ailleurs, sur le programme de
rencontres organisées par le ministre au sein du milieu scolaire et
universitaire, dans le cadre du " Dialogue national pour
l'Europe ",
faisant valoir que de telles initiatives peuvent présenter quelques
risques de dérive ou d'endoctrinement, contraires au principe de
laïcité, à défaut de retenir une démarche
pluraliste.
En réponse à ces interrogations, le ministre indique n'avoir
aucune information sur un éventuel référendum sur la
monnaie unique en Grande-Bretagne, précisant qu'une telle
décision relève des autorités britanniques.
Après avoir réaffirmé son attachement au principe de la
laïcité, fondement de la République, il souligne avec
vigueur la nécessité d'introduire en France un débat
pluraliste sur les questions européennes et ce, en dehors des
périodes de crise, de référendum ou de consultation
électorale. Il fait, par ailleurs, valoir que, compte tenu du souci de
pluralisme qui préside à son organisation, le " Dialogue
national sur l'Europe ", engagé depuis quatorze semaines, ne
traduit en aucun cas une volonté de propagande de la part du
Gouvernement.
Après avoir repris à son compte les observations du
Président Robert Pandraud quant au risque, vis-à-vis de nos
partenaires européens, d'une action franco-allemande trop insistante,
M. Michel Caldaguès
s'interroge sur l'opportunité de
la proposition franco-allemande relative aux effectifs de la Commission,
faisant valoir que cette proposition, présentée par deux grands
Etats membres de l'Union, était effectivement de nature à
inquiéter les Etats moins peuplés.
Il estime, enfin, que les résultats, quels qu'ils soient, des futures
élections législatives britanniques ne modifieraient sans doute
pas sensiblement l'attitude du Royaume-Uni à l'égard de la
construction européenne.
S'agissant de ces élections,
M. Michel Barnier
précise que le Gouvernement français est attentif à leurs
résultats. Il rappelle, à cet égard, que les propositions
élaborées dans le cadre de la CIG doivent être
adoptées à l'unanimité des Etats membres.
Abordant la question du dialogue franco-allemand, il admet qu'une conjonction
d'éléments, qu'il s'agisse de la réforme de l'alliance
atlantique ou de la construction d'une identité européenne de
défense, contribuait au renforcement de ce dialogue et à la
multiplication des initiatives, tout en précisant que ce dialogue
était indispensable pour permettre à la France de jouer son
rôle en Europe.
Poursuivant sa réflexion sur les réformes institutionnelles, il
souligne avec vigueur que la perspective de l'élargissement constituait
une formidable occasion, voire une occasion unique, de réformer en
profondeur les institutions de l'Union. Il rappelle, à cet égard,
qu'au sein de la CIG, le nombre d'Etats membres favorables à
l'élargissement est plus important que le nombre de ceux qui sont
vraiment favorables à une réforme des institutions.
Estimant qu'aucune réforme institutionnelle ne sera envisageable une
fois l'Union élargie à vingt-cinq Etats membres, il fait part de
la volonté du Gouvernement français de mettre " sur la
table ", à l'occasion de la CIG, l'ensemble des sujets difficiles,
et notamment celui de l'effectif de la Commission européenne.
A cet égard, il juge indispensable que la Commission revienne à
son rôle originel, c'est-à-dire qu'elle soit une structure
collégiale indépendante des Etats et qu'elle veille à
exprimer le seul intérêt de l'Union européenne. Il affirme,
par ailleurs, solennellement la volonté française d'une
Commission forte, c'est-à-dire responsable devant le Conseil, aux
effectifs réduits, afin de clarifier la répartition des
compétences entre commissaires, et dotée d'un président
disposant d'une réelle autorité et donc chargé de nommer,
voire, éventuellement, de révoquer, les membres de la Commission.
Il souligne que seule une Commission forte permet d'éviter les risques
de dilution de l'Europe une fois l'élargissement réalisé.
A M. Michel Caldaguès, qui estime que le ministre décrit
là un véritable " gouvernement ", M. Michel Barnier
répond que l'on ne peut pas se plaindre de ce que fait la Commission,
tant qu'elle n'est pas responsable. Cette irresponsabilité la rend peu
crédible aux yeux de l'opinion publique. Il faut, selon lui, que la
Commission soit responsable et que les commissaires aient des
compétences clairement définies, ainsi qu'une véritable
autorité sur leur administration.
