11. Propriété intellectuelle
Proposition E 641
Com (96) 97 final
(Réunion de la délégation du 17 décembre
1996)
Présentation du texte par M. Jacques Genton :
Ce texte est une proposition de directive relative au droit de suite au
profit de l'auteur d'une oeuvre d'art originale.
Qu'est-ce que le droit de suite ?
C'est ce qui permet aux auteurs d'une oeuvre d'art d'être
intéressés aux transactions qui sont réalisées sur
leurs oeuvres.
Le droit de suite a été introduit dans le droit français
en 1920 pour des raisons d'équité.
Une caricature de Forain illustre très bien la motivation de la
législation sur le droit de suite. Elle représente une vente
publique au cours de laquelle est adjugé, à un prix très
élevé, un tableau. Deux enfants en haillons contemplent ce
spectacle. L'un d'entre eux dit à l'autre : " Tu as vu, c'est un
tableau de papa ".
L'idée qui préside à l'institution du droit de suite
consiste à permettre aux artistes qui ont vendu leurs oeuvres de
jeunesse à des prix très bas, de profiter ensuite des prix
très élevés auxquels celles-ci peuvent être vendues
lors de transactions ultérieures.
Aujourd'hui, en France, le droit de suite ne touche que les ventes publiques et
son taux est de 3%. Il est prélevé au profit des auteurs des
oeuvres d'art, peintres ou sculpteurs, ou au profit de leurs héritiers
pour une période de 64 ans à compter de la mort de l'auteur.
Pourquoi la Commission européenne propose-t-elle une directive relative
au droit de suite ?
La Commission a constaté que les oeuvres d'art provenant des
marchés allemand, français, espagnol et belge se vendaient
très souvent en Suisse, au Royaume-Uni et aux Etats-Unis,
c'est-à-dire dans trois pays n'appliquant pas le droit de suite. Elle en
a déduit que les différences de législation nationale en
matière de droit de suite provoquaient des distorsions dans le
fonctionnement du marché intérieur et a souhaité
harmoniser les dispositions nationales en matière de droit de suite.
Les caractéristiques essentielles de la directive sont au nombre de
trois :
- la première, c'est que le droit de suite est perçu sur le
prix de vente obtenu à la suite de toute revente d'une oeuvre d'art,
à l'exception des transactions effectuées par des particuliers ;
en d'autres termes, il s'applique à la fois aux ventes publiques et aux
ventes effectuées par les galeries ;
- la seconde, c'est que le droit de suite est dégressif. Il est de
4% entre 6.500 et 325.000 F. De 3% entre 325.000 et 1.625.000 F. De 2%
au-delà de ce dernier chiffre ;
- la troisième caractéristique, c'est que le droit de suite
profite à l'auteur et, après la mort de celui-ci, à ses
ayants droit pour une durée de 70 ans.
Par rapport à la situation actuelle, la directive apporte trois
modifications essentielles :
- une harmonisation entre les 15 Etats de la Communauté ;
- des taux nouveaux pour le droit de suite ;
- une extension de ce droit aux ventes par les galeries d'art.
Je vous propose d'examiner successivement ces trois points.
1. Une harmonisation entre les Quinze
Cette harmonisation est la motivation même de l'intervention de la
Commission. Elle est à l'évidence favorable aux
intérêts du marché de l'art français. Actuellement,
une oeuvre de Balthus vendue à l'Hôtel Drouot est frappée
d'un droit de suite de 3%. En revanche, si une oeuvre de Balthus est vendue
à Londres, elle échappe à ces 3%. Il est clair que tout
possesseur d'un tableau de Balthus a intérêt à emporter son
tableau à Londres et à le vendre là-bas. Il
réalisera ainsi une économie non négligeable.
Sans doute ne faut-il pas se faire d'illusions. Si le marché de l'art
anglais ne cesse de gagner du terrain par rapport au marché
français, cela ne tient pas seulement à l'existence du droit de
suite. Mais il est incontestable que l'existence actuelle de ce droit en France
et son absence au Royaume-Uni joue contre le marché français.
Nous ne pouvons donc qu'être favorables à une harmonisation dans
la Communauté.
2. La fixation des taux
L'exposé des motifs de la directive fait apparaître que la
Commission a retenu les taux de 4%, puis 3%, puis 2% sans motivation
économique déterminante.
Elle a choisi 4% parce que, dit-elle, " à première vue, ce
taux est une moyenne raisonnable des taux adoptés par les
différents Etats membres ".
D'autre part, elle a choisi une dégressivité du taux pour
éviter que le marché des oeuvres d'art ne sorte de la
Communauté.
Cette seconde considération est manifestement de bon sens. Il va de soi
que si le détenteur d'un tableau de Picasso n'a plus
d'intérêt à emporter son tableau à Londres
plutôt qu'à le vendre à Paris, il lui restera toujours la
possibilité de partir à Genève ou à New York. Il
faut donc que, pour les tableaux d'une certaine valeur, le taux soit
suffisamment faible pour qu'il n'y ait pas une incitation trop grande à
fuir les marchés de l'art situés à l'intérieur de
la Communauté.
