2. Le tourisme et l'aquaculture : les espoirs déçus de la diversification
Les tentatives de diversification de l'économie
calédonienne vers le tourisme ou l'aquaculture, qui ont suscité
un certain espoir ces dernières années, sont encore loin d'avoir
porté tous leurs fruits, en dépit de la sollicitude des
structures publiques issues des accords de Matignon.
Les provinces ont en effet placé ces deux secteurs parmi leurs
priorités d'intervention, tant au titre des contrats de
développement que de l'action de leurs sociétés
d'économie mixte (cf. : première partie du présent
ouvrage).
Parallèlement, l'Institut calédonien de participation (ICAP) a
consacré, en 1995, la moitié de ses interventions, à
proportions égales, au profit d'une part de l'hôtellerie-tourisme,
d'autre part de la pêche-aquaculture.
a) Le tourisme
Le tourisme représente près de 10 % de la
production intérieure brute de la Nouvelle-Calédonie. Il se situe
ainsi au deuxième rang des industries du territoire, derrière les
activités minières et métallurgiques. Il est
également la seconde industrie d'exportation.
La capacité hôtelière du territoire a non seulement
augmenté ces dernières années, mais s'est en outre
diversifiée :
- L'ouverture d'un hôtel "Le Méridien" à
Nouméa, en février 1995, a permis de compléter l'offre
hôtelière par un établissement de classe internationale.
- Votre rapporteur a, en outre, visité plusieurs installations
financées sur contrat de développement ou par l'instrument des
SEM, qui témoignent d'une volonté de doter le reste du territoire
d'une infrastructure de qualité, susceptible d'attirer une
clientèle métropolitaine ou internationale. Ont ainsi ouvert
assez ou très récemment le Club Méditerranée
à Hienghène (Hôtel Koulnoué Village), l'hôtel
Drehu Village à Lifou et l'hôtel Kou-Bugny à l'île
des Pins. La commercialisation du Drehu Village, ainsi que d'un autre
hôtel installé sur l'île de Maré, est en partie
assurée par le voyagiste Nouvelles Frontières.
Cependant, la fréquentation touristique n'obéit pas à une
évolution parallèle. Le mouvement de rattrapage, qui s'est
amorcé en 1989 après quatre années désastreuses sur
le plan touristique en raison des événements politiques et
sociaux de l'époque, ne se poursuit que très lentement.
Le
niveau record atteint en 1984, avec 91.512 touristes, n'avait ainsi
toujours pas été franchi en 1995
.
Pis : les données provisoires pour les deux premiers trimestres de
1996 indiquaient un nouveau fléchissement de la fréquentation
venue de l'extérieur du territoire. La clientèle
étrangère se réduisait, ses composantes australienne et
néo-zélandaise en particulier, qui subissaient un
véritable effondrement. Les pertes ainsi enregistrées ne
pouvaient être compensées par l'arrivée de
métropolitains, de plus en plus nombreux depuis l'ouverture à la
concurrence, en 1994, de la ligne Paris-Nouméa. Le Japon restait
cependant encore, en 1995, le premier pays de provenance des touristes non
résidents du territoire devant les métropolitains.
Dans ce contexte difficile, l'hôtellerie ne parvenait à maintenir
son taux d'occupation des chambres au-dessus du seuil des
40 %
que
grâce à l'augmentation de la clientèle locale. Celle-ci
tend cependant à privilégier la fréquentation des
établissements de catégorie 1 étoile, hors du Grand
Nouméa et ne se rend pas dans les hôtels décrits plus
hauts, construits depuis le début de la présente décennie.
Les premiers résultats du troisième trimestre 1996, produits
quelques jours avant la parution du présent rapport, indiquent cependant
que
la désaffection touristique semble avoir été
enrayée
. Ces données, si elles sont un bon signe, doivent
encore être confirmées et n'interdisent pas de se pencher sur les
causes des difficultés qui entravent le développement du tourisme
en Nouvelle-Calédonie.