M. Christian de la Malène
, soulignant que le ministre a
affirmé, à la fois, la qualité et la vacuité du
projet élaboré par la présidence irlandaise, estime que ce
document, qui aborde les sujets les plus divers, de l'emploi à
l'homosexualité, ne constitue pas une bonne base de réflexion
pour améliorer l'efficacité des institutions de l'Union
européenne. Selon lui, il est contradictoire de reconnaître que
les institutions européennes manquent d'efficacité et de
prôner l'élargissement de l'Union européenne, le pari du
" tout ou rien " évoqué par le ministre risquant
d'aboutir à une réforme minimale. La solution consiste
peut-être dans la mise en oeuvre de coopérations
renforcées, éludées par le projet de la présidence
irlandaise, et évoquées, surtout pour le troisième pilier,
par la lettre franco-allemande. Il faut toutefois, selon lui, que ces
coopérations s'appliquent à l'ensemble des activités de
l'Union.
M. Michel Barnier
affirme que les efforts déployés pour
réformer les institutions de l'Union européenne s'inscrivent dans
la perspective de son élargissement. Selon lui, le statu quo pourra
être maintenu, tant bien que mal, avec quinze Etats membres, mais pas
avec vingt-cinq. Pour la France, les coopérations renforcées
doivent s'appliquer aux trois piliers, certes selon des modalités
différenciées. Pour le ministre, il faut éviter qu'une
Europe à vingt-cinq avance au pas du pays le moins pressé et,
d'ailleurs, les coopérations renforcées existent
déjà, dans le Traité, l'Union économique et
monétaire en est un exemple, à côté du
Traité, comme le montre le protocole social, qui concerne quatorze Etats
membres, et en dehors du Traité, ainsi l'espace Schengen qui a
été établi en dehors de l'Union européenne. La
question que pose la France à ses partenaires est de savoir s'ils
veulent prendre le risque de voir les coopérations renforcées
-nécessaires et inéluctables quels que soient les
résultats de la CIG - se développer en dehors du
Traité. Le ministre affirme que, dans ces conditions, la France
n'était pas prête à faire des concessions pour obtenir
l'inscription des coopérations renforcées dans le futur
Traité. En effet, des coopérations renforcées verront
forcément le jour, le cas échéant, en dehors de l'Union
européenne. Le ministre insiste sur le fait qu'il ne faut pas
" diaboliser " le projet élaboré par la
présidence irlandaise : c'est une bonne base de travail dont les lacunes
traduisent le caractère limité des ambitions de beaucoup d'Etats
membres.
Abordant la question du rôle collectif des parlements nationaux,
M. Maurice Ligot, député
, insiste pour que le
Gouvernement privilégie une démarche pragmatique, qui s'appuie
sur les conclusions adoptées à Dublin par la
XV
ème
COSAC, à l'unanimité de ses participants.
Selon lui, ces conclusions, pour perfectibles qu'elles soient dans leur
formulation, reprennent effectivement l'essentiel des propositions
défendues par l'Assemblée nationale, le Sénat et le
Gouvernement. Il estime qu'abandonner cette base de négociation claire,
appuyée sur le consensus des parlements nationaux, pour se disperser
dans l'étude de propositions improvisées, telle la proposition de
comité mixte réunissant le Parlement européen et les
parlements nationaux, ne pourra que rendre plus difficile la tâche
d'explication et de conviction des négociateurs français.
M. Michel Barnier
répond qu'il a fait, sur ce point, de la
Déclaration de Dublin la base de son effort de négociation et
souligne l'effet positif de cette déclaration sur le déroulement
de la négociation elle-même. Il fait néanmoins état
des obstacles qui restent à surmonter, ainsi la forte réticence
qui prévaut encore en Allemagne, même si certains leaders
d'opinion se montrent plus réceptifs.
Après que le président Robert Pandraud observe qu'il appartiendra
à la France, comme à ses autres partenaires, de choisir, le
moment venu, ce qu'elle estimera indispensable de voir consacrer pour donner
son consentement au résultat de la négociation,
M. Emmanuel Hamel
fait part de l'exaspération
provoquée par les initiatives répétées du couple
franco-allemand et de l'inquiétude croissante de l'opinion à
mesure qu'elle prend conscience de la signification réelle d'une
politique étrangère et de sécurité commune qui
conduira la France à renoncer à sa diplomatie et à son
influence propres. Il en ira de même, selon lui, devant les propositions
de renforcer les pouvoirs de la Commission au détriment de ceux du
Conseil. Il doute qu'une majorité des Français puisse jamais
l'accepter, si on les consultait par référendum, et exprime sa
vive inquiétude devant ce qui, selon lui, ressemble à un nouvel
avatar de ce tropisme tragique de la Nation française, qui se manifeste
périodiquement, le " renoncement à soi même ".