En revanche, pourquoi choisir 4% comme taux de base ?
Cinq pays de l'Union européenne n'appliquent actuellement aucun droit de
suite et deux autres n'appliquent qu'un droit de 3%.
Mais surtout, il faut bien garder à l'esprit que tous les marchés
de l'art ne sont pas équivalents en importance.
Il y a en fait deux grands marchés de l'art dans la Communauté :
le marché anglais et le marché français. Le marché
anglais est aujourd'hui d'une dimension très supérieure au
marché français, mais le marché français reste sans
commune mesure par rapport aux autres marchés de la Communauté.
Or, le taux du droit de suite est de 0% au Royaume-Uni et de 3% en France.
Pourquoi monter jusqu'à 4% ? N'est-ce pas encourager la fuite des ventes
d'oeuvres d'art ?
Les commissaires-priseurs demandent que l'on retienne un taux de 3%
jusqu'à 65.000 F. et de 1% au-delà.
Je ne suis pas sûr, pour ma part, qu'il soit judicieux de créer
une telle différence entre les ventes d'oeuvres d'art de prix modique et
les autres. Je ne suis pas sûr non plus que la limite de 65.000 F. soit
vraiment judicieuse.
Je vous propose donc que le Gouvernement français demande l'instauration
d'un taux de 2% pour les ventes allant jusqu'à 650.000 F. et un taux de
1% au-delà.
Je précise que cette base, par rapport au taux actuel français
qui est de 3%, n'aurait pas pour effet de diminuer le montant du droit
perçu par les artistes français au titre du droit de suite.
En effet, M. Balthus - comme la famille Picasso - touchent
aujourd'hui 3% pour les transactions sur leurs tableaux effectuées en
France, mais ne touchent rien sur ces mêmes transactions lorsqu'elles
sont réalisées au Royaume-Uni. Après l'adoption de la
directive, ils toucheront 2% jusqu'à 650.000 F. et 1% au-delà,
pour toutes les ventes réalisées sur le territoire de la
Communauté. Il y aura un élargissement de l'assiette du droit de
suite qui permet un abaissement du taux.
3. L'extension du droit de suite aux ventes effectuées par les
galeries d'art
La législation française avait retenu le principe de
l'application du droit de suite aux galeries d'art. Cette disposition est
restée inappliquée faute de règlement.
Si aucun règlement n'est jamais paru à ce sujet, c'est en large
partie parce que les galeries d'art se sont vu imposer une contribution au
financement du régime de sécurité sociale des artistes.
Elles versent à cet effet au régime général de
sécurité sociale une contribution égale à 1% de
leur chiffre d'affaires, c'est-à-dire un chiffre très
supérieur à ce que pourrait représenter le droit de suite.
Il ne me paraît pas possible d'imposer le droit de suite aux galeries
d'art tout en laissant subsister cette contribution au régime
général de sécurité sociale.
Par ailleurs, il serait régressif sur le plan social de supprimer cette
contribution à la sécurité sociale de tous les artistes
pour lui substituer un droit de suite qui, en fait, profite essentiellement aux
artistes qui ont réussi, c'est-à-dire aux plus fortunés.
C'est pourquoi je vous propose que nous demandions au Gouvernement d'obtenir
que la directive ne vise que les ventes publiques.
Voilà, mes chers collègues, l'essentiel des dispositions de la
proposition de résolution que je vous propose.
M. Yves Guéna,
tout en approuvant ces propositions, a fait part
de sa réserve à l'égard du droit de suite. Il a
estimé qu'il n'y avait plus d'artistes méconnus de leur vivant et
que la valorisation de la cote d'un artiste décédé
permettait à ses héritiers de vendre à un meilleur prix
les tableaux encore en leur possession. Il s'est en outre déclaré
en plein accord avec les remarques formulées au sujet des galeries
d'art.
La délégation a alors approuvé le dépôt de
la proposition de résolution de M. Jacques Genton (voir texte
ci-après).
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
Le Sénat,
Vu la proposition de directive relative au droit de suite au profit de l'auteur
d'une oeuvre d'art originale (E 641) ;
Approuve l'adoption de dispositions visant à mettre fin aux distorsions
de concurrence résultant de l'absence d'harmonisation du droit de suite
à l'intérieur de la Communauté ;
Invite le Gouvernement à s'efforcer de fixer le droit de suite à
2 % du prix de vente pour la tranche de prix comprise entre 1.000 et
100.000 écus et à 1 % pour les sommes
supérieures à 100.000 écus afin d'éviter que
l'offre en art moderne et contemporain ne soit incitée à se
porter davantage vers des marchés extérieurs à la
Communauté où le droit de suite n'est pas appliqué ;
Invite le Gouvernement à s'efforcer de restreindre l'application du
droit de suite aux seules ventes publiques ; son extension aux galeries
d'art serait anormale puisque celles-ci sont assujetties en France à une
contribution à la sécurité sociale des artistes ;
elle serait au surplus dommageable au marché de l'art français
qui traverse actuellement une grave crise.
Cette proposition de résolution a été
publiée sous le n° 156 (1996-1997)
Elle a été renvoyée à la commission des Affaires
culturelles.