Votre rapporteur a relevé auprès de ses interlocuteurs
plusieurs éléments de diagnostic
pouvant expliquer le
marasme affectant un secteur dont le développement serait pourtant de
nature à mieux assurer la viabilité économique du
territoire :
- Deux handicaps habituellement dénoncés sont en voie de
traitement : l'insuffisante qualité de l'offre
hôtelière, tout d'abord, vis à vis en particulier de la
clientèle japonaise ; le niveau de desserte aérienne ensuite.
Sur ce dernier point, les professionnels attendaient beaucoup, lors du
déplacement de votre rapporteur, de l'ouverture d'
une
quatrième fréquence pour le vol Air France
Paris-Tokyo-Nouméa. Celle-ci est effectivement intervenue à la
date du 1er novembre 1996 et se caractérise par la mise à la
disposition des Japan Airlines (JAL) d'un certain nombre de sièges que
celles-ci peuvent commercialiser à l'intention de leur clientèle.
- Plus fondamentalement, la Nouvelle-Calédonie apparaît
dépourvue d'une image propre
, lui conférant une
identité facilement reconnaissable. Le contraste est de ce point de vue
saisissant avec la Polynésie française.
Seule exception : l'image "d'île la plus proche du paradis"
(célèbre livre de Mme Morimura paru il y a une trentaine
d'années) semble encore assez bien ancrée dans l'esprit du public
japonais.
On a vu plus haut que la loi du 9 novembre 1988 attribuait une
compétence de droit commun aux provinces en matière de tourisme.
Or, ainsi que le note l'Institut d'émission d'outre-mer dans sa
monographie récente consacrée à la
Nouvelle-Calédonie, ce dispositif paraît, dans les faits, source
d'incohérence et de perte d'efficacité : en effet, chaque
province mène sa propre politique touristique en dehors de toute
coordination au niveau du Territoire ou de l'Etat. Seule exception à ce
"chacun pour soi", le groupement d'intérêt économique
"Destination Nouvelle-Calédonie", qui a la charge de la promotion
internationale de la Nouvelle-Calédonie, mais dont l'action demeure
modeste, à l'image de la campagne promotionnelle qu'il mène cet
hiver en métropole.
- La Nouvelle-Calédonie demeure ensuite confrontée au
handicap majeur des prix
, même si le coût des billets
d'avion a pu être réduit sous l'effet de la concurrence.
Ce défaut d'une destination chère est encore accentué,
dans le cas des australiens et des néo-zélandais, par la
faiblesse de leurs dollars respectifs qui les conduit à
préférer des destinations telles Fidji et Vanuatu, très
bon marché en raison de coûts salariaux nettement moins
élevés.
S'agissant des métropolitains, le handicap du prix est évidemment
redoublé par celui de la distance. De fait, le tourisme en provenance de
métropole revêt encore très largement un aspect
affinitaire, le choix de la destination calédonienne ayant pour raison
principale la présence d'amis ou de parents sur le territoire.
- Le tourisme calédonien, notamment les nouvelles installations
construites en brousse et sur les îles, souffre également de
l'offre insuffisante de "produits"
incorporant billet d'avion,
nuit
à Nouméa, transports vers les autres destinations du territoire
et séjour, le cas échéant agrémenté de
pratiques sportives (équitation, plongée sous-marine...).
En clair, les "tours opérators" ne sont pas suffisamment présents
sur le "produit Nouvelle-Calédonie", à quelques, timides,
exceptions près (Nouvelles-Fontières pour la métropole...).
- Enfin, l'élément humain n'a peut-être pas toujours
été suffisamment pris en compte. L'expérience prouve qu'un
investissement touristique est voué à l'échec, en brousse
ou dans les îles, s'il n'a pas été au préalable
accepté par la population et si celle-ci ne profite pas, à un
degré ou à un autre, des retombées de cette
activité.
Votre rapporteur développera plus loin à ce sujet le rôle
incontournable encore joué aujourd'hui par la coutume en milieu kanak.