M. Michel Barnier
estime qu'aucun Français ne pouvait être
réellement surpris du choix du Président de la République
et du Gouvernement de maintenir la plus étroite coopération avec
l'Allemagne, puisque cette priorité, d'ailleurs non exclusive, a
été voulue et exprimée comme telle par M. Jacques
Chirac au cours de la campagne électorale présidentielle. Il
estime enfin que l'objectivité et la lucidité imposent de
reconnaître que les intérêts français sont parfois
mieux entendus par la Commission que par le Conseil, des
événements récents l'ayant démontré, qu'il
s'agisse des essais nucléaires ou de la défense d'une
identité culturelle européenne.
B. DEUXIEME AUDITION DE M. MICHEL BARNIER
Le mercredi 26 février 1997, la
délégation a entendu M. Michel Barnier, ministre
délégué chargé des affaires européennes, sur
les travaux de la Conférence intergouvernementale.
M. Michel Barnier
précise tout d'abord comment se
déroulent les travaux de la Conférence : les représentants
présentent des amendements au texte proposé par la
présidence irlandaise ; sur cette base, la présidence
néerlandaise présentera, dans un mois environ, un nouveau texte,
sur lequel les représentants pourront à nouveau présenter
des amendements. Puis le ministre indique qu'il abordera successivement les
deux grands thèmes abordés par la CIG au cours du dernier mois :
les institutions et le troisième pilier.
Les institutions, déclare-t-il, resteront, jusqu'au terme des
négociations, le sujet le plus difficile, et il est vraisemblable que
l'accord sur ce point n'interviendra qu'au tout dernier moment, même si
les travaux actuels ont le mérite de préparer le terrain.
Certains Etats s'inquiètent en effet de la place qu'ils auront dans les
institutions réformées : ils doivent comprendre que ce que
l'Union gagnera globalement en efficacité sera bien plus important que
ce que certains Etats perdront en termes de représentation directe dans
les institutions.
Tous les " grands " Etats membres, précise-t-il, sont en
effet
déterminés à obtenir une pondération plus juste des
voix au Conseil ; la France, pour sa part, établit un lien entre une
meilleure pondération des voix et une extension du vote à la
majorité qualifiée. Le système de décision
apparaît en effet de moins en moins légitime au fil de
l'accroissement du nombre des Etats membres parce qu'il est de plus en plus
éloigné des réalités de base que sont les poids
démographiques respectifs des différents Etats. L'idée
d'introduire une double majorité (majorité d'Etats et
majorité démographique) étant de moins en moins soutenue,
c'est vers une nouvelle pondération que l'on semble s'orienter.
La Commission européenne doit être plus crédible, plus
responsable, mieux respectée : cela suppose qu'elle soit responsable
devant le Conseil, que son président ait une autorité sur ses
membres et qu'il forme sa Commission, enfin que le nombre de ces membres soit
restreint. A défaut, elle parviendrait de moins en moins à jouer
son rôle : en effet, dans une Commission trop nombreuse, les
responsabilités de chacun seraient imprécises et l'administration
ne serait plus contrôlée par l'échelon politique. La France
souhaite donc une Commission de dix membres. Il est clair, cependant, que la
réforme de la Commission reste un sujet extrêmement
" sensible ", car les " petits " Etats
considèrent
que la Commission sous sa forme actuelle les protège.
Les débats sur le champ du vote à la majorité
qualifiée, poursuit-il, ont permis de constater un accord pour que
certains sujets restent régis par l'unanimité : ainsi les sujets
institutionnels ou quasi-institutionnels et la fiscalité. Sur
l'extension du champ des décisions à la majorité
qualifiée, des divergences subsistent. Par exemple, certains Etats
souhaitent le maintien de l'unanimité pour les soutiens à la
recherche alors même que l'on constate que, dans ce domaine, le principe
de l'unanimité aboutit à un " saupoudrage " peu
efficace des crédits : ces Etats doivent comprendre que la politique de
recherche communautaire n'a pas pour fonction de faire survivre telle ou telle
équipe implantée dans telle ou telle région, mais d'abord
de renforcer la compétitivité de l'industrie européenne.
S'agissant des coopérations renforcées, le ministre indique que
le texte élaboré par la présidence néerlandaise,
proche de l'initiative franco-allemande, est jugé dans l'ensemble
satisfaisant par la France, mais que certains Etats restent réticents.
