2. Un projet restant à concrétiser
Le projet implicitement visé par le Premier ministre
dans son discours du 18 avril 1996 était celui que venait de mettre
au point la Société minière du Sud Pacifique et la
société canadienne Falconbridge, deuxième plus important
producteur de produits bruts de nickel au monde.
Jusqu'à l'automne 1996, le domaine minier demandé pour le projet
comprenait les gisements de Tiébaghi, Poum et Art, à
l'extrême nord de la Grande Terre et dans l'archipel des îles
Bélep. Ce "groupe du nord" est un ensemble homogène de
garniérites en majeure partie acides, pour lesquelles Falconbridge
dispose de la technologie permettant d'en assurer le traitement et la
transformation.
La construction d'une usine traitant annuellement 54.000 tonnes de métal
nickel par an à partir d'un gisement (Tiébaghi, Poum, Art)
disposant de réserves à hauteur de 1,6 million de tonnes de
métal nickel dans des garniérites à 2,5 % de teneur
en métal permettait un planning d'exploitation sur 25 ans,
suffisant pour assurer la rentabilité de l'opération.
De fait, l'intérêt de l'opérateur Falconbridge était
manifeste depuis l'apparition du projet et s'était traduit, à la
date du déplacement de votre rapporteur sur le territoire, par la
rédaction d'une étude préfaisabilité dont une copie
a pu lui être transmise.
Le coût de l'investissement était de l'ordre de 1 milliard de
dollars US (environ 5 milliards de francs français), dont 40 %
correspondant à l'équipement en infrastructures (centrale
électrique, port en eau profonde à Koumac, etc...) que
Falconbridge se proposait de cofinancer avec les collectivités
publiques. La société canadienne avait manifesté son
intention de dépenser 165 millions de francs français pour
engager ensuite l'étude de faisabilité sur ces bases, ce qui
conduisait à un début de construction
en 1999
et une
montée en production
en 2003
(jusqu'en 2028).
Parallèlement, afin d'exprimer sa confiance dans la réussite du
projet, Falconbridge s'était engagé à détenir une
part minoritaire (49 %) de la société d'exploitation qu'elle
devait mettre en place conjointement avec la SMSP.
Selon des projections livrées à votre rapporteur par le directeur
de la SOFINOR, actionnaire majoritaire de la SMSP, l'usine du nord, dans cette
configuration, créait
700 emplois directs
et induisait
2.000 emplois indirects
, ce qui permettait de
fixer environ
10.000 personnes
.
Enfin, le schéma de développement à partir du site de
Tiébaghi avait justifié le démarrage, sur la commune de
Koumac, du projet de la zone portuaire de Pandop qui devait comprendre des
infrastructures destinées à la batellerie minière ainsi
qu'aux services liés, tels que réparation navale, mise à
disposition d'abris pour les bateaux, ravitaillement en carburant et
gardiennage.
A ce titre, une première tranche de 230 millions de francs CFP
(12,65 millions de francs français) a été
engagée (dont 90 millions de francs pris en charge par le
Territoire et 80 millions de francs par le Port autonome de
Nouvelle-Calédonie) afin de doter la zone portuaire des
éléments assurant sa viabilité. Deux tranches
complémentaires étaient ultérieurement prévues
à Koumac-Pandop.
Toutefois, le schéma d'exploitation SMSP-Falconbridge, clairement
soutenu par le gouvernement, a d'emblée buté sur un
problème de taille : le site de Tiébaghi, recelant la
fraction la plus importante du stock destiné à être
traité, est propriété de la SLN, qui l'a acquis
auprès du BRGM en 1994, date à laquelle le projet d'usine du nord
n'avait pas encore été formalisé.
La SLN, interrogée par votre rapporteur spécial, a toujours
prétendu que la maîtrise des réserves de Tiébaghi
était indispensable à la poursuite de son activité dans
l'usine de Doniambo. Cependant, la société le Nickel ne semblait
pas disposer encore de la technologie qui lui aurait permis de traiter dans des
conditions satisfaisantes un minerai caractérisé par un fort taux
d'acidité.
Bien qu'actionnaire majoritaire (à plus de 55 %) d'Eramet,
maison-mère de la SLN, via l'ERAP, l'Etat n'est pas parvenu à
imposer la solution SMSP-Falconbridge à un conseil d'administration dont
il est, par négligence, absent en tant que tel, les seuls fonctionnaires
qui en sont membres ne l'étant qu'au titre des personnalités
qualifiées et étant, de surcroît minoritaires.
Cet état de fait, s'agissant d'un enjeu national majeur pour la
France, révèle une négligence fautive de la part de
l'autorité de tutelle
. Il a été encore aggravé
par l'attitude du président du conseil d'administration d'Eramet qui n'a
pas hésité à brandir, contre l'Etat actionnaire
majoritaire, la menace d'une "rétorsion judiciaire" de l'actionnariat
flottant, constitué pour une large part de fonds de pensions
américains. Ces derniers auraient réclamé des dommages et
intérêts à l'Etat français s'il avait voulu imposer
sa solution par la force.
Face à cette situation de blocage, qui a certainement accru
l'incompréhension entre la SLN et l'opinion publique
calédonienne, le gouvernement a organisé, sous son égide,
des discussions entre les professionnels concernés.
Ces discussions se sont tenues les 22, 23 et 24 octobre 1996 aux
ministères de l'Outre-mer et de l'Industrie.
Elles se sont conclues à la mi-novembre par la proposition,
émanant d'ailleurs d'Eramet, de procéder à
l'échange, sous forme de cessions croisées, des massifs de
Poum (aujourd'hui détenu par la SMSP) et de Koniambo (aujourd'hui
propriété de la SLN)
. Ce dernier massif, actuellement
détenu par la société Le Nickel, serait donc mis à
la disposition de l'usine du nord.
A la date de rédaction du présent rapport, une certaine
unanimité s'était manifestée pour cette solution
transactionnelle qui doit permettre de préserver les
intérêts de tous. La société Falconbridge,
notamment, a clairement exprimé son intention de rester présente
sur le projet d'usine du nord.
Après l'accord des conseils d'administration de la SMSP et d'Eramet,
il restait toutefois à formaliser l'accord et à en
préciser les conditions.