Audition de M. Patrick Morin, Président-directeur
général
de la Générale routière (18
février 1997)
M. Jean Huchon, président
-
Mes chers
collègues, la séance est ouverte. Nous accueillons
M. Patrick
Morin, président directeur général de la
Générale routière.
M. Jean Boyer
- Je remercie le président d'avoir
organisé des journées d'auditions sur la politique
d'investissement dans le domaine des infrastructures routières.
Ainsi, se concrétise une suggestion que j'avais émise à la
fin de juin 1996, lors de la synthèse des travaux du groupe de travail
sur l'espace rural et du sous-groupe " Transports " que j'y
anime.
J'ai rencontré, à cette époque, en compagnie de M. Michel
Ruffin, sénateur et de M. Jean François-Poncet, président,
les représentants de l'Union des syndicats de l'Industrie
routière française (USIRF).
Je salue la qualité des personnes que la commission va entendre, parmi
les mieux placées pour réfléchir sur la politique
d'investissement routier en France.
Je me réjouis que, par cette réunion, la commission prenne une
heureuse initiative sur ce sujet qui est au coeur de l'aménagement du
territoire.
M. Patrick Morin
- Monsieur le Président, Mesdames et
Messieurs les Sénateurs, tout d'abord, je vous remercie de votre
accueil. Dans le domaine des infrastructures routières, les entreprises
sont aujourd'hui tributaires de choix politiques et l'impact de la
concentration des grands groupes sur les perspectives d'activité des
entreprises indépendantes est incontestable.
Pour des raisons budgétaires, l'État s'oriente de plus en plus
souvent dans les marchés de travaux publics vers la formule de la
concession. S'agissant notamment des infrastructures autoroutières, les
montants peuvent porter sur plusieurs milliards de francs.
L'entrée dans la compétition qu'impliquent les offres dans ce cas
est difficile pour les petites et moyennes entreprises, ainsi qu'en
témoigne le succès des grands groupes, tous actionnaires
directement ou indirectement de COFIROUTE.
Les marchés de grands travaux de type autoroutier par appels d'offres
sont à l'origine de 60 % de l'activité des entreprises
indépendantes et de 10 % de celle des grands groupes. Les
entreprises maîtrisant la procédure de la concession
bénéficieront, à terme, d'avantages de situation.
A l'inverse, les entreprises qui ne parviendraient pas à s'accommoder
des règles de la concession seraient condamnées.
Je souhaite que le Sénat puisse réfléchir à ce
problème.
En l'absence de soutien financier, les appels d'offres réalisés
dans le cadre de concessions ne peuvent faire l'objet d'offres acceptables de
la part des petites et moyennes entreprises compte tenu de l'exigence d'apport
de capitaux propres. Prenons garde de ne pas condamner à terme ces
entreprises.
Il serait bon d'envisager soit leur intégration dans les groupements,
soit la réservation d'une part des travaux ou le soutien d'organismes
bancaires ou de l'ingénierie d'organismes de l'État comme la
Caisse des Dépôts.
Je déplore la frilosité des établissements de
crédit et je redoute une généralisation du recours
à la procédure de la concession pour la réalisation des
travaux publics.
Les quatre principaux groupes du secteur des travaux publics,
(Générale des Eaux, Lyonnaise des Eaux, Bouygues, Eiffage) et
leurs filiales ont un poids très important, tandis que les plus grosses
entreprises indépendantes regroupant près de la moitié des
effectifs de salariés du secteur réalisent un chiffre d'affaires
avoisinant les 500 millions de francs.
Je regrette l'influence quasi-totale des grands groupes, parfois excessive dans
les représentations syndicales qui sont aujourd'hui les partenaires
privilégiés des donneurs d'ouvrages.
De même je crains qu'il soit difficile à moyen terme de provoquer
un élargissement du cercle des opérateurs en matière de
travaux routiers si la réforme du Code des Marchés Publics devait
se traduire par un triomphe de la formule de la concession et par la mise en
oeuvre de dispositifs dits de " performance bond " inspirés
du
système américain de garantie de bonne fin dans la construction.