M. Michel Barnier évoque ensuite l'éventuelle extension à
de nouveaux domaines de la procédure de codécision. Il estime
tout d'abord que, par sa résolution condamnant le projet de loi
Debré, le Parlement européen ne s'est pas rendu service à
lui-même. Puis il observe que, parmi les Etats membres, une
majorité est favorable à l'extension du champ de la
codécision, certains y étant au contraire hostiles. La France
estime que certains aspects des propositions de la présidence sur ce
point sont inacceptables, notamment l'application de la codécision
à la politique agricole commune ; par ailleurs, la France établit
un lien clair entre une éventuelle extension de la codécision et
l'association collective des Parlements nationaux.
Puis le ministre aborde la réforme du " troisième
pilier " (justice et affaires intérieures). La France,
déclare-t-il, considère que la suppression des contrôles
aux frontières intérieures et l'adoption de mesures de
sécurité compensatoires sont indissociables et doivent
s'appliquer simultanément. Elle ne peut donc approuver sur ce point le
texte présenté par la présidence irlandaise qui peut
s'analyser comme une course à la libre circulation et qui ne comporte
pas le lien formel que la France juge indispensable entre la libre circulation
et l'adoption de mesures supplémentaires de sécurité pour
les citoyens. Les amendements français prévoient que le Conseil
doit constater à l'unanimité que les conditions de
sécurité sont réunies pour la suppression des
contrôles aux frontières intérieures. Ces conditions ne
peuvent être moins rigoureuses que celles posées par l'Accord de
Schengen ; bien au contraire, l'acquis de Schengen doit être
considéré comme une condition minimale qu'il convient de
compléter par l'adoption d'un socle d'harmonisation commun pour la
qualification des infractions et des peines pour les crimes les plus graves. La
France exclut donc tout automatisme pour la mise en oeuvre de la libre
circulation ; en même temps, pour que les conditions qu'elle pose
puissent être remplies, elle souhaite que le socle législatif
commun qu'elle juge nécessaire soit adopté à la
majorité qualifiée.
Concluant son propos, M. Michel Barnier exprime sa volonté de poursuivre
et d'amplifier son travail d'information de la représentation nationale.
Ayant précisé que les deux derniers mois de la présidence
néerlandaise seraient vraisemblablement décisifs pour le
succès de la Conférence, il répète que, pour la
France, le fond prime sur le calendrier.
M. Nicolas About
se demande si une extension de la procédure de
codécision ne devrait pas être liée à une
amélioration de la représentativité démographique
du Parlement européen. Puis, il indique que le Conseil de l'Europe
réfléchit à un texte permettant que, lorsqu'un crime est
commis dans un Etat, puis dans un autre Etat, les dispositions concernant la
récidive puissent s'appliquer ; il souhaite savoir si cette
proposition peut être reprise dans le cadre du troisième pilier
réformé.
M. Michel Barnier
répond que, à ses yeux, une telle
règle devrait figurer dans le socle législatif commun à
mettre en place pour le troisième pilier. Puis il estime que la
représentation des différents Etats est plus juste au Parlement
européen que dans la pondération des voix au Conseil,
précisant que la priorité de la Conférence est
plutôt de plafonner l'effectif du Parlement européen à
700 membres. Il rappelle que le Gouvernement réfléchit
à une réforme du mode d'élection des députés
européens, et se propose de consulter les forces politiques
françaises représentées au Parlement européen sur
la création d'une " petite dizaine " de grandes
circonscriptions interrégionales fondées sur des grands
territoires ayant une vocation naturelle commune, le mode de scrutin restant la
représentation proportionnelle. Il rappelle également que la
France demande que le siège des institutions soit fixé par le
traité afin de mettre fin aux polémiques concernant Strasbourg.
