B. LA PERSISTANCE D'IMPORTANTS BLOCAGES STRUCTURELS
Le développement économique de la
Nouvelle-Calédonie continue en fait d'être entravé par une
série de facteurs que le volontarisme politique manifesté lors
des accords de Matignon ne pouvait pas réduire en quelques années.
Le territoire paie le coût d'une démographie faible et de son
relatif éloignement dans le Pacifique sud.
Les transferts publics dont il bénéficie, en particulier à
travers les salaires de la fonction publique, sont un élément
déterminant de chèreté des coûts de production.
Cible privilégiée du rééquilibrage inscrit dans les
accords de Matignon et le statut de 1988, la population
mélanésienne hésite entre recherche identitaire et
modernité. Dans ce cadre, la coutume apparait ambivalente : tantôt
frein au développement économique, tantôt facteur
d'intégration de la population kanak.
Enfin, le territoire continue de souffrir du poids de relations sociales encore
très marquées par la grande dureté des conflits du travail.
1. Une démographie faible doublée d'un relatif isolement géographique
Au terme du recensement effectué le 16 avril 1996, la population du territoire de Nouvelle-Calédonie demeure inférieure à 200.000 habitants.
Population des provinces de Nouvelle-Calédonie
(Décret n° 96-1084 du 11 décembre 1996 authentifiant les
résultats du recensement de la population effectué en
Nouvelle-Calédonie le 16 avril 1996)
|
|
SOMME DES POPULATIONS totales (avec doubles comptes) |
SOMME DES POPULATIONS municipales |
POPULATIONS
|
Nord |
16 + a |
52.170 |
41.366 |
41.413 |
Iles Loyauté |
3 |
34.732 |
20.877 |
20.877 |
Sud |
13 + b |
140.126 |
133.367 |
134.546 |
Territoire |
33 |
227.028 |
195.610 |
196.836 |
(a) Partie Nord du territoire de la commune de Poya
(b) Partie Sud du territoire de la commune de Poya.
La population calédonienne a certes progressé d'environ 20 %
depuis le précédent recensement de 1989 puisqu'elle n'atteignait
alors que 164.173 habitants.
Il n'en demeure pas moins que
la densité du territoire reste
très faible avec un peu plus de 10 habitants au km
2
.
Si l'on ne tient compte que de la zone du Grand Nouméa, soit 118.823
habitants concentrés sur 1.644 km
2
, la densité
reste de toute façon assez réduite avec 72,3 habitants au
km
2
.
Autant dire qu'avec 78.013 habitants répartis sur 16.932
km
2
, le reste du territoire apparaît franchement
sous-peuplé, avec une densité de 4,6 habitants au
km
2
, voisine de celle des zones désertiques. Avec une
superficie équivalente à celle de Lifou (1.207 km
2
),
qui accueille 10.000 habitants, Tahiti (1.042 km
2
), la
Martinique (1.128 km
2
) ou encore Hong-Kong (1.068 km
2
)
comptent respectivement environ 150.000 habitants,
385 000 habitants et... 6 millions d'habitants !
Si le sous-peuplement est une caractéristique de pays neufs comme le
Canada ou l'Australie, ces deux dernières nations
bénéficient d'une population (29 et 17 millions d'habitants)
qui leur a permis d'assurer un remarquable développement endogène.
De ce point de vue, les termes les plus souvent entendus dans la bouche des
différents interlocuteurs de votre rapporteur sont ceux de
"
défaut de masse critique
" pour désigner le handicap
majeur affectant la Nouvelle-Calédonie. Le faible poids
démographique du territoire se double, en outre, d'un éloignement
physique qui le place à 1.500 kilomètres des côtes
orientales de l'Australie, pays développé le plus proche,
6.800 kilomètres de Singapour, 7.500 kilomètres du Japon,
10.000 kilomètres des Etats-Unis et 18.000 kilomètres
de la métropole.
La faiblesse de la population calédonienne et sa dispersion sur un
espace relativement vaste induisent
deux types de surcoûts
:
- Le développement des infrastructures (eau,
électricité, transports) ne peut se faire sans un fort appui
externe. Le présent rapport à montré que le soutien de
l'Etat français n'avait pas fait défaut ces dernières
années et avait permis d'assurer à la Nouvelle-Calédonie
un niveau de développement remarquable. Il n'en demeure pas moins que
l'extrême éparpillement de la population calédonienne hors
Grand Nouméa, soit moins de 80.000 personnes, sur un espace grand
comme trois départements métropolitains continue
d'entraîner des surcoûts aussi bien en terme de fonctionnement des
services publics qu'en terme d'accessibilité aux biens privés de
consommation courante.
- Plus fondamentalement,
l'étroitesse du marché local
,
interdit au tissu de PME locales de s'appuyer sur une large demande
intérieure et de développer ainsi des économies
d'échelle. Alliée à la chèreté des facteurs
de production et à l'éloignement des centres potentiels de
consommation,
elle nuit au développement d'une économie
d'exportation
et empêche l'implantation en
Nouvelle-Calédonie d'entreprises industrielles métropolitaines ou
étrangères.
Cette faiblesse de la consommation intérieure, combinée avec un
dispositif fiscal et douanier de protection de certaines productions locales,
permet en outre à de nombreuses entreprises d'exercer leur
activité dans
une position de quasi-monopole
, notamment dans les
secteurs agro-alimentaire et de la distribution. Les entrepreneurs s'accordent
ainsi des marges commerciales excédant très sensiblement celles
qu'ils obtiendraient dans un espace réellement concurrentiel, d'autant
plus qu'une partie de la population dispose d'un fort pouvoir d'achat.
Ainsi que le note l'Institut d'émission d'outre-mer dans sa monographie
récente consacrée à la Nouvelle-Calédonie, "
dans
ces conditions, les investissements industriels offrent des rendements
particulièrement élevés, mais à l'abri de
restrictions à l'importation qu'il semble difficile de diminuer, de
même d'ailleurs que les investissements immobiliers (les loyers
étant relativement chers). Des temps de retour sur investissements de
l'ordre de trois à cinq ans ne sont pas rares mais entraînent le
maintien d'une mentalité de spéculation peu propice au
développement durable.
"
Le terme "
d'économie de comptoir
" est ainsi revenu plusieurs
fois
dans les conversations que votre rapporteur a eues avec ses différents
interlocuteurs. Cette analyse sort d'ailleurs renforcée du constat
suivant : celui d'un territoire cher et encore largement dépendant des
transferts publics.