Imposant à l'entreprise d'obtenir la caution d'organisme financier, ce
système signifierait à terme la mort de beaucoup d'entreprises
indépendantes.
Ainsi, pour une entreprise indépendante comme la mienne
créée en 1955 avec six salariés et qui en compte
aujourd'hui plus de trois mille, a contrario, et dans le contexte actuel, le
Code des Marchés Publics n'a pas empêché ni n'empêche
son développement et sa croissance.
La législation sur les marchés publics peut conduire à une
question de survie pour des chefs d'entreprise qui, en difficulté,
seraient contraints à céder leur entreprise qui représente
pour beaucoup l'oeuvre de toute une vie.
Jean Huchon, président
-
L'éclairage que vous nous
avez apporté est assez sombre et j'appelle de mes voeux un retour de
l'espoir dans ce secteur d'activité.
M. Francis Grignon
- Pour être fortes à
l'étranger, les entreprises doivent être fortes en France, ce qui
peut justifier la recherche de l'effet de taille des grands groupes.
Le small business Act, voté aux États-Unis, en 1953, sous
administration républicaine fournit une piste pour le législateur
français. Je communiquerai le résultat de mes travaux sur ce
sujet à la commission en mars.
Existe-t-il des possibilités de recours à la sous-traitance de la
part des entreprises indépendantes ?
M. Patrick Morin
- Le paiement à 90 jours pose des
problèmes aux entreprises sous-traitantes. C'est pourquoi je
privilégie toujours la co-traitance à la sous-traitance.
Le capital de ma Société appartient à ma famille ainsi
qu'aux membres de mon personnel. La cascade de dépôts de bilans de
certaines entreprises avec lesquelles j'étais accoutumé à
travailler m'inquiète.
M. Bernard Hugo
-
La Générale routière, que
vous présidez, est-elle armée pour agir hors de sa zone
géographique habituelle ?
M. Patrick Morin
-
Je distingue les marchés de grands
travaux (à partir de 50 millions de francs) et les marchés
d'agences de niveau régional. Les grands travaux exigeant des
déplacements de matériel importants, échappent souvent aux
entreprises indépendantes. Quant aux entreprises
étrangères, elles se bornent en fait à des rachats
d'entreprises françaises comme le montre l'exemple récent de la
reprise de Razel par le Groupe allemand BILFINGER et BERGER.
M. Jean Bernard
-
Comme l'a montré le marché de
travaux de la plate-forme de Vatry, dans la Marne, les quatre grands groupes
sont souvent les mieux-disants grâce à leurs antennes
départementales, qui leur permettent d'analyser les besoins de la
clientèle, et de proposer des prix bas. Dans la procédure
d'adjudication, il est difficile de justifier le choix d'un autre que le
moins-disant.
M. Patrick Morin
-
La seule définition du prix aberrant
que je retienne est la suivante : " le prix aberrant est le prix du
premier quand je suis second ".
M. Fernand Tardy
- Quel est le sort des entreprises de 200
à 400 ouvriers ?
M. Patrick Morin
- La méthode la plus fréquente
consiste à co-traiter -et non pas à sous-traiter- avec cette
catégorie d'entreprises.
M. William Chervy
- Je suis préoccupé par la
question de la sous-traitance.
M. Patrick Morin
- Dans certains marchés, il y a des
demandes que ne savent pas satisfaire les entreprises et dans ce cas, celles-ci
recourent à une sous-traitance avec agrément et paiement direct
du donneur d'ouvrage.
M. Michel Souplet
- S'agissant de la future autoroute Rouen-Reims
et ses tronçons de réalisation, un recours aux entreprises
indépendantes pour de tels travaux est-il possible ?
M. Jean Bernard
- Dans le cas de la RN 10, quelles sont les
exigences des banquiers s'agissant des entreprises ?
M. Patrick Morin
- Il s'agit d'exigences en matière de
fonds propres.
M. Jean Boyer
- Des sociétés
étrangères interviennent-elles sur le marché routier ?
M. Patrick Morin
- Le plus souvent, il s'agit seulement
d'entreprises françaises reprises.
M. Jean Huchon, président
-
Je vous remercie.