M. Christian de La Malène
exprime ses doutes sur
l'amélioration que constituerait un tel système par rapport
à la situation actuelle, puisque les élus européens ne
seraient pas moins coupés des citoyens qu'aujourd'hui. Il regrette que
la question de l'étendue des pouvoirs du Parlement européen n'ait
pas tenu une plus grande place dans les débats de la CIG. Le
problème de la représentativité du Parlement
européen ne peut être éludé, poursuit-il, puisque,
par exemple, un député européen allemand représente
seize fois plus d'habitants qu'un député européen
luxembourgeois. Par ailleurs, le rôle que devrait jouer le Parlement
européen n'est toujours pas clairement défini, ce qui explique
qu'il ait tendance à s'occuper de sujets qui n'entrent pas dans ses
attributions, sans accorder toujours toute l'attention qu'il faudrait aux
sujets qui relèvent de sa compétence. La priorité devrait
donc être de définir par une " loi fondamentale " ce
pour quoi est fait ce Parlement. Le principe de subsidiarité,
correctement interprété, pourrait également être
utile pour mieux préciser les responsabilités de chacun ; on
peut à cet égard se demander si la Conférence
intergouvernementale s'est suffisamment penchée sur les conditions d'une
meilleure application de ce principe, qui figurait initialement en tête
des priorités françaises.
M. Michel Barnier
souligne que le plafonnement de l'effectif du
Parlement européen à 700 membres devrait logiquement
conduire, au fur et à mesure des élargissements, à mieux
répartir les sièges, tout en indiquant qu'un strict
critère démographique renforcerait l'écart de
représentation entre la France et l'Allemagne. Il rappelle que
l'Assemblée de Strasbourg est tenue informée des travaux de la
CIG par l'intermédiaire de deux représentants, avec lesquels des
échanges sont périodiquement organisés. Enfin, il
réaffirme l'engagement de la France à lier toute évolution
des pouvoirs du Parlement européen à une meilleure association
des Parlements nationaux dans le domaine de la subsidiarité et du
troisième pilier, notamment par le biais de la Conférence des
organes spécialisés dans les affaires communautaires (COSAC), qui
devrait être rénovée et renforcée.
M. Pierre Fauchon
estime que la question du rôle du Parlement
européen doit être replacée dans le cadre plus global de
l'évolution du système institutionnel européen. Le
Parlement européen est un des éléments qui
préfigurent un système politique complet dans le cadre d'une
vision lointaine de l'avenir. Dès lors, dans la réalité
d'aujourd'hui, il n'est pas étonnant qu'il donne le sentiment de
s'égarer. L'architecture européenne en piliers, résultant
du Traité de Maastricht, ne permet guère, au demeurant, de
clarifier les compétences et les responsabilités des
différentes institutions. Puis M. Pierre Fauchon demande au ministre son
sentiment sur la présidence néerlandaise. Après avoir
regretté que, dans la perspective d'une extension du vote à la
majorité qualifiée, le système de la double
majorité, qui reflète bien l'idée que le nombre est la
base de la démocratie, ne recueille pas davantage de soutien, il
approuve les propos du ministre sur une plus grande responsabilité de la
Commission européenne et la mise en place d'une présidence plus
forte. Il lui demande, dans cette optique, s'il est favorable à la
nomination des membres de la Commission européenne par le
président de celle-ci. Abordant ensuite le problème des
coopérations renforcées, il s'interroge sur la possibilité
d'établir des listes de sujets pour lesquels cette formule serait
exclue, ou des listes de sujets pour lesquelles elle serait possible. Enfin, il
se prononce en faveur d'un effort d'harmonisation, voire d'unification
législative, pour les matières du troisième pilier, et,
après avoir souligné que le rôle des Parlements nationaux
était particulièrement légitime en ce domaine, il demande
quelle place leur serait reconnue dans ce processus.
En réponse,
M. Michel Barnier
se déclare favorable
à la désignation des membres de la Commission européenne
par le président de celle-ci, selon des règles définies
par le Traité ; ainsi chaque Etat membre pourrait par exemple avoir la
garantie de pouvoir proposer la nomination d'un commissaire, au moins pour un
mandat de la Commission sur deux. Puis il se félicite de l'attitude
active de la présidence néerlandaise, qui n'a pas craint
d'aborder les sujets les plus difficiles, et a adopté une méthode
de densification progressive du texte qui devrait permettre le progrès
des négociations. Il estime ensuite qu'un système de double
majorité (nombre d'Etat et majorité démographique) serait
difficile à appliquer concrètement compte tenu de la grande
divergence de ces deux critères dans l'Union, et présenterait des
risques de déséquilibre. Puis il se déclare
défavorable à l'établissement de listes de sujets,
positives ou négatives, pour la mise en oeuvre des coopérations
renforcées, préférant une clause générale
pour chacun des trois piliers.
Le ministre évoque ensuite le rôle qui devrait revenir aux
parlements nationaux dans l'élaboration d'une législation
communautaire sur les matières relevant du troisième pilier. Ce
rôle, précise-t-il, devrait s'exercer en amont, d'une part
à l'échelon national et d'autre part dans le cadre de la COSAC,
selon des modalités à préciser.
M. Daniel Millaud
regrette que le Gouvernement envisage que les
questions relatives aux territoires d'outre-mer soient réglées
par une simple déclaration, alors que le Sénat s'est
prononcé par une résolution en faveur d'une modification du
traité afin notamment de résoudre les difficultés
concernant la liberté d'établissement. Il souligne que la
Polynésie est, en vertu de son statut, compétente en
matière de liberté d'établissement, mais que l'application
des règles du Traité de Rome ne lui permet pas l'exercice de
cette compétence. Il s'étonne que le Gouvernement s'efforce
d'obtenir l'inscription dans le traité d'une dérogation au profit
des DOM, pour leur permettre de conserver l'octroi de mer, et ne suive pas une
démarche analogue pour les TOM au sujet de la liberté
d'établissement.
M. Michel Barnier
répond que de difficiles négociations se
poursuivent avec la Commission au sujet des TOM. Le Gouvernement, indique-t-il,
souhaite la création d'un fonds spécifique pour les TOM, distinct
de celui réservé aux pays d'Afrique, des Caraïbes et du
Pacifique (ACP), ce qui permettrait d'essayer de réduire l'écart
considérable dans le montant des crédits européens dont
bénéficient respectivement les DOM et les TOM, ceux-ci recevant
proportionnellement dix fois moins de crédits que ceux-là. Par
ailleurs, la France cherche à faire reconnaître la
spécificité des TOM en matière de liberté
d'établissement.
Mme Danièle Pourtaud
demande au ministre des précisions
sur l'état des négociations concernant les services publics,
rappelant que le Gouvernement s'était prononcé en faveur d'une
modification de l'article 90 du Traité ; elle l'interroge
également sur la position du Gouvernement au sujet de la nouvelle
rédaction proposée par la présidence irlandaise pour
l'article 119 du Traité concernant l'égalité entre hommes
et femmes.
M. Michel Barnier
déclare que, sur le second point, l'attitude du
Gouvernement est très ouverte, favorable à une formulation du
principe d'égalité qui n'exclurait pas le maintien de certaines
dispositions positives en faveur des femmes. Puis il indique que la
Conférence va bientôt se pencher à nouveau sur la question
des services publics, qui n'est pas absente du projet de la présidence
irlandaise ; les objectifs de la France dans ce domaine, poursuit-il, sont
maintenus et paraissent pouvoir être pris en compte par la CIG.
M. Jacques Genton
, revenant sur le débat concernant le Parlement
européen, fait état de ses conversations avec le président
de cette Assemblée qui lui indique que le Parlement européen est
lui-même soucieux d'améliorer sa représentativité et
ne refuse donc pas d'aborder cette question. Evoquant ensuite l'intervention,
qu'il a reconnue intempestive, de l'Assemblée de Strasbourg dans le
débat français sur l'immigration clandestine, il souligne que les
précisions que lui a données le président du Parlement
européen sur les conditions dans lesquelles avait eu lieu ce vote
permettent de conclure qu'il faut sans doute en relativiser la portée.
Puis M. Jacques Genton, après avoir souligné la qualité
des travaux du Parlement européen concernant l'épidémie
d'encéphalite spongiforme bovine (ESB), s'inquiète de certaines
des leçons qu'en a tirées cette Assemblée et que la
Commission européenne semble avoir approuvées. Les suggestions
avancées par le Parlement européen, précise-t-il,
conduiraient à un bouleversement de l'équilibre institutionnel en
matière de politique agricole commune.
M. Michel Barnier
précise que le Gouvernement s'opposerait
à une remise en cause des conditions fondamentales de gestion de la
politique agricole commune, notamment sur le plan budgétaire, tout en
étant ouvert à toute amélioration des garanties
apportées dans le domaine de la santé publique.
C. COMMUNICATION DE M. CHRISTIAN DE LA MALENE
Le jeudi 30 janvier 1997, la délégation
a entendu une communication de M. Christian de La Malène sur le
projet de traité présenté par la présidence
irlandaise et sur la lettre franco-allemande du
9 décembre 1996.
Plusieurs membres de la délégation ayant demandé que la
communication de M. Christian de La Malène soit portée
à la connaissance de l'ensemble des parlementaires, M. Jacques
Genton a proposé sa publication comme rapport d'information.
Le rapport de M. Christian de La Malène
"
La Conférence intergouvernementale à mi
parcours
"
a été publié sous le n° 222 (1996-1997).